Google This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project to make the world's bocks discoverablc online. It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the publisher to a library and finally to you. Usage guidelines Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. We also ask that you: + Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for Personal, non-commercial purposes. + Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. + Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. + Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. About Google Book Search Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web at|http: //books. google .com/l Google A propos de ce livre Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en ligne. Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression "appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont trop souvent difficilement accessibles au public. Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. Consignes d'utilisation Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. Nous vous demandons également de: + Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un quelconque but commercial. + Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. + Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en aucun cas. + Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. A propos du service Google Recherche de Livres En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl DUUU4UU1 UB / 4 A. LES ÉPOPÉES • " • %• FRANÇAISES. «14 \. « » ^ ■ • » ^DU MÉKË AUTEUR : :^' ^utfBS Pi^TiQUES d*Adam bi^ Saint-Yictob , précédées d'une '^ lûtroduotion sur sa vie et ses ouvrages; S forts volumes - în-18 d6 1100 pages (1858, 1859). f Quelques mots sur l'etuds de là Paléographie et •dK:j*a «DinoiiA- TiQus» préeédés de Quelques mots sua l'École des CftAajES, Jtroisf éditions (1858, 1859^.4864). UBSiTRÉE EN Espagne, Chanson de geste inédite: notice, ana- lyse et extraits (1858). - Histoire pes Proses antérieurement au xii* siâgle (1858). Henost XI^ Étude sur la Papauté au commencement du xiv^" siècle, (1863). Leçon d'ouverture du Cours d'Histoire de la Poésie latine au ^ ftOTEN AGE (1866). L'Idée religieuse dans la Poésie épique du moyen Acn (1^8). Le Musée des ÀRcmvES de l'Empire, Discours d'ouverture (1868). Les Épopées françaises. Étude sur les origines et lliistoire de la litté- rature nationale, t. I, II et UI, 3 vol. in-8, ouvrage couronné trois fois par l'Institut (1866, 1867 et 1868). EN PRÉPARATION ; '\-' ». ■ ^. ÉLÉiofiSl^r^ ÛlPiûBATiQUE pontificale , Cours professé à l'École inâirlÉë .d^^ pendant l'année 1861-62. ' Yb&tm^i^^Xk^ùiéiE latine au moyen âge, Cours professé à l'École impériale ^s Chartes pendant l'année 1865-66. ' i Paris. — Typ. Ad. Ldié et J. HavtrO, lie des Saints-Péres, 19. r ■ r» . LES ÉPOPÉES • • FRANÇAISES ÉTUDE SUR LES ORIGINES ET l'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE NATIONALE PAR LÉON GAUTIER Oiiviige auquel TAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres a décerné le grand prix Oobert en 1868. III PARIS, VICTOR PALMÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR, 25, nvr. DE GREKELLe SAINT-CEMIAIR. 1868 %■ •• • i .1 • « Il semble que nous devions à nos lecteurs ^^^lce. quelques éclaircissements sur l'état actuel de notre œuvre et une réponse à ces questions qu'ils sont en droit de nous adresser : a Qu'avez-vous a fait jusqu'ici, et que vous reste-t-il à faire? » Cette réponse sera l'objet des quelques lignes qui vont suivre. Les trois premiers volumes des Épopées J^ran- Dist^iee parcoarne çaises sont lom d en avoir épuise le sujet. Nous jusqa'ichdtstiHcë • ' 1 - *• J ^. 1- qn» reste à avons termine la première partie de notre livre pwwurir. qui renferme l'histoire de nos poèmes nationaux ; mais, sans parler ici de notre troisième partie où nous devons déterminer l'esprit des Chansons de geste, nous n'avons pas achevé la seconde qui est consacrée à leur analyse. Il est vrai que cette se- conde partie, composée des résumés de nos quatre- vingts Épopées, est à la fois la plus difficile et la plus longue. Contrairement à nos prévisions, la geste de Guillaume dépassera les limites de ce ▼j PRÉFACE. troisième volume, et il nous reste encore à ra- conter les gestes provinciales ou petites gestes, le cycle de Doon, celui de la Croisade. Quarante Chansons sont aujourd'hui connues de nos lec- teurs : ils en ont encore à connaître quarante autres. Dans notre analyse du cycle de Guillaume, nous avons cru devoir suivre le même plan que pour le cycle du Roi. Ce plan a généralement été approuvé. Nous avons donc continué à séparer très-nettement, dans ce nouveau volume, l'élé- ment littéraire, auquel nous avons réservé tout notre texte, de l'élément scientifique, auquel nous avons consacré toutes nos notes. Nous avons d'ailleurs apporté encore plus de soîn que pré- cédemment à la rédaction de nos Notices bihlio- graphiques et historiques que nous avons voulu écrire avec une clarté presque exagérée Toutefois, pour la geste de Guillaume, une in- • . nôvation nous a paru nécessaire. Les poèmes de ce cycle ont entre eux une telle cohésion qu'à vrai dire, ils forment une seule et même Épopée plutôt qu'une série de Chansons distinctes. C'est pourquoi nous avons consacré à cette geste une Notice générale : ce que nous n'avions point fait pour le cycle de Charlemagne, ce qu'il ne sera plus utile de faire pour les autres gestes. Cette . Notice y comme on le verra, pourrait à elle seule composer un volume : nous y avons travaillé pendant de bien longues veilles. Il était *•• PRÉFACE. vij peut-être difficile, [après M. Jonckbloet, de jeter de nouvelles lumières dans ce chaos : nos lec- teurs jugeront si nous y sommes parvenu, Nous nous contentons d'indiquer ici les deux Chansons que nous avons pour ainsi dire décou- vertes et que tous les bibliographes avaient jus- qu'à ce jour confondues avec d'autres poèmes, le Siège de Narbonne et la Prise de Cordres. Ces deux Romans sont loin d'être sans intérêt et com- blent heureusement certaines lacunes de la lé- gende. Des critiques ont été faites à notre œuvre : oiuqucs dom «e * ^ ^ livre a été Pobjet nous reconnaissons volontiers la justesse d'un Recuficauons et ** réponses certain nombre d'entre elles, et, bien que notre 5^2ej"n*u"S! travail en doive. être doublé, nous avons l'inten- tion de réserver un demi-volume à des Rec- tifications et additions qui sont devenues néces- saires. C'est là que nous répondrons à quelques ^ . reproches peut être immérités; c'est là que nous reprendrons à nouveau certaines parties de notr^ i* "*./ premier volume où nous avions parfois montré trop de confiance en des. documents de seconde main ; c'est là que nous traiterons en détail les grandes questions des origines germaniques de notre épopée, de la préexistence des cantilènes et de la nature de notre versification. Nos erreurs y seront, autant que possible, très-minutieuse- ment effacées. Tous ceux'^ qui font des livres savent, du reste, combien il est facile de tom- ber en de certaines méprises : ils auront pour . r vig PRÉFACE. nions* bette bienveillance qui est à la fois un m encouragement et une récompense. Nous devons dire cependant que nous demeu- rons fidèle, sur les points le*s plus importants, ^1 . aux opinions précédemment exprimées dans notre livre. Nous restons très-étroitement attaché à la doctrine de la germanicité de nos vieux poèmes. Jamais, d'ailleurs, nous n'avons prétendu que nos Chansons aient pris naissance et se soient développées dans un milieu purement germa- - nique. Mais nous sommes convaincu que notre grand mouvement épique ne se serait jamais produit, si les Barbares n'avaient pas envahi l'Empire. Sans les Germains il n*y aurait pas eu d'épopée possible parmi nous. Que ce soient des idées d'origine germaine qui dominent dans tous nos poëmes et surtout dans les plus anciens, c'est encore ce dont nous demeurons fermement per- suadé. Mais nous ne voulons pas aller plus loin, et .adoptons sans arrière-pensée le sentiment de l'il- lustre érudit qui a dit : « Germaniques par leur ce origine, les Chansons de geste sont françaises « par leur développement. » Et c'est pour nous une joie de citer ici les paroles toutes récentes de M. Gaston Paris, qui font tant d'honneur à sa sincérité bien connue : «Je crois devoir, dire que a des études plus approfondies m'ont amené à «c modifier sensiblement mon opinion en ce qui « touche le caractère germanique de notre poésie PRÉPAGE. \x « épique au moyen âge. Je me rapprocherais a actuellement des idées qu'a émjse5 à ce propos a M. Léon Gautier et surtout de l'opinion de « M. Bartsch.... Prise en gros, et au moins sous NOTICE BlBLlOGaAPHIQIJE ET HISTORIQTE SUE LA GESTE DE ^ Gnillaiiiiie. GUILLAVUE. — NIUlBSSITÉ J>B CETTE IfOTICB GÉIIÉRALB. « Nous n*aYOIlS point consacré de Notice générale i la geste du Roi, et cependant nous en donnons une k la gÀtë de Guillaume.» Rien ne sera plus facile à expliquer que ce manque apparent de symétrie dans notre plan. Les différentes Chansons de U geste du Roi sont très-nettement indépendantes Tune de Tautre : elles forment autant de poèmes dbtincts, et leur réunion, tout artificielle, est due en grande partie aux érudits modernes. Comme Ta si bien dit un auteur du quinzième siècle, ces Romans « tant en diverses ntams semez et espandus par quoi ung seul homme ne lesporroit assenbler, » (B. I., fr. 1 497, PI.) Tout au contraire, dans le cyde de Guillaume, les Oiansons ont entre elles une cohésion beaucoup plus intime. Ce sont (quoiqu*en ait dit L. Clams, Herzog Jf^ilkelm von Jquitanien^ p. 150), ce sont plutôt les branches d*un même poëmé qu*une série d'épopées distinctes et ayant chacune leur vie propre. Les mannsçrits attestent hautement Tunité de cette geste, que Ton parait avoir considérée au moyen Age comme « k Geste » par excellence, à cause de cette cohésion même des différents Romans qpi la composent. Et c*est peut-^tre dans ce sens qu*il faut entendre le vers d6 Ga" rin de Hontglane: Moult ama Z>i>j; LA GBSTb ; hien le pus tesmoignier (B. 1. ms. La VaU. 78, f* 2, v*). A la fin du manuscrit ile Boulogne, qui contient ONtt # • omoKcnoH a la geste k gouacml. ^^'^ d^uoedotiblepopiilarité; qui estcoonudaosDOS Jtfar- ""^ iyrologts sous le nom de saiot Guilbume de Gdlooe ltC%mrm de FTameitAlM Frise éTOrmmfe ftÊtêit mtm 1— crito ■uilcat» d^aîDefn, le m» de crcS|»cf ,gt de uuBiOBs ^|vi MBi aecs Kk ■■ Leaoa ^htàdemcei les eopMtu an pocws i>ijBiâ|Bgi ^ caInTcat racboa de b nmle çeste :' td le ■>. 33 LaTalièrr, le J3«^e iSr BmheMtrt. wlertalé catrr b pre- ct b leeoBik partie da Emjmmce» Firiem {G mfris <»■■» m ii Sie^s de B^rêmgtre^ imâdemee*^ A« TlH t*); telle crt cseore b BeimJUées Sm^nmim o« Jf«rf J'Jimer'i de ySmrh^mme, ntcreilce aa Hifiai da Momie fe Memomrt [ B, f» 7;. Eb Rsaaé, Toa puaiijit prétcadre, avec «pelqoe jaUcae, qœ b ^este de Cqîlbme coailitae ca réafilé lae teale cf Biêaie cpopcc. El c'crt poorqaoî mam faâ coancroat cctle Jfetice pféliaiaaire. Gauae elle ae doit realirnaer qae dci géacnlilcs tommaâits, efle ae norait aoire en rim aax yeticej parti- aâtêra ^ak arroaipagaeat raaaljie de dntaa de aos poéacs et daat efle produit nartfirat loat le plaa. i. BIBUOGR.VPmE. S 1. CBASOCKIS D05T « OOHFOSB LA USTB DB GciLLârME. a. Cci nr***^"** loat aa aoailai de «iagt-trois, qœ aoas alloas daai Tordre mèmt ck/tom deroat les analjicr : !• Les Emfemees G^nm deMemi- gloMte; 2* Garimde Mtmtglame; 3* Girard de f terne; \* Hirmemi de Bcmu'emde; y» Memier de Gemâtes; 6* jâkmtri de Narhomme; 7« Lci Eefmmces Gmdimaume et le DefoHeeÊems des emfmms Aimeri (dav le o». La Vall. 23, le DtpmrUsmtmt fbnae iiae braache spcriaie); 8* Le Siège de ymréomme ( penoooe avant nous n^avait eaeore «gaalé ee poème, qu'oa avait joMpi^à présent conibnda avec les Em/mmees Gmllmume dont il est r nay létement distinct); 9* Le CouromMemiemt Locjs; 10* Lt Charroi de Animes; 11* La Frise d Orange; 12* Lci Emfmmeet fiwiea ; 13* Le Coeenau f^iriea; 1 {• jéliseaas (on l'a qoelqiieibis séparé en deux par- ties, dont b ioooode a été intitulée Remoars) ; lô* La BoÊaHU loqtùfer; tù* Lt tdfmiage tUnoart ; !*• Le Siège de Barhasire (et Seules de Commareis^ qui en est le remaaicacat) ; 18* Guibers d'AnJrenas ; 19* La Frise de Cor- dres (sor le» lediOei de garde du manuscrit fr. 1448 de b BibL impériale, une main moderne a intitulé ce poëme : « b Comquête de C Espagne •. Mats personne, d'ailleurs, ne lai a reconnu une existence à part, et X Histoire Huerai re Ta confondu avec le Siège Je Barbastre) ; 20" La Mort à' Aimeri de Sarbonne ou b Batmlle des Sagittaires; 21* Renier; 22* Foulques de Candie ; 23* Le Mo- niage GuUisutme, — b, D*un certain nombre de ces Chansons on peut dire plus FAsnccuinuaiEif T que ce sont les chants d*un même poëme, — c. Ces Chan- Mlkif qui ont entre elles un lien plus étroit, sont les suivantes : !• Les En^ ^'■'' fjutt GuUlaume; 2* ht Couronnement Loojs; 3* Le Charroi de Aimes; NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 5 OU de saint Guillem du Désert ; qui est célèbre dans nos Chansons de geste sous le nom de Guillaume Fie- 4* LuPrise it Orange; S^Les Enfances F'men; 6* Le Covênans Fivien; 7*^/ii- eans; %• La Bataille Loqmferi 9« Le Moniage Rencart et 10« Le Montage Guillaume, On peut y joiodre Foulques de Candie^ dont l'importance cyclique a été considérable. (V. les manuscrits fr. de la Bibl. imp. 368, 1449, 774, et le ms. de Boulogne.) — »i"c kptoMRftwk «ck àpvtk ^ k k Sm^ Àr Mmimmt. k ■ k ; « ^Xi Apk9Ble.A AtkiepBBée te ma *1C' S^ ki> • ¥d «K k tfv^ EL^ÂS «c «« ^ff Ji 4t NOTIGK BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 9 et de cette aimable Flore à laquelle une légende tar- " «*a«t. "▼«• n. dîve a prêté trop ingénieusement toutes les infor- ' que sêt partùanf eux-^émes pouvaient trouver exagérée. 11 affirmait « rexiatence évidente de plui de cbict Ràmam provençaux ; » il prétendait que « le cycle de U poésie cariovingienne avait été pius étendu et piiu varie en provençal qu'en francs. >» C'était trop demander, et M. Paulin Paris lui répondit ingéqleuse- ment que FÉpopée provençale était sans doute «* simple, sublime, admirable ; ■Hdft qu'elle avait un grand dé&ut, un seul, eelni d'être perdue » (1. \.,f. Xja), * Tdk fut la première pbase de cette discussion. Mais la polémique vient d'être plus complètement par MM. Gaston Paris et Paul Meyer. Le premier, •on Histoire poétique de Cltarlemagne ( pp. 80 et suiv.) , 8*est fait très- vivement le défenseur de la langue d'oc et a supposé l'existence de tonte une fipopée provençale dont il a essayé de reconstituer les éléments perdus. Le leeond, dans ses Kecherches sur l'Épopée française (pp. 38-63), a soutenu, avec une érudition sûre, la thèse absolument contraire et a conclu ainii qu'il soit : « En résumé , dit-il , l'hypothèse qui admet cette existence d'une iSpo^ « pée provençale depuis longtemps disparue a une triple preuve à founir. It' « hii faut : 1^ montrer au moins quelques traces de eette épopée ; 2** rendfe « compte de sa perte; 3*^ établir qn'êOe est, dans notre histoire littéraire, un « lisit nécessaire. Or il se trouve que l'Épopée provençale n'a point laissé de « traces ; que rien ne saurait justifier la complète disparition i qu'enfin, l'hy* ■ pothèse de son existence étant mlae de, c6té, on n'aperçoit aucune lacunci' « aucune solution de continuité .'dana le développement littéraire du moyen « âge. Cest donc une hypothèse qu'il faut abandonner » (1. 1., p. 63). Nous nous rangeons à l'avis de M. Paul Meyer, que nous avons eu déjà l'occasion de ' *, soutenir dans notre tome I (pp. 104»111). Mais nous allons reprendre l'exa- men de toute la question, en exposant et en combattant un à un les arguments de M. G. Paris et de son. éeole. floos lesr eiderons volontiers la parole : car c'est aux partisans de l'Épopée provençale de oarier les premiers et de fournir leurs preuves : « Dans l'état actuel de la aeienaè, il ne subsiste en réalité qu'une seule Chanson en langue d*oe, GirarU de MossÙha, Vouft- fvétendez qu'il ,«i à existé vingt, cinquante ou cent autres; iVouve^e.. » ' Voici iif réponses et les raisonnemetats de noi àdvenauret. «•«La Provence n'a pas été étrangère à Pietprit épique: « c'est ce que prouve le Girartz de Rossilho. » La question n'est pas •pcdiément de savoir si la Provence a été eu avec n cette explosion du sentiment national qui s'est manifestée au commence- n ment du treizième siècle, à l'occasion de l'invasion française. » Puis, les allusions des dernière troubadours eux-mêmes, celles de Ramou Feraud qui écrivait en 1 300 et de tant d'autres, prouvent juscfu'à l'évidence combien les traditions épiques de la France restèrent obstinément populaires au sud de la Loire. Pour connaître si bien les aventures de Charlemagne, de Guillaume, de Louis, d'Heriiaut de Beanlande, de Guibeliu et de nos moindres héros, il fallait que les poètes des douzième et treizième siècles s'intéressassent vivement aux chants où ces faits épiques se trouvaient célébrés. Ëlait-ce montrer tant de d^ dain pour la poésie épique que d'en citer si souvent les héros et la légende? — « Mais, dirpz-vous, ces Chansons citées par les troubadours étaient provençales.» Si ces Chansons étaient provençales, les Provençaux n'ont donc pas eu pour l'épo- pée ce beau dédain dont vous parlez. Mais c'étaient si bien des Chansons françaises, qu'un des auteurs du fameux poème sur la guf rre des Albigeois a écrit ces deux ven, désormais célèbres : « Scnlior, remembre vos de Guillelme AL CORT nés, — Co ab seti d'Aurenga sufrit tan desturbi<*ri » (ven 4106). Il y a bien al cort iie«,quirime tivecdesiurhiers^ei nonpaso/cor/ ;}a/.Cesvers,quiontétéremarqués NOTICE BIBUOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 11 et d'Yvoîre ; réconcilia son père désabusé avec sa mère " 'a". liti. «, dont l'innocence fut publiquement reconnue; aban- avant nous par M. Jonckbioet, prouvent neltement que les mots GmtUlme al cori nés ne faisaient plus qu'un seul et même vocable, importé et popularisé dans le Midi par nos jongleurs français. D*ailleurs, nous rentrons ici dans la discus- sion générale, que nous allons aborder avec de nouveaux arguments. 11 parait seulement démontré jusqu'ici que la disparition des Épopées provençales île peut s'expliquer ni «par la négligence qui les aurait laissées périr dans Toubli,» ni « par une suppression \ioIente. » à. « La scène des poëmes de notre geste est généralement « au Midi. » C'est dans le Midi que l'histoire place également le théâtre de eeux de ces faits qui ne sont point fabuleux. Qu'en peut-on conclure? Faudra- t-il poser le principe suivant : « Une épopée appartient nécessaire- « ment au pays où Ton a placé le théâtre de ses événements? » Et la scène de Vllitule n*cst-eUe pas en Asie ? m Mais les Grecs , répondra-t-on, avaient un puissant intérêt à la prise de Troie, et c'est cet intérêt qui domine dani le poème attribué à Homère. » Je répondrai que les Français du Nord avaient un puissant intérêt à la délivrance de la France du Midi, et que c'est cet in- térêt qui domine dans toute notre geste. Pourquoi, d'ailleurs , établir un tel contraste, une telle opposition entre le Midi et le Nord de la France? Une séparation aussi absolue n'existait pas au huitième siècle, ni au commencement du neuvième. Et deux siècles plus tard, dans la Clianum de Roland elle- même, la France du Nord et la France du Midi sont encore confondues cent . fois en un seul et même pays qui s'appelle « la France. » Noos aurons lieu de le démontrer plus tard. e, « Ces poëmes racontent la conquête des villei^du « Midi sur les Sarrasins. » Rien de plus vrai, mais ces villes du Midi étaient en réalité le boulevard de toute la France, et même de toute la Chrétienté contre les païens. Cette double importance suffisait pour rendre la conquête de ces villes aussi populaire dans le Nord que dans le Midi de la France. Ces conquêtes, du reste, ont été faites par des années où les Français du Nord tinrent une très-large place. De retour dans leurs foyers, ces soldats, tous les soldats de l'armée d'Espagne, racontèrent leurs campagnes. Et c'est ainsi que ces récits purent se répandre avec autant de puissance et de vivacité dans toutes les parties de la France, depuis les Pyrénées jusqu'au Rhin ; c'est ainsi qu'ib donnèrent partout naissance aux mêmes légendes, d. «c Les héros de nos poëmes sont originaires du Midi. » Daof les Épopées primitives, l'important n'est pas de connaître exactement le lien d'où les héros sont originaires, mais la part qu'ils ont prise aux grandes péripéties historiques de la %ie de telle ou telle nation. Leuu exploits impor- tent plus que leur naissance. Napoléon, qui est un Corse, a donné réellement naissance à une épopée toute française. Mais d'ailleurs, Guillaume, héros cen- tral de toute la geste, ne peut passer pour un Français du Midi. H appartient plusieurs fois au Nord d'où la Flta nous le montre originaire. Qu'il ait fait partie de la famille de Charlemagne, c'est ce qu'on ne saurait donner pour une certi- tude ; mais rien ne semble plus plauiible. Dans un vieux Martyrologe, il est écrit que sa mère était sœur d'Hiltrude et de Landrède(?), filles de Charles Martel. C'est 12 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. n PART. uti. II. donna son duché dfAquitaîne pour aller chercher ■ fortune à la cour du roi de France , repoussa les probablement de son père Théodoric que parle Égiobard dans ses jénnalet , à l'année 783, et il décore ce comte ripuaire du titre de proptaijuus régis. Nous ne serions donc pas éloigné de croire, avec L. Clams, que notre Guillaume ait été cousin de Cbarlemagne. En tout cas, on le voit sans cesse agir en véritable Frank. Dans toute son bistoire réelle, comme dans toute son histoire légen* daire, il est le délégué, le cbargé d'afTaires, le représentant du roi Charles qui est un homme du Nord. Encore un coup, d'ailleurs, à l'époque où il vivait, le Nord et le Midi étaient unifiés, et les Frani^ais de la Neustrie et de l'Austrasie s'intéressaient aussi vivement que ceux de la Provence et de la Gascogne aux défaites des Sarrasins, qui menaçaient toute la chrétienté et l'Europe tout entière. e, « Les possessions de ces héros sont en Provence et («en Languedoc. » L'histoire nous montre Guillaume envoyé par Cbarle- magne pour empêcher l'Aquitaine de tomber aux mains des Vascons, et, plus tard, des Sarrasins. C'est en cette qualité de fonctionnaire de Charles qu'il administre cette partie de l'Empire. Si donc nos poètes lui donnent, à lui ou à sa famille, certaines possessions au Midi de la France, c'est uniquement à cause des souvenirs historiques qu'avaient laissés le gouvernement et les con« quêtes de Guillaume ; c'est en raison de tous les services rendus au Midi par cet homme du Nord. f. art de ces noms sont surtout français. 11 ne reste donc que quatre voca- bles en litige : « Arnaud, Foulques, Bertrand et Aimeri. » D'attentives re- cherches dans les Uonumenta de Pertz et dans les Historiens de France nous ont l)ermis de constater que les trois premiers de ces noms sont tout AUSSI USITÉS au Nord qu'au Midi. On trouve à peu près autant de Foultfues, ^Arnaud et de Bertrand en-deçà qu'au-delà de la Loire. Nous sommes prêt à en fournir cent exemples. Quant à Aimeri, il est certain que ce vocable, sous cette forme mime^ a été plus employé au Midi qu'au Nord. Mais il ne faut pas oublier, en premier lieu, que les poèmes où figure Aimeri ne sont pas les plus anciens de la geste. Plu- sieurs critiques (Fauriel, P. Paris, Jouckbioet) ont prétendu, non sans quelque vraisemblance, que ce nom fut donné au père de Guillaume à cause du vicomte de Narbonne, Aimeri II (110S-1184). Cet Aimeri avait passé une partie de sa NOTICE BlBLIOGRAPUIQUfc: ET HISTORIQUE. 13 avances libertines de la reine Galienne, qui ne méri- " r^nT. litb. n. tait plus Tamour de Charles, et parvint à conquérir le — vie à guerroyer coatoe les Sarrasins, et sa fille Ermenganie se rendit célèbre par son amour de la poéne et par la protection dont elle entoura les troubadours. ^^i Ton admettait cette version, si le choix de ce vocable n'avait véritablement élé qu'une petite flatterie littéraire, Temploi de ce nom n'aurait plus rien que de trèf- naturel. Mais, sans avoir recours à cette supposition, il est aisé de comprendre que • le nom d'Aimeri a pu se rencontrerde bonne heure, soit dans les traditions oraicit, soit dans les cantilènes du nord et du midi de la France, et que par conséquent il n'est aucunement nécessaire de supposer ici Texistence d'une Epopée provençale. g. « Albéric de Trois-Fonta ines appelle Nemericus le fils « d'Hernaut de Beaulande, et il est impossible de ne pas « voir dans ce nom la forme provençale n'Aimerics, qui se « trouve en effet citée... » M. Paul Meyer {Rechercliet sur l Épopée française, 43 } fait remarquer avec raison que cet argument n'est point fondé. C'est seulement dans les documents plus récents de leur poésie épique ou narra- tive {Fieraùras, Flamenca)^ que l'emploi de la particule en se généralise dans la langue d'oc pour désigner les barons, les nobles; dans Girartz de RossU/to, ils sont eucore, ils sonttoujouri qualifiésde Don, — D'un autre côté, saint Aulhfl- me, évèque de Belley au douzième siècle, a été appelé Nanthelmus, « et ce n'est pas à Belley qu'on peut supposer la présence de la particule N».— D'ail- leurs Albéric de Trois-Fontaines n'a évidemment comiii l|iie àm poèmes fran- çais, et même des poèmes français de la décadence^.oiBt ckiMfùê éjrcliques. --- Telles sont les observations de M. Meyer. — Sans doiitaôiiptiil les affaiblir en alléguant mille exemples de la particule honorabla tiriato€lMricsor en ferai desoz cel olivier » (vers 366), et nous sommes dans les Ardennes. Dans les Quatre Fils Jimon, l'olivier ne fleurit pas moins abon- damment nir les propres rives de la Meuse : « Mon tref me fkites tendre des- 14 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. Il PAIT. LivR. II. château de Montglane avec la main de son amie Ma- CilAP* l» ^ bille . Son grand-père fut ce rude et courageux 80US. 1. olivier *• {Renaut de Montauhan, éd. P. Tarbé, p. 69). Voy. aussi Doon de Mayence (vers 2962), etc., etc., etc. /. fc Dans les poèmes de la geste de Guillaume, on cont- « tate une ignorance assez grande de la topographie du « Nord, une connaissance exacte de celle do Midi. » La con- naissance de cette topographie du Midi fût-elle réellement exacte et complète dans les Chansons de notre cycle, on n'en pourrait rien conclure d'évident en faveur de Tépopée provençale. La seule conclusion légitime serait la suivante : « Ces poëmes sont écrits d'après certaines traditions qui ont gardé des notions assez précises sur le théâtre des exploits de Guillaume.» Mais, comme on s'en convain- cra dans tout le cours de ce volume, rien n'est moins démontré que Texactitude topographique de nos poèmes. Leurs auteurs connaissent assez bien la route qui conduit du Nord au Midi et les différentes étapes de cette route ; ils savent à peu près la situation respective d'Orange et de Narbonne. Voilà presque toute leur science, et ils commettent d'ailleurs vingt méprises étranges. La lecture de nos analyses rendra ce fait évident. /. « Les anciennes Chansons françaises où il est parlé « de guerres contre les Sarrasins ignorent absolument «les- héros de la geste de Guillaume : on n'en trouve « pas un seul dans Roland^ dans Ogier^ dans Aspremontf dans « tous les poëmes qui portent évidemment le carac- « tère français. Les récits consacrés aux Narbonnais « vont même jusqu'à contredire ces textes. Ils ne savent « rien des douze pairs. Ils font prendre Narbonne après la « guerre d'Espagne, tandis que dans Roland on la prenait « avant. Ce sont deux cycles tout à fait indépendants. » Cet argument est peut-être le plus spécieux de tous ceux qu'a fait valoir M. Gaston Paris. Il convient toutefois de rappeler ici le mode de formation de nos épopées. Elles se sont formées par cycles. Un certain nombre de poètes se sont groupés autour d'un héros, d'une famille héroïque, de quelque grand fait national ou religieux. Et ces poètes se sont mis à chanter uniquembut ces évé- nements, cette famille, ce héros. C'est ce qui s'appelle un cycle. Sur la surface de la France, — dès le dixième siècle et même auparavant, — on peut aper^ cevoir un certain nombre de ces groupes . Ce qui se chante au milieu de chacun d'eux ne ressemble point à ce qui se chante au milieu de tous les autres, et chaque cycle est plus ou moins indépendant de cycles voisins. L'un est consacré à Char^ lemagne, l'autre à Guillaume. Chacun d'eux s'appuie, d'ailleurs, sur des tradi- tions orales qui n'ont point la même origine ; chacun s'attache à des légendes différentes. Faut-il s'étonner après cela que les héros de la geste de Guillaume ne soient pas les mêmes que ceux de la geste du Ro^? Il n'y a là rien de plus surprenant, après tout, que de ne poîut voir figurer dans la geste du Roi, ni dans celle de Garin, ni dans celle de Doon, les héros de la geste provinciale des Lor- rains. Toute la question se réduit, en définitive, à savoir si la délivrance du Midi par Guillaume a été un événement populaire au nord de la France ; s'il y a pu donner naissance à des traditions, à des légendes, et par conséquent à un cycle. NOTICE BIBUOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 15 Hernaut qui, après avoir fièrement subi la pauvreté u paît. utb. u. dans le palais de son père Garin, conquit la cité de — — S*il en est aimi, la geste de Guillaume a pu très-naturellement demeurer auni indépendante des autres gestes que les Lorrains ou Girars de RoustUlon, Tout se résume en ce lait« que des traditions orales » communes au Nord et au Midi, n'ont pas mêlé Guillaume aux autres cycles. » Et par là tout s'explique aisé- ment. k, « La délivrance des provinces méridionales peut sans doute « intéresser les Français du Nord comme un de leurs plus « g^lorieux exploits, mais non pas les enthousiasmer comme « une grande œuvre nationale. Dans le Midi, au contraire, cet « événement avait une immense importance. » C'est là, suivant nous, l'erreur capitale de M. Gaston Paris, et celle d*où dérivent toutes les autres. Pendant deux cents ans , les Sarrasins furent en réalité la plus grave préoecupation de la France tout entière. C'est qu'ils menaçaient non-seulement la nation française, mais la foi catholique qui était conmiuue au Nord et au Midi. Toutes les luttes qu'on soutint contre eux furent avant tout des luttes religieuses, qui intéressaient aussi vivement le Nord que le Midi. Ce fut un homme du Nord, Charles Martel, qui les arrêta à Poitiers à la tète d'ime armée d'hommes du Nord, et cette seule victoire suffirait à nous fisire comprendre la persistance dam le Nord des légendes qui célébrèrent la délivrance du Midi. Ce fut un honm^inlf ord, un autre Charles, qui reprit les traditions de Charles Martel et lutta pen- dnit presque tout son règne contre les Sarrasins d'Espagne. Ce fut le (ils de ce roi dn Nord, Louis, roi d* Aquitaine, qui représenta son père dans ces luttes gigantesques auxquelles prirent part des armées de Franks, d*hommei du Nord. Ce fiU encore un homme du Nord, un délégué de Charlemagne, qui arrêta, conmie un second Charles Martel, les invasions triomphantes des ennemis de notie foi. Tout ki durétieos du royaume de France suivaient avec angoisse les péripéties de cette lotte d'où dépendait le sort de la chrétienté tout entière. En un mot, la lutte contre les Sarrasins n'a pas été autre chose qu'une première croisade dont le Midi a pu être le théâtre, mais i laquelle le Nord a pris une part beaucoup plus décisive. Du reste, deux textes de premier ordre et d'une ' importance capitale attestent la diffusion profonde et universelle de la légende de Guillaume au nord de la France. Le premier est la Vita fVilUlmi; le bio- graphe y dit fort explicitement que l'histoire de son héros est populaire dans tons les royaumes et parmi toutes les nations chrétiennes. Et environ un tiède pins tard, Orderic Vital parie des cantilènes, ou plutôt des Chan- sdps de geste qui ont Guillaume pour objet. Orderic, notez«le bien, vivait en Normandie, et ces Chansons ne peuvent être que françaises. Ces deux textes attestent assea éloquenmient combien cette légende était populaire au Nord, et e^Bft tout ce que nous prétendions démontrer* /. « Les nombreuses allusions des troubadours aux hé- « ros de la geste de Guillaume prouvent l'existence K d'une Ëpopée provençale où ces héros étaient longue- « ment célébrés. » Ces allusions proutent uniquement, en bonne logique, que Phistoire de Guillaume était connue dans le Midi» et le fait n*est pas douteux. Elle était connue en premier lieu par des traditions orales dont 16 INTRODUCTION A I.A GESTE DE GUILLAUME. II PART, un, u. Beaulande sur le roi sarrasin Florent, et épousa Fré- gonde% Et: les grands oncles paternels de Gario ciiAr^ I. Texistence n'est pas coatestable, et, en second lieu, parles poèmes français qui circulaient dans le Midi : comme on le voit, il n'est aucunement nécessaire d'ima- giner ici l'hypothèse d'un ensemble de pocmes provenraui. C'est ainsi que Ton peut très- simplement expliquer les vers de Bertrand de Bom : « Reis coro- nats que d'autrui pren livranda — Mal sembla Arnaut lo marques de Bellanda, — Nel' pro GuiUem que conques Tor-Miranda. » Et ces autres de Bertrand de Bom, le fils : « Mieb sanp Lozoïcs deslivrar — Guillelm el' fes rie secors — Ad Aurenga quan l'almanors — A Tibaut Tac fait asetjar. » — Et ces autres de Rambaut de Vaqueirat : « Ane Tibautr ab Lozoïc — Non fers plaitz ab tans pla- zers. » Et les vers où Arnaud Daniel fait allusion au neveu de saint Guillaume, etc., etc. Dans la Fie de saini Honorât ^ qui fut composée en 1300 par Ramon Feraud, moine de l'abbaye de Lérins, nous trouvons des allusions plus frappantes encore. Le pieux auteur nous apprend, dans son Prologue, qu'il a lu beaucoup de romans, entre autres le récit de la sancta eonquesta que fon en Ronsatvals, M. Gaston Paris conclut de ces vers que Ramon Pennd avait sous les yeux des poèmes provençaux : « 11 y aurait donc eu vers la fin d^ treizième siècle, dit-il, des « Chansons de geste provençales encore existantes. Le fait est surprenant, mail il a paihiît difficile de le révoquer en doute. » 11 ne faudrait pas cependant oublier que nous sommes en 1300; que la connaissance de la langue et de la littérature françuâes était alors très-répandue dans le Midi ; «« qu*un homme instruit, un K reiigiçîix écrivant sous les princes de la maison d* Anjou et pour Marie « de. Boogrie, femme de Charles 11 , n'a pu ignorer le français, » et qn*aa Umi de prétendus originaux en langue d'oc, Ramon Feraud a dA avoir pHAe les mains quelques manuscrits cycliques de la geste de Guillaume, la Cêmusom de Gmtaiin, etc. — Ainsi raisonne M. P. Meyer {RechÊftket sur C Épopée fran^aise^ p. GO-63), et il démontre en outre comment la Sancta conqueUa que fon en RontcuvaU est tout simplement la Chronique de Turpîn dont Ramon Feraud a traduit tout un passage : « Trobat ay eli un libre que Turpius fesper ver, » etc. (B. L, 13509, ^ G2 v*.) m. « On peut alléguer en faveur de l'Ëpopée provençale ce un texte du dixième siècle: le fragment de La Haye; u un autre du onzième: la Vita sancti ÏVîli elmi. Ces «deux textes prouvent la préexistence ou tout au « moins l'existetiee d'une épopée provençale. » Le firagment de la Haye que M. Pertz a découvert sur les derniers feuillets d'un manuscrit du dixième siècle, que H.' G. Paris a publié après le grand érudit allemand et oh il a si ingénieusement retrouvé la traduction inintelligente d'un chant na- tional; cette page de style, celte composition de rhétorique où l'on voit réunis les noms de Guibelin, de Bernard, d'Hernaut et de Borel, peut-elle être réeUement de quelque poids dans la question qui nous occupe ? Qu'on y veuille chercher la preuve de l'existence régulière des Chansons de geste au dixième siècle» l'entre- prise est déjà téméraire, comme nous avons eu l'occasion de le faire voir : car le rhétoricien qui a rédigé cette amplification de collège a pu l'emprunter à une cantilène orale tout aussi bien qu'à une épopée écrite. Mais est-il scientifique- ment permis d'ajouter : « Le poème original est perdu ; si toutefois, comme nous NOTir.E [ilDUOGBArillQL^E ET ItlSTORHJL'E H tiennent pas tine moindre place dans notre tradition i épique : Mille fut duc de Fouille ; Renier, après avoir ■ cspérani t'iroir rendu vniMtabUble , il éuii provcni;al, il a'» fut que • parli^r k lorl df twii l« autres. " Pourquoi aurait il élé provenrsl ? Non) ponnlonsdi^ p4ii'mH frani;ai9 où figurent en mime lempi Bcrlniid, Brrnird ri KenMut. N'«l-il pai plui nalurel de penser que l'origin»! du trsgment de In U*yca tié un rhaiil rranrau? En tout eu, rien, «lunlnmcnt rwii, ne prouve rrri - Icnenl le ronirairt. — On le rappelle riirore el l'on petit nom objecler le te\le de la Viia tnucii WilMmi : • (Juie enim regim, «t qii» protiiiciff, quo- -gcnlM, quie urbes Willeloii ducia potenliam non loquuntur? elc.> Mais, dan< M Iule, il n'eit encore question, «livanl noua, que de cinlilènes rcpéléci par tout un peuple, el non pu de chants e:ié['ulés par un jongleur. Qu'il ail existe dam le Midi des rhanli poptilaim, des eanlilènes en langue d'oc : c'eil ee dont uous n'atunt jamaii doulé. Puis, le lexle iiagio^apbique parle de ehnnts " qui ton! a l'usage de loui les rojaumes, de tout les peuples -, Pourquoi y terrail- on uniquement dea poèmes provençaux? n, ■Ûuillauniede Bechada n'a-l-il pasècrilunpoëtncprateu- 1 ^al sur la première croisadeP • Saui doute; naisee fait ne prouve rien en favcir de rEpa|iée méridionale. Car l'ieuvre de Bvchada êlalt un pui'Uie IHiremenl hislorique, el nout u'avons jamais prétendu que la Provence n'ait puiiil produit d'hitlorieus. e, -tleaucoupde pocmei de Ugetle de Guillaume ne lonl pai oparTeauijusqu'à nous; beaucoup de héros épiques qui lonl • senlemeul oieu lion nés dans nos Chansons étaient l'objet it'u ■ Cuillai -fra s poei lOUdel. .en^.l cledé ■rvéquede. obil>le qu.; ■< Pioi d.» En d'autres lermes, loules res Chansons perdues étaient proveni;alet, cl telle al réelItmeDl la pcusée de M. G. Paris. Mais d'abord j i-l-ileu réclle- nicnl lanl ile Chansons perdues? Comme l'a juslement observé M. Paul Heyci . YiMaa AeVHiitoirr poeliqui dt (.'/lar.'rma^nc est trop prompt à sup|>oser l'e:iia- Icnee de poèmes disparut. Dès qu'il trouve, lUus la Cttanioa de Botand ou ailleurs, une allusion à quelque fail laissé daul'umbre, " M, C. Pnrb eu induit ■ l'ubteitee de Chansons relalites à ee bit " (I. I., p. 3D). ■ Ce sonl autant ■ d'iuduclious basées sur un seul faïl, ce qui <:*l bien peu > (p. ill). C'est ainsi que, trouvant ^à el là dans nos vieux iioémci îles allusions plus ou moios va- gues a Bcmaul de BeiuUude, à Aimer le Cbélif, i Hernaul de Gironiie, ■ Guil)«lii>, a GaHn d'Anséune, M. C Paris eu ronclul qu'il y a eu tiusiloute au- laul d'épopées pn>veni;alcï consacrées à tous ce» héros. rro\eu^ates 1 El pour- quoi pas rrau^iiseï? Dans un pocnie que pous avons découvert el que oons ■vous iutilulê le Sifge dt KarbanHe [B. 1., La Vall., Ï3), le premier rcile appar- licnl à Gullxliu , si bien (|ue nous aurions pu donner à celte Chanson cet autre litre . ■ Lrt Eafanca Gaiieiîn. » Dans un autre Roman dont nous avons égalenienl reconnu l'existence indépendanle, et auquel uonsavousallacbé le nom de Priir dr Cordrti. Aimer le Chélif lient une place im|Kinanle (B. 1. tr. H te). SurHemaut de Benulandc, il nous reste un Roman en prose du 18 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILUUME. u PAIT. uT«. IL bien servi Charlemagne, et surtout après l'avoir épou- ■ — vanté par ses exigences plus que féodales, alla s'em- quinzième siècle, où Ton nous a consenré un couplet de Tancien poème qui, d'ailleurs, ne remonte qu'au quatorzième siècle. Quant à Garin d*Auséune, le récit de sa captivité se trouve sous plusieurs formes dans nos Romans, et il suffit à nous faire connaître ce père de Vivien ; à la un du Siège de Narbonne^ on lit notamment les Tcrs suivants, qui expliquent surabondamment toutes les allusions de nos autres Chansons : « Vers Anséune vait Garin chevauchant, — Granz gens emmaine, hardis et combatant, — Mes Sarrazins les furent es- piant. — X.M. ou plus» par le mien' esciant, — Sus leur coururent i .1. tertre ^ passant. — Là furent pris chevalier et seijant. — Et Guerin pris et mené main- tenant—De Marados.L. félon souduiant — Qui puis le tint .VU. anz en .1. tenant. — Puis,fut délivres corn orrésci avant, etc. » (23 La Vall. f. 75 r°}. Hemaut le Roux joue un assez grand r6le dans le Depariemens des enfans A'imeri et dans plusieurs autres poèmes, tels que le Siège de Narboime^ où Ton nous le montre retournant à Gironde : « Et cis tint puis Orliens en son commant. » Qu*une Chanson lui ait été exclusivement consacrée, la chose est douteuse, mais n*est pas impossible. Car,dans le remaniement en prose de toute la geste, une vingtaine de feuillets sont remplis par le récit de ses aventures. (B.I. fr. 1497.) Ces aven- tures, comme tout le texte de cette compilation, ont été sans doute empruntées à un poëme antérieur, mais à un poëme français. Il n*est donc nullement né- 'oessaire de supposer l'existence de poèmes provençaux perdus pour expliquer certaines lacunes de notre Épopée. Ou ces lacunes sont comblées par des poè- mes français, ou ce ne sont point des lacunes. GoNCLUnoN. Nous venons d*exposer avec impartialité les arguments de M. Gaston Paris et de son école. Nous croyons leur avoir suffisamment répondu, et pensons être en droit de formuler la conclusion suivante : • Le Midi de la m France a eu Tesprit épique ; il a été longtemps traversé par certaines traditions «qui lui étaient propres, par certaines autres qui lui étaient communes avec le « Nord. Mais ces légendes n'ont pas abouti dans la langue d*oc à une véritable « épopée, et le cycle de Guillaume, en particidier, a une origine toute fran- « çaise. • S 4. AUTBUftS. a. Parmi les vingt-trois Chansons de la gpste de Guillaume, vingt sont ano- nymes.— b. Ce sont les suivantes: \^ Les Enfances Garin de Montgiane ; 2<* Garin de Montglane; 3* Hernaut de Beaulande; 4<* Renier de Gennes; 5* Jimeri de Narbonne ; 6* Les Enfances Guillaume et le Departemens des enfans Aimeri ; 7« Le Siège de Narbonne; 8* Le Couronnement Looys; 9« Le Charroi de Nimes ; 10« La Prise tt Orange g W Les Enfances Vivien; 12* Le Copenans Vivien; 13* Aliscans ; 14« Le Siège de Barbastre; 15* La Prise de Cordres; 16** Gmbers d*Andrenas ; 17* La Mort d^ Aimeri de Narbonne; 18* La Bataille Loquifer ; 19« Renier; 20« Le Moniage Guillaume. — e. TVois autres Chansons et le refazimento d'une qualrièflK ont des auteurs counus . 1* Girars de Viane, qui est Tœuvre de Berinoiitde Bar-tnr-Atibe (« A Bair-sor-Aube , .L chastel signori, — Lai cist ÏÏ&ttnm^ caX Tergier, penti, — Unsgentis clers ke ceste chanson fist. » (B. L fe H4t« f> If ^ A») Il Bôoa semble que M. Paulin *A-. NOTICE BIBUOGRAPHIQUe ET HISTORIQUE. 19 parer du duché de Gènes, qu*il arracha au roi païen Sorbrin *. Girard, plus généreux et plus doux que ses Paris te montre quelque peu MTère lorsqu'il attaque cette attribution, et dit : «L'expérience que nous avons des innocentes fraudes des jongleurs pour relever le prix de leur marchandise nous laisse encore d'assez grands doutes, et nous ne serions pas étonné que ce Champenois Bertrand n'eût été un personnage fic- tif. » {But. iitt, XXIly 449.) On se demande quel avantage il y avait, pour les colporteurs de ce poëme, à le mettre sur le compte d'un clerc de Bar-sur- Aube. Y avait-il vraiment là de quoi « relever leur marchandise ? » L'objection nous paraît insuffisante. 2* Beupes de CommarcU^ remaniement très-connu du Siège de Barbastrt par Adenès-le*Roi. 3* Le Montage Eenoartf dont nous ne possé- dons qu'un remaniement, très-ancien d'ailleurs. L'original était anonyme, mais le remanieur a pris soin de nous faire connaître son nom : « Qui d'Aliscans ot les vers controvés — Ot tous ces moz perdus et oubliez ; — Ne sot pas tant qu'il les éust rimez. — Or les vous a Guillaume restorez, — Cil de Bat paumes qui tant est bien usez — De chansons faire et de vers acesmez. » (Ms. de Berne, f» 116, Cat.de Sinner,1II, 339; etms. de laB. 1. fr. 368, f*358.) 4* Foulquesde Candie, Cette Chanson est due, suivant certains manuscrits, à « Herbert Le- duc à Dammartin ; » suivant une autre version, à «Guibert clerc à Dammartin.» L'excellent manuscrit de Boulogne-siir-Mer nous fournit cette dernière attribu- tion, que nous croyons la meilleure : « Aine nés troverentBerton ne Angvvin. — Gmèertli clers\esùêiaDammartinm(î* 201). Les mis. delaB. h fîr. 778Cf* 169 r*, et If. D. 27S bis (f» 1) nous donnent, au contraire, l'indication que nous ftvons signalée plus haut : « Oies bons vers qui ne sont pas frerin : — Herhers li dux les fist à Dammartin, » C'est cette seconde attribution qui parait, d'ailleurs, avoir été la plus répandue au moyen Age ; c'est celle qui est admise par le compilateur italien des Nerbonesi. — d. Comme attribution douteuse, il con- vient de s^naler celle de la Bataille Loquifer i un trouvère du nom de Jendeus de Brie: « Ceste chanson est faite grand pièce a. — Jendeus de Brie^ qui les ▼ers an trova, — Por la bonté si très bien les garda, — Ans à nul home nel'aprist n'ensaigna. — Mab grant avoir en ot et recovra — Entor Sezile lai où il con- versa. — Cant il morut, à son fil la laissa.— £< cuens Guillaume à celui ensai- gna—Que la chanson traist [à] soi et sacha, etc. » (B. I. fr. 1448, f» 290 r« et v».) Nous serions assez disposé, pour notre part, & erbire à l'existence réelle de ce Jendeus ; mais il y a dans ce passage certains éléoaents fabuleux qui nous for* cent à nous défier des autres. ~e. Comme attributions fausses, il faut men- tionner : 1« Celle que C. Hoffmann a faite, sans aucune preuve, du Moninge Guillaume k Guillaume de Bapaume ; 2« Celle que Wolft-am d'Eschenbach a frite à'jiliscans k Chrestien de Troyes {fFillehalm^ éd. Lachmann, 125, 12, p. 480). Chrestien de Troyes avait facilement conquis une grande vogue en France, et mmsî en Allemagne. Il est aisé de comprendre qu'on fût tenté de lui attribuer MPes ks œuvres qui eurent alors quelque retentissement : c'est ainsi que la pralpbt et l'étranger ont m volontiers attribué à M. Scribe toutes les œuvres dntfbatiques die notre temps. H li*est pu besoin, d'ailleurs, de réfuter plus sérieusemeat l'^piaioii de WoJfi'Mll» tpA s'a absolument rien de fondé ni de raisonnable. (Y. lonàh^t, Çtditmmê dtOrmtge, H, 204.) 3« Par une méprise des plus singulièfe^'lliH)MiMC A CMj^Mb attribuer un remaniement II PART UVI. IL CHiP. I. i -1 20 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILI.AUME. II PAIT CilAP. . uvB. II. frères^ s'attira cependant la haine de l'Impératrice, et — dut subir, dans son château de Viane, ce siège im- du Charroi Je Himet k un cerlaîn Geraume^ dont il a trouvé le nom dans un des manuscrits de notre Bibliothèque impériale. (La V. 23 ; et non pas 27, comme récrit Jimckbloet.) « Seigneurs barons, or oies la devise,— Com faite- ment quçns Guillaume a emprise— Dealer i Nimes...» Le poète décrit alors la cité, et il ajoute : m Et dit Geraumes : Or est droit c*on avise — Com faite- ment la cité soit conquise. » Or ce Geraume, comme la suite du récit nous le prouve surabondamment, est un chevalier imaginaire de l'armée de Guil* laume (que d*autres manuscrits appellent Garoier) et qui donne à notre héros le conseil précieux de cacher ses chevaliers dans des tonneaux : « Par lou con- sailque Gtraume lor done, — Li cuens Guillaume fait restomer ses hommes. » (B. L 1448, f« 96 v®.) Quand on lit ces vers 'dans un des plus anciens et des meilleurs manuscrits de ce cycle, que penser de ces réflexions de Jonckbloet : « Ce passage est extrêmement curieux: il nous apprend probablement le nom du « jongleur du quatorzième siècle, Geraume, qui arrangea le texte de ce manus. «crit >• (1. 1,p. 204). — /. A titre de pbobabilités scientifiques, on peut en- core énoncer les propositions suivantes : 1<* 11 est très-probable qu* y/imrri de Narbonne est de la même main que Girars de Viant (c*est-à-dire de Bertrand de Bar-sur-Aube). 2* Il est possible que les Chansons réunies dans le ms. de l'Arsenal (B. L. F» 185), c'est-à-dire ^//jca;?^, la Bataille Loqmfrr et les deux Momages^ aient été originairement I'œu^tc du même poète. S S. NOMBBB DB TBBS BT NATURE DK LA VERSIFICATION. a. Les vingt-trois poèmes qui forment la geste de Guillaume renferment un total d'environ cent trente mille vers. — b. Ce total se décompose ainsi qu'il suit (et nous aurons soin de choisir la meilleure version de chaque poème) : l^Les Enfances Garin de Montglane, 5,000 vers. — 2« Garin de Mon/glane , 1 4,880. — 3« Girars de Fiane^ G,G63. — 4*» Hernaiit de Beaulande (eu prose; il ne nous reste qu'un couplet de IG vers). — 5^ Renier de Gennes (en prose; uu seul couplet de 13 vers). — G» Aimeri de Narbonne ^ 4,5GO vers. — 7<» Les En^ fances Gttiiianme, 3,422 vers (le Departemens des en fans Aimeri forme dans le ms. 23 La Vall. une branche à part quireuferme environ 500 vers). — 8o I^e Siège de Narbonne, env. 3,500 vers. — O^ Le Couronnement Looys, 2,680 vers (dans le ms. de la B. L fr. 1448, ce poème est réduit à 300 vers, et se fond avec le Charroi de Nimes), — 10" Le Charroi de Nimes, 1,400 vers. — 11* La Prise d'Orange, t^BSO vers. — 12«> Les Enfances Vivien, 2,770 vers.— 13«> Le Cove- nans Fivien, 1,020 vers. — 14« Aliscan; 0,200 vers. — 15» La Bataii/e Lo- qui fer ^ 4,180 vers. — 1G«> Le Moniage Benoart,l^G(iO vers. — H» Le Siège de Barbastre, 7,060 vers. — IS» Guibers d'Aude enas, 2,260 vers.— 19" La Prise de Cordres, 2,050 vers. — 20<* La Âfort d* Aimeri de Narbonne ou la Bataille des Sagittaires^ 3,860 vers. — 21» Renier, 10,500 vers. — 22^ Fou /ques de Candie, 15,067 vers.— 23^ Le Moniage Guillaume^ 5,500 vers. AU TOTAL : env. 127,477 vers. — c. Les Cliansous de la geste de Guillaume sont écrites soit en dé- casyllabes, soit en alexandrins.— Le C/uwroi de Nimes, 7« La Prise dPOrmtg: 8« Les Enfances Vivien, 0* Le Covc %\.. U PAIT. UYB. 0* NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. ît mortalisé par le fameux combat entre Olivier et Ro • cal?, u land, et plus encore peut-être par l'amour naissant de mansrîçitnAQi^.AUscams, !!• LaiBoiaillelAk/uifer. lî»Lc Utonifige Kênoart. 13* Guihers ttJndrenas. 14* La Prise de Cwdreê. IS* La Mort ttAimeri de Jiarbonne, H* Renier. 17« Le Moniage Guillaume. ^e. Sont ècriti ni dodéca- tyllabet: 1« Les £n fanées Garin de Mont glane. 2« Garinde Montglane.Z^Her- nmui de Beaulande. 4* Renier de Gennes (de ces deux poèmes il ne nous est resté qu*un couplet). 5« Le Sie'ge de Barhoitre, et Beuves de Commareis qui D*enestquele remaniement. 6® Un remaniement de Girars de Viane dont il ne nous reste que quelques extraits (Arsenal B. L. F, 236).—/: Une demîèra Chanson, Foulques de Candie, est écrite moitié en décasyllabes, moitié en alexan- drins.^^. La Prise de Cordres est incomplète dans le seul manuscrit qui nous en offre le texte; mais le dernier couplet qui nous en soit resté est en alexan- drins, et tdle était sans doute la physionomie de toute la dernière partie de ce poëme trop peu connu. — A. Les Chansons de la geste de Guillaume soot soit assonancées par la dernière voyelle, soit assonancées par la demièra syl- labe ou rimées (c'est dans les couplets féminins surtout que Tassonanee ou la rime doit être consUtée). — /. Sont assonancées par la dernière voyelle : 1® Les Enfances Guillaume. 2« Le Couronnement Looys. 8« Le Charroi de Nimes. h^Lsi Prise ^Orange. 5« Les Enfances Vivien. 6« La Prise dé Cor^ dres. 7o Le Moniage Guillaume. — y. Sont en partie assonancées, en partie rimées : t« Le Covenans Fivien et 2* La Mort ^Âimeri dé Narbonne. — k* Sont rimées : l^'-S* Les cinq Chansons dodécasyllabiques : Les Enfances Garin, Garin de MonlgUute, Hemaut de Beaulaude , Renier de Gennes, le Sie'ge de Barhastre et son remaniement, Beupes de Commareis, Ô^-IS* Les neuf Chansons décasyllabiques suivantes : Girars de Viane (sauf la dernière laisse féminine); Aimeri de Tiarbonne\ le Departemens des enfans Aimeri (branche séparée dans le ms. 23 La Vallière) ; le Siège de Narbonne; AUscaiu ; la Bataille Loquifer ; le Moniage Renoart; Guibers d^ Ândrenas et Renier. — /. Foulques de Candie taî rimé. — m. Certaines Chansons delà geste deGuillaume présentent, à la fin de chacun de leurs couplets, un petit vers de six syllabes.— n. Ce petit vers, sauf quelques exceptions assez rares {Amis et Amiles, Jourdain de Bhîpes), est particulier i la geste de Guillaume.— o. Il est terminé par une syllabe muette; en d*autres termes, il est toujours féminin, et ne rime d'ailleurs avec aucun autre vers. — p. Parmi les manuscrits de notre geste qui sont con- servés en France (et ce sont les seuls que nous ayons pu étudier de visu), les uns ne nous offrent jamais le petit vers à la fin des couplets épiques; tels sont les mannscriU deU B. I. fr. 774, 1449, 868,2494; N. D. 275 bis. — D'autres nous l'offrent nrvARiABLBifBifT : tel est le beau manuscrit de TArsenal B. L. F. 185, le ms. fr. de la B. I. 1460, et (en ce qui concerne notre geste) le ms. 78 La Vallière. — D*autres enfin nous présentent certaines Chansons munies du petit vers final, et certaines autres sans cet hexasyllabe : tels sont les manus- crits de U B. I. 1448, 1374, 23 La Vallière, le manuscrit 175 de l'Arsenal et le manuscrit de Boulogne. — q. Parmi les Chansons de la geste de Guillaume, il en est un certain nombre qui sont toujours munies du petit vers final. Ce sont : les Enfances ôtirin, Garin. de Moniglane^ Girars de Viane, Aimeri de Nar- bonne ^ le Siège de Narbomiêi la Mort d* Aimeri, Guibers d'Andrenas, le Siège 22 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILUUME. npAiT. LUI. IL la belle Aude et du neveu de Charlemagne ". Mais le père de Guillaume se montra plus grand encore que de Barhastre, Beupes de Commareîs et la Prise de Cordres, D^autres Chansons nous apparaissent inTariablement dans tout les manuscrits (de France), sans le petit Ters hezasyllabique; ce sont les suivantes : Hernaut de Beaulande, Renier de Gennes, les Enfances GuiUmtme et le Departemens des En fans Ji' meri,\e Couronnement toojs^ le Cfuirroi de Nimes, la Prise ttOrangeei Renier, Enfin, il est un troisième groupe de Romans qui, dans certains manuscrits, sont ornés et, dans certains autres, privés du petit vers final. Ce sont les suivants, et nous indiquons entre parenthèses les manuscrits français où ces Chansons nous sont offertes avec ce (letit vers : les Enfances Fivien (Boulogne) ; le Co- i^rnoAi F{Viie/;(Boulogne); ^/ijca/i^ (Arsenal, B. L. F. 186); la Baiaille Loqnifer (Arsenal 185, et Boulogne); le Moniage Renoart (knetaX 185, et Boulogne); Foulques de Candie (Boulogne), et le Moniage Guillaume (Arsenal 185, et Boulogne). — r. C'est d'après ces dernières Chansons que l'on devra cherchera résoudre cette question déjà si controversée : •< Le |)etit vers final est-il le signe « de Tautiquité d'une chanson ? Et faut-il publier de préférence les versions « qui en sont munies? i* — j. Ce qu*il y a de certain, c'est que nos plus an- ciens ou nos meilleurs manuscrits sont ceux qui nous offrent le plus souvent eef. hexasyllabe final : témoin les manuscrits 185 de l'Arsenal, de Boulogne, 1448 de la B. L, etc. 11 arrive encore le plus souvent que les versions où se reneonbre ce petit vers sont aussi les plus courtes : c*est le cas de Foulques de Candie dans le manuscrit de Boulogne. — /. Jonckbloet a comparé avec soin deux versions dont Tune présentait et l'autre n*offrait point ce petit vers à la fin de chaque laisse {Guillaume d^ Orange^ II, 195-197). De cet examen, auquel nous renvoyons nos lecteurs, et qui pourrait d'ailleurs être repris et prolongé, il a tiré cette conclusion : « Il est indubitable que les tirades se terminaient ori- « ginairement par le petit vers qui fut supprimé dans les textes plus modernes, i» 11 convient cependant d'ajouter que ce procédé, réellement ancien, a été plus d'une fois imité servilement dans certains poèmes qui sont évidemment assez modernes. 11 ne faut pas oublier qu'on a pastiché dès le treizième siècle le style de nos Chansons des onzième et douzième siècles. Les Enfances Garin de àtcntglane sont ornées de l'hexasyllabe, et cependant c'est le plus récent de touï nos poèmes. La Mort d* Aimer i^ Guibers, la Prise de Cordres, le Siège de Harbonney Garin de Montglane^ ne remontent pas plus haut que 1200, et sont cependant munis du petit vers final. 11 en est de même pour les assonances et les rimes. La plus ancienne version que nous possédions d^Jliscans^ et qui peut appartenir au douzième siècle, est rimée ; les Enfances P'ivien, au con- traire, poëme a l'apparence toute modenie et pastiche très-réussi , nous of- frent des assonances. — u. Le Moniage Guillaume et la Bataille Loqitlferdu ma- nuscrit de Boulogne nous offrent leur première partie sans le petit vers final (Moniage, f*> 301-321; — Bataille^ f» 142-145), et leur seconde partie (il/o//m^r, 1« 321-334 ; Bataille, f« 146-158) munie de cet hexasyllabe à la lin de chaque couplet. Cette dernière remarque complétera celles que nous avions à faire sur la fin de nos couplets épiques. S 6. Makuscrits qui sont parvbkijs jusqu'à rous. a. Les manuscrits connus jusqu'à ce jour sont au nombre de vingt-six. NOTICE BIBUOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 38 tous ses ancêtres ; car, à mesure que nous appro- " '^"- "▼■• "• chons du héros central de notre geste, les autres hé- — b. Quinze âont en France (quaicrzê à Paris) et onzë à Tétranger {cinq en Angleterre, quatre en Italie, un en Suisse, un en Suède). — c. Parmi les quatorze manuscrits de Paris, onze sont conservés à la Bibliothèque impériale : ce sont les mss. fr. 368, 774, 778, 1374, 1448, 1449, 1460, 2494 ; UVall. 23 et 78; N. D. 275 hu. Trois autres sont à 1* Arsenal (B. L. F. 175, 185 et 226). — B. I. fr. 1449 (anc. 7535*'*'), treizième siècle : En- fonces Guillaume; Couronnement Looys ; Charroi de Nîmes ; Prise d^ Orange ; Enfances Vivien ; Covenans Vivien ; Aliseans ; Bataille Loquifer, — ?• B. ï. fr. 1460 (anc 7542), quinzième siècle : Enfances Garin de Montglane; Garin de Montglane (2* rédaction). — 8» B. I. fr. 2494 (anc. 8202), treizième siècle: Aliseans; Bataille Loquifer, — 9* B. 1. La Vall. 23, quatorzième siècle : Tomel: Aimeri de Narbonne ; Enfances Guillaume et Depariemens des enfans Aimeri; Siège de Narbonne; Couronnement Looys ; Cliarroi de Nîmes; Prise d Orange; Enfances Vivien ; Siège de Barbastre; Guibers d'Andrenas ; Covenans Vivien,' Aliseans ; Bataille Loquifer, Tome II : Bataille Loquifer (fin) ; Moniage Re- noart; Mort d Aimeri de Narbonne ou Bataille des Sagittaires ; Renier; Mo- niage Guillaume, — ]0<> B. 1. La Vall. 78, treizième siècle : Garin de Montglane (f*' rédaction). — 11« B. I. fonds N. D. 275 bis, treizième siècle : Foulques de Candie, — ]2« Bibl. de l'Arsenal, B. L. F. 175, treizième siècle : Beuves de Commarcis (remaniement d'Adenès). — 13« Bibl. de TArsenal, B. L. F. 185, fin du douzième siècle ou commencement du treizième : Aliseans ; Bataille Loquifer; Moniage Renoart ; Moniage Guillaume, •— 14* Bibl. de T Arsenal, B. L. F. 226, quinzième siècle : Hernaut de Beaulande ; Renier de Germes; fragments d'une seconde rédaction du Girars de Viane, — 1 5<> Bibliothèque U INTRODUCTION A U GE8TE DE GUILUUME. " '^ÏÏ'ap" lu* "' ^"^ semblent prendre des proportions de plus en plus épiques. Aimeri| fils d'Hernaut de Beaulande, de fioulogne-nir-Mer, treizième siècle : Enfances CuUlaume; Couronnement Looys; Charroi de Nimet; Prise tt Orange ; Enfances F'ivien; Covenans Fhien; Altscans; Bataille Loqutfer; Montage Renoari; Foulques de Candie; Montage Guillaume, — 1 6« British Miueum (Bibl. du Roi, 30 B, XIX), treizième siècle : Cîrars de Viane ; Mort d^ Aimert de Nar bonne; Siège de Barbattre (?)^ Siège de Narbonne, — 1 7® Britisb Muséum (Bibl. du Roi,30 D, XI), fin du treizième siècle : Garin de Montgtane^Girars de Fiane^ dimeri de N or bonne ^ Enfances Guil tourne. Siège de Narbonne (?) ; Couronnement ïjooys^ Charroi de Nîmes, Prise d'Orange^ Enfances Vivien, Covenans Vivien ^ Aliscans, Bataille Loquifer^ Moniage GuiU laume^iège de Barbastre^Guibers dt Andrenas,Mort £ Aimeride Harbonne^Fonl^ quesde Candie, — 18<> British Muséum (Harl. 1831), fin du treizième siècle: Girars de Viane,Aimeri de Narbonne ^En fonces Guillanme(?)^Siégede Narbonne(?)fSiége de Barbastre, Guibers dt Andrenas, — 10» Oxford, Bibl. F. Douce, n« CCCLXXZI quinzième siècle : Garin de Montglane (fragment). — 30« Middlehill, Bibl. de sir Thomas Phillipps,n« 807 &, treizième-quatorzième siècle (?): Foulques de Candie, — 31* Bibl. Saint-Marc, à Venise (mss. français, n« vill), quatorzième siècle • Aliscansiyerwm italianisée). — 33** et 33« Bibl. Saint-Marc, à.Venise (mss. fran- çais, xn et xx) : Foulques de Candie, quatorzième siècle (?). — 34<> Bib . Vaticane, k Rome (fonds de la reine de Suède, 1517), quatorzième siècle : Garin de Montglane, — 35* Bibl. de Berne (n« 390 du Gâtai, de Sinner, III, 333 etss.), treizième siècle : Prise d'Orange^,., Aliscant, Bataille Loqnifer, Moniage Benoart, Moniage Guillaume, — 30^ Bibl. royale de Stockholm, 130, prem. partie du treizième siècle : Foulques de Candie, — y. D*après le tableau qui précède et qui n*est peut-être point sans utilité, puisqu*il nous montre com- ment se groupaient nos poèmes dans les manuscrits cycliques, on voit que cha- cun de nos romans était contenu dans les manuscrits suivants : 1<* Enfances Garin de Montglane (un manuscrit), B. I. 1400, f» 1-94 v*, quinzième siècle. — 3* Garin de Montglane (cinq manuscrits). Première rédaction. B. I. La Vall. 78, f? 1 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 30 D, XI, f* 1 (treizième siècle); Bibl. Vaticane, fonds de la reine de Suède, 1517, f* 1 (quatorzième siècle); Oxford, Bibl. Fr. Douce, CGCLXXXi (fragment du quin- zième siècle?). Seconde rédaction : B. I. fr. 1460, f« 95 (quinzième siècle). — 3* Girars de Viane (sU manuscrits). B. I. fr. 1448, f» 1 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 30 D, XI, f» 40 (treizième siècle); British Mu- séum, Bibl. du Roi, 30 B, XIX, fo 1 (treizième siècle); B. 1. fr. 1374, f* 91 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. Harl. 1331, f» 1 (treizième siècle) ; Arsenal (B. L. F. 336, fragments d*un remaniement en vers alexandrins). — 4* Hernaut de Beaulande (un manuscrit), BibL de l'Arsenal , B. L. F. 336, f» S (quinzième siècle, ms. en prose, un seul couplet en vers). — 5« Renier de Gennes (un manuscrit), Bibl. de TArsenal, B. L. F, 336, f** 34 (quinzième siècle, mi. en prose ; un seul couplet en vers). — 6o Aimeri de Narbonne (quatre ma- nuscrits), B. 1. F. fr. 1448, f* 41 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 30 D, XI, ^ 63 (treizième siècle) ; British Musetim, Bibl. du Roi, Hari . 1 33 1 , f» 36 (treirième siècle); B. I. La Vall. 33,f» 1 (quatorzième siècle).~7* Enfances Guillmuma (six manascrits), B. I. fr. 1448, f<» 68 (treizième siede); British Mu- NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. t& se mêle à la lutte de Girard contre l'Empereur et s\ n part. u?iu n. montre le plus impitoyable ennemi des Français ; puis, ^— Miim, 30 D, XI, f« 79 (treizième siècle) ; B. I. fr. 1449, ff 1 (treizième siècle); B. I. fr. 774, f» 1 (treizième siècle) ; Manuscrit de fioulogne-sur-Mer, f» 1 (trei^ zièmesiècJe) ;B. I. La ValK 23,f> 30 (treizième siècle). Le Département des enfant Jimeri forme une branche à part dans le ms. 23 La Vall., f» 51 . — 8* Le Siège de Narhonne(\rtÀ% manuscrits), BritishMitseum, Bibl. du Roi,30 D,Xf (treizième siècle) et 20 B,X1X (treizième siècle) ; B. I . La V ail. 23 J» 54 (quatorzième siècle) . — 9* Le Couronnement Looys (sept manuscrits), B. I. fr. 1448, f« 89 (treizième siècle) ;Britisli Muséum, Bibl. du Roi, 20 D,Xr,f« 103 (treizième siècle) ;B. 1. fr. 1449, f> 22 (treizième siècle) ; B.I.fr. 774, f« 18 (treizième siècle) ; Manuscrit de Boulogne, f» 21 (treizième siècle) ;B. 1. La Vall. 23, f» 75 (quatorzième siècle); B. L fr. 368, f» lAl (qiutorzième siècle). — 10* Le Charroi de Nimes (sept manuscrito), B. L fr. 1448, f« 90 (treizième siècle) ; BriiisU Muséum^ Bibl. du Roi, 20 D, XI, fo 1 12 (treizième siècle) ; B. 1. fr. 1449, f» 38 (treizième sièclr); B. I. 774. f9 33 (treizième siècle); Manuscrit de Boulogne, f« 88 (treizième siècle); B. 1. La Vall. 23, f» 91 (quatorzième siècle); B. I. fr. 368. f« 163 (qua- torzième siècle). — 1 1* La Prise d'Orange (huit manuscriu). B. 1. fr. 1448, f^ 100 (treizième siècle); BritUh Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, XI, f* 118 (trei- zième siècle) ; B. I. fr. 1449, f» 48 (treizième siècle); B. I. 774, f« 41 (treizième siècle); Manuscrit de Boulogne, f 47 ¥« (treizième siècle); Ms. de Berne, ii«296 (treizième siècle); B. I. La Vall. 23, f» 100 (quatorzième siècle);B. I. fr. 368, f* 167 (quatorzième siècle). — 12» Les Enfances yivien (sept manuscrits), B. I. fr. 1448, f» 183 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, Xf, fr 124 (treizième siècle); B. 1. fr. 1449, fr 60 (treizième siècle); B. I. fr. 774, fr 53 (treizième siècle) ; Manuscrit de Boulogne, fr 62 (treizième siècle); B. I. La Vall. 23, fr 1 lOet fr 169 (quatorzième siècle) ; B. I. fr. 308, fr 173 (quator- zième siècle).— 13» Le Covennns Vivien (sept manuscriu), B. 1. fr. 1448, fr 203 (treizième siècle) ; British Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, XI, fr 134 (treizième «èck); B. L fr. 1449, f« 79 (treizième siècle); B. 1. fr. 774, fr 71 (treizième siècle) ; Manuscrit de Boulogne, f» 8 1 (treizième siècle) ; B. 1. La Vall. 23, fr 1 84 (quatorzième siècle); B. I. fr. 368, f« 183 (quatorzième siècle). — 14« Jltscans (onze manuscrits), Bibl. de TArsenal, B. L.F. 185, f» 1 (fin du douzième, com- mencement du treizième siècle); B. 1. fr. 2494, f« 1 (premier tiers du treizième siècle); B. I. fr. 1448, f» 216 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, XI, fr 140 (treizième siècle); B.Lfr. 1449. fr 92 (treizième sièclr) ; B. I. fr. 774, fr 81 (treizième siècle) ; Manuscrit de Boulogne, fr 98 (treizième siècle); Manuscrit de Berne, u« 296 (treizième siècle); B. I. La Vall. 23, f> 195 (quator- zième siècle) ; B. I. fr. 368, f* 189 (quatorzième siècle); Manuscrit de la Bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, français, yni ( texte italianisé , qua- torzième siècle). — 15* La Bataille Loquifer (neuf manuscrits), Bibl. de TArsenal, B. L. F. 185, f<> 110 (fin du douzième, commencement du treizième siècle); B. L fr. 2494, fr 165 (treizième siècle); B. L fr. 1448, fr 272 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, XI, f« 184? (treizième siècle); B. I. fr. 1449, f* 142 (treizième siècle); Manuscrit d^ Boulogne, fr 142 (treizième siècle); Manuscrit de Berne, n« 296 (treizième siècle); B. I. La Vall. 23, fr 240, et 23 B, fr 1 (quatorzième siècle); B. I. fr. 368, f* 2 1 8 26 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. Il PAIT. uiTE. II. il se perd ^ i^qs yeux dans la grande poussière que soulève la bataille de Roncevaux : il en va sortir ra- (quatorzième siècle). — 1C* Le Moniage Hrnoart (six manuscrits), BibL de FArsenal, B. L. F. 185* r> 1G7 (fin du douzième, commencement du treizième siècle); B. L fr. 1448, f« 307 (treizième siècle); B. I.fr. 774, f» 145 (treizième siècle); Manuscrit de Benie, n« 29G (trcizièiiie siècle) ; B. L LaVall. 33 B, f« 5 et f> 30 (quatorzième siècle); B. I. fr. 308, f« 331 6is (quatorzième siècle). — 17* Le Siège de Barbastre (cinq ou six manuscrits), B. I. fr. 1448, f« 110 (treizième siècle); Brilis!i Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, XI, f» 21G (trei- zième siècle) ; Brilbb Muséum. Harl. 1331, f» 117 (treizième siècle); B. L La Vall. 33, fo 1 15 (quatorzième siècle), et p. e. British Muséum, 30 B, XIX (trei- zième siècle). Le ms. de TArsenal, B. L. F. 175, contient le remaniement d*Adenès, Detives de Commarcis, — 18<* La Pn'se de Cordres (un manuscrit), B. L fr. 1448. fo 104 (treizième siècle). — 10« Guiher* d^Andrenas (trois ma- nuscrits). BrilUli Muséum, Bihl. du Roi, 30 D, XI, f» 240 (treizième siècle); British Muséum, Hari. 1331, f» 134 (treizième siècle); B. I. UVall. 23, f« 157 (quatorzième siècle). — 20o La hîori iCAmeri de Natbonne (trois manuscrits), British Muséum, Bibl. du Roi, 20 B, XIX ( treizième siècle) ; British Muséum, Bibl. du Rui,20 D,XI, f« 2)7 (treizième siècle) ; B. I. La Yall. 23 B, f» 7 (qua- torzième siècle). — 21« Renier (un manuscrit), B. I. La Vall. 23 B, f« 52 (qua- torzième siècle). — 23o Foulques de Candie ( neuf manuscrits ) , Manuscrit de Boulogne, f» 20C ( treizième siècle ) ; B. I., fonds N. D. 275 bis^ f» 1 ( treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, XI, f« 2C2 (treizième siècle); Bibl. jroy. à Stockholm, n» 120 (treizième siècle) ; B. L fr. 774, f» 233 (treizième siècle); Bibl. de sir Thomas Philiipps, à Middiehill, u» 8075 ; B. L fr. 778, f« 1 GO (quatorzième siècle); Bibl. Saint-Marc, à Venise, fr. XiX et XX (textes italiani- sés, quatorzième siècle?). — 33o Le Moitiage Guiilaume (sept manuscrits), BibL de l'Arsenal, B. L, F. 185, f» 358 (douzième-treizième siècle); Manuscrit do Boulogne, f» 301 (treizième siècle); British Muséum, Bibl. du Roi, 20 D, XI, f» 103 (treizième siècle,; B. L fr. 774, f» 184 (treizième siècle) ; Manuscrit de Bcnie.n* 29G ^treizième siècle); B. L La VaU. 23 B. f» 1G7 (quatorzième siècle); B. I. fr. 3G8, fo 250 (quatorzième siècle).— k, La statistique exacte de ces manus- crits est précieuse à plus d'un titre : elle peut nous donner, tout d*abord, une certaine idée du plus ou moius de popularité que chacun de nos Romans a con- quis. — /. D'après les chiffres que nous venons de donner, les plus populaires ont été les suivants, dans l'ordre même où nous allons les citer : A/iscans, Bataille Loqnifer^ Foulques de Candie^ Montage Guillaume , Couronnement Looys, Prise d'Orange^ Charroi de Nîmes, Covenans Fiyien, Enfances Vivien^ 3Io» niage Renoart et Enfances Guillaume, 11 va sans dire que cet ordre n*offre rien de rigoureux, de mathématique : nous le donnons à litre de probabilité. — m. Les moius populaires de nos romans «emblent avoir été Guibers d'Andrenas^ la Mort ttAimeri de yarbonne, le Siège de Narbonne^ et surtout la Prise de Cordres t Renier, llemaut de Beaulande^ Renier de Genncs et les Enfances Garin. — /i. Le plus ancien, le meilleur des manuscrits précédemment cités, est le ms. de l'Ai-senal B. L. F. 185. Viennent ensuite les mss. de la B. L 2404, 1448, et le manuscrit de Boulogne. — o. La plupart de nos manuscrits méritent le nom de cy cliques et ne contiennent que des Chansons de la geste de Guil- NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 27 dieux. Charlemagney à son retour de l'Espagne, aper- " 'ait. un. ii^ çoit Narbonne, et en propose la conquête à tous les kame (il faut excepter les mss. de la B. I. 3G8, 778 et 1374); ils nous les présentent groupées de façon à former un ensemble, et, en quelque manière» un seul poème. Une telle physionomie ne se retrouve presque jamais au même degré dans les manuscrits des autres gestes (si ce n*est peut-être pour la geste de I>oon, dans le ms. 247 de la Bibliothèque de Montpellier}. — p. On ne saurait don- ner, sans quelque restriction, ce nom de cycliques aux manuscrits de jongleurs qui contiennent seulement deux, trois ou quatre |M>ëmes, tels que le ms. de TAr- senal 185 (Aliscant^ Bataille Loqitifer et les deux Moitiages),el B. I. fr. 2404 {AtiuMns et Bataille Loqitifer), Dans ces manuscrits ne se révèle aucuue préoc- cupation véritablement cyclique; le jongleur y a seulement réuni quelques Chansons de son répertoire. — ^. II ne serait pas impossible que ces Chansons ainsi réunies fussent du même auteur. Ce nVst qu*une hypothèse. — r. Un certain nombre de manuscrits out été |ierdus. Tel est celui qui, du temps de Catel, -était conservé k Saint-Guillem-du-Désert, et qui renfermait les Enfances Gittllaumt, le Couronnement, le Clutrroi^ le JUoniage Guillaume, etc. Dans le testament de Guy de Beauchftmp (1359), on voit mentionner « un volume qui parie des quatre principales gestes : de Girard de Vienne, de Emery de Nar- bonne, etc. »; plus, « un volume del romaunce de W illame de Oranges et de Tibaud d* Arabie» ; et taa&xi « un volume del romaunce de Girard de Viene ». S 7. YsSSIO^fS Elf PROSE. «• La geste de Guillaume a donné naissance à beaucoup moins de Romans en prose que la geste du Roi. — 3. La popularité de ce cycle s*est éteinte assez tôt. — c. Tandis que plusieurs Romans de la geste de France, les Conqnestrs de Clmrlemagne et Gatie» le Rlœioré sont encore populaires aujourd'hui ; tandis que les Quatre Fils Mmon et H non de Bordeaux n'ont presque rien perdu de leur gloire, les seuls Romans en prose de la geste de Guillaume qui ont re<^u les honneurs de l'impression sont oubliés depuis longtemps. Le succès de Guerin de Montglave n*a pas dépassé les limites du seizième siècle. — d. Les plus antiques Chansons du cycle, le Couronnement Looys, le Cltarroi de Nt'mes, le Co¥enans Vipieny Miscans et les Montages n'ont guère eu de retentissement après le quinzième siècle. — e. Parmi les versions en prose, il faut distinguer les manuscrites et les imprimées, que nous allons successivement examiner. — /. La plus importante des versions manuscrites en prose est celle qui nous a été coosenrée dans le manuscrit français de la Bibliothèque impériale 1497. C*est un in-folio du quinzième siècle, sur papier. Il se termine par cette note précieuse : Ce livre de Emerj- de Narbonne est au duc de Nemours^ comte de, la Marelie : signé Jaques, Ce Jacques de Nemours est celui qui fut décapité le 4 août 1477. — ^. Le manuscrit 1497 est à la geste de Guillaume ce que sont k la geste du Roi les Conqueties de Charlemagne de David Aubert. Cette compilation pourrait être intitulée : Les Conquestes d^Aimeri et de Guillaume son fils, — h. Le manuscrit 1497 contient les matières suivantes : Prologue du translateur, P\ t^\ — Aimeri de Narbonne, {• 1 v»; — Enfances Guillaume et Siège de Narbonne, f» 32 r»; — Couronnement Looys, f» 149 v«; — Charroi de Nimes, f» 1C5 v«; — Prise d'Orange, {• 187 v« ; — Siège de Barbastre S8 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II FAIT. u?i. w. barons de son armée. Seul, Aimeri acceptei et prend ' la ville '. f» 197 !•; — Enfances Vivien^ f» 270 t»; — Covenans Fmen^ f» 340 t»; — jilîscans^ f» 3C3 r«; — Renoart (féconde partie â*j4liscans), (• 387 r«; — • Batatife Loquifer, {«439 r«; — Hioniage Renoart, f» 148 r«; — Montage Guillaume, f» 495 r«; — i. Cette compilation en prose renferme, par rapporta nos Chansons, des variantes assez remarquables, des additions et des lacunes. Aux f** 37 et suivants, le translateur intercale les aventures d*Hemaut de Narbonne, frère de Guillaume, et raconte comment il délogea de son hôtel Tévâque d'Avi- gnon, etc., etc. En revanche, il supprime, dans le Couronnemeni Looys,}^ belle scène du début, les derniers couseils du roi Charles, etc. C'est dans la Prisa d*Orange qu'il nous représente Guibourc envoyant chercher Renoart à Conlrea pour le faire baptiser, et qu*il nous'apprend comment Garin d'Anséune fut fait prisonnier par Archillart à la suite d'un siège de Nariionne. Dans les Enfances y'men^ le prosateur remet en scène les personnages qui ont figuré dans le Siège de Barbasire. En général, le procédé du traducteur consiste à suivre, à travers tout le fil de sa fiction, les mêmes personnages qui n'avaient le plus souvent figuré que dans un seul de nos vieux poëmes : telssont |Mir exemple Lil>anor, Clargis.etc. Il est inutile d'ajouter que tout l'élément héroïque de nos anciennes Chansons a été déplorablement altéré par le translateur du quinzième siècle. — y. Après le manuscrit 1497, le plus important de tous les anciens textes qui nous offrent des versions en prose de la geste de Guillaume est celui de l'Arsenal (B. L. F., 23C). — h,(jt manuscrit se compose des éléments suivants : 1« Garin de Montglane (en abrégé) . '— 2* Hemaut de Beaulande (avec un couplet en vers). — 3o Renier de Gennes (avec un couplet en vers). — 4« Girars de Viane, — b* Le Voyage à Jérusalem et G* Galien . — 7o Aimeri de Narbonne. — 8« JLa Reine Sibille. — /.La préoccupation visible de cet autre compilateur a été évidem- ment de tout ramener à la geste de Guillaume d'Orange, même des Romans tels que le Voyage à Jérusalem, Galien et la Reine Sibille, qui, par leur origine, leur action et leurs héros, se rapportent évidemment k la geste du Roi. L'im- portance de ce manuscrit a été constatée plusieurs fois déjà dans le cours de notre travail. — m. David Aubert, auteur de Conquestes de Charlemagne, a compté Girars de Viane parmi les Romant de la geste du Roi et l'a brièvement résumé (V. les nibriques publiées par de Reiffemberg, Philippe Mouskes, I, 478- 480, d'après le manuscrit de la Bibliothèque de Bourgogne, k Bnixelles). — n. Dans le manuscrit français de la B. L 5003 (quinrième siècle), on trouve un résumé très-sommaire de la Prise de Narbonne (f« 121 v») et du Couronnement Looys, f» 101(v. G. PàriHfHistoire poétique de Charlemagne,ii, 403). — o. Nous ne citons ici que pour mémoire un document très-antérieur et infiniment plus pré- cieux : le Philomena, où sont racontées en prose les aventures de ce siège de Nar- bonne, à la suite duquel Aimeri, fils d'Hemaut, fut nommé duc de Narbonne. — p. Le seul Roman en prose de la geste de Guillaume, qui ait reçu au seizième siècle les honneurs de l'impression, est Garin de Montglane^ — q. \\ fut im- primé sous ce titre : La plaisante hystoire du très*preux et vaillant Guerin de Montglave lequel fist en ton temps plusieurs nobles et illustres faictz en armes. Et aussi parle des terribles et merveilleux faictz que firent Robastre et Perdigon pour secourir le dict Guerin et ses enfants. Imprimé à Paris par Nicolas Cbres- NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE LT HISTORIQUE. 29 C'est ce Guillaume qui, tout jeune encore, eut la iiPABT.uf». m. joie, en se rendant près de Charlemagne) de rencon- tien, demourant en la me NeufTe-Nottre-Dame, k renseigne de TEscu de France. (In^o gotb. lam date.) — r. Gnerin de Honiglave fut réuni à Mniigis tT Aigre mtmlf fans doute à cause de la [>arenté en sorcellerie de Maugis et de Perdigon. Telle est du moins la forme sous laquelle se présente Tédition de Michel Lenoir : ley est contenu les dtitx très p/aisantet histoires de Guerin de Montglave et de Maugis tCAigremiont qui furent en leurs temps très nobles et vaiilans chevalier s en armes. Et si parle des terribles et merveillettsfaictz que firent JUaltastre et Par» digon pour secourir le dit Guerin et ses en fans. Et aussi parrillement de eenlx du did àfa^st. Nouvellement imprime par Bliclicl Lenoir, libraire-juré de lUniTersité de Paris. » C*est un petit in-folio de 6 et CXVl ff. à 2 col. gotli. L'Exptieittn est conçu en ces termes: Cy fine les plaisantes histoires de Guerin de Montglope et de Maitgist d'Aigremont, achtré d'imprimer le XV' jour de juillet M.y.CXVlll^ par Michel Lenoir, libraire, demourant en la grant rue Saint" Jacques, à la Rose blanelie couronnée. Le privilège de François I*'' était du t3 ■oût 1 SI 7. — 1. Alain Lotrian réimprima à part le seul Guerin de Montglave, — /. Jehan Bonfons réédita, encore une autre fois, VUntoîre du preux et vaillant Guerin de Moniglnve (s. d.)* — ".Au commencement du dix-septième siècle Guerin de Montglave faisait partie de la Bibliothèque bleue ; une édi- tion populaire panit chez Louis Costé en 1C26 sous ce titre : L* Histoire de noble, preux et Taillant Guerin de Montglave, lequel fit en son temps plusieurs illustres faits d* armes, etc. A Rouen, chez Louys Costé, aux Trois fff cou- ronnées. A la fin, on lit : « Achevé d*iniprimer, ce 5 de mars lG2ft. » Cette édition n*a pas été indiquée par Bnuiet, non plus que celle de Nicolas Chres- tien. — V, On |)eut regarder la première partie du ms. 22G de TArsenal comme le type de ces versions imprimées. Nous aurons lieu, plus d\me fois, de mettre ce lait en lumière. — x. Le Guerin de Montglave incunable nous offre un titre faux. Il se rapporte en réalité aux Romans à'Hernaul de Beau^ lande, de Renier de Gennes et de Girars de Fiane, accompagnés de Galien et d*un résumé de la Chronique de Turpin. — y. Nous devons une mention, en finis- sant, à la version défigurée de là Bibliothèque des romans (octobie 1778 , t. Il, 4-80) qui fut publiée plus tard dans les œuvres de M. de Tressan ( 1782, t. Il, 3t5.4Sa). % 8. ÉDITI0?f8 IMPRIlféRS. a. Sept Chansons seulement de la geste de Guillaume ont été jiisqu*à ce jour livrées à Timpression : 1^ Girars de liane. Dès 1830, M. Imm. Bekker eu avait publié 4,0<>0 vers dans son édition du Fierabras provençal (Der Roman von Ferabras provcnzalisch, herausgegeben von Immauuel Bekker, Berlin, 1820, in-r). M. P. Tarl)é Ta imparfaitement réimprime dans sa Collection des poêles de Champagne antérieurs au seizième siècle {Le Romatt de Girard de Viane par Bertrand de Bur-sur-Aube , Beims, 1850, in-8°.) — 2°-6' Le Couronnement lAtoys, le Clusrroi de NùneSy la Prise d^ Orange, le Covennns Vivien et Aliscans ont été édités avec un soiu remarquable par M. W. J. A. Joockbloet {Guillaume d Orange^ Chansons de geste des onzième et douzième 30 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. Il PABT. uf R. Il- trer les Sarrasins et de les battre plusieurs fois avant '• d'avoir reçu l'épée de chevalier ; qui se prit d'amour siècles, publiées pour la première fois,etc. La Haye, 1854, in-8,t. 1). Une seconde oditioD d'jé/hcans va paraître prochainement dans la Collection desancîeiis poètes de la France; elle est signée par M. F. Guessard et A. de Montaiglon (un yoI. in-1 8, elzevirien). — 7* Foulques tU Candie a été imprimé par extraits considéra- bles, dans la Collection des poètes de Champagne, de M. P. Tarbé ( Le roman de Fo fia Êtes de Candie^ par Herbert Leduc de Dammartin, Reims, 1860, in-8). — 6. Dès 1852, M. C. Hoflmann avait mis en lumière un fragment du Montage GuUla^me (Ueber ein Fragment des Guillaume d^ Orange ^ Mûnchen, 1852). — c. Dans le premier -volume de nos Épopées nous avons publié (p. 508) les deux seuk couplets en vers qui nous soient restés d'Hernaut de Beaulande et de Renier de Gennes, S 0. Tbaductions fbançaisbs. a. M. W. J. A. Jonckbloet vient de faire paraître la traduction complète de sept Chansons de notre cycle (Enfances Guillaume^ Couronnement Looys, Charroi de NimeSf Prise d'Orange^ Covenans Fipien, j4liscanSf Moniage GuUlawmé), Cette traduction a paru sous ce titre : Guillaume ttOrange^ le Marquis au court nez. Chanson de geste du douzième siècle mise en nou%eaa lanpige par le docteur W. J. A. Jonckbloet, Amsterdam (Van Kampen) et La Haye (Nyboff), 1867, in-8. — h. Dans les tomes II, III et IV des Épopées françaises^ nous avons pris et prendrons soin de traduire les passages les plus remarquables de nos Chansons de geste, de manière à composer une véritable Jntltologie épique, S 10. Diffusion a l*êtbangrb. I. Eif Italie. La diffusion en Italie des Romans de notre geste n*a guère com- mencé qu*au treizième siècle. Cette propagation de TÉpopée française y a traversé plusieurs périodes dont les caractères ne sont pas les mêmes et que nous allons successivement préciser. — a. Tout d'abord, au treizième siècle, ce sont les poèmes français eux-mêmes que des jongleurs français viennent chanter sur les places ou dans les palais des villes italiennes. Et cela est tellement vrai qu*en 1283, à Bologne, on « était obligé de réglementer Tindustrie de ces chanteurs de notre « race ». (Bfuratori, Antiquitates italicsr, II, 16.) Mais comment exécutaient-ils ces Chansons écrites en notre langue? Il est probable qu'afinde se mettre à la por« tée de leurs auditeurs italiens, ils italianisèrent de bonne heure certains mots de leurs poèmes, les plus difficiles pour une oreille étrangère. Ils créèrent de nou- velles finales éclatantes dont ils affublèrent, comme d*un vêtement, les vocables sans couleur du langage français. De là ces romans défigurés, que certains scribes de bonne volonté nous ont laissés en un dialecte moitié italien moitié fran- çais ; de là ces manuscrits de la Bibliothèque Saint-Blarc à Venise qui ont un si grand prix aux yeux de tous les érudits. Deux romans de notre cycle pa- raissent avoir eu plus de succès que les autres de Tautre côté des Alpes : ce sont Miêcans (manuscrit de Venise, Tilt) et Foulques de Candie (manuscrits de Venise, XIX et XX) : on ne peut guère attribuer qu'au hasard le succès de ce dernier roman. Quoi qu'il en soit, Guillaume joue un rôie important dans Tun et Tautre de ces deux poèmes, et il devint par là populaire dans toute Tltalie. NOTICE BIBUOCRAPHIQUË ET HISTORIQUE. 31 pour la belle Orable au moment où elle allait épouser le roi Thibaut d'Arabie ; qui fut adoubé par l'Empe- Dante lui-même a consacré cette popularité, lorsqu*en décrivant le sixième ciel ou celui de Jupiter, il a placé notre héros parmi ceux qui ont eu ici bas le sincère amour de la Justice. Après Charlemagne,aprcs Roland, il nous montre, dans cette splière glorieuse, Guillaume et Renoart : « Poscia trasse Guiglielroo eRinoardo — E il duca Gotlifredi la mia TÎsta — Per quella croce e RobertoGuiscardo. » (Para- diSf chant XVIII, 4G-48.) C*est par ces beaux vers que nous voulons terminer tout ce qui concerne la première période de cette histoire de la propagation de nos Ro* mans : son caractère principal est la diffusion des /foêmes/raneaU eux-mêmes que Ton se contente d'italianiser plus ou moins légèrement. — ^. A la seconde époqu^ nous donnerons le nom de « période îles Beali, » On n*y lit plus les Chansons originales venues de France et plus ou moins modifiées dans leur langue ; non, on les imite en prose italienne, on en déforme le style et IVsprit, on fait entrer enGn ces étranges imitations dans une vaste compilation que Ton intitule super- bement les Reali ifi Frauda. Les six premiers livres des Keali sont consacrés aux événements épiques qui ont précédé Pavénement de Charlemagne, et nous eu avons ailleurs donné les titres exacts (I, p. 43?). Après le sixième qui traite Del nascimenio di Carlomagito e de la scura morte de Pipplno dn dut tut ftoli hasiardiy viennent trois autres livres que M. Ranke a découverts à la Biblio- thèque Albani à Rome. (^. Mémoires de l'Académie de Ber/in, 1835, Philo- soph. Classe, p. 4G0 et suiv.) Ces trois livres sont VAspramonle, la Spagna, la Seconda Spagna, dont nous avous longuement parlé (II, pp. G5, 329, 403 et suÎY., 474, etc.), et qui embrassent la vie et les exploits de Charlemagne et de Roland. La Seconda Spagna requt encore ce titre : la Sloria del re Jnsuigi^ et, le plus souvent, elle est, dans les manuscrits, lice très-étroitement avec la Storia de' Nerùonesi. (Biblioteca nazionale, à Florence, manuscrit cl. VI, n* 7, etc.) C*est de cette dernière œuvre que nous avons à parler ici le plus lon- guement; car elle correspond à notre geste de Guillaume et n'en est qu*une imi- tation, une copie plus ou moins défigurée. 11 existe, à notre connaissance, cinq manuscrits des Nerbonesi. Les quatre premiers, qui ont fait jadis partie de la Bi- bUothcqueMagliabecchi, sont aujourd*hui à la Bibliothèque nationale de Florence ( Class. Vl, n* 7, n« 8, n« 9, et class. XXIV, n« 160), et le dernier est con- servé à la Bibliothèque Lauren tienne de la même ville. Le plus ancien de ces Dunuscrits est le n* 7 de la d. VI, qui appartient au quatorzième siècle. Le n» 8 est du quinzième siècle, et le n* 9 porte la date plus précise de l'année 1474. Le n* 160 de la cl. XXIV a été exécuté en 1534, et celui de la Bibliothèque Laurentîenne en 1504. — Le manuscrit 8 a appartenu à Raphaël Mariotli Mattei, les n« 8 et 9 à Giovanni Mamioli, dit le Stradino, qui vivait en 1525.*- On con- naît le copiste du manuscrit 9 : il s'appelait rficcolo de' Bardi,et celui du manus- crit n* 160 nous a laissé seulement son nom : « Bartolomeo Galli, cittadino fio- rentino.>»'-L'ouvrage est partout annoncé comme une traduction, et le traducteur se nomme, dans tous les manuscrits, avec quelques variantes : ««Andréa di Ja- copo di Tieri da Barberino di Valdessa. » — Le titre de toute l'œuvre varie légère- ment suivant les manuscrits î / Nerbonesi (cod. 7); /a Storia Nerbonesef le Storie de Nerbonesi (cod. 7); Guillelmo d'Oringa (cod. 8); tisioria chiamata Nerbonesi (cod. 8) ; il Librocliiamato de^ Nerbonesi (cod. 9) ;/e Storie e battaglit U PIBT. LITII. 11. GHAP. L CflAP. 1. 32 INTROPOGnON A LA GESTE DE GUILUUME iiPàiiT. ufB. II. reur lui-même, et qui délivra la ville de Narbonne où - les païens tenaient assiégée la pauvre Hermengarde, de* Nerbonesi {t,oà. 9); / Sette JÀbri de* Nerbonesi (cod. IGO). — Dans lesmanus* crits 7, 8 et 9» la compilation est divisée en six livres ; dans le manuscrit 160, en sept livres. L'original des trois premiers livres est partout attribué à « Fol- lieri medico d'Amerigo di Nerbona,i*et les trois (ou quatre) derniers à- Ubertoduca di San-Martino, » ou plutôt (d'après trois manuscrits, 8, 9 et ICO) : « di San- Marino. n Le manuscrit 1 fiO écrit « Ruberto. » — De ces deu\ attributions, la première est tout à fait faotij^te. Dans un poëme que nous avons le premier mis en lumière, dans le Siège de Narbonne^ il est longuement question du bou Fourré • sage des lois, mire de Tamirant •• qui devient en effet le mire d*Ai- mf ri. PolUeri ne serait-il qu*une corruption de Pouré ? Quant à la seconde at- tribution, elle offre quelque semblant de vérité. Notre Foulques de Candie est l'œuvre d'Herbert Leduc de Dammartin ; on a imité ce poëme dans les derniers livres des Nerbonesi({ue l'on a, par extension, mis tout entiers sur le compte d*£^- berto ditca di Sati^àfarino, nom étrangement défiguré du poêle français. — Les Nerbonesi nous sont présentés dans tous les manuscrits comme la suite naturelle de la Storia del re j4nsuigi, c'est-à-dire de notre Ansélt de Carlhage, Le meilleur et le phis ancien manuscrit de Florence (cod. 7) renferme même le texte d'jin- ii«/^< (fo 1) avant celui àa Nerbonesi {^{^ 2C). Pour relier entre elles les actions de ces deux œuvres qui appartiennent h deux cycles diftérents, les Italiens ont imaginé le trait suivant : «Charles revient d'Espagne; il a quitté Pampelunè, où il a voulu faire une entrée solennelle à la mode des triomphateurs antiques. A son retour, il arrive à Narbonne, qu'il a depuis longtemps donnée à Aimeri. L*£mpereur est déjà trcs-rieux, il est tout tremblant, et fait la roule sur ce même char qui a servi à son triomphe. Guillaume, fils d'Aimeri, se présente devant lui, plein de respect, et l'enlève doucement entre ses bras pour le descendre du char impérial. Charles, ravi de cette sollicitude,doune sa bénédiction à Guillaume, et c est aiusi que commence la fortune de ce héros. « Partito da Pampalona, Carlo passô per la Ragona. E nota che gli era fatto à Pampaloua un caro e*u sul caro entra in Pampalona in segnio di trionfo e'n su quale carro si |uirti ccaminando di giorno in giorno tanto che capito a Nerbona, c giuguiendo al palaiOyCuglielmo figliuolo d'Amerigo,con una bella rivereiizae cou un bello modo, preit iCin'Io e levollo molto soave di sul carro, e Carlo el benedisse. Non se ne /ra//a^m ^m, PERCHE SI C05TA NKL C01fl?(CIAMKl<(T0 de' NkRBONESI CUE SEGl'ITA DOPO QUESTO. • (Manuscrit 7, f» 3G ) Les Nerbonesi^ en effet, commencent par le récit de ce trait de Guillaume, une seconde fois raconté, et, dans l'un àcs manuscrits de Florence (cod. 8), le premier chapitre du premier livre est ainsi intitulé : « Corne tornando Carlo délia seconda guerra di Spagnia andb àlS'rr* Itona \e\ Gugiielmo h /cvv de sul caro^ e Carlo g!i promese di farlo ^onfalomere de sanla Chiesa. * Au moment où commencent les Nerbonesi^ Aimeri possède dé{à Narl)onne depuis vingt-trois ans; il a d'Eimcngardc sept enfants; Guil- laume est âgé de seize ans, et nous assistons en réalité au commencement de ses Enfances. Le prosateur italien nous prévient, d'ailleurs, qu'il racontera toute • la lutte de saint Guillaume «contre Tibaut d'Arabieet le roi-di Rainesse» (sic), sans oublier l'histoire d'Aimeri et de ses sept enfants , dont il tient à nous donner la généalogie complète « secundo molti libri di Folieri. » Les poèmes NOTICE BIBLIOGUAPHIQUE ET HI8T0B1QUË. . 33 sa mère S et doù ils allaient bientôt être chassés de "»*^"- w'^»-"- CUAP. I. nouveau par le courage de Roumans et de Guibe- français qui, dans le cours de la compilation italienne, ont été le plus souvent mis à contribution sont les Enfances, le Couronnement , Miscans et Foulques de CantUe. Mais, eu réalité, tout le cycle de Guillaume a été embrassé dans la Storia de' Nerbonesi, Quand se termine le dernier livre de l'œuvre attribuée à • Uberto duca di San-Marino, » Vempereur Louis est mort et son successeur Charles Martel (sic) va monter sur le trône. Nous assistons alors à une dernière et formidable bataille contre les Sarrasins; Bertrand le Timonnier y est frappé mortellement et les Chrétiens sont mis en fuite. Biais o& prétend qu'à ce moment suprême un chevalier couvert d'armes blanches se jeta sur le roi païen Corves (ou Corvel), et le frappa. Quoi qu'il en soit, cette mort releva le courage des Fran<;ais. Charles Martel fait tout aussitôt demander des secoun à Guillaume Capet, qui sort de Paris avec toute sa gent et décide ainsi du succès de la journée. Les mécréants sont attaqués, vaincus, massacrés. Charles Martel , Tonmiaso et Saugiiino di Mongrana rivalisent entre eux de vaillance ; l'ennemi est décidément repoussé, et soixante chars de butin tombent aux mains des vainqueurs. Comme ils revenaient de Paris, un pèlerin les arrête : « Je viens de la part de Guillaume d'Orange » (qui est mort depuis longtemps). M 11 vous mande que, si Charles ne change pas de conduite, ce sera la fin des « Royaux de France et de l'honneur français. » On ne se soucie pas de cette pro- phétie, on bat le pèlerin; puis on rentre à Paris. Une magnifique sépulture est construite pour recevoir le corps de l'empereur Louis, et Charles Martel est couronné en même tem|)s Empereur et roi de France. C'est alors qu'il donne sa fille Sophie à Sanguino di Mongrana, qui se trouve avoir la seigneurie de toute la Bourgogne. Le nouvel Empereur règne avec une incomparable^ gloire. Mais la prophétie de saint Guillaume ne va pas tarder à se réaliser. Un jour le Diable emporte Charles en chair et en os, et les Français perdent l'empire. « £ fîi Carlo molto superbo e fe moite leggie contra Tusanza reale e tutto el mondo teme la sua superbia ; alla fine el Diavolo nel porlô in came e in ossa, e allora perderooo i Franciosi lo imperio » (manuscrit 7). C'est ainsi que se termine tout le livre. Comme on en a pu juger précédemment par la liste de nos manuscrits, la vogue des Nerbonesi dura pendant plusieurs siècles, ihl les écrivit au quatorzième siècle, ou les transcrivait encore en 1534. Seulement le texte en fut modifié, comme on s'en convaincra par la comparaison entre les deux fragments suivants, l'un emprunté à un manuscrit du qiuitorzième siècle, et l'autre k une transcription du seizième : D'après lems. 7 {XIV* s.). D'après lents. 160 (de 1534). in Parigi si fede grandisslma Testa délia Fcssi grande festa délia vettoria e furono vettoria e furono mandate nel cainpo plb dt mandate pib di secento carrette di vittota- VII carette cariclie di vettuvaglia per tutto glia. E la maitina, in sulla terza, giunse A il campo; la ciltà pareva tut ta nolle cite Carlo Martello un pdlegrino, e domandù ardeste jte'fuocM che delta vettoria si fa- quale era Carlo Martello, e vedendolo disse eleveu La mattina, in sulla tena, essendo quesie parole : • Un cavalière ehiamaio ancon Carlo nel padigUooe, giunse un pel- Guglielmod'Oringa à te mi manda e à voi, legrino dinansi à Carlo e dimandO quai è altri Franciosi, cdide cbelo vl dica per sua Carlo Martello, c vedutolo disse queste pa- parte che se Carlo non se muta d*oppenioH€ III. 8 34 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. iiPABT, Livi.li. lin**. C*est lui qui s*élève soudain à une hauteur que ses premiers exploits ne pouvaient même pas faire rôle : ■ Un eaoaUere tutto vestito di Haneo ch*egli sarà la fine de* Beati di Praneia e e HMO aQudo azurro e vu ermo d'oro mi deUo onore de* FranciosL Per tanto tenete manda A te e A Toi, altrl Franzosl, e dide à mente le mie parole. • AUora molli che di'io Ti dica da sua parte : • Se Carlo non si erano intomo A Carlo lonbaTagliorno e mota di iua condisUme^ ch'egli »arà la fine cacdomolo foora del padigUonc. E dlpoi dello onore de* Franiescbi ; e per tanto tenete Carlo si parti e toro6 à Parigi A mente le mie parole. • Allora molti cli*e- rano intorno A Carlo lo batterooo superba- mente e con moite botte lo cacciarono del padiglione, e poi entrarono in Parigi c. Déjà, comme on a dû le voird*après l'analyse et les extraits précédents, les Nerbonesl étaient bien loin de nos Chansons de geste, dont ik ne craignirent pas de modifier l'esprit, et même les péripéties principales. Mais ce n'était pas le dernier outrage que dussent recevoir nos vieux poèmes en Italie. A la période des compilations en prose succéda celle des romans en vers. A la fin du quin- zième siècle, un improvisateur, Cristoforo Fiorentino, surnommé Vjéltissinto, se proposa (rode besogne) de mettre en octaves tous les Reaii. Ce poeia iaureato composa quatre-vingt-dix-huit chants en octaves, et les composa ai improviuf. Ces vers furent sans doute recueillis par ses auditeurs; mais, quant à terminer cette œuvre, il n*y put songer. Seulement, il annonça qu'il voulait plus tard ajouter à ces premiers chants « Ch'uioire du fils de Cltarlemagne et des Aat' èonnais, du Brave Tiùald^ des Batailles et de la ruine de CRmpire, » Mais il ne réalisa point son projet. Dans le courant de ce même siècle avait paru (sans doute à Florence) VIncoronaziotte del re Aloysi figliuoh di Carlo Ma g no im» peradore di Francia, dont Tauteur était Micbelangelo de Volaterra. Le livre n'a point de date plus précise. En 1557 parut à Florence la SclUatia de^ Reali di Francia, avec ce sous-titre précieux : La genealogia e discendentia de* Reali e paladini di Francia B Db' NBRfeOifBSl discusi del sangue di Clùaramonte B DI Mo?(aEii]f A. L'auteur de ce petit poëme,.dont MeUi nous fait connaître le texte (Bihliografia dei romanii e poemi cavaHareschi^ 2* édit., pp. 7 et suiv.), engage vivement ses lecteurs à lire les Reali^ et notamment les sixième et septième livres, Pippino et jispramonte; et il ajoute : « E leggi IL Nbbbonbsb e sue schermaglie — Che troverai crodeli e gran battaglie — Che fè Guglielmo conte Lancioneri — Con quel Tibaldo Re d^Arabia e Sire — Che vi mori con tant! cavalieri — Che fia cosa impossibil pur a dire. » Puis (comme Ta remarqué L. Clarus avant nous) l'auteur de la Sehiaita de' Reali se souvient tout à coup qu'il a omis quatre livres de batailles, et veut nous donner à ce sujet des expli- cations devenues nécessaires : « Il primo libro si chiama Narbonb, — Il quale s'ebbe un core de lione, — E discese del sangue Narbonese — E lu figliuolo de! franco Viviano, — Colla grifagna c*era alla palese, — E stette già con Tibaldo pagano; — Ma pur de'Aer^o/teii quel discese, etc. M=Aprcs le seizième siècle, nous ne trouvons plus rien de notable sur la diffusion en Italie des Chansons de notre geste. Après la période des versions françaises italianisées , après celle des compUttioas en prose, après celle des improvisations et des romans en vei^ la l^ende de Guillaume fut abandonnée en Italie. Les six premiers livréi NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 35 soupçonner, qui devient le héros de la France et de " >*a>t. livb. u. la chrétienté tout entière, qui se fait le tuteur de — — des Aeaii furent réimprimés et le sont encore aujourd'hui, mais les Nerbonai sont oubliés depuis trois siècles. II. En Allbmagiib. La propagation en Allemagne des Romans de notre geste a passé par trois périodes, par trois phases auxquelles on peut attacher les noms suivants : i« Ayant Wolfram, 2» Wolfbam d'Eschenbach, 3* Apbès WoLFBAM . Nous allons les passer successivement en revue : 1* Ayant Wolfram, ou ne saurait signaler rien de certain. Les fragments d*un Gmllalm mil der kurzen P/ase que M. Roth a publiés dans les Denkmàler derdeulsehen Sprache (Munich, 1840) sont-ils véritablement antérieurs au Wil- hialm de Wolfram? Nous n*oserions pas l'assurer aussi nettement que L. Cla- . ras'l(l. l.,p. 309). Il en est de même de ce Markgraf Wilheim von Oranîz qui est cité dans un poème inédit de Frédéric de Souabe, et de ces livres mentionnés au quinzième siècle par Puterich, qui composa, vers 1450, un poème sur la noblesse bavaroise admissible aux tournois, et qui, parmi les vieux livres cheva- leresques, signale textuellement : « Sand fVilheltens puech desannder » et Das erst und dos ietsle sannd Withellens puecher zwei. n (Glarus, 1. 1.) Toutes ces attributions sont trop vagues pour être scientifiquement adoptées. Ce qu*il y a de certain, c'est qu'antérieurement à Wolfram, on connaissait au-delà du Rhin plu- sieurs poèmes français de notre geste. Wolfram en effet (éd. Lachmann, p. 43G, 1" colonne) écrit ce qui suit : « Vous ayrz déjà entendu, et on n*a pas « besoin de vous raconter UNB seconds fois comment Guillaume consentit a « servir, comment il conquit Arabelle, et comment beaucoup d'hommes y trou- « vèrent la mort, etc. » Ce qui prouve (comme l'ont observé Jonckbloet et Clams) que la Prist (t Orange avait déjà pénétré en Allemagne. Le Charroi de Nimes avait été tout an moins connu par Wolfram, qui fut dire à son Guil- laume . « Je fus marchand, et pris alors Nimes, la bonne ville, avec des char- « rettes, etc. » Quant à la popularité à^Aliscans^ elle ne parait pas douteuse, et nous démontrerons aisément que Tauteiir du Willehalm a eu notre poème français sous les yeux, et s'est contenté de l'imiter plus ou moins librement. 2* Wolfram vivait à la fin du douzième, au commencement du treizième siècle : c*était l'heure où les Chansons de notre geste étaient dans tout l'épa- nouissement de leur gloire, et où un copiste inconnu transcrivait pour nous ce beau manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal où se trouvent jiiLcanSf la Bataiile Loquifer et les deux Moniages, Un certain nombre de nos autres ma- nuscrits sont contemporains de l'auteur du Wiliehatm, — Wolfram était Bavarois. A qudques lieues de Nuremberg, dans le pays appelé « Nordgau, «est le château d*Eschenbach où sans doute il naquit. Sa vie fut agilée,et plus militaire encore que poétique. Dans les miniatures, il est toujours représenté avec l'armure et la rude physionomie d'un chevalier. Il se mêla activement à toutes les guerres privées qui déchiraient son pa)s : âme ardente et éprise des beaux coups d'épée. Le point culminant de sa vie fut le fameux tournoi poétique de la Wartburg, en 1207, où combattirent les plus illustres minnesingers. Wolfram, qui s'était d'abord résigné ' tu rôle glorieux déjuge, ne put s'empêcher de descendre à son tour dans la lice, «t disputa le prix. (V. L. Ettmuller, Der Singerkrieg aufder fFareèurg, Ihne- nan , 1830.) Tel est le poète qui était appelé à répandre en Allemagne la gloire 36 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. Il PABT CHAP. .LJTB. II. la royauté carlovingienue expirant avec Charlemagne^ — et qui affermit la couronne sur ia tête tremblante du de notre héros épique. Yen 1213 ou 1214, le land^ve Hermanu de Thu- rioge lui commanda sans doute un poème sur Guillaume; en même temps (sui- vant rhypothèse fort raisonnable de M. Pey, qui a consacré une bonne étude à Wolfram d'Eschenbach ), ce prince aurait remis au poëte un manuscrit français ^Aliseam, « C*est le duc Hermann, dit Wolfram lui-même dans son « Introduction, qui me fit (aire connaissance avec GuillaumCi comte d*Oraiige. •• Et il ajoute qu^il se propose de suivre un original français : « Ce qui se dit <« en français, écoutez-le en allemand.» Cependant Hermann motu*ut en 1216, et son fils lui succéda. Le nouveau landgrave était Louis IV, dit le Saint, mari de sainte Elisabeth de Hongrie. C'est sous son règne que Wolfram acheva l'œuvre commencée sous Hermann : dès la strophe 417 du WilUhalm^ le glorieux minnesinger fait une allusion à la mort de ce généreux protecteur. Rien ne prouve d'ailleurs, comme le suppose M. Pey, que Louis n'ait pas continué à Wolfram la protection et les faveurs de son père. (Voir, sur la vie et les ouvrages de Wolfram, l'ouvrage de San-Marte : Leben und Diehlen Wolframi von Es- chenbach, Magdeburg, 1836 et 1841, et aussi l'Introduction du Wolfram de Lachmann, Berlin, 1833.) — Parmi les œuvres de Wolfram, nous n'avons i examiner ici que le Willehalm, dont il est temps de donner le résumé. Ce poëme s'ouvre par une introduction où l'auteur expose rapidement ses relations poétiques avec le landgrave Hermann ; où il le remercie de lui avoir fait connaître le comte Guillaume d'Orange ; où il déclare enfin qu'il a travaillé d'après des soiurces françaises, et qu'il laissera de côté toute la première partie de l'histoire de Guillaume. Mais ce u'est là qu'une préface indépendante du poëme. \jt véritable début de Willehalm, que les Allemands considèrent avec raison comme un des plus beaux morceaux de leur langue, est une invoca- tion très-religieuse au « Créateur de tous les êtres. » Dés ces premiers vers, on sent combien cette œuvre oflfrira un caractère diflférent de celui de nos Chan- sons : ce n'est plus là, à proprement parler, de la poésie sincèrement primitive. Après une seconde invocation à son héros, Wolfram entre enfin In meditu ret et nous racoute brièvement comment le comte Heimrich de Narbonne renvoya un jour de son palais ses sept ûls Willehalm, Bertrand , Buovun , Heinrich, Amalt, Bemart et Gybert : « Allez à la cour de Charles, leur dit-il, et comptez « avant tout sur votre courage et sur l'amour que vous pouvez inspirer à de « nobles femmes; car vous ne recevrez rien de moi. » Heimrich parlait ainsi parce qu'il voulait favoriser, au détriment à% ses fils, un enfant étranger qui lui avait été confié. C'est ainsi que Wolfram a dénaturé le Departemens des enfant jéimert, qui est vingt fois plus uatunil et noitts odieux ; puis il aliandonne à leurs destinées les enfants du comte de Narbonne et ne s'occupe plus que de Willehalm. Celui-ci (antérieurement à l'acdon de notre poëme) a enlevé la fille du roi païen Terramer, Arabelle ; il l'a fait baptiser sous le nom de Gyburg, il l'a épousée. De là tant de guerres formidables, tant de sang répandu. Terramer, en eflet, ne peut supporter le rapt de sa fille et rassemble une immense armée. Il débarque en France» tout frémissant de colère et voulant se venger à tout prix de l'outrage de Willehalm ; il est accompagné de son gendre Tibald, de son frère Arofel, du terrible Halzebier, roi de Falfunde, et du roi de Perse qui, dans nos NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 37 pauvre petit Louis, de cet enfant tout entouré de «paît. un. n, traîtres ; c'est lui qui court ensuite à Rome, où il sauve — — Romans, eit toujoun qnalifié à^Amîrant et semble exercer dans sa ville de « Ba- biloine » wie ceitaioe suprématie sur tous les rois des Sarrasins. De son côté, Willehalm Ehkurneh (sic) rassemiile ses vassaux Witschard, Gérard « vonBlevî, » le paladin Bertrand et ses deux neveux Mile et Vivien. Autour du comte d'O- range se réunissent vingt mille chevaliers auxquels le fils d*Heimrich adresse une dernière allocution avant la bataille : « Ne laissez pas insulter votre foi par « ces païens qui vous raviraient volontiers votre baptême. » Les Sarrasins crient Tervigent, et les chrétiens Monschoy» Le grand combat s*engage dans la plaine d*Alischans, et Willehalm fait merveilles avec sa grande épée « Scftojusé ». Halzebîer s'empare de huit princes chrétiens qn*on se propose d'échanger un jour contre Arabelle. Vivien est blessé mortellement : on le foule aux pieds, il se relève, se plante énergiquement sur son cheval et se lance dans la mêlée. Mais il tombe, et s'asseoit à l'ombre d'un arbre. Le Démon veut alors se saisir de son âme : il est chassé par l'Archaoge, et Vivien meurt. Cependant la ba- taille continue : « 0 Gyburg, s'écrie Willehalm, combien je paye cher votre m. amour! » Ainsi finit le premier livre du poème de Wolfram. Le comte d'Orange, malgré des prodiges de valeur, est enfin vaincu ; il est forcé de s'enfuir. C'est alors qu'il rentre dans sa ville, où d'abord il ne peut, à douleur! se faire reconnaître des siens. Par bonheur il a l'idée de leur montrer la cicatrice à laquelle il doit son surnom d'EhÂurneis, et ik consentent à lui ouvrir la porte de son propre chAteau. Mais U, quelle détresse, quel abandon 1 Et comment résister plus long- temps à des aimemis si puissants et si nombreux? Willehalm se décide k aller demander da secours à l'empereur Loys. Il part, traverse la France, arrive près de Loys et en obtient, non sans peine, le secours qu'il attendait. D'ailleurs, il ne revient pas seul. U emmène avec lui Rennewart, une sorte de géant brutal qu'il a trouvé dans les cuuines de l'Empereur, et qui est, comme on le saura plus tard, le propre frère d'Arabelle ou Gyburg. Une seconde bataille s'en- gage à Aleschans : Rennewart, armé d'une barre de fer, renverse, écrase des bataillons entiers. Halzebier reçoit un coup mortel ; Terramer est grièvement blessé; les païens se troublent, s'enfuient, se rembarquent. Les chrétiens, maî- tres du champ de bataille, enterrent leyrs morts et embaument les corps de leurs rois. Alors, mais alors seulement, on s'aperçoit de l'absence de Rennewart, et Willehalm en pleure à chaudes larmes. I^ poëme s'achève par le récit de cette vive et sincère douleur. Le conte d'Orange, avec Bertrand, se met en route pour retrouver son ami Renn«wart } avant de partir, il veut se montrer généreux envers les vaincus, et met en Kberlé les vingt-cinq rois païens qu'il a faits pri- v sonniers: « Je vous recomniinde, dit-il, à Celui qui connaît le nombre des étoiles « et qui donne la lumière de U Inné. » Le marquis leur laisse une bonne escorte, et c'est ainsi qu'il quitta hii-iBène le pays de Provence..... — La plupart des cri- tiques ont prétendu que'le poème de Wolfram est inachevé, et M. Pey, notam- ment, a attribué ce fait à la froideur du landgrave Louis qui n'aurait plus protégé le minnesinger aussi chaudement que l'avait fait son père Hermann. Avant Ludwig Clams, il n'y avait d'ailleurs qu'une voix à cet égard, et Gervinus avait été jusqu'à dire qu'il « est impossible, dans l'état où nous est resté le H^ifieltaim, de se rendre « un compte exact de l'ordonnance de ce poëme. » {Geschichtt der poetischen Na» 38 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. Il PART. ijTi». II. une première fois la Papauté et l'Église des hordes sar- rasiues et du géant Corsolt; puis, une seconde fois, tional Litteraiur, I, p. 433). Lachmann espérait (c^était en 1 833)qu'onretrouTerait peut-être uo jour roriginal français dont s*était servi Wolfram, et que par là on pourrtit reconstituer i*unité d*un poëme si déplorablement incomplet. Mais L. Clams a pris en main la thèse contraire : il a prétendu, le premier, que le WilUhalm n*était point une œu\re inachevée. Suivant lui, Wolfram a abandonné à dessein la fin du texte français d*^//ica/ij,parce qu*elle ne lui semblait ni assez épique ni assez chevaleresque. L*auteur allemand s*irrite contre Renouart, contre ce personnage comique que Wolfram a eu raison « d*envoyer aux ca- lendes grecques ». « Le minnesinger, dit-il, a bien fait de se débarrasser de ce trouble-féte. Il était trop poète pour tomber dans la faute des remanieurs fran- çais et diviser ainsi Tattention de ses lecteurs entre Guillaume, qui la mérite si bien, et Renouart, qui en est si indigne. C'est donc avec une admirable habileté qu*il a terminé son beau poème par la disparition de Renouart. » (Herzog IFilhelm iton Jquitanien, p. 344''et ss.) Il nous semble que Topinion de L. Clams mérite tout au moins d*ètre réfutée, et nous nous y rangeons volontiers. Malheureuse- ment rérudit allemand Ta appuyée par de mauvais arguments : « 11 existe, n dit-il, un manuscrit français qui conlipnl le texte de la bataille d*Alesclians, « sans la seconde partie, consacrée aux aventures de Renouart, » M. L. Clamt aurait bien fait de nous indiquer ce manuscrit, que nous ne connaissons pas et ' qui n*existe sans doute que dans son imaguiation. Les Allemands, d'ailleurs, ont hé- sité, pendant longtemps, à reconnaître Torigine absolument française du Wille^ halm. Leur admiration pour Wolfram était si vive qu'ils ne consentaient pas avoir un imitateur daos le plus grand de leurs poètes. Lachmann penchait à croîrt que Wolfram avait été très-profondément original. Gervinus {Gescfiiêkteéfêrpoctischen National Lilteraturder Deutscfien, 2' édition, I,p. 432) et Koberstein {Grundriss der Gescliichte der deutschen National-Litteratur, 4* édition, p. 2 1 7) s'accordaient à prétendre que Toriginal du Willehalm était perdu. Dans son ^/izr/^rr(V, 18*2), Mone affirmait plus nettement que uos Chausons ne peuvent être la source du poème allemand. (V. Jonckbloer, Guillaume d'Orange, II, 21 S et suiv.) Mais aujourd'hui personne ne nie plus la préexistence des Chansons françaises dont Wolfram, en son Introduction, avoue lui-même s'être servi. L'analyse que nous venons de donner prouve jusqu'à l'êyidbncb que le minnesinger a eu sous les yeux et qu'il a suivi servilement notre Chanson à^Aliscans, Il a défiguré certains noms, il a donné à ses personnages et à son action un caractère plus religieux, ou, pour mieux parler, plus théologique ; mais il n'a rien changé d'important C'est un calque. 11 est même certain que plus d'une fois Wolfram n'a rien compris à son original : Jonckbloet M Clarus en ont donné quelques preuvrs curieuses. Le poème français noui^ffine-t^lce versnEtSalatrez li rois d'antiquité • (v. 1 345).' «Wolfram écrit :« Der gah^dem Vvm^Antikoté! » Trouvous-uous dans notre jéliscans ces trois vers: « L'ames'en vait,n'i pot plus demorer; — En Paradis la fist Dex osteler — Avec ses angles et mètre et aloer (v.926-928) ? » L'auteur du Willeltalm traduit ce dernier mot par Hgn aidé, qui signifie a/ori,elc.,etc. A tout instant, d'ailleurs, Wolfram s'écrie que son héros est fort en honneur en France; que les Français témoignent de tel ou tel fait ; qu'on en fait foi en France, etc. (V. Jonckbloet, 1. L, p. 215.) En résume, il est aujourd'hui NOTICE BIBUOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 30 des hordes germaines et de l'empereur Gui d'Aile* u pabt. un. n. mague • _— — démontré que le land^ve Hermann avait commaniqtté à son poète &Tori un manuscrit français d^Ai'uaxns, et que Wolfram s'en est perpétudlement servi sans toujours le comprendre, en se contentant d'ailleurs d'en modifier le début et d'en précipiter le dénoûment. ^^ La valeur littéraire du fVtlUhalm nous semble avoir été étrangement exagérée par les Allemands. Nous regrettons de voir F. de Schlegel {Europa, II, 138) appeler Wolfram « le plus grand poète « que l'Allemagne ait jamais produit, n Mais, d'un autre côté, M. Gaston Paris est peut-être- tombé dans l'excès opposé lorsqu'il a dit, de cette imitation alle- mande de notre jéliscans , que « c'est la copie terne et molle d'un de nos plus « éclatants tableaux » (Histoire poétique de Charlemagne ^ p. 129). Il semble qu'il y a, entre ces deux opinions extrêmes, un juste milieu dans lequel nous vou- lons nous tenir. Le Willelialm est une œuvre réfléchie, travaillée et froide; elle a cette correction qui est le caractère des œuvres classiques et durables; elle n'a point l'inspiration qui est le propre de la poésie primitive. Entre ^/û- cami et le poème de Wolfram, il y a la même distance qu'entre notre Chanson de ttoland et le Ruolandes Liet, Nos vieilles Chansons sont chrétiennes; les pOëmes allemands sont ihéologiques, et même ecclésiastiques ou cléricaux. Le seul début du JVillehalm donnera une juste idée du talent de Wolfram et de la nature de son style, qu'on voudra sans doute comparer à celui de nos Chansons. Nous ne pensons pas qu'il ait été encore traduit en français : « 0 toi, très-pur et sans tache, trois et pourtant un, créateur de tous les êtres, dont la puissance est saot.dMnaMDcement, sans interruption et sans fin ; toi qui éloignes de moi les piBléet jBoapriiles, — et tu es alors mon père et je suis ton enfant; — tu es noble aii*4ttni de toute noblesse. Laisse-toi guider, Seigneur, par ce qui est l'essence de \% vertu, et accorde-moi ta miséricorde quand je commets un crime contre toi. Ne me laisse point mettre en oubli. Seigneur, de quel immense bonheur j'ai été comblé. Je sub ton enfant, je suis ton rejeton ; mais tu es très- riche, et, moi, je suis pauvre. Ton iocamation m'a rendu parent de ta divinité : qui dit Pater nosier, tu le reconnais pour ton fils. J'ai puisé dans le baptême une force qui m'a délivré du doute; je suis très-fermement attaché à cettefoi* que je porte le même nom que toi». Oui, Sagesse au-dessus de toute autre prudence, tu es le Christ, et moi je suis un Chrétien. Jamais on n'est arrivé, à travers toutes les recherches, à atteindre ta hauteur, ta largeur, ta profondeur infinie. C'est dans ta main que reposent les sept étoiles et leur cours autour du ciel. L'air, l'eau, la terre et le feu sont absolument dans ta puissance. Tout est entre tes mains. A ta parole accourent, autour de toi, les êtres sauvages et ceux qui sont apprivoisés^ Ta divine puissance a plhcé i^u milieu de nous le jour clair et la sombre nuit, et les a distiogués par le tmin dTu soleil. Jamais on ne fut, jamais on ne sera ton égal... Envoie donc à mon esprit le secours de ta bonté et assez de lumière pour célébrer dignement en ton iiom un chevalier qui ne t'a jamais oublié...... Et maintenant comparez à ce début de Wolfram les premiers vers de notre Âltscans : onne a conquis sa femme Ermengarde de Pavie. A son lit NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 41 relevé l'autorité chancelante, conquit Nimes par la " ***"• "'^■* "• * * C8AP* !• ruse ' et s empara d'Orange ou il épousa enfin cette de mort, le Tieux comte exclut ses Gis de sa succession, et donne son héritage au fils d'un vassal qui est mort à son service. Cette étrange décision est amenée, dans le poëme allemand, par un dialogue plus étrange encore entre Douceur et Honneur. Les fils d*Aimeri courent à leurs aventures, et Guillaume sVngage au service de Charles. Cependant Terramer envahit la France à la tète d'une innom- brable armée, et Louis, qui vient de succéder à son père, rassemble tous ses vassaux contre les envahisseurs. Une grande bataille s'engage, Guillaume est fait prisonnier, et les Sarrasins l'emmènent en Orient, à Todiem. C'est là qu*Arabelle, femme de Tibaul, devient amoureuse du futur comte d'Orange. Elle le visite dans sa prison, elle fait entourer de laine les chaînes qui le blessaient. Cette captivité , hélas ! dure huit longues années. Mais un jour, à bonheur ! Tibaut part pour une expédition contre un prince voisin, et laisse k sa femme la garde des prisonniers chrétiens. Arabelle, tout aussitôt, ouvtc à Guillaume les portes de la prison, joue avec lui aux échecs, lui demande le récit de toutes ses aventures, se fait instruire par lui de la foi chrétienne, soupire vers le baptême, et enfin s'échappe avec son captif sur un navire qu'elle a fait préparer. La traversée est pleine de péripéties émouvantes ; l'émir, qui commandait le vaisseau arabe, essaye en vain de s'opposer à la fuite de Guillaume et d* Arabelle. Le chevalier chrétien se jette sur les païens et en tué cent trente : le reste de l'équipage se rend. Mais les fuyards sont poursuivis, et ne parviennent qu'à grand' peine à débarquer dans l'Ile chré- tieniie de Montamar, où ils font une énergique et heureuse résistance. Les voilà sauvés, les voilà à Marseille. Lepaiie Léon vient à Avignon tout exprès pour bapti- ser Araire et la marier avec Guillaume ; la nouvelle chrétienne reçoit le nom de Guiboure, et le poëme d'Ulrich se termine , comme il a commencé, par une prière — Si nos lecteurs veulent bien comparer le récit précédent avec celui des Enfances Guillaume et de la Prise Vers 1250, un autre poète, Ulrich von Thiirheim, s'était proposé de compléter par la fin le Willehaim qu'Ulrich von dem Thuriiu devait plus tard compléter par le commencement. De là ce poëme que M. C Ainsi parle l'historien anonyme du quatorzième siècle, qui évidemment avait lu et résumait à grands traits l'œuvre de Wol- fram et celle des deux Ulrich et qui, du reste, en parle comme d*une his- toire véritablement authentique et universellement connue. D*où Ton peut con- clure qu^au milieu du quatorzième siècle, la légende de Guillaume était encore très-populaire de Tautre côté du Rhin. m. En Holla>'DR. a. A la fin du douzième siècle, au commencement du trei- zième (entre I lui et 12 1 7, suivant Jouckbloet) vivait Nicolas Persijn, de Harlem, qu'on a encore nommé Clai ou Klaes, et qui, pour se distinguer d'un autre Nicolas Persijn, de Harlem, s*est lui-même appelé, du nom de .sa mère, Nicolas von Drechten. Pour faire honneur au comte Guillaume I, qui avait été en Pales- tine avec son père et avait guerroyé contre les Sarrasins en Espagne, Nicolas de Harlem entreprit de célébrer un autre Guillaume qui avait également été en lutte avec les païens et qui était très- populaire en France. C'était notre héros. Du poème de Klaes, il ne nous reste malheureusement que deux fragments que Willemsa publiés dans le Belgisch Muséum (t. IV, p. 186), et qui se rappor- CUAP. I. NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 43 élevé dans une famille de marchands, révéla de bonne "'^^JÎJ-J^"- "• heure son courage héroïque et donna Luiserne aux tent au hloniage Guillaume, (Dans le premier, l^abbé Henri envoie frère Guillaume acheter du poisson pour la table des moines. Le nouveau religieux ar- rive sans armes dans la vallée de Sizeron,oii des voleurs Tattaquent, etc., etc. Le second fragment nous montre Guillaume prisonnier de l'amiral Sinagos. Cette captivité dure sept ans ; le comte d'Orange souffre de la faim; ses blessures se sont rouvertes; Teau pénètre dans sa prison, et il est forcé de se réfu|(ier sur une colonne. Mais voici cpi'une aide lui vient du ciel : un ange guérit ses plaies. Et voici qu'un autre secours lui vient de la terre : un de ses parents, Landry le timonier, s'occupe activement de sa délivrance ) — b. Notre Roman de Gtrart de Viane (et non pas celui de Garin de Montglane comme Ta cm Bilderdijk, Ferscheidenkeden, IV, p. 12G et suiv.) a été également traduit ou plutôt imité en vers flamands. Quelques fragments de cette copie nous sont restés ; Bilderdijk en a publié cent quatre-vingt douze vers (1. 1. , t ? I - 146). — c. Vers 1270, Jacques van Maerlant écrivit son Spiegael hUtoriael. Dans le premier livre de sa quatrième partie, au chapitre xxn, il s'élève con- tre les fables des Romans et les exagérations des Chansons de geste . C'est là qu'il parle assez longuement de notre Guillaume ; c'est là que, suivant la juste remarque de L. Clarus, il rend justice au caractère historique de la Vîta sanctî WiUelmi et rappelle les travaux de Nicolas de Harlem. — d. Jean de Klerk (né en 1280, mort en 1351), écrivit vers 1318 ses Gestes des dues de Brabant ou sa Chronique rimée de Brabant , dont M. J.-F. Willems a donné une édi- tion complète en 1839. Dans ses trois premiers livres, Jean de Klerk se con- tente de copier Jacques van Maerlant , et reproduit fort exactement le chapitre destiné à combattre les récits cbe\*alcresques . Voici le passage con- sacré à notre Guillaume : « Oec sijn somme walsche boeke, — Die waert sijn groter vloeke, — Die van Willeme van Oringhen — Grote loghene voert brin- gfaen, — En willene lietcr dan Karle maken. — Willem, dal sijn ware sakeu, — Was cens daeghs een ridder goet, — Mer niet sœ goet datmenne moet — Karlen yet gheliken aliène, etc. (vers 41 62 et suivants). » Et plus loin : « Wat dat si van Lancelote singhen, — Oft van Willeme van Oringhen, — Si wanen die tArieblanke comen, — Alsi daer hebbeii vernomeu — Die grave ligghen, ha- rentare, — Dat van Willems orloghe ware, etc. (vers 4178 et suivants). » On voit par là que la gloire de Guillaume jetait encore quelque éclat, durant la pre- mière partie du quatorzième siècle, dans ces pays néerlandais qui devaient un jour être gouvernés par des princes d'Orange dont on a voulu rattacher l'origine à notre héros. Cette gloire toutefois commençait à s'obscurcir ; car Jean de Klerck s'est borné à ces quelques vers sur Guillaume d'Orange, tandis qu'il a longuement résumé ^mis et jimiles^ la Chronique de Turpin et plusieurs Romans de la geste du Roi . La popularité de Charlemagne a survécu partout à celle de Guillaume. IV. Dans les pays scandinayrs. Deux Chansons de notre geste ont passé dans la Karlamagnus Saga, dans cette compilation islandaise qui, rédigée sous le règne d'Haquin V (1217-1263), fut revisée cinquante ans plus tard et, au quinzième siècle, résumée en danois dans le Keiser Karl Magnus Kronike. C<*s deux Chansons sont Girars de Viane et le. Montage Guillaume, La première II PART CH 44 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. . u?B.ii. chrétiens '; ce téméraire Vivien, qui fit le vœu de ne i*p. I. ' ' * — jamais reculer d'un pas devant les Sarrasins, et .qui a été servilemeut imitée dans la première branche de la Karlamagnut Sûga^ 011 cinq chapitres lui sont consacrés. Girard du Frattey est appelé Girard de Vienne, du nom de sa capitale où Charlemagne le tient sept ans assiégé. La cause de la guerre n*est pas si compliquée que dans le poème français : Girard M s'est seulement montré insolent vis^à-vis de TEmpereur » et a refiisé de corn* paraître à sa cour. Roland et Olivier tiennent les premiers rôles dans cette ac- tion épique, qui se termine par les fiançailles du neveu de Cliarlemagne et de la belle Aude (V. Histoire ffoétique de Charlemagne, p. 235). C'est au même Ro« man que se rapporte la Saga signalée par M. Geoffroy dans les Notices et extraies des manuscrits (p. 38), et qui a pour titre : « Geirards jarls ok Vilbjalms Geî* rardssonar saga. • — Quant au Moniage Guiltaume, il est évident que le com- pilateur islandais a eu sous les yeux un manuscrit français notablement diffé- rent de tous ceux que nous connaissons. On en jugera par le résumé de U neuvième branche de la Karlamagntts Saga^ et nous abrégeons ici l'analyse que M. Gaston Paris en a donnée dans un remarquable article de la Bibliothèque de t École des cltartes^ G* série, I, p. 37-41 : « Charlemagne vient de conquérir une ville dont il a tué le roi. Cette ville, il la donne à Vilhjalm Kumeis, qui épouse la veuve du prince mort. Un jour, celte femme découvre un cheveu blanc sur la tète de son mari: n Fi ! le vieillard ! w dit-elle. Vilhjalm, triste et irrité, s*éloigne de son royaume et veut entrer soudain au service de Dieu. Il part, cherche un couvent et en trouve un où il se fait moine. Par malheur, c*est un monastère relâché, et dont le nouveau religieux ne parvient pas à réformer les mœurs. Certain hiver, il arrive que les vivres nuinquent, et Vilhjalm s*offrepour aller en acheter à la ville voisine. Mais il y a des voleurs sur le chemin, et il a reçu Tordre de ne pas se défendre contre eux. Il doit leur laisser prendre tous ses vêtements, excepté sa ceinture. Les voleurs, en effet, atta- quent l'ancien soldat, celui-là même qui, jadis, ne le cédait en bravoure qu*au seul Roland. ' Il se laisse dépouiller, il se laisse frapper, lui qu'autrefois on n'aurait pas insulté en vain. Mais il avait eu soin de se munir d'une riche cein- ture brodée d*or, qui devait exciter rapidement et qui excite en réalité la con- voitise des brigands. A peine y ont-ils porté la main que Vilhjalm arrache la cuisse d'un de ses ânes et s'en sert |K>ur tuer leis misérables. Il est vainqueur, et, 6 bonheur ! il n'a pas violé son vœu d'obéissance. Il se dirige alors, joyeux, vers son couvent dont il enfonce les portes. Les moines se cachent : il les pour- suit, il les bat. Puis, il s'en va, et on n'entend plus parler de lui. Là se ter- mine la première partie de cette branche de la Karlamag/ms Saga^ qui est, sauf le début, empruntée à notre Moniage. Mais la seconde partie ne ressemble à aucun poëme français. Elle offre un caractère étrange, et, suivant nous, primitif. Nous ne serions pas éloigné d*y voir un emprunt à la plus ancienne rédaction du Moniage^ à une version malheureusement disparue Au Midi vivait un homme riche appelé Grimaldus. Un jour, en menant ses troupeaux au bob, il aperçut un étranger en robe de moine et d'une taille gi- gantesque : « Apprenez-moi les nouvelles, demande cet inconnu. — Elles sont « mauvaises, répond Grimaldus. Charlemagne s'apprête en ce moment à livrer M une bataille décisive aux Sarrasins, mais il craint étrangement d'être vaincu. NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 45 provoqua, par de cruelles agressions, Tépouvantable "»*art. uvr.h. défaite d'Âliscans, où il devait si glorieusement suc- — '• — — — comber". « 11 regrette Villijalm Kurneis. S*il était là, nous serions vainqueurs. — Voulez- « vous que je vous remplace dans la lia taille? demande alors le moine à Gri- « maldns, qui de son naturel était poltron. — Volontiers. » L'étranger monte à cheval, s'arme, brandit sa lance, part, arrive à l'armée de Charles et y prend la place de Grimaldus. Le grand combat commence. Le faux GrimaMus étonne l'armée par ses exploits et coupe la tête du roi Bladul. Charles est le plus étonné de tous : il croyait le seul Vilhjalm capable de tels coups d'épée. Ûêïi quand vient l'heure de recevoir la récompense promise par Charles à celui qui le délivrerait du roi païen, le véritable vainqueur a disparu, et c'est Grimaldus qui reluit le prix mérité par un autre. Quelques années après, l'étranger lui apparaît en songe : « Va vers Charlemagne, lui dit il, et di^-lui de «t bâtir une église près de la grotte où j'ai passé vingt- cinq ans de ma vie. >« Grimaldus se décideà se rendre près de l'Empereuretà lui racontercette étrange vision. Le Roi se met à la recherche de l'inconnu ; il ne tarde pas à trouver le corps d'un homme qui vient de mourir. 11 est tourné vers l'Orient, il exhale une suave odeur. Mais Charles n'a eu besoin que d'un regard pour le reconnaître: c'est celui de Vilhjalm, c'est celui de Guillaume au Court Nez. Ainsi se termine cette branche de la compilation islandaise : elle renferme véritable- ment des beautés de premier ordre et de physionomie antique. 11 n*est pas inn- tile d'ajouter qu'elle est une de celles dont la traductiou en danois est parvenue jusqu'à nous. {KietZf Scrtptores Suecici medii œvi^ t. IV, Lund, 1842.) Beaucoup plus de sagas auraient sans doute élé conser\'ées si, comme le remarque Clams, on n'en avait pas supprimé un grand nombre au moment de la Réforme et de- puis son triomphe, » parce qu'elles étaient catholiques. » En 1814, ajoute l'auteur allemand, les Suédois en étaient encore à ignorer qu'ils avaient |)0s- sédé, au moyen âge, une pot^ie chevaleresque, et que cette t>oésie leur était venue de la France. Mais, depuis lors, la science a marché. V. En Espagne. Tandis que la légende de Guillaume n'a laissé aucune trace dans * la littérature portugaise (V. la Biùiiot/tecaLttzitana de Barbosa Machado), elle a eu quelque influence sur la littérature espagnole, et en particulier sur les romances. C'est cequ'a constaté M. de Puymaigre : « Les poètes du midi de la France (?) ont inventé un AymericdeNarbonne,père prétendu de Guillaume le Pieux. On trouve dansdeux romances le nom, un peu altéré à la vérité (Almenique, Renalmenique),de ce personnage du cycle carloviugien. » (Les y'ieux Auteurs castillans^ 11, 322.) M. de Puymaigre a pris le soin de nous traduire ces deux romances, dont le pre- mier, tout au moins, mérite d'être cité in extenso. Nous lui empruntons volon- tiers cette traduction: « Du Soudan deBabylone, de celui-là je veux parler: que Dieu lui donne mauvaise vieet plus mauvaise (in encore. Il arma galères et na\ ires. Ils partirent soixante mille pour aller combattre Narbonne la gentille.Ils vont jeter les ancres au portde Saint-Gil ; ils font le comte prisonnier ,1e comte Benulmenique Le descendant d'une tour, ils le mettent à cheval sur un roussin et lui donnent la queue pour bride afui de lui faire affront. Cent coups ils donnent au comte et autant au roussin : au roussin, pour qu'il marche ; au comte, potir le sou- mettre. La comtesse, dès qu'elle le vit, sortit pour aller au-devant de lui. « Cela H PAflT. UVR 11. CHAP. I. 46 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. C'est ce Guillaume qui fut vaincu lui-même dans cette célèbre bataille d'Aliscans, comme Roland me navre, seigneur comte, de tous Toir ainsi. Je donnerai pour tous, comtes soixante mille doublons ; et, si cela ne suffit pas, comte, les trois fdies que j*ai mises au monde. Je les ai mises au monde, bon comte ; tous les avez eues de moi. Et, si cela ne suffit pas, seigneur comte, me voici moi-même. — MiOe grâces, comtesse, pour votre bon parler. Ne donnez pour moi, madame, pas même un maravédis. J*ai des blessures mortelles, d'elles je ne peux pas guérir. Adieu, adieu, comtesse, ou m^urdouue de partir d'ici. — Allez avec Dieu, comte, et, avec la grâce de saint Gil , Dieu vous fasse rencontrer le paladin Ro- land. » (Les Fieux Auteun castillans^ II, 350.) Indépendamment des deux ro- mances consacrés à Benalmenique, il faut encore citer le fameux chant Mah Im vistets, Pranceses^ où M . Gaston Paris voit en quelque manière les débris de toute une épopée perdue, dont Gariu d*Anséuue était le héros : « Vous Tavez mal n passée, Frani^ais, la chasse de Roncevaux. Don Charles perdit Thonneur, les « douze pairs moururent ; on fit prisonnier Guarinos, Tamiral des mers. » Guari- nos échut à Martolest qui l'ei^agea en vain à se faire musulman. «Sur son refus de reuier sa foi, le courageux chrétien fut jeté en prison. Il en sortit cependant* uu jour que nul More n*avait pu abattre un immense tablado qu'avait élevéMar- toles. Ce païen, ayant appris que son captif se vantait d'être le plus adroit, voulut mettre son habileté à l'épreuve. Mais Guarinos, qui avait demandé d*étre remis en |iossession de son cheval, tomba sur les Mores qui essayaient de s'opposera sa fuite et parvint à regagner la France. » Tel est le résumé que donne M. de Puymaigre de ce fameux romance (1. Il, 323). Il est certain qu'on y retix>uve une partie des aventures de Garin, telles qu'elles sont exposées au commencement des Enfant ces Vivien, et surtout à la fin du Siège de Narbonne. Mais le poète espagnol n'a pas connu sans doute le trait principal de cet épisode héroïque. LesSarra- tios qui ont fait Gariu prisonnier (soit après Roucevaux, comme l'assure l'auteur des Enfances Vivien ,*soit à son retour de Narbonne,comme il est dit dans le Siège de Narlfonne)^ consentent à le délivrer, à la coudilion que son fils Vivien viendra se substituer à lui. Delà une péripétie profondément dramatique dont le roman- cier espagnol n'a pu tirer parti. Il est d'ailleurs complètement inutile de sup- poser ici l'existence de toute une Chanson intitulée Garin d'Âtuèune et aujour- d'hui perdue. Avec les Enfances Vivien^ le Siège de Narbonne ti le romance espagnol, nous connaissons de ce héros tout ce que nos pères en connaissaient. Quant à la fuite de Garin (telle qu'elle est racontée dans les vers que M. de Puy- maigre a traduits), cette ruse est, dans une autre de nos Chansons, mise sur le compte d'un autre héros moins connu et plus moderne, Simon de Pouille. (S, notre analyse de Simon de Pouille^ 11, 289,290.) => Telle a été la diffusion à l'étranger de cette légende de notre Guillaume. Comme on le voit, cette dif- fusion n'a été ni aussi étendue ni aussi durable que celle de la geste du Roi. Mais, si elle n'a guère dépassé les limites du moyen âge, elle atteste encore une popu- larité vaste et profonde, à laquelle on ne pourrait comparer en Europe celle d'aucune autre poésie religieuse ou nationale. $11. Travaux doiit la geste de Guillaume a ttt l*objet. Durant tout le seizième siècle et la première partie du dix-septième, la lé» NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 47 l'avait été à Roncevaux; qui, poursuivi, traqué par "part. livr.ii. les païens, eut tant de peine à sauver une vie si pré- ' gende et l'histoire de saint Guillaume furent complètement laissées dans Tombre. a. C*est à Catel que revient l'honneur d*avoir le premier éveillé Tattention des émdits sur la valeur poétique d*un héros trop longtemps oublié, et sur les Ro- mans où il avait été célébré. Dans son Histoire des comtes de Tolose (1623), et dansses Mémoires de l'histoire du Languedoc {^X^ZZ)^ Catel fait les efforts les plus méritoires pour remettre en lumière les Chansons de notre geste dont personne ne supposait alors Texistence. Dans sou Histoire des comtes de Tolose, il ra- conte avec une certaine joie la découverte qu'il a faite d'un de nos 'manuscrits cycliques. « J'ai rencontré, depuis n'aguères, dans les archifs du monastère S^ûnt*Guillaume du Désert un grand livre en vers françois. Ce livre est fort ancien et a esté mal gardé. Il manque de plusieurs cayers, et la plupart des feuillets sont deschirés. » El il ajoute que ce manuscrit coutient les Enfances Guillaume^ le Couronnement Looys, le Cliarroi de Nimes^ et enfin le Moniage Guillaume (l. 1., p. 60). Ce manuscrit, aujourd'hui perdu, renfermait très-pro- bablement les Enfances rivien, le Covenaas, Aliscans, la Bataille Loijuifer et le Moniage Rcnoart, Mais Terreur de Catel est fiicile à comprendre, vu l'état du manuscrit, et il Ta réparée, en consacrant dans ses Mémoires plus de place encore à notre légende et à nos vieux goémes. Rien n'était plus téméraire qu'une telle entreprise, si l'on veut bien se reporter à l'état des esprits d'alors qui étaient engoués de la seule antiquité. Catel a connu les chartes de fonda- tion de Gellone, il a utilisé le témoignage d'Orderic Vital, il a élucidé les variantes des deux généalogies légendaire et historique de Guillaume, il a rendu justice aux éléments authentiques de la Fita sancti fVillelmi, il a reconnu le caractère fa- buleux de nos Chansons, il a failde longues citations du Charroi et du Moniage, il est allé jusqu'à affirmer l'identité poétique de saint Guillaume et de Guil- laume!", comte de Toulouse, etc. (p.p. 667-573). Comme on le voit, il a eu une initiative vraiment courageuse ;^ il a bien mérité de la science. — h. En 1639, six ans après la publication des Mémoires de r histoire du Languedoc , Joseph de la Pîse édita son Tableau de C histoire des princes et principauté tt Orange (La Haye). Dans sa généalogie de la maison d'Orange, il ne craint pas déplacer a Guibourc, princesse sarrazine » et combat ailleurs (p. 61) le surnom de Guillaume au court nez. «C'est « au cornet»' qu'il faut dire», etc. — c. m. Cette voie, pour être la plus sûre, n'était pas la plus courte. Les bibliographes comme M. de Siuuer approfon- dissent une science, mais ne la vulgarisent pas. Or il y avait aloi*s dans la Suisse allemande un homme qu'on peut appeler un des prédécesseurs du Ro- mantisme : c'était Bôdmer de Zurich, dont L. Clarus a récemment entrepris de réhabiliter la mémoire. Ce Bôdmer avait une idée fixe : Celle de prolester contre les envahissements de la pi étendue littérature classique. L'Allemagne était alors livrée à l'Éctile française, aux imitateurs de Racine, de Boileau et de Voltaire : il voulut Tarracher à cette littérature qu'il trouvait artificielle, et la pousser plutôt vcn les beautés plus hardies de la poésie anglaise, ou mieux encore de l'ancienne jioésie germanique. Ses yeux se portèrent sur WoUram d'Esdien- bach ; il lut le lf*illelialm et fut saisi d'admiration. Même il résolut de prendre ce poëme comme son point de départ et d'en faire le type de la poésie nouvelle. En 1774, il fit |Niraitre à Francfort et à Leipsick son WHhelm von Oranse en deux chants. Par malheur, il ne se contenta pas d'y publier un extrait du NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 49 seconde fois ingrat. C'est à lui que le ciel envoya alors, " '*4«t. lit», h. - _ CHAP. la comme un puissant allie, le géant Renouart, person- vieux poëme, il voulut encore moderniser l'œuvre de Wolfram et se mit, k soixante-cinq ans, à composer toute une longue suite de vers héroïques où il avait la prétention de ressusciter Tancienne, la vraie poésie. La tentative échoua, elle devait échouer. — n. Toutefois, malgré la médiocrité de Bôdmer, son essai avait quelque chose d'honorable et de sérieux.On n'oserait pas en dire autant de l'entre- prise toute française de MM. de Panlmy et de Tressan. Dans la Dibl'.othèque des itc- maru on ne déGgura, par bonheur, que quelques Chansons de notre cycle, Garin de Monfglane, Girars de Fiane, Hernaut de Beaulande et Renier de Gennes (octobre 17 78} : c'était trop. Sous la poudre et les mouches dont on couvrait ainsi le visage de nos héros et de nos héroïnes épiques, il devint tout-à-fait impossible de les re- connaître. — o. Lassé de la Bibliotlièque des Romans, M. de Pâulmy se consacra (avec Contant d'Or\ille) à ses ilfe7a//^ri tirés d^ une grande bibliotlièqueoix il daigna toucher encore à notre légende, mais d'une main si légère ! « Le roman et la lé- « gende de Guillaume, dit-il, sont également fabuleux, etc. ■ » (t. VI, 190-194, en 1 780). Puis, il plaisante assez agréablement sur le cornei et le eêurt nez de Guil- laume. Tant d'esprit ne faisait guère avancer la science. Depuis G^tel et les Bollan • distes, elle n'avait point fait un pas. Et ce qui manquait le plus, c'étaient les textes. — p. Un Allemand, Casperson, comprit ce desideratum et résolut de combler cette lacune. En 1781 , il publia à Cassel le premier volume de son Wilhelm der hei' lige von Oranse où il mettait en lumière la continuation du Wiifefialm {Arobtl' Uns Entfuhrung von Tnriin oder Hein rie h Tiir/ieim, eînen Die hier des schwa- biscfienZeitpunktes).Tro\BtLïU9iitrèii\ s'attaquait à l'œu^TC de Wolfram lui-même {DerMarhgrafvon yarbonne^ von IFolfram von Esclùlbach), Quelle que soit l'im- perfection de l'œuvre de Casperson, on doit avouer qu'elle eut une incontestable influence sur le développement des études qui ont pour objet la poésie épique du moyen âge. — q. En France, nous étions fort attardé*. L'excellent bibliographe Van Praet ne s'occupait de notre geste qu'à l'occasion d'un manuscrit de cette belle bibliothèque La Vallièredont il dressait le Catalogue (1783). Nos Romans n'étaient pas encore sortis du domaine de la curiosité. C'étaient toujours des raretés : rien de plus. — Là dessus, échitala Révolution (rançaiie qui interrompit brusquement ces pacifiques études. Il fallut un long temps avant que l'on pût s'y remettre avec fhiit. — r. Mais en Allemagne la tradition ne semblait pas brisée; en 1807, au milieu des guerres qui enflammaient toute l'Europe, un érudit publiait paisiblement 'ses petites Dissertations sur l'histoire et la littérature de Tanti- quité et du moyen Age. J.-Gh. Freyhemn von Aretin (Beytrage zur Geschichte und Literatur^ IX, 1188) rendait compte fort placidement d'un travail sur Ulrich deThiiriieim {Ulrich' s von Tûrheim dritter Theildes WiUelm von Oranse ^ zwei Handschriftendavon in der Miinchener Bibliothek ,angezeîgt ttnd beurtheiii von B. /. D. — ^. La renaissance des études était plus difficile en France, et le moyen Age y était encore lettre close. On ne peut donc qu'a|i- plaudir à l'essai courageux, autant que médiocre, de Roquefort-Flaméricourt (De l'état de la poésie française dans les douzième et treizième siècles, 1815). « Guillaume de Bapaume, dit-il, a écrit en vers de dix syllabes le ro- « man de Guillaume d'Orange surnommé au court nez, qui contient l'histore « travestie de saint Guillaume de Gellone on d'Aquitaine, » etc. (pp. 163, 164). 111,. 4 îf 50 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II PABT CHAP, • "^»- "• nage héroï-comique, dont la vue seule excite le rire, ~" mais dont le Unel est si terrible ; qui passe sa vie à — /. Cependant rAcadémie des Inscriptions avait repris les traditions des Bé- nédictins et continuait presque toutes leurs œuvres. En 1824, Daunou écrivit son Discours sur Citât des lettres au treizième siècle. Rien n'accuse mieux que ce Discours Tignorance qui sévissait encore sur les meilleurs esprits à reodroit de notre Épopée nationale. Daunou ne va-t-il pas jusqu'à dire : « Le plus cé- « lèbre de nos poètes est Adenès, auteur d*un Âimeride Narbonne en 77,000 « vers. ! ! ! » — u. Vers le même temps, Tltalie prenait soin de recueillir les titres et les dates de tous ses Romans imprimés aux quinzième et seizième sièdei^ dont elle nous avait le plus souvent emprunté le sujet et les héros. Melzî fit paraître, en 1827, la première édition de sa Bibliografia dei romanzi e poemi capoUereschi italiani; il y étudiait en particulier la Schiatta de* Beali et T/n- coronaxione del re Aloysi dont nous avons parlé plus haut. — v. Un bibliographe français, Barrois, était tout naturellement amené de son côté à s'occuper de notre cycle dans sa Bibliotlièque pro^pographique (n° 5, 437, 1306 et 19Q7). — X. Toutefois on ne connaissait encore de nos anciens poèmes que. to^ extnwts donnés par le vieux Catel : quelques vers du Charroi et du Montage, Cesl à un Allemand que rerient l'honneur d'avoir publié le premier texte vraiment consi- dérable de nos Chansons. En 1829, Im. Bekker imprima, dans son Fierabroê provençal, une partie de Girars de Fiant (4,060 versj. C'était rendre à la poésie française du moyen âge le senrice dont elle avait le plus besoin , et désormais le progrès allait se hâter. — y. C'est en 1830 que parut la seconde édition dii livre si souvent cité de Koberstein, où il étudie notamment les sources du Wil' leltalm : Grundrisz der Gesclùchteder Deuttchen National Utteratur (V.la 4* édit. publiée en 1856, p. 217).— x. Nous ne citons que pour mémoire le travail de F.W. Val. Schmidt dans les Wiener Jalirbiicher der Utteratur (XXXLp. 140). Dans son compte-rendu de VHistory oj fiction de Dunlop, le savant allemand résume rapidement l'état de la science sur k vie et la légende de saint Guillaume. 11 n'ajoute rien, d'ailleurs, aux données de Catel et des Bollandistes. — aa. Mais l'attention de la France s'était enfin éveillée sur son Épopée nationale. Un es- prit vif, subtil, profond, un savant qui savait â la fois découvrir et vulgariser, Fauriel, publia, en 1832, dans la Revue tles Deux- A/ondes , le résumé de ses leçons sur V Origine de P Épopée citevaleresque du moyen âge (t. Ml, f et 15 sept., 15 oct. et 15 nov.). Les sixième, septième, huitième et neuvième leçons sont consacrées uniquement i l'Épopée provençale dont Fauriel exagère étrangement retendue et l'importance. Nous avons longuement réfuté ce sys- tème, plus que téméraire, qui donne, sans aucune preuve, la dernière place i la France du Nord et la première i U France du Midi. Mais il faut avouer qu*i part cette erreur capitale, Fauriel a vraiment ressuscité notre vieille poésie morte depuis si longtemps. Il en a retrouvé la véritable physionomie, il en a reconstitué la légende. Son enthousiasme, parfois aveugle, fut cependant de ceux qui font école et laissent des traces vivantes. Par les élèves qu'il a faits, par les adversaires même qu'il s'est suscités, il a été utile à la cause de notre Epopée, et, en particulier, à celle des poèmes qui ont notre Guillaume pour héros. — bb, Dans*un article du Journal des savants de juin 1832 (p. 340), Raynouard, qui défendait la même thèse que Fauriel, ne l'a pas appuyée de NOTICE BIBIJOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. SI massacrer d'autres géants et à écraser joyeusement les " ""• "▼•• "• païens; qui, avec Guillaume^ veiige et fait oublier la meilleurs argiimenU. Il ne parle qu*en passant des Chansons de notre geste et discute» dans le texte d'Orderic Vital, le sens exact des mots cantilenatX relatio auihentica, — ce. Tourné vers Thistoire, et non vers la poésie, Funck publia, en 1832, sa belle biographie de Louis le Pieux où il élucide, d*après les écri- vains arabes, un certain nombre de points restés obscurs dans la vie du fils de Charlenugne. Les invasions des Sarrasins au Midi de la France, la bataille sur rOrbieux et le stége de Barcelone ont été, de sa part, Tobjet de commentaires intelligents et profonds sans lesquels on ne connaîtrait exactement ni Thistoire de cette époque ni les origines de nos Chansons. — dd, La publication des textes poétiques du moyen âge n^en demeurait pas moins la plus utile de toutes les œuvres relatives à notre Épopée. L'Allemagne prit encore une fois Tinitiative, et Lacbmann , en 1833, nous donna son Wolfram von Escftenbaeh, Un texte correct, une savante introduction sur Torigine du fVUlehalm, rendent ce tra- vail mOle fois supérieur à celui de Casperson, et en font ub livre véritablement dasMqne* — ee. Quant à la France, elle en était encore aux discussions, et dans sa Préface de Gar'm U Loherains M. Paulin Paris répondait vertement aux préten- tions trop méridionales de Fauriel (1833). — ff. L*année suivante, il y eut une forte de temps d*arrét : c'est à peine si nous pouvons signaler un passage du livre de rabbé De la Rue {Euai sur les Bardes etjongUurSy II, 98). ^ gg. En tête de son édition du Roman de la Violette (1834) Fr. Michel s'occupait de Girars de Fitwe et décrivait Tun des manuscrits où cette belle Chanson nous a été conservée (B. I. fr. 1374). — Ith, Mais 1* Allemagne ne perdait pas de vue notre légende, et dans son Histoire de la littérature poétique nationale des Allemands dont la pre- mière édition parut en 1835, Gervinus consacrait à juste titre une étude aux sources du Willelialm et à la valeur littéraire de ce poëme sur&it. Son admiration, fort tempérée, s'y révoltait contre la crudité de la scène qui se passe à Laon, loraqu'a- prèt U défaite d'Aliscans, Guillaume vient réclamer le secours de Tempereor Louis et outrage grossièrement l'Impératrice sa sœur ; il y condamne également la cruauté de Guillaume et deRenouart ; il y flétrit, comme dit M. Jonckbloet (1. 1..2 1 1), ■ la singulière morale d'Orable qui renie ses Dieux, son mari et ses enfants pour se jeter dans les bras d'un mari chrétien » (Geschichte derpoetischenNationatUtteraturder Deutschen, 1, 1 32, etc.). Mais enfin Gervinus s'occupe de notre Épopée, il la discutci il lui rend hi vie. — tï. En France, il semblait que Taction de Fauriel fût déjà an- nihilée. Dans ses Monuments de quelques anciens diocèses du BaS'Languedoc ( 1 835), M . Renouvier rencontrait seulement la belle figure du fondateur de Gellone et rétudialt en passant. — Jj\ L'infatigable Mone, dans son Anzeiger de 1830 (t. V, 188), décrivait le précieux manuscrit de Boulogne-sur-Mer et entrait par là plus avant in médias res. Malheureusement, il était aveuglé par son patrio- tisme littéraire et soutenait cette thèse malencontreuse: «Les Chansons fran- çaises ne sont point la source du Wille/talmn (l. l., p. 182). — kk, M. A. Su* bînaly dans ses Mystères inédits du quinzième siècle (1836), analysa le manus-' crit 23 du fonds La Yallière (pp. 31 8-389).--//. C^est en 1 836 que parut Clément le livre de M. Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, où les sources ara- bes sont mises à profit et opposées aux sources françaises. L'invasion de 793^ la bataille de YiHedalgne, la courageuse résistance de Guillaume et la prise de 52 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II PART. UTK. II. défaite d*AUscans " ; qui lutte avec le géant Loquifer — et est transporté par les fées dans l'île d'Avallon, où Barcelone quelques années plus tard, sont élucidées par le savant orientaliste et placées dans leur véritable jour. Les textes faisaient toujours défaut. — mm. M. de Reiffemberg essaya d^entrer dans la voie de cette publication qui devenait de plus en plus nécessaire. En tête de sa Clironlque rimée de Phi- lippe Mousket (1836-1838), il donna des fragments du Couronnement Looyê^ d'jétmeri de Narbonne el de Garin de Montglane; il alla jusqu'à consacrer toute une notice à ce Guillaume dont Philippe Mou«kes avait trop rapidement résumé l'histoire poétique (II, p. 237 et suiv.}. Enfin, il nous fit connaître le précieux manuscrit des Conquestes de Charlemagne par David Aubert, où nous trouvons une rédaction en prose de Glrars de Viane, Ce sont autant de sources que nous devons à cet érudit dont la science était sans doute trop touffue et trop désordonnée, mais qui eut Tintelligence des bons documents et la patience de les publier. — nn. Le Journal général de tinitruction publique^ dans set numéros des 15 mai et 5 août 1838, contenait deux articles de M. Rajaeixl Thomassy sous ce titre : Recherches historiques et littéraires sur la fondation de Saint'GuiUem-du- Désert et le cycle épique de Guillaume au court nez. L'au- teur y prétendait démontrer cette proposition : a Plusieurs saints Guillaume ont formé une seule et même légende pieuse '^ plusieurs Guillaume au court nez ont contribué à former notre geste. » — oo. En 1838-1839, M. Francisque Michel im- prima ses Rapports à M, le ministre de V instruction publique sur les documents de l'histoire et de la littérature de la'Franee qui sont conservés dans les Bibliothèques de l* Angleterre et de C Ecosse, On y trouve la description des trois précieux ma- nuscrits du British Muséum. — pp. Et en même temps, dans un Rapport analogue, M. Ach. Jubinal nous faisait connaître le manuscrit de Berne. — qq. Dans leurs Lateinische Gedichten des X undXUahrhunderts ( 1 838},MM.Grimm et Schroellér comparaient la Chronique de Novalèse au Moniage Guillaume et essayaient de prouver Tidentitc des deux légendes. — rr. Deux aus après, M. Thomassy critiquait dans la Bibliothèque de V École des Chartes {\\, 177} les deux Chartes de fondation de Tabbaye de Saint-Guillem et émettait sur chacune d*elles un avis contraire à celui de Mabillon et des Bollandistes. Suivant lui, la charte authentique était celle où l'on ne trouve aucune mentiou de Tabbaye d'Aniane. Il avait déjà pubh'é la Découverte de l'autel de Saint- Guillaume et V Ancienne Abbaye de Gellone dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France (XIV, p. 222; XV, p. 307). — ss, M. Imm. Bekker, qui avait, onie ans aupa- ravant, imprimé a ces études un si heureux mouvement par la publication du Pierabras et du Girars de Viane, étudia, en 1840, les manuscrits frauco-italiens de la Bibliothèque de Saiut Marc à Veuise, jiarmi lesquels se trouvent un Aliscans et deux Foulques de Candie {Mémoires de C Académie de Berlin), — tt. Mais qu*étaient ces ricliesses de la Bibliothè((ue de Veuise si on les comparait aux trésors de la Bibliothèque du Roi, à Paris? M. Paulin Paris, qui avait montré tant d'esprit d'ini^ative dans la publicatiou de Berle aux grans pies et de Garins li Loherains, résolut de faire enfin connaître tant de preuves encore vivantes de notre vieille gloire littéraire. De là son livre : Les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, où il donna un libre cours à son enthousiasme pour la poésie du moyen âge. Il eut lieu d'y parler longue- NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 58 Morgue le retint longtemps " ; qui se convertit soudain, " **^^ "^' "' se fait moine à Tabbaye Saint-Julien de Brioude, et, — ment du cycle dp Guillaume (III, pp. 11 3-1 73). Sans doute, il est facile à*y re- lever aujourd'hui quelques erreurs ; mais il couviendrait de ne pas oublier que ces cent cinquante pages forment le premier travail complet consacré dirbctk- mHT à notre geste. Nous estimons quV>n n*a pas rendu à M. Paulin Paris toute la justice qu*il mérite. « C*est un travail à la fran^^ise, » dit dédaigneusement L. Qarus, en parlant des Manuscrits de la Bibliothèque du Roi, C*est la pre- mière fois, cependant, que Ton jetait en réalité quelque lumière sur les dlffé* rentes branches de notre geste; qu'on les distinguait nettement Tune de Tau* tre; qu'on spécifiait leur objet. La question entrait vraiment dans une phase nouvelle. — un. En 184 1, San-Marte consacra à l'auteur du Willehalm un long travail où il critiqua sérieusement la Viia sancti fFitlelmi, où il analysa le Willehalm et en donna des extraits, où il jugea rapidement les poèmes d'Ulrich duThuriin et d'Ulrich de Thûrheim {Wolfram von Eschenbach, 2 vol. in-S»). On regrette, d'ailleurs, que San-Marte ait été attiré parle Titurel pliu vivement que par le Willehalm. — vv, jrjr. yy. L'année 1842 fut meilleure pour nos vieux poèmes. Trois répertoires bibliographiques, deux en Allemagne, un en France, mirent le public au courant des principaux travaux auxquels notre geste avait jusque-là donné lieu. Les deux Manuels allemands sont ceux de J.-G.-Th. Gnesse {Die gros» eenSagenkreise des Mittelalters) et de MM. Ideler et Nolte {Gesehichte der Mtfiran» zôsischen national lÀteraiur), L'un et l'autre ont consacré à notre cycle une notice précieuse, quoique incomplète (Grosse, pp. 357*361 ; Ideler et Nolte, pp. 97 et 1 06). Brunet, dans la première édition de son Manuel du libraire, indiquait avec soin les éditions incunables du Guerin de Montglaîve, le seul de nos Romans qui ait reçu les honneurs de l'impression. — zz. Adalbert Keller édita, en 1844, son Romwart^ BeitrOge znr Kunde mitlelalterliclier Diclitung aus italîenischen Bibliotlteken, 11 y donnait de précieux extraits des manuscrits franco-italiens de Venise, et, en particulier, de VAliscans, — Cependant M. Paulin Paris poursui* vait en France son travail sur les Manuscrits de la BibRothhiue du Roi, Dans le tome m il n'avait étudié, en 1840, que le seul manuscrit 6985 : dans le tome VI (1845), il analysait les manuscrits 7186^, 7188, 7190 et 7192$. L'édi- teur de Berte et de Gariri avait seulement le tort d'attribuer une importance exagérée aux origines normandes de nos Chansons. « Sous Philippe !•', dit^l, n les trouvères s'attachèrent aux aventures des Normands conquérants de la « Sicile. » M. Dozy devait pousser à l'excès cette doctrine que nous aurons lieu de réfoter plus loin. — aaa, bbà. La même année, M. Emile de Laveleye faisait pa- raître à Bruxelles son Histoire de la langue et de la littérature provençales, et M. Aug. Leprévost écrivait, au bas de son texte d'Orderic Vital, de courtes et ex- cellentes notes snr l'histoire et la légende de Guillaume. (Éd. de la Société de l'his- toire de France, III, p. 5 et t uiv.) Il disait notamment, au sujet de nos Chansons : « On espère qu'elles seront bientôt publiées par M. Raymond Thomassy. » Cette espérance n'a jamais été réalisée : M. Thomassy, savant ingénieux et critique habile, a éparpillé son intelligence au lieu de la concentrer sur une seule œuvre. — ccc. Fauriel était mort en 1844. Grâce au soin pieux d'un de ses amis, VHistoire de la poésie provençale parut en 1846-1847. On y trouve le dévelop- pement de ces idéct qui avaient été, en 1882, résumées dans la Revue des Deux- 64 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILUUME. Il PART. Lifii. II. après vingt autres exploits, se décide enfin à y mourir ^- en odeur de sainteté **. Mondes, Dans le tome III, trois chapitres entiers sont consacrés à notre geste. L*iilée-mère de Fauriel y éclate en toute liberté : c*est que «'tous ces poëmes « sont d'origine provençale. » Dans le chapitre xv, le critique étudie les Bran' ches du cycle de Guilleuime par rapport tune h t autre; dans le chapitre XXIX» il en expose les éléments historiques; dans le chapitre xxxui, il analyse qu^ ques«uns de nos Romans et en donne des extraits. Partout son esprit vif et pé- nétrant donne à ses idées une animation qui les popularise aisément ; ses expositions sont d'une clarté toute française ; sa sagacité est digne d'un Allemand. Il se trompe d'une façon à la fois sincère et intelligente, et ses erreurs mêmes appellent et provoquent la vérité. Ravi de tant de qualités, un énidit allemand, notre contemporain, a dit de Fauriel « qu'il est le plus savant historien littéraire de la France. » Il y a là quelque exagération. L'historien de la poésie provençale ne connaissait pas toutes nos Chansons; il n'en avait lu qu'un petit nombre. Il s'arrête surtout « à discuter l'introduction du personnage d'Aimeri de Naiboune dans le cycle », et ne résout pas tous les graves problèmes relatifs aux origines historiques des poëmes qui ont Guillaume pour héros. Mais il a donné de la vie à toutes ces questions; il les a si vigoureusement posées, elles ont grâce à lui con- quis tant d'importance qu'il est devenu tout à fait impossible de ne plus s'en pré- occuper après lui. — ddd. D'ailleurs, on ne possédait encore en France que des ex- traits de nos vieux poëmes. Les Allemands avaient publié, republié et commenté leur fFiileAalm, et nous n'avions pas le texte intégral d'une seule de ces Chansons qui avaient été l'original de Wolfram. — eee. En 1850, M. P.Tarbé publia dans sa Collection des poètes de laCftampagne le Roman de Girard de Vianepar Bertrand de Bar'Sur'Aube, Queb que soient lesdéfauts de cette édition, quelque faible et hypothétique que soit V Introduction de M. P. Tarbé, on ne saurait assez le féli- citer d'avoir donné cet exemple. — fff. C'est eu 1852 que parut réellement le travail le plus complet sur la matière : nous voulons parler de cette longue suite de Notices et d'Analyses que M. Paulin Paris a consacrées au cycle de Guil- laume, dans le tome XXII de VUistotre littéraire (pp. 435-551). 'Il parcourt l'une après l'autre les «dix-huit branches » de notre geste depuis Garinde Mont" glane jusqu'à Foulques de Candie; il les résume avec une claire et ingénieuse rapidité; il en explique certaines difGcultés, en cile certains passages et en dresse enfin la bibliographie complète. Il est aisé de critiquer aujourd'hui telle ou telle partie de cet énorme ensemble ; mais il faut ne pas oublier qu'avant M. Paulin Paris, on ne connaissait même pas les titresdej différents poëmes de ce cycle. C'est à lui que revient l'honneur de les avoir groupés méthodiquement ; de leur avoir donné leurs véritables noms, qu'ils ne perdront plus; d en avoir relevé l'importance, d'en avoir indiqué toutes les péripéties, d'en avoir fait valoir toutes les beautés littéraires. Quand L. Clariis prétend que P. Paris a n'a pas, comme « critique, fait beaucoup plus avancer la science que Fauriel », nous le trouvons iiijuste,et affirmons nettement le conti-aire.— ^^^. Cette année 1852 est,d'ailleurs, d'une importance tout exceptionnelle dans l'histoire de noire poésie. C'est alors que M. W. J. A. Jonckbloet publia son Histoire de la Poésie flamande an moyen àge^ où il nous fait connaître, avec une heureuse précision, les imitations flamandes de nos Romans, celle de Nicolas de Harlem, etc. Et il ne craint pas d'ajouter que NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 5& C'est ce Guillaume dont tous les frères jouent un " '*^"' "^- "• si grand rôle dans notre Epopée nationale. Beuves con- la conDausance des poèmes français est absolument Déce&saire pour combler les lacunes des livres flamands (GeschUdenîs dermidden nederlandsehen Dichtiunst, I,pp. 203, 311-332, etc.). — Uth. G*est encore à cette année 1852 qu*il faut rap- porter le travail, peut-être trop surfait, de G. Hoffmann : Ueùer ein Fragment des Guillaume d^ Orange. En réalité, le savant allemand ne s^est occupé que d'une seule de nos Gbansons, et, comme le dit Jonckbloet, « son point de vue est « surtout esthétique, et il ne tient aucun compte des documents historiques ni des « dates. » — m. G'est encore à la même époque que là Revue archéologique ouvrit ses colonnes à une Notice lùstorique et archéologique sur Orange. L'auteur, M. Jules Courtet, essayait en particulier d'établir Tidentité poétique entre notre Guillaume d'Aquitaine et Guillaume l**", comte de Provence. — jjj. Deux ans après (1854), paraissait à La Haye Tœuvre capitale sur Guillaume d*Orange et son cycle. G*est le livre de M. Jonckbloet qui a pour titre : Guillaume (t Orange, Chansone de geste des onzième et douzième siècles, publiées pour la première fois, etc. Dans son premier volume, le professeur de TUniversité de Groningue publie le texte inédit de cinq Ghansons (le Couronnement Looys, le Charroi de Nîmes, la Prise ^Orange, le Covenans Vivien et Aliscans), Dans son second folume, il traiteà fond toutes les questions qui se rapportent à toute notre geste. (Étude sur les travaux de ses prédécesseurs, pp. 1-10. — Résume des Enfances Guillaume, pp. 11-20. — Éléments historiques de la geste; textes sur saint Guillaume, pp. 21-26. — Ermoldus Niger, Ardon,f^//a sancti H^illeimi, Ordenc\ita\, pp.27-40. — Éléments historiques de chacune des Ghansons publiées dans le premier vo- lume, et en particulier A^Miscans, pp. 4 1-59. — Fusion légendaire de Guil- laume de Provence avec Guillaume d'Aquitaine, pp. 60-63. — Éléments histo* riques du Charroi et de la Prise d* Orange, pp. 63-79; du Couronnement Looys, pp. 80-116; du Moniage Guillaume, pp. 117-166. — Date de la composition de ces poèmes et leur caractère traditionnel, pp. 167-187. — Langue et versifi- cation de nos Chansons. — Leurs auteurs, pp. 188-205. — Leur valeur litté- raire, pp. 206-213. — Leurs imitations en Allemagne, p. 214*223. — Manus- crits et variantes, pp. 224-318.) Cette table, qui fidt défaut dans le livre de M. Jonckbloet, donnera peut-être quelque idée de son étendue et de l'intérêt qu*il présente. C'est une oeuvre qui restera ; sur un certain nombre de iiomts, elle est véritablement définitive. Quant aux textes , ils n'offrent pas toute la correction désirable, et l'éditeur n'a malheureusement pas établi celui à*AUs» cans d'après le manuscrit de l'Arsenal, qu'il se plait d'ailleurs à proclamer le meilleur et le plus ancien. -7- Quoi qu'il en soit, nos plus antiques Chansons, les cinq poèmes qui forment le véritable centre de notre geste, étaient enfin publiés. Le livre de Jonckbloet et le tome XXII de V Histoire littéraire sont, d'ailleurs, les deux faits que nous voudrions faire ressortir le plus vivement dans cette Biblio- graphie déjà trop longue de la geste de Guillaume au Court Nez. Ils ont été les plus influents : il est devenu moins méritoire, après P. Paris et Jonckbloet, d'entre- prendre un travail sur ce cycle. — kkk. En 1857, on lut dans les Annales de la Société archéologique de Montpellier (IV, 381) une Notice sur l'autel de Saint- Guillem-du'Désert signée de M. Le RicquedeMonchy. — UL M. Sachs ne fit pas progresser la scieuce dans ses Beitràgen zur Kunde derfranzosischen,englisehen 56 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUIIXAUME. II PABT. UTBE CHAP jTiB II. quiert la fameuse cité de Barbastre, dans laquelle il est à son tour formidablement assiégé, tandis que son fils und proçenzaHscfiêu Vteratur aus franzôtUcIten und englUchen Blbliothêkem (BerÛn» 1857), et il est regrettable que cet excellent TuIgariMteur, M. Simrock, n*ait pat, deux ans auparavant, donné place à la légende de Guillaume dans ion Kerlînghche HeUenbueh, — mmm, La première des Biographies bénédie» tines de dom Menault (1860) est consacrée à « saint GuiUiem, fondateur et moine de Gellone, » et le Bénédictin de Solesmes y étudie notamment saint Guillaume « comme héros de notre poésie. » — nnm. Dans ses Reckenhes sur t histoire et la littérature de l'Espagne pendant le moyen dge (2* édition, 1860), M. Doiy essaya d*entourer de preuves cette idée fondamentale « qu*un certain «nombre de nos Chansons sont d*origine normande. »Quant au Siège de Barbastre^ il nous paraît difficile de contester la thèse de M. Dozy, qu'il appuie sur le texte de l'historien cordouan Ibn-Haiyàn. Mais là s*arrétent nos concessions, et nous nurons l'occasion de combattre longuement les prétendues origines normandes du Couronnement Looys (Dozy, 1. I., Il, 37 1, et Appendices, xail et sunr.) ; du Charroi de Nimes ( p. XCVl) et à*Aimeri de Narbonne ( p. XCTIll). — ooo, La même année, parut à Christiania un texte critique de la Karlamagnus Saga dont la neuvième branche est consacrée à Guillaume ( p. 532). L'éditeur était M. C.-R.Unger.— /y/y. M. P.Tarbé, vers le même temps, pidiliait dans sa Collection le Roman de Foulques de Candie par Herbert Leduc de Dammartin, Mais ce n'é- taient que des fragments d'un poème mutilé et non pas la Chanson dans sa pré» cieuse intégrité , telle enfin que M. Michelant la doit publier prochainement d'après le manuscrit de Boulogne pour le Recueil des anciens poètes de la France, — tpiq, M. de Puymaigre traduisit pour nous deux romances espagnols sur le comté BeUÎmenique (Aimeri de Narbonne) et résuma le Mala ta visteis^ Franceses, {Les Vieux Auteurs castillans, 1862, t. II, pp. 350, '351 et 323.) Or ce sont là les uniques traces que notre geste ait laissées dans la littérature espagnole. — rrr. Dans la Bibliothèque de C École des chartes (nov.-déc. 1863, et sept-oct. 1864), M. Gaston Paris analysa en critique expert toutes les branches de la Karlamagnus Saga tX notamment la neuvième, que nous avons pris soin de résu- mer plus haut. — sss. Mais ce travail de M. Gaston Paris n'était en quelque sorte qu'une préparation à son grand livre, à cette Histoire poétique de Charlemagne que nous avons déjà louée plus d'une fois. Il est vrai que,sur TÉpopée provençale, nous différons complètement de sentiment avec lui ; mais, sur cette question * même, nous rendons pleinement justice à la (lénétration de sou sens critique, à la vigueur originale de son argumentation. D'ailleurs il n'a que rarement abordé l'étude de notre geste, qui ne se rapportait pas exactement à son sujet. — ttt. La même année, Guillaume Volk publiait à Munster, sous le pseudonyme de LndwigClarus, son beau livre : Herzog fFil/telm von Aquitanien, ein Grosser der JFelt, ein Heiliger der Kirche und ein Held der Sage und Dicluung, C'est, sinon le plus original et le plus profond, du moins le plus complet sur la question. Comme son titre l'indique, il est divisé en trois parties : « I. Un Grand du a monde. II. Un Saint de l'Eglise. III. Un Héros de la légende et de la poésie. » Dans la première partie, Clarus résume, avec un rare talent de vulgarisateur^ toute l'histoire de Guillaume. Il s'assimile les textes d'ErmoIdus Niger, de l'Astronome limousin ; etc. 11 les fait revivre, il les rend siens. Non content de NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 57 Gérard et la belle Malatrie rappellent par leurs amours " ^^^^' "^■- "• CHAP I ceux de Baudouin et de Sébille dans la Chanson des '• — ces sources, il remonte avec Fuuck aiix sources arabes. On ne peut guère lirî reprocher que d*accorder une confiance trop absolue a la f^ita et à Orderic Vital. La ^ita, notamment, que Térudit allemand vieillirait volontiers, nVst à nos yeux que le remaniement d'un document antérieur, et contient des éléments presque fabuleux. Dans sa seconde partie, Tauteur de Herzog WWielm von Aqtùtanien met en lumière Ardon et la Fiia, Dans la troisième, il étudie lon- guement les Chansons de notre cycle, en démêle les éléments historiques, en précise hi valeur et la date. Puis, il les analyse longuement, mais d*après des ou- vrages de seconde main, et non d*après les manuscrits qu*il n'a pas vus. Il est Irès-explidte au sujet du Willehalm et de ses continuations. Comme ou le voit, son plan est des plus heureux et des plus clairs : tout y rentre, tout y est à sa place. On demanderait à Fauteur une critique plus originale et plus serrée; mais son livre mérite d'être consulté après ceux de Jonckblœt et de Paulin Paris. Faut-il ajouter qu'il est écri» au point de vue le plus religieux ? il est le résul- tat d'un vœu de son auteur, et la Préface se termine par ces mots : « Sancte Guil- lelme,ora pro nobis.»— ^ uuu. DaussàChresiomathie française (t86C), Bartsch a fait entrer un fragment à'Àliscans : « Or fut Guillaume sus el tertre mon- tei,etc.i» (col. 61-70}. — »vv. Enfin, M. Jonckblœt, cehii qui a le mieux mérité de tous ceux qui étudient ce cycle national et religieux, a mis le comble à sa légitime réputation , en publiant tout récemment une traduction en français moderne de sept de nos Chansons : les Enfances, le Couronnement, le Charroi, la Prise Jt Orange^ le Covenans Vivien^ Aliscans et le Montage Guillaume, (Gui/taume éf Orange, le Marquis au Court Nez^ Chanson de geste du douzième siècle mise en nouveau langage par le D' W. J. A. Jonckblœt. Amsterdam et la Haye, dé- cembre 1867.) C'est de la bonne vulgarisation. — Au momeut où nous écrivons ceslignet,d'autres œuvres sont en préparation ; MM.Guessard et An.de Montaiglon s'apprêtent à publier leur édition à' Aliscans, où ils ont reproduit fidèlement le texte du manuscrit de l'Arsenal.qu'ils accompagneront d'une longue Introduction et d'un Sommaire très-détaillé. Dans le même Recueil des anciens poètes de la France entrera prochainement le Foulques de Candie publié par M. Miche* hmt, etc., etc. $17, Yalkub uttérairb des cuahsons qui composbkt la gestb de guillaumb. Rien n'est moins absolu , rien u'est plus variable que cette valeur litté- raire de nos poèmes. Parmi ces vingt-trois Chansons, il en est qui représentent rère de la poésie primitive, simple, naïve, parfois même brutale, sans art, sans ticgance, sans apprêt, reflet exact de la société féodale aux onzième et douzième siècles. Teb sont le Couronnement Looys, le Charioi de Nîmes, le Covenans rivien, Aliscam (bien que nous n'en possédions pas le texte primitif) et le Montage Guillaume, A ces poèmes il faut joindre certaines parties de quelques autres Chansons dont l'ensemble est loin d'être aussi primitif, certains épisodes de Girars de Viane, le magnifique début d'Aiméri de Narbonne et même le commencement de la Mort d'Aiméri, quoique bien plus moderne. Ces textes forment en quelque sorte un premier groupe qui mérite de fixer longtemps 68 INTRODLCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II PART CUAP BT. uvB. II. Saisnes'^'. Guibert épouse la belle Augalete et se rend «UAP* I. 4 o maître de la cité d'Andrenas * ; Aimer lutte contre le notre attention. Rien n'est factice dans ces poëmes ou dans ces fragmenls de poëmes. Et , - chose remarquable, - ce sont précisément ces Chansons qui reposent sur les traditions les plus historiques, en sorte que la Vérité, ici comme partout, a donné naissance à la Deauté. La convention, la formule, n'ont pas en- core pénétré trop profondément dans ces véritables épopées, qui sont sanglantes et où ridée de la guerre tient la prenîère pUee. Mais, séduits par le succès de ces beaux poëmes, d'autres trouvères sont bientôt veuusquiont tiré de leur propre fonds, imaginé, inventé de nouveaux épisodes et de nouveaux héros. Ils ont d'ailleurs imité, avec une servilité souvent heureuse, les Chansons de leurs pré- décesseurs, ou les ont simplement remaniées. De là un second groupe composé des Enfancis Guillaume et de la Prise d'Orange (telles que nous les possédons aujourd'hui), de la Bataille Loquifer^ du Montage Renoart^ des Enfances Vi- vien dont le commencement est encore traditionnel, de certaines parties de Girars de fiane, etc. Dans la plupart de ces poëmes, l'ancienne bi'utalité s'est adoucie ; la magie et les mythes antiques ont pénétré dans cette poésie, si bien fermée jadis à leur déplorable influence ; la femme y Jbue un rôle plus actif et moins noble; les éléments historiques s'atténuent au point de disparaître à peu près complètement ; tout est moins héroïque, moins simple, moins grand. Mais, dans un troisième groupe de Romans, l'élégance, ou, mieux encore, la formule semble définitivement triompher. 11 n'y a plus guère , dans ces œuvres de la décadence, que des lieux communs épiques développés avec plus ou moins de clarté et de talent. Telles sont ces pauvretés poétiques, sans élan,sans verve, sans foi,qui s'appellent la Prise de Cordres, le Siège de Narbonnej Fotdques de Candie^ le Siège de Barbastre ; telles sont ces œuvres plus médiocres encore. Renier^ Guibers d* Andrenas, Ou peut regarder quelques-unes de ces Chansons sans originalité comme une sorte d*exercice de rhétorique à l'usage des trouvères qui débutaient. Un pas, encore un pas, et nous tomberons dans une décadence irrémédiable : Garin de Montglane n'i st qu'un roman de la Table Ronde qui a toutes les qualités et tous les défauts des poëmes d'aventures. Les fragments que nous avons retrouvés de Renier de Gennes et A'Hernaut de Beaulande ne nous font pas regretter la perte de ces Romans, œuvres du quatorzième siècle, écrites avec le style de Girard d'A- miens et dignes de ce versificateur de dernier ordre. La formule s'épanouit par- tout; elle triomphe et règne. Les mœurs se sont, d'ailleurs, étrangement tempé- rées ; le sang coule encore, mais d'une façon toute conventionnelle, et on ne le répand guère que par acquit de conscience; le lieu commun fait désormais tout le tissu de ces romans, qui ne méritent plus le nom de chansons. On ne descendra plus bas qu'au quinzième siècle, alors qu'un poète inconnu écrira les Enfances Garin, poème digne d'être signé par un hérault d'armes, où les toumois et les amoui-eltes abondent, dernière imitation d'uue littérature qni avait fait son temps ; œuvre morte. Comme on le voit, il faut se défier également de ceux qui admirent trop absolument les Chansons de notre geste, et de ceux qui leur refusent toute admiration. Ce serait rendre un véritable service que de publier, dans une Chrestumathie épique^ les plus beaux de ces poëmes et les plus remarquables extraits de tous les autres. Une publication aussi populaire, dans laquelle on devrait placer une bonne traduction en regard d'un NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 50 roi Butor, qui doit être plus tard vaincu et tué par " pa»^. livb. u. Guibert. Tous ces frères ensemble s'emparent de Cor- texte encore trop peu compris, donnerait aux esprits les plus prévenus une solide estime pour notre Épopée nationale. En dehors de ces chants d*Homère qui ont pour eux la perfection d'une langue et d*un style incomparables, on n'a peut-être rien écrit de plus saisissant, de plus naturel, de plus beau que les deux débuts du Couronnement et du Charroi ^ que le Coveaaru Vivien presque tout, entier et la première partie à^Miseam. Mais il faut ajouter, pour être juste, qu*on n*a rien écrit de plus loag ni de plus ennuyeux que le Siège de Barhasire et Garin de Montglane, Nos analyses de ces poëmes mettront le leo- tcur à même de contrôler ce jugemei^. II. ÉLÉMENTS HISTORIQUES DE LA GESTE DE GUILLAUME. S 1. On peut scientifiquement établir les propositions suivantes : 1** Guil" laume naquit vers le mUieu du huitième siècle^ dans la France du Nord, de pa- renii illustres [TiModoric et jéldane), qui appartenaient très- probablement à la fttmiUe royale. Présenté à CUarlemagne, dès le commencement de son règne^ il tint une grande place près du roi des Frtuiks et fut au nombre de ses ffrinei- paux conseillers et de ses meilleurs soldats, Mais^ antérieurement à Vannée 790, on ne sait rien de certain sur sa vie. — 2^ En 790, Guillaume fut ttommé par Charles due de Septimanie^ de Toulouse ou d^ Aquitaine en remplacement de Corso, qui s'était laissé battre par Adalric, fUs du duc Lupue. Le nouveau représentant du roi des Franks fit rentrer les Gascons dans C ordre et rétablit la paix dans cette partie du royaume. Il était cltargé d'en faire un boulevard inexpugnable contre les invasions des Sarrasins. — Z« Le fait le plus glo' rieux de la vie de Guillaume se rapporte à Cannée 793. Hescham, successeur d'Aid-al'Ralunatt U, avait proclamé TAlgibad, ou guerre sainte, et réuni cent mille luMunes qu'il divisa en deux corps d'armée. L'un marcha contre lee Chrétiens des Asturies ; l'autre envahit la France, arriva /tuqu'à Narbonne et en brûla les faubourgs, Guillaume alla au-devant des envahisseurs, les ren- contra près de la rivière d'Orbieux, à Villedaigne, leur livra bataille, fut vaincu malgré des prodiges de valeur, mais força par cette résistance les Sarrasins à repasser en Espagne, On peut dire qu*à Villedaigne il sauva la France, iout aussi bien que Clutrles Martel l'avait sauvée à Poitiers. — 4<* Guillaume prit la plus large part à la prise de Barcelone par les armées de Louis, roi d'Aquitaine (en 80 1 suivant certains historiens^ en 803 suivant les autres), — &" Parvenu au comble des honneurs et de la gloire, Guillaume, après avoir fondé en 804 le monastère de Gellone, voulut s'y retirer lui-même en 806 {le 119 juin). Il était surtout attiré à la vie monastique par C exemple de son ami, saint Benoit tCAniane, Il donna h Gellone l'exemple de toutes les vertus, et y mourut en odeur de sainteté le 28 mai 812. S 2. Tels sont , si l'on peut aiusi parler, les cinq principaux actes de la vie si dramatique de saint Guillaume. Tous ces faits sont aujourd'hui entourés des preuves les plus solides et empruntés aux sources suivantes, que nous allons énumérer dans l'ordre de leur importance : 1^ Éginhard, qui raconte très-som- mairement l'mvasion de 793 {4nnales, ann. 793) et le siège de Barcelone. (/^iV/., ann. 797 et 801.) — 2* L'Astronome limousin, qui est le seul à nous 60 INTRODUGTIOiN A LA GESTE DE GUILLAUME. tl PART, CRAP . LiYB. II. dres, de Séville et de presque toute l'Espagne' ; puis, — ils perdent leur vieux père Aimeri, âgé de plus de fournir les pliis précieux détails sur Taffaire du comte Corso (Pertz, II, 609) et qui s*étend plus longuement encore sur le siège de Barcelonne. {Ihid,, 612, 613.) — 3* Ermoldus Niger, qui a consacré tout le premier livre de son poème au récit détaillé de ce siège si long et si décisif, et qui donne sans hésiter le premier rang à notre héros. (Pertz, U, 409, 470, 474, 47C.) — 4» La Fita sancti BeneJîeti jlnianensts par Ardon, contemporain de saint Guillaume qu'il avait vu dé ses yeux, à Gellone, dans Texercice de toutes les vertus monastiqut*s. Le sixième cha* pitre de cette précieuse biographie, qui fut écrite vers 822, a pour unique objet la convenions la vie sainte et la mort de Guillaume. {Acla sanctorum maii^ YI, 800.) — 5» La Vita sancti WiUelmiy document de premier ordre malgré de graves imperfections, mais sur Tàge duquel les critiques ne sont pas d*accord. — a. Un certain nombre d'entre eux (les Bollandistes, Jonckbloet) le placent au onzième siècle; M. Reinaud {Invasions des Sarrasins, p. 107) ; Fauriel {Histoire de la poésie provençale, II, 408), M. Paulin Paris {Manuscrits fronçai s ^Wl^ 122, et Histoire littéraire, Wllffifi. 43C, 470), et surtout L. Ctarus, paraissent assez disposés à le regarder comme plus ancien. Tout au contraire, dans un article de la Hevue archéologique (1852, p. 33C), M. J. Courtet considère ce texte comme postérieur au onzième siècle. Ce qu'il y à de certain, c'est qu'au moment où écrivait Orderic Vital, c'est-à-dire au commencement du douzième siècle, cette vie, qu'il abrège en la qualifiant de relatio auihentica, était KON« 8BCLRMENT CONNUK, MAIS CÊL^BBE ET PBESQDB POPCLAIBB.— h, Jonckbloet regarde la Fiia comme postérieure à l'année 1076, parce que, dans les JUiracula sancti fFillelmi, il est question d'un autel de saint Guillaume et que l'histoire nous |>arle d'une consécration d'autel en 1076. Mais, pour que cet argument fût va- lable, il faudrait, eu premier lieu (comme Clarus l'a observé avant nous), que cet autel eiU été le premier cousacré en l'honneur de notre héros ; et, en second lieu, que les JUiractda fussent l'œuvre du même auteur que la F'i:a : ce qui n'est pas encore démontré. — c. La Fita sancti Willelmi est une œuvre toute monastique. Le premier chapitre , qui est employé à cclél^rer la gloire militaire de Guil* laume, est d'une étonnante faiblesse et trahit à tout instant l'ignorance d'un moine qui ne se tient pas au courant des événements militaires et po- litiques de son temps. Le pieux biographe, qui a entendu sans doute certains chants populaires dont Guillaume était le héros, leur a naïvement emprunté le récit apocryphe de la prise d'Orange et le nom du prince sarrasin dont notre héros eut à triompher, pée. Dès qu'il arrive à la conver- sion de Guillaume, il devient plus exact, et surtout plus circonstancié. Il est évident qu'il travaillait dès lors sur les traditions du couvent, soit orales, soit écrites, et ce dernier cas est le plus probable. Cette seconde partie ( cap. II, ni, IV) doit nous inspirer par là plus de confiance. — eu après 1141, avait entendu raconter la vie de saint Guillaume par Gerold, clerc de la chapelle de Guillaume le Conquérant, qui aimait ces récits. Il avait eu à sa disposition la Fita^ et Ta qualifiée dans son Histoire ecclésiastique de rklatio autuertica quœ a reli» giosis Joctoribiu solerter est édita ci a studiosis lecloribus lecta est in commutii pairum audieuiia. C'est ce document qu'il oppose avec dédain aux poèmes qui « vulgo eanunltir de GuiUelmo a jocuiatoriùtts, » Le récit d'Orderic Vital est un résumé intelligent de la Fi ta dont le moine normand a retiré avec soin tous les discours et les ornements inutiles. 11 est probable que, par sa nature même, le résumé d'Orderic doit ressembler à cette antique biographie dont nous jiarlions tout il l'heure et dont la Fita est une amplification. — T^-l !<> A la suite de ces documents de premier ordre, on ue doit pas omettre de citer, sur les principaux faits de la vie de Guillaume, la Chronique de Moissac (D. Bouquet, V, 74), les Annales saxonnes {Iùid.,\\, 218), les Annales EinsidUnses (Pertz, V, 139), le Chronicon brève Sancti Galti (D. Bouquet, V, 3G0), les Annales Sangallcnses ma' /0rei,Hepidannus monachus (Pertz,I,7 5). — 1 2'» Une autre soureequ'on ne négligera point est la Charte de fondation de Gel loue. Les Bollandistes {Actass.maii^WfiX^i), et les Bénédictins {^Acta ss, ord. S, Bénédictin V, pp. 88, 89), nous en ont, les uns et les autres, fourni deux textes difTérents; l'un du 15 décembre 804, où il est question de la soumission de l'abbaye de Gellone a celle d'Aniane ; l'autre du 14 décembre, où le nom d'Aniane n'est même pas prononcé. M. R. Thomassy, auteur d'une Dissertation sur ces deux chartes ( Bibliothèque de t Ecole des chartes^ II, 77),n'hésite pas à conclure, comme nous l'avons dit, que la première est fausse de tout point, et que la deuxième e^t la vraie. Nous nous rangeons volontiers à son avis, que nous avons voulu approfondir, et renvoyons nos lec- teurs à sa Dissertation, qu'il ne serait pas opportun de reproduire ici. — 13^ De cet acte de fondation on rapprochera avec fruit le Diplôme de Louis le Dé- bonnaire, confu-mant les donations faites par Guillaume et y ajoutant d'autres bienfaits (28 décembre 809) : il a été publié par les Bollandistes (1. 1., p. 81 1). — \K^ Enfin nous possédons sur notre Guillaume le témoignage de quelques ▼ieux Martyrologes, Ce mot « vieux » est bien vague, et nous avons le regret de remprunter aux Bollandistes et aux Bénédictins, qui ne datent pas souvent 62 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILUUME. II PART CHAP . LiiR. II. après avoir été (ô déshonneur!) prisonnier des Sar- — rasins , a trouvé la mort dans une guerre contre les ces documents précieux d'une feçon plus précise. L'un de ces Martyroioges est de Brioude, l'autre de Gellone. Nous n'avons pu à citer ici VHistoria mtraculorum publiée par les Bollandistes (I. I., p. 812), ni VHistoria eUvati tran statique COI porît (1. I., p. 81 6), ni ;deux Hymnes sur notre saint: Tune publiée par lf*s auteurs des ^eta sanctorum(\, 1., p. 816); l'autre du dixîènte siècle, dont un fragment se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque de Montpellier (n« 6 du nouveau Catalogue). Et telles sont les sources authentiques de la vie de saint Guillaume de Gellone. Tout bien considéré, les texteé histo- riques et, en particulier, ceux des contemporains ne sont pas aussi nombreux ni aussi considérables qu'on aurait pu s'y attendre au sujet d'un personnage qui a joué un rôle si important. Eginhard ne nomme pas notre Guillaume ; l'Astro- nome limousin ne parle de lui que deux fois, etc. Mais la raison de ce silence est assez facile à trouver : c'est que (suivant la très-judicieuse observation de L. Clams), « toutes les personnalités se sont en ce temps-là effacées devant celle « de Charlemagne v $3.11 nous reste k reprendre en détail chacune des propositions scienti* fiques que nous avons énoncées plus haut et à les entourer de leurs preuves. — La première (naissance de Guillaume au nord de la France, illustration de sa famille, sa présentation à Charlemagne, ses services antérieurs à l'année 700) est prouvée par les sept textes suivants : 1» «In nomine Domini. Ego Wil- lelmus, gratia Dei comes, recognoscens fragilitatis mes casus humanse, iddrco facinora mea minuenda, vel de parentibus meis qui defuncti sunt, id est genitore meo Theuderico et génitrice mea Aldaiia^ et fratribus meisTheudoîno et Adalelmo, et sororibus meis Albana et Bertana, et liliabus meis et filiis Pamardo, Witcha rio, Gotcelmo, Helimbruch, et uxoribus meis Cunegunde et Guitburge, et nepote meo Bertranno, pro nobis omnibus superius nomiiiatis, dono ad monasterium quod dicitur Gellonis... res meas quse sunt in pago Ludovense.... » (Charte de donation, du 14 décembre 804.) — 2« k Petente domno Guillelmo monacho qui in aida grnitoris nos tri Karoli Jugttsti comes rxiitit elarissimus.,, » (Diplôme de Loub le Pieux, en date du 28 décembre 809, Mta sanetorum Mait^, 811). — 3**» [Theodoricus] propinquus régis.. .»(Eginhard,y//i/ia/tfj,aon.782). — 4»<( [Ber^ nardiis, filius WillelmiJ erat de stirpe regali et domini Imperatoris ex sacro fonte baptismatisfilius. « (Thegan, Pertz, II, 597).— 5« « Et quoniam nobitibus natalibus ortusy nobiliorem se ficri, Christi amplectendopauperiem[Willelmus] studuit.... Wilielmus comes qui in aida Imperatoris prie citnetis clarior erat, tanto dilec- tionis affecta B. Benedicto deinceps adhœsit ut, srctdi dignitatibus despectis huocducem vit ne salutaris eligeret...» {Fitasancii Benedicù Anianensis^ auctore Ardone, cap. VI, Jeta sanetorum àiaiif\l,S(Hi), — 6» « Qn» régna, et qtrn pro» vineiêtf quse génies, qitse urbes JVillelmi dntis potenliam non toquuntur, virtii- tem animi, corporis vires, gloriosw heUl studio et frequeniia triumphos»,,, qualis et quantus fuit; quam giorkue 9sA CmroU glorioso militavit; quam fortiter quamque victoriose barbarot doiauit et expugnavit ; quanta ab eîs per- tulit, quanta intnlit, ac demum, de cnnetisregni Rmeorum finibuscrebro victos et refugas, perturbavit etexpulit. H2Ecenini.omnia cum adhuc ubique pêne terrarum notiirimahabeantur, etc. » {ykmttmcti f^illeimi, Prologus, Acta NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 63 Sagittaires '. Et c'est à Guillaume que se rattachent n pam. u?». n, CIIAP* la encore les exploits de Foulques, son neveu, qui conquit — tontm Matif VI, p. 801). « Inclitw laudis ae perennis memonte Pippini régis tempore, ntUiu est B. Willelmus de prieclara Prancorum progenie, ex pâtre videilcet nobili magtioifue consule Theodorico nomine ; ciijtts mater etque genr- rosa et fiobilissima comiiissa dicta estjildana : ambo qttidem DK flUMMIS FBANCIiC PBCfamus, consules ex consuùbus^ vita quoque et moribiis placentes D<>o et hominibiis Deinde, cum jam Pippinus Rex ex Une luce migraiset^ etJUîus ejus CaroiiUf qui dictus est Magnus, in ihrono regni resedisêet, inctitus adoles" cens eommendatiu est et a parentibus ut Régi semper adsiaret Igitiir Wil- lelmuSy commendatus a pâtre, stat ante Begis conspectum , suscipit nomen GOosalis et consulaCum, in rébus bellicis primae cobortis sortitur principatum, regiis principaliter adhibetur cousiliis, tractât strenue cum rege de regni nego- tiis, de militia et armis ; Gt pater patriae, reipublicae defensor, pro pace vigilat, in bellis laborat, fovet cives, hostes expugnat....» {ïbid., p. 801.) « Interea causa exstitit ut ipse [Willelmus] Carolo valde necessarius Franciam accitiis expeterct, et, post multam temporis, NaTALK SOLDM patriique consulatus, immo siii, lierc • ditatem reviseret. » (Ibid. , p. 804 .) — 7» « Tempore Pippini régis Francorum, Wil- lelmus ex pâtre Theoderico consule et matre Aldana natus est. In iufatitia lil- leris imbutus est, et sub Carolo Magno militia; mancipatus est. Nomen consulis et consnlatum, et in rébus bellicis prims cobortis sortitur princi|)atum. Deinde a Carolo dux Aquitaniie constltuitur... « (Orderici Vital is Historia ecclesiastica, lib. Vly éd. de la Société de THistoire de France, III, G.) La seconde proposition, relative k Télection de Guillaume comme duc de Tou- lome et à sa victoire sur les Vascons, n*est prouvée que par un seul texte histo- rkfue» mais il est d'une grande valeur : c'est celui de l'Astronome limousin. « Ea tempestate Chorso, dux Tholosanus, dolo cujusdam Wasconis, Adhelerici nomine, circumventus est et sacramentorum vinculis obstrictus, sicque demum ab eo absolutus. Sed bujus ncvi ulciscendi gratia, rex Hludovicus et proceres, quorum consilio res pulilica Aquitanici ammiuistrabatur regni, conventum ' generalem constituerunt in loco Septimani» cujus vocabulum est Mons Gotho- nun. Accitus autem isdem Wasco, conscius facti sui, venire distulit, donec obsidam interpositione fretus tandem occurrit. Sed eorumdem obsidum peri- cnlo nichil passus, insuper muneribus donalus, nostros reddidit, suos recepit, et ita recessit i€state vero subséquente, jiissu patris, Hludowicus rex Worma- tiam simpUciter, non expeditionaliter venit, et cum eo in htbemis perstitit. Ubi jam dictus Adhelericus ante reges dicere causam jussus atque auditus, pur- gare objecta volens, sed non valens, proscriptus atque irrevocabili est exilio de- portatos. Cborsone porro a ducatu submoto Tolosano, ob cujus incuriam tantum dedecos régi et Francis acdderat, Willelmus pro eo subrogattu est qui Wasco- num nationem, ut sunt natura levé», propter eventum supradictum valde elatos, et propter muictationem Adbofeeriei nilhia rtpfterit efleratos. Quos tamen, tam astu quam viribus brevi sub^it iWqne paeem imposnit nationi, Rex vero Hlu- dovicus eodem anno Tholosie ^Uettitai generaie* habuit, ibique consistente, AbutaurusSarracenonini4ux.eam rdicjuis regno Aqiiitanico conlimitantibus ad eiim mintioa misit, pacem petens et doua regîa mittens. Qu« secandum volunta* tem régis accepta, nuntii ad p^pria iubI reversi. » (Pertz, II, 600.) G4 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILUUME. II PART CnAP . LivR. II. Caudie et convertit Anfelise; c'est lui qui entreprend — avec sa famille et qui dirige réellement la conquête 1* La troisième proposition se rapporte à TinTasion des Sarrasins en France et à la fameuse bataille de Villedaigne, sur TOrbieux (793). Elle est prcavée par les textes que nous allons faire passer sous les yeux de nos lecteurs; nous renToyons volontiers au livre de M. Reinaud ceux qui seraient curieux de connaître les sources arabes. (Invasions des Sarrasins en France, pp. 98-103.) 1* « Sarraceni Septimaniam ingressi prœlioque cum illius limitiscustodibusatque comitibuscon* sertOy multis FraucoruminterfectiSyad sua regressi sunt. » (E^^ahàrd , jitinaées, ann.7 93.) — 2^ a. Sarraceni venientes Narbonam,suburbium ejus ignesuccenderunt multosque cliristianos, ac, praeda magna capta» ad urbem Carcassonam pergere to- lenteSy o^i^ioiii exîil JVilielmus quondam cornes aliique comités Prancorum cum 90, commiscrunique pralium super fluvium Otiveio, Ingravatumque est prœlium ni- mis, ceciditque maxima pars in illa die ex jMpulo christiano. JVilUlmus auiem pugnavit fortiter in die illa, Videns autem quod sufferre eos non posset» quia socii ejus dimiserunt eum fugieotes, divertit ab eis. Sarraceni vero, collectis spoliis, reversi sunt in Hispaniam. » (jinnales Moissacences^ axm. 793; His' toriens de France, V, 74 .) — 3»' « Willelmus pugnavit cum Sarracenis ad Narho- nom, et perdidit ibi multos liomines, et occidit unum regem cum multitudiue Sarracenorum. » {Chronicon brève Sancti Gaili, Hist. de France, V, 360. — Annates Einsidlenses, ann. 793, Pertz, V, 139. — Hepidannus monachus. Annales, aqn. 793.) — 4" « Prœlium factum est inter Sarraceuos et Francos in Gothia, in qua Sarraceni superioresexstiterunt.w(/^/i/ia/0//^ii/is ita fatur amicis, — Amplectensfamu" « lum, oseula datque capit .* — « Gratia nostra tibi, Caroli fit gratia patris, « Dox bone, pro meritis sempef habebis bonos.... — Tesior qtnimque caput. » (Hum*ris fartasse reeumbens ~ WilUlmi eomîtis^ hsm ftufue dicta da- hai), etc., etc. « La guerre commence, le siège ont WÊ$ JBiinil Dmitlmii, ni. .5 66 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II PAIT GHAP. . uf M u. c'est à lui qu'il faut rapporter aussi les conquêtes de "^ ce petit-fils de Renoart, de ce Renier qui passa une une bataille se lin« sous les murs de cette ville païenue : « Tum ▼arii Tariot demittunt fuueris Orco, — W'Uhelm Habirudar, at Uuthardus Uriz.... » Un Maure se montre alors au haut des murs, et crie aux Franks : « France, quîd m insanis, cur mania nostra lacessis ? — Hbc urbis non poterit ingeniose capL — « Nobif esta satis, cames, seu mellea dona — Urbe manent. Vobis est quoque dira « fiunes. » — Reddidit contra rerbis contraria rerba — fFilhelm; dedignans talia Toce tulit : — « Goncipe, Maure , precor , haud mollia dicta superbe» « — Nec pladtura tibi veraque credo satis. — Cemis equum maculis variisque « coloribus aptum, — Quo vehor, întendens mœnia vestra procul. -— 'Ante « equidem nostris indignis morsibus escis — Occidet , et nostro dente teren« « dus erit, — Vestra Tetata nimis quam mœnia nostra catenra — Deserat : « haut unquam prœlia cœpta cadent.... » Et quand Zadon est fait prisonnier, quand le roi Louis désire que ce yaincu parle lui-même aux assiégés et leur ordonne de se rendre, c*est encore Guillaume qui est chargé de cette mission difficile : « Fac, fTUielme, suos possit quo cemere muros — Et jubeat nobis « pandere claustra celer. » Zadon est forcé d*obéir: « Ouvrez, ouvrez la ville aux « Franks» » crie-t-il aux siens. Mais, avec ses doigts, il leur fait en même temps certains signes qui veulent dire : « Ne vous rendez pu. » Par bonheur pour les chrétiens, Guillaume s'aper^it du stratagème : « Hoc vero agnoscens WilUlmus concitus illum — Percussit pugno, non simulanter agens. — Den* tibus infrendens, versât sub pectore curas» — Miratur Maurum sed magis inge» nium : — « Gredito» ni quoque [régis amorque timorque vetaret, — H«c tibi» « Zado, dies ultima sorte foret....» Puis, Barcelone tombe au pouvoir des Franks et le poète passe sous silence les faits et gestes de Guillaume durant la fin de cette guerre. {Rrmoldi Mgeili liber /, Pertz, U, 469, 470, 474» 476.) Nous n'avons pas hésité k citer, et k dter longuement, tous les passages d^Ermoldus Niger qui concernent notre héros. Deux moti£i nous y ont puissamment engagé : tout d'a- bord, aucun historien n*a &it la part plus belle au duc d'Aquitaine, qui, véri« tablement, tient partout dans ce poème le premier rôle après le Roi. Puis, les développements poétiques d*Ennoldus sont une sorte de transition, classique et peu populaire, mais réelle et digne d'attention, entre l'histoire proprement dite et la poésie épique. Ge double intérêt ne nous parait point contestable. U ne nous reste plus qu*ii entourer de preuves la cinquième et dernière de nos propositions scientifiques: celle où sont brièvement exposées la couversion de Guillaume, son entrée au monastère de Gellone, sa vie et sa mort saintes. Pour plus de détails, on devra se reporter à la Notice du Montage Guillaume; mais, quant à nos affirmations précédentes, elles sont prouvées par les quatre textes suivantSfdont il est inutile de faire ici ressortir toute la valeur. 1« • Petente domno GuiUelmo monacho, qui,,, pro Dei amort mellorem etereens vitam, studuit esse pauper recusando sublimia ad monasterium tjuod dicitur Gelloni, situm in pago Lutovense, juxta fluvium Arattr,... constructum a jam dicto comité Guil<* lelmo... aliquid ex rébus tradere noStris... [placuit nobls] « (Diplôme du roi Louis, du 28 décembre 809.) — 2« « Willelmus comes, qui in aUla imperatorit prK cunctis clarior erat, tanto dilectionis afiectu beato Benedicto [Anianensi] dàn* ceps adhnit nt, aacoli dignitatibus deqicetis» hune duoem vie salutarit eligereti CHAP. I. NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 67 partie de sa vie à rechercher son père MaîUefer, qui n paît, ung n. conquit les Algarves et les Baléares, et épousa la belle - Ydoine *. qua pertingere po^aet ad Ghristum, acceptaque tandem conTerteiidi licentia, magnb cum muneribus auri argentique ac pretiosarum Testium speciebus, sub- sequitar Tenerabilem Tirum. Nec moram iode ponendi comam fieri pamis est, qmn potius die natalis apostolorum Pétri et Pauli, auro tectk deporitîs Testibas, Cbristîcolanim induit babitum, lese cœlicolanim adsciscî numéro qoantocias congaudeus. Vallis Tero a beati TÎri Benedicti monasterio ferme quatuor distat millibus, cui nomen est GeUonis : in qua coustniere pr»- fiitus cornes, in dignitate adhuc sacuH positus, cellam juaserat. lllic se TÎUe suB tempore Christo tradidit senriturum.... In cellam praelatam ▼enerabilis pater Benedictus suos jam posuerat monacbos : quorum exemplo imbutus, infra paucos dies^ eos a quibus edoctus est rirtutibus anteceUit. Adju^antibus quoque eum filiis, quos suis comitatibus prsfecerat, comitibusque ricinis, ad perfectam fabricam monasterii quam cœperat cito de- duxit... Possesjuones acquisivit plurimas ; petenti siquidem eo serenissimus rex LudoYicus spatioso hoc dilatavit termino... Tantœ autem deinceps humilitatis foity ut rarus aut nuUus ex monachis ita flecti posset, dum obriare contingeret, ttt ab eo bumilitate non vinceretur. Vidimus saepe eum, csedentemasioum suum, flasconem nni in stratorio déferre eumque super insedentem, calicem in terga hnmeris Tehentem, nostri monasterii fratribus tempore messis ad refocillandom sitimeorum occurrere, etc., etc... ^(Flta sancti Benedicti Anianensit^ auctore Ardone, Acta sanctorum maii, YI, 800.) «His aliisque Tirtutum fiructibus intra exîguos stipatus annos • imminere sibi diem mortis cognoscens, cunctis monas* teriis in regno domini Caroli pêne sitis per scripluram notum fieri jussit, se ab hoc jam seculo migrasse. Sicque, deinceps copias rirtutum reportans, Christo Toctnte, migravit mundo.» (/ftû/rm.)— 3* «Yisum est [Willelmo], inspirante grada Dd, ut novum noTo opère Régi onmipolenti debeat «dificare monasterium... Proeedit igitur eiplorare et qusrere in quo locorum debeat cdificare monas- terium, jacere fundamenta, opus accelerara. locidit ergo ei roluntas ad ex- cdsa montana Lutevensis territoriî procedere... Denique ingreditur, Deo, ut credimus, comitante angeloque sancto duce viam pneparante, loca deserti in* ria, etc.... Requiritur nomen loci et invenitur quoniam Yallis GeUonis anti- quitus diceretur. Yidens igitur Dei amicus loci qualitatem et ad monasterium construendum quamdam opportunitatem, cognoscit se manifeste a Domino exauditum.... Dat manum operi.... Perfecto opère templi,.... festinat senrus Domini conducere senros Dei de ccenobiis iricinis» de locis regularibus atque rdigioéis, viros pudicos, sanctje couTersationis.... » ( Vita sancti 0^iiieimi,\, 1., p. 813.) Le pieux auteur ajoute que Guillaume alors consacra à Dieu ses deux Meurs Albana et Bertana. Puis, il raconte en détail la rie de son héros dans le doitre, ses miracles et ses vertus. Tout ce récit a été remarquablement abrégé par OrdericYital que nous aurons lieu de citer tout-à-rbeure. Enfin la FUa rapporte que Guillaume prophétisa sa mort, et qu'on enraya préreuir sur-Ie- èhamp Tempereur Ghariemagne, ainsi que tous les abbés des monastères de l*EnH pire : « Mifrarit igitur B. Wiilehnus ab hac hice lieliciter quinto kklendas junii j proeedit glorioaus ad cnriam Régis cteroi ut semperadsistat ante tkronum Domini CBAP. I. 68 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. iiPABT. uvBiii. C'est ce Guillaume eafioi qui, fatigué de la gloire^ dégoûté de la popularité et Ayant horreur de la vie, in conspectu Agni ante &ciem Dei. » Et le biographe ajoute qu*à Theure de ta mort, toutes les cloches de la chrétienté se mirent en branle d'elles-mêmes et sonnèrent étrangement : « Magnus iralde et insolitus clangor signorum et cam- panarum sonitus, longa pulsatio, mirabilis tinnitus, nullis hominibus fîmes tra- hentibus^Tcl signa conmiOTentibus, nisi sola^irtute divina quae supenrenit adi- tusN/(^//a saneti WdUlmi^ 1. 1., 809.) — 4* « In territorio Li^ievensi, in Talle Gellonis , inter innumeros scopulos, in honorem Salvatoris et 'Xn*apostolonmi monasterium construxit, monachosque religiosos cum abbate ibidem constituit^ et omnia eis necessaria largiter prsparavit, et ipsorum chartas suis et regalibui testamentis confirmaviu Duae rero sorores ejus, Albana et Bertana, factae sunt ibi sanctimoniales, et in Dei cultu bene perse^eranmt. •(Orderici Vitalis Historia eeciesiasdca, lib. VI, 1. 1., pp.7»8.) — « Post lougum tempus, a Carolo acdtus, Franciam [Willelmus] expetiit, et honoriiîce susceptus, se monachum fieri Telle denudavit. Rex illi cum multis fletibus concessit, et de thesauris suis quidquid Tdlet ad ecclesiam suam déferre jussit. Willelmus autem omnes terrenas opes respuit, sed phylacterium quoddam, sanctie cnicis lignum continens, requisirit etoblinuit... Audita mutatione Willelmi, tota domus regia consurgtt omnisque civitas subito mit Adest magna procerum frequentia, et plorans intrat cum \iolentia, et Willelmo ne deserat eos supplicat cum lugubri querimonia. Die Tero, Dei igné fenrens, omnia reliquit et, cum ingenti honore deductus, omni- bus Talefecit, demumque ab exercilu Francorum cum lacrymis suspirante discessittf Ad Brivatensem Ticum perveniens, arma sua ad altare saneti Juliani m^rtyris offert, galeam et spectabUem clypeum in templo ad tumulum mar- tyrisy foris vero ad oslium pharetram et arcum, ingens telum et versatilem gla« dium Deo présentât. Deinde peregnnus Chrisli per Aquitaniam ad monasterium properat quod ipse paulo ante in eremo construxerat. Nudis pedibus appro- pinquat monasterio, ad camem indutus cilido. Audito ejiis adveutu, venitur ei obviam procul iu bivio^ et valde coutradicenti festiva fit a patribus processio. Ibi tuoc offert phylacterium onmi auro pretiosius, cum calicibus aureis et ar- genteis et aliis multis omameutis multimodis, faclaque petitione, muodum cum suis omnibus reliquit pompis et lenodniis. Igitur anno ab incamatione Domini DCCC** et Vr, imperii Caroli quinlo, in natale apostolorum Pétri et Pauli, Wil- lelmus comes monachus factus est, subitoque immutatus in Christo Jesu et alte- ratus est. Factus enim monachus, docebatur, non confundebatur ; corripieba- tur, sed non irascebatur. Gaudebat in subjectione, et ddectabatur in omni ab- jectione, etc., etc. >* (Orderici Vitalis Historia eccUsiastïca, lib.VI, 1. 1., 8, 9.) Orderic raconte ensuite, d'après la Vita^ comment Guillaume acheva la cons- truction de son monastère, qui fut doté par Louis le Pieux ; comment il y fit de riches plantations ; comment il s'abaissa aux occupations les plus humbles de la rie monastique; comment Dieu fit pour lui un grand miracle dans le four du couvent, où le feu ne le toucha point ; comment il fut prophète et mourut dans le Sdgneur; comment enfin les cloches retentirent surnaturelle- ment à l'instant de sa mort (1. 1., 9, 10). Nous consacrerons dUeurs plus de développement à ces derniers trdts. Nous devions nous contenter id de grouper autour de chacone de nos affinnations les preuves les plus irrécu- NOTICE BIBUOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 69 entra à l'abbaye d'Anîane où il scandalisa les moines "'^t-"^*"- par sa voracité et ses goûts trop brutalement mili- lablety les textes les plus authentiques : notre tâche est acherée. Tds sont, en réalité, les skuls éléments historiques de toute cette Geste ; tels sont les seuls faits sur lesquels Thisloire et la légende soient absolument d*ao- cord. Dans les vingt-trois Romans de notre cycle, il est sans doute un certain nombre d'événements qui ont quelque fondement historique, mais ils Mê M rmpporteni point au même Guiliaume, ou sont mêlés de trop d'erreurs. Quelle qu*ait été d'ailleurs Tinfluence de ces faits moitié fabuleux, moitié réels ; quelle qu*ait été Timportance poétique des autres Guillaumes , Il convient, contrairement à l'opinion de quelques criticpies, de proclamer que saint Guil- laume de Gellone est le héros capital de toute cette geste qui, sans lui, n'aurait pas en de raison d'être et n'aurait pas existé. On a beaucoup subtilisé en ces derniers temps sur les grands hommes, homonymes de notre héros, qui ont exercé one action plus on moins réelle sur notre épopée. On a été jusqu'à prétendre que Guillaume I", comte de Provence, vainqueur des Sarrasins à Fraxinet, était le véritable centre de ce cycle, et l'on a effacé ainsi, d'un trait de plume inique, l'incomparable gloire du vaincu de Yilledaigne. 11 est trop vrai que l'histoire aurait pu se.montrer plus généreuse à son égard, et que la grande figure de Chariemagne a fût tort à la sienne. Mais caque nous savons de lui est suf- fisant pour le placer historiquement tout à côté de Charles Martel, qui vain* qnit les Sarrasins k Poitiers, et de Chariemagne lui-même, que les Vascons vainquirent à Roncevaux. 11 ne leur est guère inférieur. Dans l'empire de Char- les, le point le plus menaçant, le plus noir, c'était peut^tre le Midi, les Pyré- nées, la Gascogne, l'Espagne. Deux raees fonnidables se pressaient sur ces difficiles frontières : c'étaient les Yascoos, le plus remuant et le plus indiscipliné de tous les peuples ; c'étaient les Musulmans, que Poitiers n'avait pas suffisamment corrigés. Or il se trouva ea ce temps-là un grand homme, un conseiller, un général, un ami de Charies, qm arrêta ces deux races d'une main forte ; qui châtia les vainqueurs de Roncevaux ; qui, par sa défaite sur l'Or- bieux et sa victoire de Barcelone, força les Sarrasins à s'éloigner des marches d'Espagne et des frontières de la chrétienté définitivement sauvée. Ce grand homme, cet autre Chariemagne, c'est Guillaume. Parmi tous ceux qui ont porté son nom, pu un n'est de sa taille, pas un n'a vécu, pu un n'est mort comme lui. 11 a la double auréole du Malheur et de la Sdnteté. C'est peut'^tre, avec le fils de Pépin, la plus épique et la plus grande personnalité des huitième et neuvième si^es. S*étoncera-tFon maintenant qu'il ait donné naissance à tout un ensemble de poèmes populaires? Il eût fallu s'étonner du ooiitnure. ni. FORMATION DE LA LÉGENDE. Sept élémenU ont contribué à former U légende de notre geste. Ces éléments sont : 1^ Les faits rébllembut historiques dr la tik dk saikt Guil- LAViiK, qui ont été véritablement le centre ou le noyau de tout leCyde.— 2« Qitbl- QVn ÉYÉimiBNTS AIVTAMBURS.— 8^ Uh plus GRAHD IfOMBBK D'ÂYÉNEMBIITI votriBiBums. — 4» La fusioh su un seul et même Guillaume de plu- nSOBt PEESOmi A«B8 DU MÊME NOM. — 6« QUBLQUBl BÉOTS IHPRUlITiS A 70 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. Il PABT. CBAP u?i. II. taires ; c'est lui qui reçut d-ua ange l'ordre d'aller chercher à Gellone un asile plu» religieux ; qui lutta DBS TBADinOlf S CXflYBmSBLLBS, QUI SONT LB FONDS COMMUN DK TOUS LIS PBUPLKS: — 0" Une foule de lieux communs iPiQUss.— ToQublqubs imita- tions DB POfcMBS APPABTBNÀNT AUX AUTBBS GB8TBS. Nous alloDs reprendre et étudier arec soin chacun de cet sept éléments. S 1. Faits H1ST0KIQUE8. a. Le Dût central de Thistoire de Guillaume, c'est la bataiUe-dB Villedaîgne ou de rOrbieux ; le fait central de sa légende, c'est Aliscans. Or AUieans procède évidemment de ViUedaigne ; ces deux batailles sont deux victoires des paient, deux abaissements de la chrétienté, et Guillaume est le héros de ces deux défaites véritablement triomphantes. — ^. La seconde partie du Covenam Fi- 9Îen^ où commence le récit de la grande bataille, repose, comme jÊUseans, sur des bases solidement historiques. — c. 11 en est de même du Montage Guillaume qui nous fait assister à la conversion, à la sainteté et à la mort du grand duc d*A* quitaine — d. Tels sont les trois poèmes de notre geste qui ont le plus d'histo- ricité. La vérité y est d*aiUeurt altérée par de nombreux mélangea. — e. La Fita sancti Wiileimi et Orderic Vital (d'après elle) nous parlent, en outre, de la prise d'Orange par Guillaume. Si le fait était réel, la Prue d'Orange en serait sortie. Mais il est fort probable que les deux auteurs latins l'ont puisé, l'un et l'autrci dans une tradition légendaire.—-/. La prise de Barcelone en 801 (ou 808), qui fut due en grande partie à la prudence et au courage de Guillaume, n'a pas laissé de trace directe dans notre épopée. Mais il fsut indirectement rapporter à ce mémorable événement tout'l^ sièges et toutes les prises des villes et- pagnolet par Guillaume oufUP^Ié^'tCmt, qui abondent dans sa geste. De là, ce petit poëme, la Priie de C^rdMêt q«*on a pu aussi intituler la Conquête de r Espagne. De le, certain^ |MnrtMf ànSUge de Barbastre, de ce poème qui a d^leurt, en ton ensemble, une or^;ni0plii6 moderne et normande. De là, le début et surtout la fin des Éïifafms f^ivim où l'on raconte la prise de Luiteme. — g, Guillaume n'a point redOendoit conquit Nimes, non plus que Narbonne ni Orange; maisj, par sa défaite victorieuse à ViUedaigne, il a réelle- ment arrêté les Sarrasins et opéré la délivrance de tout le Midi* On a pn» en souvenir de ce grand acte et sans outrager absolument la vérité historique, supposer poétiquement la conquête ou la délivrance de chacune de ces villes. De là, la dernière partie des Enfances Guil/aume, le Siège de Narbonne^ le Charroi de Nimes, la Prise tT Orange, — A. Guillaume a effectivement, et durant unelongue partie de sa vie, combattu contre les Sarrasins d'Espagne. De là vient qu'on a placé en Espagne le théâtre d'un certain nombre de nos poèmes qui n'ont pas d'ailleurs d'autre élément historique. — i. D'une façon plus générale, Guillaume n'a cessé de se mesurer avec les Musulmans. De là, ces luttes qu'on lui prête dans plusieurs Chansons de geste, d'ailleurs fabuleuses, et qui n'ont plus ni la France ni l'Espagne pour théâtre. De là, l'inspiration générale de la seconde partie du Couronnement hooys (Rome et l'Italie délivrées des Sarrasins); de là, certaines péripéties militaires de la Bataille Loquifer et du Montage Benoart ( guerre entre les chrétiens d'Afrique ou d'Orient ) ; du Montage Guillaume (délivrance de Paris) et de Foulques de Candie (conquête de NOTICE BIBL106RAPH1QUE ET HISTORIQUE. 71 de nouveau contre les païens et resta sept ans pri- «paît. utieii. • . *, * CBAP. I. sonnier parmi eux ; qui sortit une autre fois de son — — — - Candie et prise de Babylone), etc.» etc. De là, surtout, ce grand Eût que dans TOUS les poèmes de notre geste, SAiis uni seule |BXCBPnoif , nous assistons à une lutte sans fin entre les chrétiens et les Sarrasins. — 'y* ^^ ce qu'il y a de plus profondément historique dans nos poèmes, c'est la physio- nomie générale de leur héros central, de Guillaume, qui nous est partout pré- senté comme le libérateur de la France et de la chrétienté... ) 2. INFLUBHCB DBS ÉTÉNBMBNTS AlfTÊRIBUBS. m. De tous ki événements historiques antérieurs à saint Guillaume de Gellone, cehii qui a eu le plus d'influence sur la formation de notre légende est certai- nement la bataille de Poitiers. — 6, 11 conrient de remarquer (après Jonckbloet et L. Clams) qu'en 732 (date de la bataille de Poitiers) et 793 (date de la ba- taille de rOrbieux,) la situation de la France et particulièrement du Midi était k peu près la même. A l'une comme à l'autre de ces deux époques, c'est un Char- les qui règne sur la France ; c'est une inyasion de Sarrasins qui menace la chrétienté; c'est une armée immense de païens qui fond sur l'Aquitaine et s'avance du Midi vers le Nord; c'est un duc d'Aquitaine (Eudes en 731 et Guillaume en 793) qui, par sa défaite même, arrête les envahisseurs; enfin, ce sont les Sarrasins qui se retirent de la France, et c'est l'Église qui est sauvée. Les deux époques ont non-seulement la même physionomie, mais la même importance très«solennelle et très-profonde. Dans les deux cas, il ne s'agis- sait rien moins que du ralut de la patrie et des destinées de la foi chrétienne. On peut dire, en résumé, de ces deux batailles prodigieuses ce qu'un savant contemporain (M. Reinaud) a dit de l'un^ Celles : « Jamais de plus grands intérêts ne furent en présence. Les chré|ilH| avaient k sauver leur rehgîony leurs institutions, leurs propriétés, hjpF' irié iblifte. Pour les Mnsulmans, ..- ' outre riotime persuasion où ils étiàitfftt qa*9s' déà||daient la cause même dsr Dieu, ils avaient à conserverie rich^bn^a^pntllsiTitaient emparés. Ils voyaMt de plus que la victoire seule pouiutit' ktii(.«|ilii«r une retraite honond)le. » {Invasions des Sarrasins en France^ |k, 43^y^ '«•* Or il n'est pu douteux que la bataille de Poitiers ait donné naissance à des traditions poétiques, k des chants nationaux. Quand on voit, vers €20, une petite guerre de Clotaire 11 contre les Saxons devenir l'occasion d'une cantilène qui s'est conservée jusqu'à nous, il est mathématiquement démontré qu'un événement de l'importance de la bataille de Poitiers dut, k plus forte raison, inspirer des chants militaires et religieux dont rien n'égala sans doute la vaste et profonde popularité. — d. Ces chants étaient encore populaires au moment de la bataille de l'Orbieux qui en a dû produire beaucoup d'autres analogues, ou plutôt, tout à fait semblables. — e. Ces deux familles, ces deux groupes de cantilènes et de légendes qui célébraient des héros et des événements presque identiques, se sont très-naturellement fondues en une seule famille, en un seul groupe épique. De cette fusion deVilledaigne avec Poitiers est résulté Aliscans. — f, Sije nom de Guillaume est le seul qui soit resté définiti- vement attaché aux souvenirs de ces deux combats épiques, c'est que notre héros est le dernier venu et que sa sainteté l'a plus tard entouré d'une auréole que n'eut jamais Charles Martel. — g. En revanche, c'est l'adversaire de Charles Martel, Abd- al-Rahman ou Abdérame, qui est resté célèbre dans nos poëmes sous le nom de 73 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. 11 PlIT. GHAP. . LnrR.iL désert pour délivrer Paris âsiiégé pftp le païen Isoré, — roi de Coîmbre, dont il fut Jl^ureox vainqueur; Desramé. Mais il &ut se rappeler que cetAbdérame atait épouranté la chrétieoté et la France par ses triomphes arant Poitiers, par ses progrès en Aquitaine, et no- tamment par sa sanglante victoire aux bords de la D)ordogne, rers l'année 724. — k. Les luttes de Charles Martel avec Eudes d* Aquitaine ont-elles, en outre, donné quelque idée à nos épiques de cette mésintelligeuce qu'ils ont trop souvent imaginée entre Guillaume au Court Nez et Louis, roi de France? Nous en doutons beaucoup, et de tels faits, qui ont une gravité historique vraiment considérable, ne nous semblent point avoir la même importance poétique. Ce que l'on peut seulement affirmer, c'est que Charles Martel et Charlemagne ont été fondus par nos poètes en un seul et même personnage. — i. Nous avons tout d'abord parlé de Poitiers, comme de l'événement antérieur à notre héros qui avait évidemment le plus influé sur notre épopée. Mais il ne fsudrait pas oublier que, de 721 à 732, les Sarrasins n'ont cessé d'inquiéter la France par des inva- sions qui sont restées dans les souvenirs du peuple et ont eu quelque action sur notre geste. — y. C'est ainsi qu'en 721, Alsamah prit Narbonne et la saccagea: de là, peut-être, le début et la fin diAimeri de Narbonne; de là, la dernière partie des Enfances Guillaume et le Siège de Narbonne ; de là , le début de la Mort itjéimeri, et enfin ces nombreux sièges de Narbonne qui foisonnent dans tout le cyde. — it. Fin cette même année 721, Eudes, duc d'Aqui- taine, marcha contre les Sarrasins, les rencontra à Toulouse, les battit, les força de repasser en Espagne sous les ordres d'Abd-al-Rahman. Cette victoire .^pg^contribuer aussi à former la légende à^Jtiscans (v. Reinaud,!. l.,pp. 2(^-32 ; . ; Idodllloet , 1. 1., pp. 44-45). — t En 724, les Sarrasins prennent Nimes et ,'' . Ctfcaitonne. De là, ces légendes sur la prise de Carcassonne qui ont peut-être étaOÊik naissance à une Chanson de geste aujourd'hui perdue. De là, la donnée léttétale du Charroi de Nîmes, — m. Yen le même temps, les Musulmans alta* j|iiiiit Arles et livrent aux chrétieiis un combat décisif sur les rives du Rh6ne ; les chrétiens sont vaincus et un grand nombre d'entre eux sont noyés dans le fleuve. Leurs corps furent pieusement recueillis et enterrés dans l'ancien cime- tière d'Arles qui s'appelait « Aliscans, » et l'on venait encore au treizième siècle révérer les tombeaux de ces victimes qui étaient considérés comme des martyrs. Les historiens arabes ont été les seuls à raconter ces faits mémorables (V. Rei- naud ; 1. 1., 38-39). Et cependant,après la défaite de Poitiers, nul événement n*a eu réellement plus d'importance dans la formation de la Geste. C'est dans le cimetière d'Aliscans que le faux Turpin fait porter quelques-uns des héros morts à Ronce- vaux. C'est à cette dé&ite enfin que nous devons en partie le sujet et le titre même de la Chanson d^Aligcans (V. Jonckbloet, 1. 1., p. 46). — n. Nous ne pensons pu, d'ailleun, qu'il faille remonter plus haut le cours de l'histoire pour y dé* couvrir les origines de notre cycle. La défaite aux Pyrénées de l'armée de Dagobert et de ses douze généraux a pu être de quelque influence siarlA Chanson de Roland et le cycle des douze pairs : elle n'en a exercé aucune sur la chanson à^ Aliscans et la geste de Guillaume. — o. Il ne faudrait pas non plus chercher dans nos poèmes (comme dans les Loherains) le souvenir des invasions germaniques. S 3. IlIFLUIlfCB DES ÉYÉlfBMBNTS POSTÊRIBURS. a. Dans la formation d'une légende épique, il faut presque toujoun admettr* ■y NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 7S qui retourna enfin daiA «a bien-aimée solitude , y " i*^"^- ^^v"- «• * , •' CBAP. I. eut avec le DjSmon un éppuvantable conflit, et mourut • en saint après avoir vécu en héros ^. on grtnd lait central ; puis, des événements antérieurs et postérieurs qui vien* nent, comme nous l'avons dit, s'attacher a ce centre et faire corps avec lui. C*est ce qui est notamment arrivé pour le cycle de Guillaume. — è. Toutefois ce qui, dans cette formation d'un cycle ou d'une épopée, a le plus d'influence réelle, ce n'est pas encore tel ou tel fait particulier, si important d'ailleurs qu'on le puisse supposer, comme par exemple la bataille de Poitiers. Non, non : c'est tout un groupe d'événements historiques qui se sont plus d^une fois reproduits d*nne façon plus ou moins constante et qui sont passés à l'état de lois historiques. Tels sont, avant et après Guillaume de Gellone, les invasions dci Sarrasins au midi de la France. Tels sont, après notre héros,les nouveaux progrès des Musulmans ; leuri descentes sur les côtes de la Provence et leurs attaques contre l'Italie ; les attentats des Empereurs allemands i la souveraineté temporelle des Papes ; les progrès de la féodalité et les violences des hauts barons ; la faiblesse des derniers Carlovingiens, qui furent protégés par les ducs de France et comtes de Paris. Telles sont enfin les croisades. Ce sont ces faits généraux et constants qui, suivant nous, ont donné naissance aux péripéties principales de nos Chan- sons, bien plus encore que tels ou tels faits particuliers, dont les éru- dits se sont trop subtilement préoccupés. Ainsi, « les invasions des Mu- sulmans et la résistance des chrétiens, « voilà surtout d'où est sortie l'action des vingt-trois Chansons de notre geste. Ainsi la dernière partie du Couronner ment Looyt, où Ton voit Guillaume triompher de Gui d'Allemagne, «t L'^. pression des efforts des Empereurs germaniques contre la Papauté temJiôftflhiJ' efforts qui ont duré tant de siècles. Ainsi la faiblesse des derniers Carlo^îngîjBas * '%*«'* et rinsolence des grands vassaux a produit, dans tous nos poèmes, cette itèo^A ' /*' « fréquemment renouvelée (notamment dans le Couronnement Loojs^ le âktm^' * * Je Niaut^ les Enfances Vivien et Alisean*) où l'oi voit le pauvre roi de FrlàiiB bumilié, insulté et tout à fait annihilé parla race de Guillaume. Nous pourrions multiplier ces exemples. En résumé, Lis PÉiiPiriBS lis plus constantes di HOi Chansons coirbspondint aux pé&ipétiis lis plus constantes di l'bistoiii. C'est ce que MM. Dozy et lonckbloetne nous paraissent pas toujours avoir suffisamment compris. — e. Toutefois, à côté de l'influence de ces faits constants , il ne faut point méconnaître celle des événements particu- liers, et nous allons énumérer tous ceux qui ont laissé quelque trace dans nos vingt-trois Chansons. — as aussi pacifique. 11 est certain que Té véque d'Orléans, Tbéodulfe, s'empreita, à la mort de Charles, d'aller annoncer cette triste nouvelle à Louis, en Aqui- taine. On craignait tout de W'ala, et ce petit-fils de Charles Martel était un danger jiour les héritiers directs du grand empereur. Cependant il n*osa rien faire et prêta serment comme les autres. « Hludowicus pedem movit et ciun quanto passa est angustia temporis populo, iter arripuit. Timebatur enim quam maxime Wala, summi apud Carolum imperatorem habitus loci, ne forte aliquid sinistri contra Imperatorem moliretur «(Astronome limousin, Pertz, II, p.6 18.) Et Théoduife dit de son côté; « Muniant urbem banc proceres fidèles. — Hic duces sancli reducesque sunto, — Ut tui, Cœsar, faveantque temet — Ho- rtim et obtentu superes duelles, — Poscimus omnes. » (Carmen de adventu Hlu- dowici Augusti Aurelianos.) Ce qui, d'ailleurs, confirme les témoignages pré- cédents, c'est que toute la famille de Wala tomba peu de temps après dans un« complète disgr&ce. Adalhard, son frère, fut exilé à Noirmootier, Bernard à Lérins, Wala lui>mème à Corbie. Gondrade, sa sœur, fut chassée de la cour, etc. Il nous parait donc démontré que LA PBBinàBB rt LA TROISifaHK PAETIB du Couronnement Looys o?(T Dif FONDEMEIVT iilSTORiQDB et que l'auteur de et poëme n'a commis d'offense contre la réalité qu'en faisant vivre en 814 notre saint Guillaume, mort réellement deux ans auparavant. C'est à M • Jonck* bloet que revient l'honneur d'avoir le premier mis ce fait en lumière. — e. Il est certain que les Sarrasins firent en Italie, durant le neuvième siècle, plusieurs invasions dont nous avons déjà parlé. Le roi d'Italie Louis II, dit le Jeune, leur ' opposa une courageuse résistance. Battu par eux à Gaète, en 841, il les battit en 848, à Bénévent. De là peut-être ces expéditions contre les Sarrasins d'Italie qui, dans ce même Coi/ro^//}<'mr/t/,.sont dirigées par Guillaume, représentant d'un autre Louis. — f. Le siège de Paris parles Normands en 886 dut produire dans toute la France une impression considérable. H est probable que le siège de Paris par Isoré dans le Montage Guillaume est la constatation poétique de la popularité de ce grand fait. Le rôle de Guillaume dans la Chanson coïncide assez bien avec celui d'Eudes dans Thistoire. — g. Les descentes des Sarrasins sur les côtes méridio- nales de la France ont également continué au neuvième siècle. En 889, ils s'éta- blirent non loin du golfe de Saint-Tropez, dans un château appelé Fraxinetum, et n'y restèrent guère moins d'un siècle. Ils n'en furent délogés que par Guillaume I, comte de Trovence, qui leur livra une grande bataille aux environs de Dragui- goan, s'empara de Fraxinet et chassa pour toujours les païens de la Provence. Celait eu 975. Tn acte aussi important laissa pour longtemps son empreinte sur notre Épopée nationale. On lui doit en partie toutes les guerres lé- gendaires contre les Sarrasins dont le théâtre est la Provence ou le midi de la France, et il est démontré, comme nous le verrons bientôt, que l'histoire de Guillaume de Provence s'est fondue avec celle de Guillaume d'Aquitaine. — A. La faiblesse des derniers Carlovingiens a pu suggérer à nos poètes l'idée de cette fai- blesse qu'ils ont trop volontiers prêtée à Louis le Pieux dès le premier jour de NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE- 75 neux qu'il nous sera possible. Nous en trourerons les "p^*^- w^"- "• * ■ CHAP. I. éléments dans vingt-troiô* Chansons de gestç que nous •on règne. — î. La protection accordée à Louis IV par Guillaume Tète d'Étoupe, duc d*Aquitaine, en 950, a pu, comme nous l'établirons ailleurs, donnera l'au- teur do Couronnement Looys et à plusieurs autres poètes la pensée de représenter Guillaume de Gellont comme l'iniatigable défenseur de Louis le Pieux. — y. L*i/- «ii/;pa<îoji d'Hugues Gapet a exercé une action tout aussi incontestable sur notre épopée et sur notre geste. Cette usurpation et la résistance que lui opposèrent Guillaume Taillefer, duc d'Aquitaine, et Guillaume, comte de Toulouse,if'oifT pas MODIFIÉ LIS TBAITSDI ifOTBi GUILLAUME, mais expliquent cette place laissée dans nos Romans à la rébellion des grands ^"assaux et à la protection dont le roi de France fut entouré par l'un d'eux. Dans le beau début de la Mort JtA'tmeri^ il est question d'un HuB Ghapbt qui inquiète et persécute le pauvre empereur Louis (B. I. La Vall. 23, P 7.)«*. — ^. Les longues contestations des rois de France au sujet de la ville de Vienne, et l'ancienne indépendance d*nn royaume de Bourgogne dont Vienne a fait longtemps partie, ont pu influer sur la légende de Girars de f^iane. Girard, qui porte plusieurs noms dans notre épopée, est partout représenté comme un rebelle, comme un adversaire du roi de France. — /. 11 est très-probable que Narbonne (iit plusieurs fois assiégée et prise par les Sarrasins, après Tinvasion de 793 et la bataille de l'Orbieux. Cepen- dant on ne trouve point trace de ces faits dans un seul auteur français ; mais ils ioot affirmé* par des annalistes arabes qu*ont mis en lumière Assemani et Conde. Ce qu'il ▼ a de certain , c'est qu'un dernier assaut fut donné à cette ville en 1018 et 1019 par les Musulmans, qui, d'ailleurs, furent repoussés et taillés en pièces. (V. D. Vaissette, II. p. 152 ; Reinaud, p. 220.) Ce seul fait suffirait encore à expliquer le grand rôle joué par Narbonne dans toute notre geste et les nombreux sièges qu'on lui voit soutenir. (Aimeri'de Narbonne, en- fances Guillaume^Siége de Narbonne,) — m. Le siège et la prise par les Normands en 1064 de la ville de Barbastre, que les Sarrasins reprirent en 1065, a pro- dnit le long poème intitulé le Siège de Barbastre, Toutefois c'est la seule donnée de ce poëme qui a un fondement historique, et tous les détails en sont fe- bolcox. — ti, Aimeri, vicomte de Narbonne, de 1 105 à 1 134, dirigea deux expédi- tions eootre les Maures : Tune en 1114-1116 avec son frère utérin Rajrmond Beran- ger, marquis de Barcelone, contrôles ilesd'Yviça et Majorque; l'autre en 1 134, de cooeert avec le comte de Toulouse, pour aller au secours d'Alfonse I, qui fiiisait k siège de Fraga. (D. Vaissette, U, 368, 370, 373, 379 394, 414; JoDckbIoet, 11 y 160 et suiv.) U avait eu une Hermengarde pour femme et l'avait perdne en 1112. Il laissa une fille du même nom qui fut vicomtesse de Narbcmne en 1143 et protégea les troubadours. On peut supposbb avec Fauriel (II, 410) que ce fut quelqu'un de ces troubadours qui, pour flatter Hermen- garde et célébrer la gloire de son père et de son aïeul, morts tous deux en com- battant les Infidèles, donna leur nom à un premier conquérant de Narbonne, chef îmagiDaire de toute cette race. D'ailleurs, ce n'est qu'une hypothèse ; mais il est hors dedoate que les poèmes où figure Aimeri ne sont pas les plus anciens de notre geste. — o. La guerre des Albigeois n'a pas été sans laisser de trace dans notre Epopée. Dans un de nos poèmes les plus récents, dans Garin de MontgUuu, les AM^igois sont assimilés aux Sarrasins. = Et teb sont, crojons-nous, tous les CHAP. I. 76 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II PART. UTR. II. avons énumérées ailleurs, que nous analyserons plus loin. faits postérieurs à saint Guillaume qui ont eu quelque influence sur son cyd*. S 4. FUSIOIV BB PLU9IBURS GUILLAUMBS Blf UN 8BUL. a. Un Roman du treizième siècle, Doo/i Je Mayence, nous offre les vers snÎTtnts : (t Segnurs, %'ous savés bien et je en sui tous fis — Que plusors Kalles ot [clià arrier] à Pans. — A Nerbonne la grant ot plusors Aymeris, — Et ▲ Orbngb BOT MAINT GuiLLAUMB MARCHIS... » (6650-6G53). Ces vers pourraient servir d'épigraphe à une Dissertation sur les éléments historiques de notre geste. L'un des principes qui dominent ici toute la matière est le suivant : « Pour composer la légende de notre Guillaume, on a fondu entre elles les légendes ou les histoires de plusieurs Guillaumes. » A vrai dire, on les a amalgamées plutôt que fondues. A chacune d*elles on a emprunté un ou plusieurs traits que Ton t juxtaposés plus ou moins habilement, et on les a mis les uns et les autres sur le compte d'un Guillaume central qui est précisément saint Guillaume de Gellone. Comme il fut évidemment le plus illustre de tous ceux qui ont porté ce nom; comme la bataille de TOrbieux et la prise de Barcelone furent en réalité des événements d*une importance tout exceptionnelle; comme la conversion de cet homme éminent et son entrée dans la vie monastique avaient très-vivement frappé les esprits de ses contemporains, ou fut naturellement porté à lui attri- buer les faits et gestes de tous ses homonymes pendant deux ou trois siècles. Mais on lui rapporta siytout ces traits particuliers de la vie des autres Gnillanmet qui offraient le plusd'analogie avec ceux de sa propre vie. Parmi les personnages du même nom, c*est le plus illustre qui accapare,dans la légende,les aventures de tous les autres, et Taccessoire suit le principal. On a déjà cité avant nous ces remarqua- bles paroles de Sismondi : « La ressemblance des noms propres jette sur toute l'histoire de l'époque carolingienne des ténèbres auxquelles il est fort difficile d'échapper. » (U, 333, 394.) Rien de plus vrai. Nous avons déjà vu Char- lemagne confondu avec son prédécesseur Charles Martel, avec son suc- cesseur Charles le Chauve. Nous allons voir comment et dans quelle me- sure notre Guillaume fiit, lui aussi, victime d'une confusion analogue. — 6. M. Jonckbloet est, de tous les érudits, celui qui a donné à cette doctrine les meilleurs développements. Nous pensons, toutefois, qu'il a été trop loin dans cette voie. Il a, d'un œil perçant, cherché quels étaient aux neuvième, dixième , onzième et douzième siècles, tous les princes qui avaient porté le nom de Guillaume, et, trop ingénieusement peut-être, il a voulu trouver dans leur vie des similitudes avec la vie poétique de notre héros. Nous essayerons de montrer ce qu'il y a de vrai, ce qu'il y a de hasardé dans le système de M. Jonckbloet et de son école. — c. Les n Guillaume v que la légende a con- fondus avec saint Guillaume de Gellone ne seraient pas, d'après cette école, au nombre de moins de treize. Nous avons recueilli leurs noms avec soin dans l'excellent travail de M. Jonckbloet, dans les Recherches de M. Dozy, etc., etc., etc. Ce sont : !<> Guillaume I**", dit le Pieux, premier comte héréditaire d'Auvergne et duc d'Aquitaine, arrière-petit-fils de saint Guillaume, mort en 918 ou 919. — 2« Guillaume II, dit le Jeime, comte d'Auvergne et duc d'Aqui- taine, mort en 926 ou 927. — 3« Guillaume I'*^, dit Longue-Ëpée, duc de Nonnan- NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 77 Ud des érudits contemporains qui ont consacré à "part. LifR.ii. ^ ^ CHAP. I. Guillaume les recherches les plus étendues et les plus die, de 937 à 942.— 4» Guillaume I'"^, dit Téte-d*Étoupe (Caput-stupm), comte de Poitiers (loiu le nom de Guillaume III) et d* Aquitaine, de 950 à 963. — S* Guillaume HI, dit Taillefer, comte de Toulouse en 950. — 6« Guillaume V% comte de Provence de 9G1 à 992. — 7» Guillaume I**", dit Bras-de-Fef, comte dePouilleen 1043. — 8<> Guillaume II, comte deBezalu, en 1052. — 9* Guillaume de Montreuil-sur Mer , général en chef des troupes pontificales sous Nicolas II (1058-1061), et Alexandrell (1061-1074). — 10* Guillaume IV, comte de Tou- louse en 1060. — 11« Guillaume VI, seigneur de Montpellier dans la première partie du douzième siècle. — 12^ Guillaume I*', comte d'Orange, vers 1126. — 13* Saint Guillaume de Malaval, ermite, mort en 1157. — d. De ces treize Guil- laume, deux ou trois seulement nous paraissent avoir été confondus avec notre héros, et avoir réellement contribué à former la légende épique de Guillaume au Court Nez. C'est ce que nous allons essayer de faire voir en reprenant un à un tous les personnages historiques que nous avons tout à Thcure éuumcrés. l^GuiiXAUMB I*', LB Pieux, comte d'Auvergne et duc d'Aquitaine, que les Annales Moissacenses qualifient de FAMOSUS dux (Pertz, III, 169), n'offre guère que deux traits qui puissent lui prêter quelque ressemblance avec saint Guil- laume; c*est,d'une part, sou surnom de « Pieux », et de l'autre sa lutte avec le roi Eudes, en 888 : lutte suivie d'une réconciliation, et qui rappelle les alter- cations de Guillaume avec l'empereur Louis dans le début du Charroi de Nimes, Mais rien de plus vague et de plus lointain que de tels rapprochements. Tout au pins peut-on dire que la communauté de nom, de titre et de sang entre Guillaume I*** et son bisaïeul saint Guillaume, a pu n'être pas tout à fait sans influence sur la constitution de notre légende. 2« Quant à GiriLLAUM s II, dit lb Jednb, neveu du précédent, comte d'Au- vergne, et duc d'Aquitaine de 918 à 927, on ne trouverait même pas dans sa vie de telles similitudes avec celle de Guillaume de Gellone. Nous avouons qu'en 923 il battit les Normands, grâce au secours de Raymond II,comte de Toulouse,et qu'il se rendit célèbre par ses querelles et ses réconciliations avec Raoul, roi de Bour- gogne et de France. Mais pourrait-on seulement songer à soutenir scientifique- ment que ces faits sont entrés dans notre Épopée? Est-il admissible qu'ils y aient été transformés en quelque victoire de Guillaume contre les Sarrasins, eu quelque altercation de r« rude baron avec le fils de Charlemagne? 3* Nous avons encore beaucoup plus de peine à comprendre qu'on ait fait entrer dans la galerie des hommes illustres qui, sous le nom de Guillaume, ont enrichi notre légende épique, le fils et successeur de RoUon, Guillaumb I*' DIT LoifGCB-ÊPÉB, DUC DB NoRMANDiB en 927. Il est vrai qu'en 936 il fit bon accueil à Louis lY d'Oulre-mer, qu'il voulut le conduire à Laon et assister à son couronnement, et l'on a pu, d'après ce seul épisode de sa vie, supposer qu'il fut le type de cet admirable Guillaume du Couronnement Looys (F' et 3' parties). Mais, tout d*abord, le rôle hisloi iquc du duc de Normandie a été beaucoup moins considérable et beaucoup moins actif que le rôle légendaire de notre héros dans le fait même de ce couronnement d'un jeune roi faible et menace. Puis, Guillaume Longue-£pée n'a pas tardé i se brouiller avec Louis IV; en 939, on le voit, malgré lea excommumcatioBs de l'Église, entrer contre le roi dans une ligue à la tète de 78 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II PABT CHAP, . u¥B. II. profondes, a divisé son livre en trois parties où il a — tour à tour étudié le duc d'Aquitaine « comme un laquelle sont, avec lui, Hugues le Grandet le comte Héribert En 940, même ré- bellion. Voyons-nous rien de pareil dans la légende de Guillaume? Et croit-coque le peuple, qui méprise tous les changements d'opinion, ait pu faire une popu- larité profonde et durable à ce Normand qui a tour à tour défendu et attaqué U même royauté et le même roi ? En nain alléguerait-on qu'en 942, Guillaume Longue-Épée, rédoncilié avec Louis IV, le reçut magnifiquement dans sa TÎUe de Rouen. La poésie populaire ne tient pas compte de ces sortes de cérémonies diplomatiques. Un trait de la vie de Guillaume Longue-Épée aurait pu Tinspirer davantage : Guillaume de Jumièges raconte (lib.III, cap. yii etTiu) que ce prince conservait dans une boite précieuse un habit de moine bénédictin, et qu'il ai- mait à le revêtir en secret. Joignez à cela qu'il se montra généralement juste et bon, et que sa mort fut presque celle d'un martjrr : on sait comment il fut assas- siné à Picquigny par Amoult, comte de Flandre. Mais, en résumé, cette mort violente n'a laissé aucune trace visible dans notre épopée, et le trait de la robe bénédictine que cachait si bien le duc de Normandie n'a pu influer sur la for- mation du Montage Guiilaume^ si l'on veut bien surtout se rappeler comment le véritable Guillaume était entré à Gellone et combien cette résolution héroïque suffisait pour donner naissance à une légende épique véritablement complète. Est-il bien certain, d'ailleurs, que le retour de Louis IV, ses petites guerres avec ses hauts vassaux, ses réconciliations avec eux, aient c té l'occasion et le sujet de chants populaires? Dans la France du dixième siècle , le désordre est si grand et les événements historiques sont si vulgaires, qu'on se demande avec quelque raison s'ils ont pu fournir un élément durable à l'Épopée nationale. En ce qui concerne Guillaume Longue-Ëpée, le fait est tout au moins douteux. 4« En 950, Guillaume 111, Taillefbb, succéda dans le comté de Toulouse à son père Raymond - Pons. Les auteurs de Vj4rt Je- vérifier les dates font remarquer que, « depuis Raymond - Pons, aucun des comtes de Toulouse ne s'est qualifié duc d'Aquitaine. » C'est déjà une circonstance qui dimi- nue l'importance épique de ce nouveau Guillaume. Ou a observé que ce comte de Toulouse épousa en secondes noces Emma, fille de Rotbold, comte de Provence, et qu'elle lui apporta « ce qu'on appela dans la suite le marquisat de Provence. » Rien de plus juste, et il convient d'ajouter que Guillaume Taillefer séjourna en Provence (dans les environs d'Arles) depuis son mariage avec Emma. Un séjour aussi pacifique suffit-il pour expliquer cette prétendue confusion du vieux mari d'Emma avec saint Guillaume qui n'a jamab paru dans le Midi que l'épée au poing et couvert de sang? Que ce même comte de Toulouse ait opposé une certaine résistance à l'usurpation d'Hugues Capet ; qu'il ait favorisé les légitimes prétentions de Charles, fils de Louis d'Outremer, c'est ce que dom Vaissette n'a pu très-solidement établir (II, 120, 121). Quoi qu'il en soit y cette protection donnée par Taillefer à l'héritier du sang carlovngien n'a été ni assez déclarée ni assez efiCcace pour qu'on la puisse assimiler à celle dont Guillaume au Court Nez a entouré le fils de Charlemagne dans notre légende chevaleresque. W* Tancrède, seigneur de Hauteville en Normandie et de la race de Rollon, eat douze fils. Le plus célèbre dans l'histoire est Robert Guiscard ; mais, au point ém NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 79 c grand du monde, comme un saint de TÉglise, n part. litr. n. « comme un héros de la légende et de la poésie. » ■ ▼œ spécial de notre légende, c'est Guillaume, surnommé Braehium ferri^ que les Normands créèrent eu 1043 leur capitaine général et comte de Pouille. M. Paulin Paris a vu'dans ce Normand un des types de Guillaume au court nez {Mantueritsfntnçaisylll, 126) ; M. Jonckblœt a soutenu la thèse contraire (G//i7- àttime dOrange, II, 9), et démontré clairement « que Guillaume Bras-de-Fer « n'avait jamais défendu la Papauté, et qu'en second lieu il n'avait jamais com- « battu les Sarrasins. » Le fils de Tancrède a perdu par là les deux traits qui le rapprochaient quelque peu de notre héros. Mais nous allons plus loin que M. JoDckbloet : alors même que Guillaume Brachium ferri eût soutenu VA- postoU et se fût mesuré avec les Sarrasins, il n'est pas probable que sa physiono- mie eût inspiré les Trouvères au point de leur faire accentuer davantage la physionomie de leur Guillaume. Noiu pensons qu'au milieu du onzième nèclcy les principaux traits de la légende de notre héros étaient déjà fixés. Gomment supposer, d'ailleurs, que l'histoire d'un aventurier normand dans le midi de l'Italie ait pu avoir à cette époque un retentissement populaire dans la France du Nord ? Le point de départ de tout ce système est faux. Encore un coup, l'Épopée primitive s'inspire de grands événements plusieurs fois répétés, et non pas de ces événements particuliers qui ne se sont pas renouvelés deux fois. Jl ne suffit point de s'appeler Guillaume pour avoir contribué à former la lé- gende de saint Guillaume. Si nos poètes nous font assister si souvent à la délivrance de la Papauté par Charlemagne , par Ogier, jiar Guillaume, c'est qa'il y avait dans l'air qu'ils respiraient, c'est qu'il y a dans l'histoiie ce grand fait, ce faix constant, nous allions dire cette loi : « La France protectrice des ■ Souverains Pontifes. >» Il importe très-peu, pour l'histoire de notre poésie légendaire, de savoir après cela si Guillaume Bras-de-fer a, oui ou non, se- Gooni le Pape en détresse. En d'autres termes, et comme nous l'avons déjà établi, les faits isolés n'ont presque aucune action sur les origines et le déve- loppement d'une épopée religieuse et nationale*: et toute l'influence appartient aux faits généraux et constants. 6* G*est pourquoi nous protestons fort énergiquement contre la prétendue in- fluence qu'aurait exercée sur nos vieux poèmes Guillaume I*'', comtb db Bb- XALU, qui succéda en 1052 à son père Guillaume I*', comte de Bezalu, de Valespir et de Fenouillèdes. Et pourquoi cet inconnu aurait-il joué un rôle dans la forma- tion de notre légende ? C'est, dit -on, parce qu'il épousa uue fille de Guillaume I*' on n de Provence, ou de Guillaume Taillefer de Toulouse; c'est parce qu'il fit un p^erinage à Jérusalem ; c'est surtout parce qu'il portait un nez postiche qui loi valut le surnom de Trunnus. Est-il admissible qu'on ait été chercher dans une petite famille, et seulement AU milibu du onziâmb si&clb, ce surnom si profondément , si universellement populaire de a Guillaume au Court Nez » ? Cette thèse ne nous semble pas soutenable. 7" Si nous ne pouvons admettre avec M. Jonckbloet l'importance épique de Guillaume Trunnusy nous sommes peut-être encore plus éloigné d accepter entiè- rement l'origine normande que M. Dozy {Recherclies sur l'histoire et la littérature de tMspagne, II, 370 et suiv.) a voulu donner à certaines branches de la geite éb Goillamne. it. Dozy vt jusqu'à dire : « M. lonckbloet n*a pas réussi 80 INTRODUCTION A LA GESTE 611 GUILLAUME. II PAIT. LivK. IL Rien de plus rationnel, rien de plus complet qu'une telle division. Guillaume, en effet, a été tout cela. ft à retrouTer dans l'histoire le rrai Guillaume au Court Nez. Or il nous « PARAIT Certain que ce Guillaume-là était un Normand, et qu'il vivait an « onzième 'iîèda. w Ce Normand, ce Guillaume de Moiitreuil, était venu en Italie « à peu près à la même époque que les fils de Tancrède de Haute- ville. Étant entré au service du Pape, il devint le général en chef des troupes romaines, et en cette qualité soumit au Souverain Pontife la Campanie, qui s*était révoltée. Parmi les Papes sous lesquels il servit, Orderic Vital nomme Nicolas il (10S8-10G1) et Alexandre H (lOCl-1073). Il est encore très-vrai qu*Orderic Vital, à plus d*une reprise, fut le plus grand éloge de Guillaume de Montreuil : m Villermus de Mo&terolio Papas signifer erat armis- que Campaniam obtinuerat, et Campanos, qui diversis scismatibus ab unitate catholica dissidebant, sancto Petro Apostolo subjugaverat. v (Éd. de la Société de rbistoirc de France, II, 87, etc.) Mais nous sommes ici en droit de nous demander si la légende de la délivrance de Rome par Guillaume n*était pas formée avant la seconde moitié du onzième siècle. Or, à nos yeux, cette lé- gende est identique i celle de la délivrance de Rome par Ogier le Danois; le Corsuble d*Ogirr est le même personnage que le Corsolt du Couronnemeni Looys. Cette tradition s*appuyait sur les nombreuses invasions des Sarrasins qui, du vivant même de Charlemagne et sous ses premiers successeurs, pénétrè- rent jusqu'aux portes de Rome : en 813, ils s'emparèrent de Centocelle, et en 81G de la Sicile ; en 846, ils pillèrent des églises sous les murs mêmes dt la ville des Papes, etc. Est-il prcsumable quon ail attendu jusqu^à Guillaume de Mon- treuil pour intercaler dans l'histoire poétique de saint Guillaume une péripétie, un lieu commun épique que Ton mettait si volontiers sur le compte de tous nos héros ? M. Dozy, d'ailleurs, est bien forcé d'avouer « qu'Orderic ne fait pas mention du surnom que portait Guillaume, v et c'est, dit- il, «la seule objection qu'on pour- rait lui opposer » (p. 373). Mais il explique bientôt ce silence de l'historien angio normand : a Plein de respect pour Guillaume de Montreuil qui, de même que toute sa famille, avait comblé son cloître de bienfaits, Orderic aurait péché contre la bienséance s'il avait donné au comte le surnom sous lequel il était connu dans les romans. » C'est là un raisonnement purement hypothétique. Un seul argumeul, en résumé, milite eu faveur de la thèse de M. Dozy : c'est que, dans le Couronnement Looys (vers 2G40 et suiv.), le poêle nous représente son héros allant se reposer « à Mosterel-sor-Mer. » Mais cette raison n'est pas sans réplique, et il ne faudrait pas construire sur une base aussi fragile tout l'édifice d'uu système qui donnerait aux Normands la première part dans les origines et la formation de notre épopée. Le trouvère a fort bien pu ne choisir cette résidence de Montreuil-sur-Mer que pour les besoins de sa versification ; il a pu la choisir aussi pour flatter quelqu'un de ses protecteurs qui était de ce pays; il t pu encore n'attacher aucune importance à ce choix, comme cela se voit si sou- vent en des cas analogues dans le texte de toutes les Chansons de geste. Les autres arguments de M. Dozy en faveur de l'origine normande de notre geste et même de toute l'Épopée française, nous paraissent encore moins fondés. Que, vers l'année 1001, quarante Normands vêtus en pèlerins soient débarqués à Saleme; qu'ils aient trouvé cette ville assiégée par les Sarrasins; qu'ils les NOTICE BIBtlWRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 81 L'Église a inscrit dans ses Martjrologes ce nom glo- hpait.liti.ii. rieux entouré des respects universels; Thîstoire, non aient attaqués à rimproviste et les aient battus, c'est un fait qui est alfinné par Léon d'Ostie (Muratori, IV, 362, 363) et par Orderic Vital; mais que la critique moderne a légitimement mis en doute, et dont M. Aug. Leprérost a pu dire : « C'est un récit de pure invention comme toutes les circonitances qui s'y « rapportent. » (Orderic Yital, II, 55.) Et, d'ailleurs, qu'aurait de conmiun la prise de Saleme par quelques aventuriers avec cette délivrance de Rome par Guillaume qui est racontée dans le Couronnement Looys ? « La couleur nor- M mande, dit M. Dozy, a été conservée dans* le récit de ce poëme. » Et il cite ce vers a l'appui : k Dex, dbt li cuens, qui formasles saint Loth. » Saint Lô, dit-il, est un saint normand. En admettant qu'il s'agisse ici du saint évéque de Cotttances, cette citation n'a rien de concluant ; car les trouvères choisissaient au hasard leurs noms de saints suivant le besoin de leurs rimes. Ils avaient saint Léonard pour les couplets en art, saint Richer pour les couplets en er, saint Loth pour les couplets assonnancés en 0, etc. Il ne serait point, en ce cas, moins légitime de prétendre que tous les poëmesoù se trouve l'invocation de saint Léonard sont d'origine limousine. Ce n'est pas sérieusement, sans doute, que M. Dozy a ajouté : « A chaque pas [dans le Couronnement Loojrs], on rencontre •> ce mot gaaignier qui était justement l'idée dominante des cupides et rusés Nor- « mands. *• Cet argument n'est qu'une plaisanterie assez médiocre et très-usée qu'il serait trop facile de réfuter en montrant, dans quarante autres Chansons, le mot gaaignier employé tout aussi fréquemment. L'auteur des Recherches sur Chittoire et la littérature de C Espagne ne craint pas d'ailleurs de donner au Charroi de Nîmes la même origine normande, et voici en quels termes : « Le stratagème par lequel Guillaume s'empare de Nimes est peut-être un A fait historique. Il se peut que les Normands se soient rendus maîtres d^une « ville italienne grâce i cette ruse... Ce qui donne quelque vraisemblance à « cette opinion, c'est qu'un des principaux compagnons de Guillaume, Gilbert « de Falaise, est Normand et que, d'un autre côté, Léon d'Ostie cite Gii- « bert, sumonmié Buttericus, parmi les chevaliers normands qui arrivèrent « en Italie. Or ce surnom signifie précisément « tonneau » dans le latin du « moyen âge, et en vieux français le mot èouteris a la même signification, •c Ne serait-il donc pas permis de supposer que ce Gilbert devait son sobri- « quet au stratagème dont il est question dans le Charroi de Nimes? » Non, certes, une telle hypothèse n'est pas permise. Ce Gilbert était sans doute sur- nommé Buttericus ou tonneau parce qu'il était très-gros, et c'est la supposition la plus raisonnable. Tout le reste est pure imagination, et on n'a jamais accu* mnlé tant de peut-^tre, — Pour Mmeri de Narbonne, M. Dozy ne nous semble pas avoir été plus heureux. Il rappelle cette histoire étrange (qui est racontée tout au long dans cette Chanson ) des messagers d'Aimeri auxquels le roi de Pavie défend de vendre du bois, et qui achètent, pour cuire leurs repas, toutes les noix et tous les hanaps de la ville lombarde. Or, dans la Chronique de Normandie qu'ont publiée les continuateurs de D. Bouquet au tome XI des Historiens de France, on lit un fait tout analogue dont les acteurs sont l'Em- pereur de Constantinople et le duc de Normandie, Robert le Diable. L'Empereur défend également aux habitants de Constantinople de vendre du bois aux Nor- m. 6 82 INTRODUCTION A LA GESK DE GUILLAUME. t t n »AiT. UTB. IL moins enthousiaste, nous le montre comme une des CHAP. I. ' plus nobles figures du moyen âge, comme un autre mands : « Quand le duc Robert le sceut, il commandi à set genz qn*il2 ache- taœnt toutes les noix qu'ils pourroient trover, et des escailles cuisissent leurs ▼iandes » (1. 1., p. 32^.) Mais de quelle autorité peut être une Ckrtmique qm fut rédigée tout au moins après Tannée 1250 et dont Tauteur s*est borné le plus souvent i traduire en prose le Roman de Rou? Ce n'est pas là une source historique. — Les conclusions générales de M. Dozy sont encore plus exor- bitantes que ses arguments spéciaux. « Les Chansons de geste du cycle carlo- « ringien, qui ont été composées» dans la langue du Nord , roulent presque « toutes sur des guerres contre les Sarrasins d'Espagne, c'est-i-dire sur un « sujet qui, à ce qu'il semble^ n'avait pour les Français du Nord qu'un mé- « diocre intérêt. A notre avis, es soifT les Normands qui l'ont catt, « comme en effet ils ont créé et l'esprit chevaleresque et la poésie roman- « tique » (p. 389). Gonmientl les Français du Nord n'avaient qu'un intéi^ médiocre aux invasions des Sarrasins d'Espagne, quand ces Sarrasins étaient un jour venus jusqu'à Poitiers , quand ils avaient menacé durant plusieurs siècles et la France et la chrétienté tout entières I Comment ! ce seraient les Normands qui auraient créé le cycle de Charlemagne ! 1 et celui de Guillaume au Court Nez I!! Mais on ne pourrait pas scientifiquement fournir uns sbvls PRBUYB à l'appui de ces étranges opinions. « L'esprit chevaleresque aurait été m créé par les Normands I «Mais les textes accumulés par Du Gange (UiïUia^Miles) et les documents de tous les pays prouvent, tout au contraire, que la chevakrie s'est organisée en même temps sur tous les points du sol chrétien. Une CA/o- fdque dit seulement que les Normands eurent horreur des cérémonies religieuKS inventées par les An^^is pour la consécration des chevaliers, et qu'ib appelèrent du nom de toeordet équités les chevaliers consacrés de la sorte. Par malheur, cette chronique (celle d'ingulfe) est complètement apocryphe. « La poésie « romantique a été créée parles Nonnands, » dit encore M. Dozy. Mais, si nous avons quelques textes poétiques dans le dialecte anglo-normand, nous en avons un bien plus grand nombre dans tous les autres dialectes, et surtout «l»ny celui de France. C'est l'esprit français, d'ailleurs, qui domine en réalité Hanf la plupart de nos Ghansons. Le centre géographique de notre Épopée, c'est Aix d'a- bord ; puis, c'est Paris,c'est Laon, c'est l'Ile-de-France; mais toutes les autres pro- vinces nous ont apporté leur contingent épique, et nous avons des poèmes origi- naires de la Champagne, de la Rourgogne, de la Picardie , de la Lorraine. « I^ « pluà que les Gaulois romanisés, ajoute M. Dozy, les Pranks n étaient une nation « poétique; mais les Nonnands l'étaient » Si les Franks n'étaient pas une nation poétique, d'où viennent ces earmina antiqua que Tacite nous montre chez toutes les tribus germaines ; d'où viennent ces barbara et antiquissima earmina quibms veterum aetus et bel/a canebantur, que Charlemagne a pris soin de recueillir? Ce ne fut donc pas chez les Franks que se chantèrent la cantilène de saint Faron, au septième siècle ; celle de Saucourt, au neuvième ; celle de sainte Eulalie an dixième, et tant d'autres dont nous avons longuement parlé I Non, «c'est enNor- m mandie,dit en terminant M. Dozy, que les Chansons de geste les plus remarquables, m. telles que la Chanson de Roland et les meilleures branches de Guillaume au c Court Nez ont été composées. » Autant de mots, autant d'hypothèses qui n'ont NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 8S Charles Martel, e^U poésie d'un grand peuple le ce- n paît. uvt. n. lèbre comme un des libérateurs de TOccident chré- ■ ^°^' '' — abtolament rien de icientifique. M. Dozy a été entraîné beaucoup trop loin par une précieuse découverte qu^il a faite. Il a trouv4dans un historien cor- dooan du onrième siècle, Ibn-Haiyin, un récit étendu et curieux sur le siège et la prise de Barbastre par les Normands en 1064, et il en a conclu avec beau- coup de justesse que c*était là la source d'un Roman de notre geste , du Siège de Barbastrt, Mais cette découverte Ta affriandé, et de ce qu*un de nos poëmcs avait une origme normande, il a conclu que tous étaient dans le même cas. C*est excessif. Pour conclure, le Siège de Barbtutre est la seule de nos Chansons à la- quelle on puisse légitimement attribuer cette origine. 8* GuiLLACMB IV, COMTE Di T0ULOU8B en 1060, n'a qu'un trait qui pour- rait convenir à la piété de notre saint Guillaume. En 1092, il partit en pèleri- nage et mourut en Terre sainte. Mais il n*y a là rien de précis, rien qui ait pu sérieusement modifier notre légende. 9* GuiLLAUM B VI DB MoHTPBLLiBm fut un seigueur plein d*énergie et d'ini- tiative. En 1U7, le I'*" août, il vint mettre par mer le siège devant la ville d'Âlmeria, qu'Alfonse VII attaquait par terre. Après une vigoureuse résistance, Almeria se rendit le I**^ octobre. (D. Vaissette, II, 442.) Le seigneur de Mont* pellier, à peu de temps de là, perdit sa fenmie et, ne pouvant se consoler de cette perte, embrassa l'état monastique dans l'abbaye de Grandselve, au diocèse de Toulouse. Il 7 était dcjà en 1 149. De ces faits, M. Jonckbloet tire la conclusion suivante : • II me semble, dit-il, que c*est dans cette tradition que l'auteur de « la seconde rédaction du ifon/o^tf a puisé » (1. 1., 162). Nous ne saurions encore nous ranger à cet avis. Dans la plus ancienne rédaction du Moniage comme dans la aeeonde, Guillaume au Court Nez entre au monastère de GeUone après la mort de sa femme Guibourc« Or, ce poème est certainement, avec Àliteant^ le plus ancien de la geste. Il était au nombre de ces chants que signale Orderic Vital dès la in du onzième siècle. Faut-il croire qu'on a attendu le milieu du douzième siècle pour chercher dans les aventures d'un seigneur du Midi les nouveaux éléments d'une de nos Chansons les plus antiques, les plus historiques, les plus popolaires? IQû Un frère puiné de ce Guillaume VI de Montpellier, Guillaumb, sbighbur D*Oinnci.AB, épousa vers l'an 1 126 Tiburge, comtesse d'Orange, et « en eut un « fib nommé Guillaume comme son père, et qui prit le titre de comte d'Orange. » Jonckbloet ajoute que c'est ce fait « qui peut avoir donné lieu au changement de m nom de notre héros» (l. 1., 162). Mais dans la Fita tencti fFillelmi qui est au moins du onzième siècle, mais dans le rédt d'Orderic Vital qui remonte aux premières années du douûème, la prise d'Orange est déjà racontée eomme un événement considérable, et les deux textes vont jusqu'à nonuner l'adversaire fabuleux de Guillaume, Thibaut : « Ad urbem Arausleam agmina di^ooit Guillelmus et castra, quam illi Hispani cum suo Theoèaido jampridem occupaYerant; ipsam, facile ac brevi, ccsis atque fugatis eripit invasoribus. » n est fort probable que la légende latine avait emprunté ce fait à la tradition poétique. Mais, en tout cas, il n'est nullement nécessaire, pour expliquer la formation de notre légende, d'invoquer le mariage du seigneur d'Ommelas avee Tibiirge d'Orange. 84 INTRODUCTION A LK GESTE DE GUILLAUME. II PABT CHAP . LivB. II. tien , comme un des fondateurs de Tindépendance — nationale. * W Enfin, on t touIu justifier certaint traits de notre légende épique en prétendant qu*ils furent empruntés à la TÎe d*un autre saint GciLLAUiu, BUfiTB, mort en 1157. C'est tout le contraire qui est Trai. On a emprunté à rhistoire de Guillaume de Gellone certains éléments de la légende de Termite Guillaume , de Tinstituteur des Guillelmites. On a fondu ces deux exii- lences en une seule, au détriment de notre héros. Dans un « Bréviaire de Tordre des Hermitcs de saint Augustin » de la fin du quinzième ou du commencement du seizième siècle, cette confusion reçut une consécration nouvelle. Dans on Bréviaire postérieur, à Tusage de TOrdre de Saint-François, les Leçons de saint Guillaume ermite commencent ainsi qu'il suit : « Beatus Guillelmus, olim Aquitanie dux et Pictarinus comes, comitili ut fertur génère oriundus.., pâtre Theodorico et matre Aldacia indytam prosapiam ducens, sue rtge Carolo Magno strenue militavit. » Et iMMftDUTBMEiiiT APEis, sans transition , sans prendre la peine de souder entre elles les deux légendes, le biographe latin ajoute : «Quo tempore, qao Eugenius papa iertius in inferiorem secessit Gal- liam... A principio susjuTentutis a beato Bernardo edociuBf etc., etc. » Et en 1570, les Officia Patnun Eremitarum sancti jiugustini offraient encore la même confusion avec cette seule variante : « Sub Ludovico Juniore Gallorum tt^ $trenue militavit ; » on s'était contenté d'effacer le nom de Chariemagne, trop compromettant pour la vérité de la légende. D'ailleurs, ce saint ermite, ce Guillaume de Malaval a été également confondu avec la plupart des ducs d'A- quitaine, et particulièrement avec Guillaume IX, mort à Compostelle en 1137. C'est ce que les BoUandistes ont mis eu lumière avec leur pénétration et leur sincérité ordinaires. {Âcta SS, februarii. II, 432, 434 et suiv.) 11 ne résulte point de là que Termite Guillaume, qui vécut en Toscane, ait prêté quelqnes-una de ses traits à la physionomie poétique de Guillaume au Court Nez. En 1150, la légende du Montage était, suivant nous,entièrement achevée. «Mais,nous objecte- ft t-on, le saint ermite Guillaume nou4est représente comme luttant avec les Dé. « mous, et nous ne découvrons pas dans la légende ecclésiastique de Guillaume de •« Gellone cet épisode de nos poèmes. • Tout d'abord, cette lutte contre les Démong se retrouve dans la vie de tous les Saints, et est devenue un lieu commun soit his- torique, soit légendaire. Puis,daQS les Miracula qui accompagnent la f'iedenotre saintet remontent à peu près à la même époque,il est longuement raconté comment après sa mort il lutta contre les Diables en délivrant des énergumènes. L'un d'eux s'écriait sans cesse : « Nonne monachum Willelmum contra me iratum videtis ? » Il y a là suffisamment de quoi expliquer le combat fameux de Guillaume contre le Démon qui se trouve dans le Moniage. — Mais M. Jonckbloet nous fait encore ^ . remarquer que Guillaume l'ermite se choisit une retraite qui est désignée dans sa ^^ /^ t\ légende sous le nom de Stabulum Rodis, et, d'un autre côté, il nous montre ce vers du Moniage : «Voirementsui Guillaume de Rohès. » A ses yeux, « Rohès » est une sorte de traduction de Stabulum Âatiis, et par là serait démontré l'emprunt que la légende de Guillaume de Gellone aurait fait à celle de Guillaume de Malaval. Mais il convient d'observer que jamais Stabulum Rodis (que tous les bagiographes français ont traduit par VÉtabie de Rhodes) n'aurait pu philologiquement don- ner la forme française itoAeV. Et si M. Jonckbloet désire une autre explication. NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 85 Nous espérons que ces récits ne saisiront pas moins " »*^"' "^"^ "*• vivement Tesprit de nos lecteurs que ceux dont Char- — — ""^ nous CMerons lui proposer la suivante à titre d*hypothèse plus plausible. Roais est un bourg aux environs d* Orange dont notre Guillaume a pu prendre le nom très-naturellement. Il est au contraire fort difGcile de croire qu*unbéros aussi po- pulaire ait été, dans la seconde moitié du douzième siècle, emprunter si loin le nom d*un saint beaucoup moins populaire que lui.^Ainsi, sur les treize person- nages du nom de Guillaume qui ont été considérés comme ayant fourni quelques traits à notre légende, o/i 86 INTRODUCTION A LA GESTE DE GUILLAUME. II PAIT. uTx. n. lemagne lui-même était l'objet. Le fils d'Aimeri peut, ' — r- après tout, n'être considéré que comme une nouvelle Tabbaye de Saint-Cyprien de Poitiers, puis dans celle de Saint-llaixeot, otk il mourut en 983 : nouveau trait de ressemblance avec le Guillaume du Montage. Faut-il ajouter qu'Adélaïde, fille de Guillaume Caput stup», épousa en 970 Hugues Capet, qui devint roi de France, et que nos Chansons nous mon- trent également Blanchefleur, sœur de Guillaume, épousant le roi de France Louis ? Comme on le voit, les traits de ressemblance abondent entre le héros de rhistoire et celui de la poésie. Mais c'est en raison du trait principal et caractéris- tique de Guillaume Tète-d'étoupe, c*est à cause de sa fidélité constante au roi de France, que nous le regardons comme un des types les plus irrécusables do Guillaume de nos épopées. Dans la vie du véritable Guillaume, rien n'accentuait ce caractère que nos poètes ont obstinément donné à leur héros : celui de pro- tecteur de la royauté franke. Et c'est pourquoi nous pensons, en résumé, qu'avec Guillaume I, comte de Provence, Guillaume I, duc d'Aquitaine, est le seul qui ait exercé sur la légende de saint Guillaume de Gellone une influence véritable. C'est notre conclusion. $ 5. UtGWKhMS UlflYBRSBLLBS. a. On l'a dit avec quelque raison : « Il n'y a guère au monde qu'une seule « histoire ou un seul conte, que les différentes é|H)ques et les difierents peuples « ont raconté et s*obstinent encore à raconter de mille façons diverses. » Ce qn'il y a d'incontestable, c'est qu'un certain nombre de légendes se retrouvent par- tout, avec quelques variantes plus ou moins considérables. La science des mythes t déjà étudié de nos jours plusieurs de ces contes universels. Il était impossiUfrqjiift. quelques-uns d'entre eux ne pénétrassent point dans notre Épopée natiamfo * c'est en effet ce qui est arrivé. — b. Au nombre de ces légendes uuiversellety mm devons compter tout d'abord le stratagème dont le récit termine le Charroi de JNCmet, Introduire dans une ville assiégée des hommes armés qu'on a pris soin de cacher sous un déguisement ou daus une retraite quelconques, c'est une ruse que l'on retrouverait aisément dans la poésie primitive de tous les peuples. C'est l'équivalent fort exact du cheval de bois que l'on fit pénétrer dans Troie. M. Jonck- bloet, avec sa subtilité ordinaire, a rapproché de ce dénoùment du Cftarroi le trait que raconte Justin d'après Trogue Pompée qui suivait lui-même Dioclès de Péparèthe : « Rex Comanus insidias Massilieiisibus exstruit. Itaque solemni Floraliorum die, multos fortes ac strenuos viros hospitii jure in urbem misit, plures sirpeis latentes frondibusque supertectos induci vehiculis jubet. Et ipse cum exercitu in proximis monlibus delitescit, ut, quum nocte a prœdictis apertae ports forent, tempestive ad insidias adesset urbemque somno ac vino sepultam armatis invaderet... Sed has insidias mulier quasdam prodidit qu«, adulterare cum Greco adolescente solila, in amplexu juvenis miserata formas ejus^ insidias aperuit periculumque declinare jubet. lUe rem statim ad ma- gistratus defert, atque ita, patefactis insidiis, cuucti Ligures comprehenduntur latentesque de sirpeis protrahuntur. Quibus omnibus interfectis, insidianti régi iiuidiae tenduntur. Caesa sunt cum ipso rege hostium septem mitlia. » (Historm, lib. XLIII, cap. iv.) — Voili ce que raconte Justin; mais, de bonne foi, croi^ on que cet obscur q>isode d'une guerre obscure , que ce passage d'un NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. 87 personnification du fils de Pépin, et son prolongement u PAiT.ufB.ii. dans l'histoire. C'est Charlemagne continué sous un — — éerivaiii dasiique ait pu avoir quelque influence sur notre poésie populaire, et notamment sur un poème aussi primitif que le Charroi de NùHes?Ei n*est-il pas cent fois préférable d'invoquer ici cette universalité de certaines histoires dont nons parlions tout à Theure ? — Un autre €ût de ce genre qui s'est passé en 1017 dans le diocèse de Trêves, et qui est raconté par un auteur anonyme du douzième siècle dans la fie de saint Meinwerc, évèque de Paderbom, aurait encore, suivant M. lonckbloet» pu servir de type au dénoûment du même poème... Après la mort de Meingoz, évèque de Trêves, deux puissants compèti* teurs se disputèrent le siège vacant. C'étaient Adalbcron, abbé de Saint-Paul, et Poppon que TEmpereur avait fait élire. Les deux Évèques se firent bonne guerre. Plusieun châteaux tenaient pour l'usurpateur Adalbéron, et notamment une sorte de maison fortifiée dans Trêves, appelée Sisitra, d'où Ton voyait souvent sortir en armes un certain Athelbert pour jeter le désordre dans toute la ville et jusque dans la cour de rÉvéque. A tout prix il allait vider ce repaire. Un chevalier du nom de Sicko se fait fort d'en venir à bout. 11 se présente à la porte d*Athelbert : « J'ai soif, • dit-il. On lui offre un hanap, qu'il boit avec avidité : • Je vous prouverai ma reconnaissance, • et il envoie au tyran trente barils {/utmœ) dans lesquels sont cachés trente chevaliers armés de hauberts et de heaumes, ton-' eati atque galeati. Soixante autres pUbeia veste amieti portent deux par deux ces en^nsqu'on introduit sans défiancedans hi maison d'Athdbert lfais,tont aussitôt, les chevaliers sortent de leurs barils,se jettent sur le tyran, le tuent, massacrent tous les siens. «. et le Chroniqueur du douzième siècle termineences termes sa pi- aanration : « Sic Dei misericordia Episcopus a tyrannide Adalberonis est ,-9[Fiedetaint Meinwerc^ cap. zn. Léhm\z,Scriptoret rerum Brunsvic,^ l4p. $17 et suiv.) M. Jonckbloet, à qui revient le mérite de la découverte de ce texte "précieux, ne prétend pas d'ailleurs affirmer que le rédt du Charroi soit sorti de celui de la Vie de saint Meinwere : « Nous n'oserions pas décider, dit- m il, laquelle des deux traditions a servi de modèle à l'autre. » Et il va jusqu'à avancer que celle du poème français présente un caractère plus fortement accusé : « qu'elle est plus plausible, plus naturelle dans ses détails : qu'elle a une phy- « sionomie plus primitive.» Ne vaut-il pas mieux conclure que nous avons al&ire i un seul et même conte qui a traversé tous les siècles, en revêtant divers aspects et en se modifiant plus ou moins profondément dans son ensemble et dans chacune de ses parties ? Telle est du moins notre ferme conviction. — c. Parmi ces contes universels il £iut encore signaler les péripéties suivantes de nos Chan- sons de geste : L'enfant noble qui est ravi à ses parents et qui, élevé inco- gnito dans quelque famille pauvre ou roturière, finit par révéler son courage dans quelque occasion extraordinaire (Enfances Vivien) ; — Le guerrier qui est merveilleusement préservé, comme Achille, dans toutes les parties de son corps, excepté toutefois en une seule qui sera certainement atteinte (c'est ce qui arrive à Guillaume, dans le Couronnement Looys^ alors que l'on promène le bras de saint Pierre sur tous ses membres,et que son nez seul n'est point touché) ; — La prise d'une ville grâce à des souterrains où les assiégeants peuvent péné- trer (Prise d'Orange) ; — L'existence des géants, et leur puissance mise au d'une bonne cause ( seconde partie à^AUscanê^ BataitU Loqui/er, Mo^ 88 FIN DE LA NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE. Il PAET. uTi. II. autre nom, et chassant fièrement les Sarrasins du midi CBAP. L ' ^ • — de la France. Le véritable héritier du grand Empereur, • niage Renoart, etc); — La lutte TÛible et matérielle des Saints contre les l^ moDB(Moniage Guillaume) ; — Le pouvoir de la magie et des enchantements (En' fonces Guillaume f épisode des noces d'Orable et de Thibaut), etc., etc., etc. S 6. Lieux communs épiques. Nos Chansons se composent /^oi/r les dix^neuf vingtièmes d*une série de lieux communs qui sont partout reproduits avec quelques variantes. Nous allons en énumérer quelques-uns qui donneront aisément Tidée de tous les autres : V* In- vasion des païens et siège d*une ville chrétienne {Aliseans, Enfances Guil- laume. Siège de Narbonne^ Renier de Gennes^ etc., etc.). 2* Prise d*une ville païenne ou au pouvoir des païens {Charroi de Nimes, Prise d^Orange, En^ fanées Vivien^ Siège de Barbastre^ Prise de Cordres^ Foulques de Candie, tXc^ etc.). 3° Combat singulier entre deux héros chrétiens {Couronnement Looys^ Girars de f^iane, etc.). 4*^ Combat singulier entre un chrétien et un Sarrasin (Renier de Gennes, Couronnement Looys, etc. , etc., etc.). 5^ Amours d*une priiw cesse sarrasine et d'un héros chrétien (Enfances Guillaume, Prise d'Orange, Hermaut de BeaulandeJUenier de Gennes, Siège de Barhaslre, etc, , etc.), 6^ Un géant, d*une force prodigieuse et d'une intelligence médiocre, se mettant au service d*une bonne cause et la faisant triompher (Garin de Mong/ane,Hemaut de Beau* lande^AUscans^ Bataille Loquifer^Moniage Renoart,tic.). 7® Un géant païen dé» fiant les chevaliers français et vaincu par Tun d'eux (Renier de Gennes, Couron' nement Looys, Uoniage Guillaume, eXc, etc.). 8® Baptême et mariage d'une prin- cesse sarrasine (Prise d'Orange^ Siège de Barbastre, Foulques de Candie, etc., etc.). 9* Violents débuts et premiers exploits de chevaliers qui sont encore êufu^ts (Girars de Fiane, Enfances Guillaume, Siège de Narbonne, etc.). 10* RoM menacée par les Sarrasins (Couronnement JLoojj,qui reproduit la même U^enêe qu'0^/«r de Danemarche, eic»)* 1 1* Révolte d'un vassal contre son seigneur (Ga- rin de Montglane, Girars de Fiane, Couronnement Looys, Charroi de Ni" met, etc.). 12* Puissance des enchanteurs et des magiciennes (Garin de Mont' glaney Hemaut de Beaulande^ Enfances Guillaume y etc.). 13* Un chevalier i la recherche d'une dame mystérieuse (Garin de Montglane et tous nos Ro- mans d'aventures). 14* Chevaliers se convertissant et entrant dans un monastère (Moniage Guillaume^ Moniage Renoart), etc., etc., etc. § 7. Imitations des autres gestes. Ces imitations sontnombreuses et importantes. Suivant nous, le personnage de Virien tout entier est calqué,servilement calqué, sur celui de Roland. Le neveu de Guillaume,qui d'abord s'est montré tout aussi téméraireque le neveu de Charles, va jusqu'à s'en repentir, va jusqu'à sonner du cor conmie lui. II vit,il meurt comme le grand vaincu de Roncevaux. On peut dire enfin que, si Aliscans repose sur des fondements historiques et légendaires dont rien n'égale la solidité, ce beau poëme et le Covenans qui le précède ont cependant emprunté à la Chanson de Roland un certain nombre de détails et, surtout, leur physionomie génénle. Dans le même Covenans, l'épisode du petit Guichardet qui s'échappe du ]>a]ais pour suivre Guillaume à la guerre rappelle trop exactement celui d«.pi|ît Rolandin s'échappant de Montloon pour accompagner TEmpereur 4hM fà guerre d'Aspremont Mais certains Romans de notre geste ont servi et WêMêêi ^* • > I ORIGINES DE LA GESTE DE GUILLA UME. 89 ce n'est pas son fils Louis : c'est notre héros, le comte " '^"- "y»- "• r ' CHAP. II. Guillaume'! CHAPITRE IL ORIGINES FABULEUSES DB LA GESTE DE GUILLAUME. D'après une tradition qui ne paraît pas remonter beaucoup plus haut que le treizième siècle, Charle- magne, Garin de Montglane et Doon de Mayence, ces chefs des trois grandes gestes, naquirent le même jour, à la même heure, et presque au même instant. Cette tradition, ou plutôt cette imagination épique, ne manque pas d'une certaine majesté qui nous étonne et ne nous laisse point insensible. Au moment où naquirent ces trois héros à moitié i d'autres Romans ou à d'autres épisodes du même cycle, G*est ainsi que, sui- vant nous, le personnage de Robastre, qui figure dans Garin de Montglane et Hernaut de BeatUande, a été calqué sur Renoart, tout aussi senrilement que Vivien sur Roland. Il serait facile de multiplier ces exemples. Il nous resterait maintenant, après avoir étudié la formation de notre geste, i en suivre toutes les déformations à travers les siècles ; mais, pour plus de clarté, nous renvoyons notre lecteur aux Notices particulières qui accompagnent chacune de nos Chansons. Notre Notice générale est achevée. * Nous devons donner ici la liste des vingt-trois Chansons que nous avons désignées, dans ce premier chapitre, par les lettres suivantes : a. Enfances Ga- rin de Montglane, — b. Garin de Montglane, — c. Hernant de Btaulande, — d. Renier de Gennes, — e. Girars de Viane, — f, Aimeri de Narbonne, g» Enfances Guillaume, — h. Siège de Narbonne. — i. Couronnement Looys, — j. Charroi de Nîmes, — k. Prise dOrange, — 1. Enfances Fivien. — m. Co- venans Vivien, — n. jiUscans. — o. Bataille Loquifer, — p. Moniage Benoari, — ^. r. Siège de Barbqstre ; Beuves de Commareis, — s . Guibers ttyindrenat. — t. yhiit de Cordres, — u. Mort d'Aimeri de Narbonne, • — v. Foulques de ^ "' ««i^* Hunier, — y, Moniage Guillaume, Les chefs des trois grandes gestes, Charles, Doon et Garin, naissent tous trois dans le même instant. ^ U .* 90 ORIGINES DE LA GESTE DE GUILUUME. II PAIT CHAP, Lp"î*' "' surnaturels qui devaient inonder de sang païen le sol de la Chrétienté heureusement délivrée, qui allaient être visiblement assistés par les anges de Dieu et don- ner naissance à une triple lignée de conquérants et de martyrs, en ce moment solennel, toute la nature se Prodige» troubla. Le soleil devint rouge comme du sang dans le qui signalent , ^ ^ UDsbMnce ciel pâle, la terre trembla, une tempête de vent passa grands ennemis sur le moude et en particulier sur 1 Espagne épou- vantée. Plus de cent châteaux s'écroulèrent sous l'ef- fort de cet orage, en ce pays où régnaient les Sar- rasins et d'où Jésus-Christ était banni. Tout à coup, trois grands coups de tonnerre reten- tirent, et la foudre tomba à la même minute devant le palais de Pépin , roi de France, devant celui du duc d'Aquitaine, devant celui où allait naître Doon de Mayence. Et de la terre, ainsi creusée par la foudre, sortirent trois beaux arbres fleuris et verdoyants qui étaient appelés à vivre tant que vivraient les trois chefs des trois grandes familles épiques. Mais à leur mort on devait les voir soudain se flétrir et mourir. Cependant les prodiges continuaient, horribles, et il y eut pour les hommes de l'Occident un immense et universel épouvantement. On se demanda si ce n'était pas la fin du siècle Mais en réalité tous ces prodiges annonçaient une grande joie à la chrétienté. « Malheur aux Sarrasins, « gloire à la France, victoire à l'Église! «Voilà ce que prédisaient cette éclipse, ces foudres, ce tremblement de terre, tandis que dans les bras de leurs mères dor- maient ces trois petits enfants qui s'appelaient Doon, Garin et Charles'... I Doon de Mayence^ éd. Pey, vers 6879-6894; 5382 etsuiv. ; 81 15 et mît. Entr'euf 'II* et Garin oli grant proeiche apeot Qui IfoogUiie a oooqnis Nur la meacréaat gent, ANALYSE DES^ ENFANCES GARIN. 91 CHAPITRE III. II PABT. UTB. Ik CBAP. in. LES ANCETRES DE GUILLAUME. (Bnfances Garin de Stfonigiane*.) I. On se rappelle peut-être le touchant récit des aven- tures de Berte aux grands pieds qui se trouve placé Nasqnirent en •!• Jour pargrant demonstrement O rei do niot foleU^ quant i^ matin reiplent. L*eare que il naïquirent, tous di chertainement Qœ te aoleU rougi en empaliisement, Et moa sa ftetion et ion tresoourement. Et la terre croolla et coorurent U vent. Les noes de lassas menèrent tel torment Qœ dn Tent qn*en sailli, que n grant crouUemeut En Eapengne en qnéirent des castiaos plos de *C*... {JDooii de Maifenet, Teri 0679 et sniTants). Trois grans foodrei qoéirent des nues maintenant : La première qnéi à Paris la manant, Par derant te paies Pépin le combatant. Là ob ete quel, fist une fosse grant. De la fosse vit on saillir de maintenant -I* arbre kmc et droit, flouri et Terdoiant, Tant oom Kalles TiTra^isera son Tirant.... (Ibid.,Ters &S02et suirants). L'auteur de Gérard d'Euphrate (Paris, Vincent Sertenas, 1 549, et Moutard, 1783) n reproduit ce conte en tète de son étrange composition (▼. sur ce Ro- man notre tome I, p. &36, 537). Cette légende, qui n*a aucun fondement dans la tradition, est YÎsiblement Texcuse des cycliques qui ont trouvé ce lien bizarre pour réunir leurs trois gestes. > HOnCE BIBU06RAPHIQUE ET HISTORIQUE SUS LE ROMAN DBS ENFANCES GARIN DE HONTGLANE. 1. BIBLIOGRAPHIE. Nous donnons, pour éviter toute confusion, le nom à^ Enfances Garin k la premièiv partie de cette nouvelle rédaction de Garin de lHonigiane^qm est contenue dans le manuscrit finançais 1460 de la Bibliothèque impériale (f* 1 r«-94 vo). H est bon d'ajouter que la seconde partie de ce manuscrit nVst pas, commb cil l'a cmu lUSQU'lcly un refazimento pur et simple de notre Roman de Garin de Mont' glana (La Vall. 78). G*est une version très-différente, à beaucoup d*égards,et qui mérite d'avoir une place particulière dans la série de nos Cjiansons. 1« Datk dk L4 COMPOSinON. Lm Enfances Garin nesontpas^selon nous,antérieures au quin- zième siède. Tout contribue i le prouver : l'action Ja langue,les mœurs et les usage* qui j toDl pemts, etc. Au folio 66 il y est dit : « Mais la Mort qui tant prent AnalyiiC des Enfonça Garin, Naissance . dcCarIn, MsjIcuI de Guillaume. Son père e»i Savari, duc d*Aquitainr. Sa mère. Flore, innocente comme Berte aux grands pieds, est peraéculée comme elle. CBAP. IIL 93 ANALYSE DES ENFANCES GÀRiN. Il PABT.^uTE. IL au commencement de la geste du Roi. Au quinzième siècle, on éprouva le besoin de donner à la geste de evesqnes et abbés, — ^Les griDS et les petits, nul n*eu est déportés, etc. » N'y a-t-il pas là une allusion i la Danse macabre, et cette allusion ne peut-^e pti senrir à dater plus exactement notre Cbanson? Ce qu'il y a de certain, c*est que : lo dans la version en prose de notre geste, rédigée au quinzième siècle (B. I. fr. 1497, f« 1 r»); 2» dans la compilation en prose du manuscrit de TAnenal (B. L. F. 226) ; et 3« dans tous les Guerin de Montglave incunables, il n*est ques- tion que des aventures de Gann avec Mabillette, et non pas de celles de Savarî et de Flore. Ce qui prouverait encore la postériorité des £/i/Viiu;tfx..-2* AVTBim. Les Enfances Garin sont anonymes — 3o Nombrb DE YBBS RT HATURS DE LA VERSIFICATION. Les cinq mille vers de ce Roman sont des alexandrins rimét. Chaque couplet est terminé par le petit vers de six syllabes : Tauteur avait mit doute en vue d'imiter le Garln de Montglane du treizième siècle. C'est ainaî que le petit vers final se retrouve dans le remaniement de Jourdain de Biai" ves, etc. — 40 Manuscrit connu. Nous ne possédons qu'un seul manuscrit dct Enfances Garin : c'est le fr. 1460 de la Bibl. impériale (anc. 7542). 11 est de la fin du quinzième siècle, comme l'attestent son écriture, et surtout le style et les costumes de ses nombreuses et grossières miniatures. Outre les Enfances, et manuscrit contient en outre un refazimento de Garin de Montglane qui ne correspond pas exactement au Garin du manuscrit 78 La Vallière (f» 94 v«- 259 V*). Les deux Romans,d'ailleurs, sont très-intimement soudés, et ne font qu'un seul et même poëme.— 5« et 6«. Version en prose et diffusion a l'étran- ger. Les Enfances Garin n'ont eu aucune popularité, ni en France, ni à l'é- tranger. C'est une œuvre tout4-fait fantaisiste, tout4-fait isolée. Tandis que Garin de Montglane a joui d'une vogue assez étendue et assez durable, le trè§- pauvre Roman qui lui sert d'Introduction semble n'avoir été connu de personne, et l'on n'en trouve nulle part aucuue trace. — 7» Travaux dont ce POfiME A ÉTÉ l'objet, m. Paulin Paris est le seul qui se soit occupé des Enfances Garin dans une des Notices du tome XXII de VHisioire littéraire (p. 438-440). Son analyse est exacte, mais trop brève ; elle ne donne pas utae idée suffisante des péripéties compliquées de cette œuvre de la décadence. L. Clams l'a imitée dans son Herzog Wilhelm von Àquitanien (p. 198). = 8« VALEUR LITTÉ- RAIRR. On peut dire que les Enfances sont un de nos poèmes les plus médio- cres. Nulle originalité, nul style; Girard d'Amiens semble un aigle auprès de ce remanieur de vingtième ordre. Ce n'est qu'une collection de lieux communs épiques (tournois, amours, guerres contre les Sarrasins, etc. , etc.) que l'auteur a jugé bon d'enchâsser dans la plus servile et la plus plate imitation de Berte- aus granspiés. Il a voulu donner à la geste de Garin le même début qu'à celle de Roi : entreprise inutile, bizarre, et qui méritait de ne conquérir aucun suc- cès. Joignez à cela que le copiste de ce triste poëme l'a effroyablement défiguré, et qu'un grand nombre de vers n'y sont point sur leurs pieds. Un exemple est peut-être nécessaire pour justifier tant de sévérité, et nous voulons donner ici le seul passage des Enfances qui nous ait paru digne d'être cité. On jugera par là du mérite des autres Garin vient d'entrer dans le palais de son père Savari où s'est installé le traître Driamadan, et il s'apprête à faire justice de ce misé- rable : « Aussy tost que Garin commeocha sa raison, —Moût bien l'ont cicoutté ANALYSE DES ENFANCES GARIN. 93 Guillaume un début aussi émouvant, et Ton imagina "taw. live.ii. de copier servilement le vieux poème d'Adenès. De là '• — —- entor et enviroD, — Car le damoûel avoit bonne raison — « Oz tu, Driamadan, che dist lui dansillon, — Et vous communaulment, cheraliers et baron, — Bourgoiz, bourgoises et gens de relligion : — Je suiz filz vo seigneur qui Savariz ot nom, — Filz la duchoise Floure qui par grant mesprison — Eu de chy en- cachie en estraigne royon. — Or suiz ycy venus voir ma région — Que Dria- madan tient qui n*y a ung bouton, — Et pour ce en ara tantost son gueredon. » — Son mantel deffubla, ne tint qu*à ung bouton. — Il a hauchié le brant que trence de randon. — Veuille {sic) Driamadan, se tourne sa facbon, — Bien s'en coide aller et mettre à garisoo. — Mais Garins lui donna ung si grant horion, — An hatfel derrière fery si le glouton,— Que tout lui destrencha jusques au gar- gechon. — Tout froit mort Tabbat par delez ung peron. — Puis, sailly sur le siège et se cry à hault ton : — « Bonnes gens, gardez-moi que n*aye se bien non, — Car fieulz suiz vo seigneur et Garin m'appelFon « etc., etc. n. ÉLÉMENTS HISTORIQUES DES ENFANCES GARIN, Les Enfances Garin sont absolument fabuleuses, et n'ont rien de traditionnel ni de légen- daire. De cette copie eiiacée de Berte aus grans pies, on peut répéter ce que nous avons dit ailleurs de Berte elle-même : « Comme un certain nombre de nos légendes épiques, thistoire de Savari et de Flore est un de ces contes commune à tout Us siècles et à tous les pays, qtd circulent partout et reçoivent de temps en temps une forme nouvelle dans une nouvelle littérature, i» Flore est le type de répouse calomniée, innocente et enfin réhabilitée. Or rien de plus vieux, rien de plus universel qu*une telle histoire. Dans notre seule littérature épique, elle eftt plusieurs fois répétée. La reine Sibille dans le Roman de ce nom, Béatrix dans Belias, Berte enfin, sont des personnages coulés dans le même moule. L'auteur de l'Histoire légendaire des Franks{p. 1 10 et suiv. ), M.Beauvois, a mis en lumière les aventures de la reine Sisibe, épouse de Sigmund, qui est durant l'absence de son mari poursuivie par le comte Hartvin et accusée ensuite par celui qui Tavait voulu déshonorer. La malheureuse Sisibe est proscrite ; ou la conduit dans une fprét où Ton doit lui couper la langue : « Cette femme est innocente, dit alors « le comte Hermann ; contentons-nous de couper la langue du chien qui nous ac- « compagne, — Non, non, répliqua Hartvin, il faut qu'elle paye les refus que j'ai « essuyés. » Sur ces entrefaites, la reine accouche d'un beau garçon, qu^elle place dans une grande amphore de verre. Le courant de la rivière emporte l'amphore qui se brise contre un rocher. Une biche nourrit le petit enfant, etc., etc. Notre Flore ressemble, plus que Berte elle-même, à Sisibe, à Sibille, à Ge- neviève de Brabant. Elle est mère, alors que ses malheurs commencent. La mère de Charlemagne, au contraire, est la seule qui souffre de l'aveuglement de son mari, et par conséquent elle excite une sympathie moins vive.... Ul. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. N'ayant jamais été populaires, les Enfances Garin n'ont jamais été modifiées ni dans leur style ni dans les péripéties de leur action. Nous n'avons même pas trouvé ithb seule ALLUSIOH ice poëme dans tous les Romans en prose, manuscrits ou imprimés, qui jusqu'ici ont passé sous nos yeux. C'est assez montrer combien cette pauvre oeuvre cft demeurée inconnue. En résumé, elle a subi tout l'insuccès qu'elle méritait. CHAP. III. 94 ANALYSE DES ENFANCES GARIN. II PART. LiTA. II. ces Enfances de Garin de Montglane ; de là ces contes qui n'ont rien de traditionnel, et qu'on ne peut même pas appeler des légendes. Nous les rapporterons briè- vement. Donc, voici ce qu'on racontait au quinzième siècle sur le bisaïeul de notre Guillaume. • • . Le père de Garin était duc d'Aquitaine et s'appelait Savari ; sa mère était fille de Thierry, roi des Lom- bards, et se nommait Flore'. Ils s'étaient mariés à peu près dans le même temps que Pépin épousait Berte. Mais Flore, hélas! était appelée à traverser plus d'épreuves encore que la femme du roi de France •• Les noces avaient été joyeuses cependant ; on les avait célébrées en plein mois de mai, en plein printemps, dans la ciié d'Aquitaine. Deux beaux fils , deux jumeaux, Gérin et Anthiaume, naquirent quelques mois après^ comme pour resserrer doublement l'af- fection de leurs parents ^. Dès les premières pages de ce roman, vous voyez que notre héroïne offre plus de ressemblance avec Geneviève de Brabant qu'avec Berte aux grands pieds. Elle a, de plus que celle-ci, ce le charme austère de la maternité » ; mais elle n'en a point la candeur charmante. Elle intéressera davantage, mais elle plaira moins. Savari, plus coupable cent fois que Pépin, vit de* puis longtemps avec la fille de son sénéchal, avec une concubine qui jouera désormais un rôle trop impor^» tant dans tout ce récit. La belle Yderne, d'ailleurs. < Le poëte du quinzième siècle, auteur de cet audacieux remaniement, ne craint pas d'exprimer au début de son œutre les plus étranges reproches contre ses deyanders : « Aucuns en ont chanté et s'en sont aaty, — Mais an com-' menchement il y ont moult failly : — Nul ne serent nommer celle dont il issy. • (B.1,ms. fr. 1460, M i^.) ^Enfances Garin dt Montglane^ mi. 1460, f 1. 1^ et?^. ANALYSE DES ENFANCES GÀRIN. 95 a pour mauvais eénie sa propre mère Ostrisse. et c'est " i*^"- "^■• * ^ ^ ^ o r r ' CHAP. m. ainsi qu Âliste, dans Berte aus grands pies, se laisse aveuglément conduire par Margiste, sa mère. Cette Yderne n'a pas été sans s'irriter contre le mariage de Savari; elle respire la vengeance, et sa mère l'excite. Ostrisse fait plus : elle est quelque peu magicienne et, partant, quelque peu empoisonneuse. Cette Locuste de bas étage a le secret de certaines herbes qui exal- tent les sens et soulèvent la colère dans le cœur des hommes : elle en fabrique je ne sais quel philtre im- pur qui excite les passions de Savari '. A peine a-t-il bu ce mauvais breuvage, qu'il se prend à détester sa femme avec une véritable folie furieuse, en mémo temps qu'il se sent dévoré pour Yderne d'un dé- testable amour que rien ne pourra plus éteindre. Le drame commence à devenir lugubre. Flore est désormais une victime, telle que les drama- turges de notre temps en ont si souvent jeté sur la scène. Elle est méprisée, elle est battue, elle est traînée par les cheveux. Entre elle et lui, le duc d'Aquitaine place tou- tes les nuits une grande épée ; et cependant Yderne, tout à côté de l'épouse légitime, fait le bon plaisir de celui que les philtres de sa mère ont rendu effronté* ment adultère. Des joyaux sont volés dans le palais de Savari : c'est Flore qu'on accuse. Un sergent, su- borné par Ostrisse, élève la voix contre l'innocente duchesse ; puis, il disparaît, mis à mort par la mère d'Ydeme, qui veut se débarrasser d'un témoin dan* gereux*. Cependant on conduit déjà la malheureuse Flore au supplice ; elle n'obtient sa grâce qu'à grand'- peine et en alléguant qu'elle est sur le point d'enfan^^ ter : « Qu'on la renvoie à son père, j* dit brutalement I Enfances Garin de Montglane, ms. 1460, f 2 r». — ^ P> 2 y^—î» 4 1« XI PABT. LITfe II CRAP. III. 96 ANALYSE DES ENFANCES GÀRiN. ' Savari, et qu^on me délivre de sa vue. — Ne me lais- Qc serez- VOUS pas emmener mes deux petits enfants ? — a Non. » Elle court alors les embrasser et les couvre de ses larmes. Puis, elle sort tristement de ce palais où elle devrait rester honorée et puissante. Elle est seu- lement accompagnée de quelques dames et d'un bon chevalier, Alexandre d*Obrie. Ils prennent ensemble le chemin de la Lombardie '. I^e voyage devait êlre terrible. Car l'exil de la Du- chesse ne satisfaisait ni la jalousie ni l'ambition d'Os- trisse, et elle avait aposté dans un bois quelques misé- rables pour mettre l'innocente à mort. Ils se précipitent sur la petite troupe, coupent la tête du fidèle Alexandre, tuent les chambrières. Au milieu de ce massacre, la pauvre Flore tombe à genoux,suppliante,et d'ici je crois voir la miniature, plus que naïve, que l'humble ar- tiste du quinzième siècle consacre à cette scène pathé- tique. C'est ainsi, n'est-il pas vrai? que Geneviève s'est jetée aux pieds de ses bourreaux, et Berte aux genoux de Tibert et de Morand? Faut-il ajouter que l'un des brigands s'émeut des douleurs de Flore el de ses prières? Faut-il la montrer restant seule au fond d'un bois qui ressemble étrangement à celui où la femme de Pépin eut la joie de rencontrer le bon Simon le Voyer ^ ? La duchesse d'Aquitaine trouve l'hospitalité chez un autre Simon, et voici que, peu de temps après, elle met au monde un bel enfant, qui sera le très- illustre Garin de Montglane, le héros de notre Chan- « Enfances Oarln de Montg/ane, f S r^-f» 6 r**. Quand la pauvre Duchesie f^éloigne ain»i de son mari et de ses enfants : «< N'y éult sy dur cuer jmquà Cathre qui sent — Qui n'en éubst pilé selon mon escient. » — » F* 6 r**. Le poëte juge à propos d'annoncer de nouveau sa Chanson : « Or commenche chancbon I)ien faite et devisce — Et matere royal bien faitte et bien rimée » (6V). ANALYSE DES ENFANCES GARIN. 97 son, le bisaïeul de notre Guillaume '. Tout aussitôt, "paht. ut. u. près de cet enfant épique, s'abattent trois fées ; Morgue '- — '- — est du nombre : « Cher petit , lui dit-elle , tu nais « pauvre ; mais Jésus-Christ, lui aussi, est né dans la a misère, et la Vierge, sa mère, est accouchée de lui « au fond d'une étable. Mais je te vais faire un grand F» 12 v^'-H r". n ANALYSE DES ENFANCES GABIN. 99 approuvé le concubinage et dont il partageait aujour- " **^»- "^»- d'hui la fortune. Éperdu, il accourt près de Savari et lui apprend le désastre de Richemont. Cependant le roi de Pavie poursuit sa marche victorieuse, et déjà Ton entend le bruit de la grande armée lombarde qui approche de la « jolie cité » d'Aquitaine. Tout semble désespéré '. Une bataille décisive s'engage sous les murs de la ville où triomphe Yderne, où gémissent depuis si longtemps les deux pauvres enfants de Flore, Gérin et Anthiaume. C'est en vain que le roi Thierry a ré- clamé ses deux petits-fils : Savari les lui a brutalement refusés et a renoncé de la sorte à ses dernières chances de salut. La guerre, la guerre seule va prononcer entre les partisans de la concubine et ceux de l'épouse légitime, et cette fois le succès donnera raison à la bonne cause. Le duc d'Aquitaine est vaincu : même il tombe aux mains de son ennemi. Les Lombards restent maîtres du champ de bataille, que leur ont inutilement disputé les Gascons commandés par Savari, les Bourguignons conduits par le duc de Dijon et les Anglais qui ont un Richard à leur tête '. Des Bourguignons et des Anglais ! On voit bien que Fauteur des Enfances Garin écrivait au quinzième siècle, en pleine guerre de cent ans. 11 reste à prendre la ville, où déjà la fausse épouse commence à trembler. Les assiégés n'ont plus de ressources; mais, tranquille au milieu de la dou- leur universelle, le père d'Yderne ne désespère pas , car il lui reste la ruse* 11 feint de capituler, et le légat du Pape, qui se fait son complice, va trouver le roi des « Enfances Garin de Montglane^ f» 15 r«-l6 r«.— » F» 16 v"-t8 l^. Le duc de Dijon est également fait prisonnier par les Lombards, et Raoul d'Angleterre a la main coupée: » ■ 9 ^ Lombards et lui offrir cette reddition hypocrite. Le " lendemain, au moment où les Italiens, joyeux, se repo- sent dans leur triomphe et ne se défient d'aucun piège, le sénéchal d'Aquitaine fond sur cette armée trop con- fiante et la met en fuite '. Thierry, ohiigé de battre en retraite, va cacher à Pavîe sa rage contre le légat et contre l'Aquitaine; mais il emmène avec lui le duc Sa- vari, son prisoimier. « Tu vas mourir, » lui dit-il *. Près du Sénéchal vainqueur, près d'Ydenie et d'Os- trisse, les deux petits enfants de Savari et de Flore sont demeurés, comme de pauvres martyrs qui n'ont plus, hélas! personne pour les défendre. On les per- sécute en les humiliant. Ils sont relégués à la cuisine : l'un tourne la broche, l'autre attise le feu. Le Séné- chal se fait ùter ses /teuses par ces fils de roi, qui rrrent en liaillons dans le propre palais de leur père- Par bonheur, Gérin et Anthiaume ont près d'eux un précepteur qui les aime, u Souvenez-vous de quel « sang vous êtes, » leur répète à tout instant ce bon chevalier, qui s'appelle Allcaume. La colère des enfants i^'enflanime; ils regimbent enfin sous tant de lionle et de mauvais traitements. Un jour, ils se jettent sur le Sénéchal et lui percent la poitrine à coups de cou- teau. Puis ils s'enfuient. Où vont-ils ainsi ? A Pavie ^. UL Opendant que devient le jeune frère d'Anthiaume «ÏÏÎs" ' *"/"""' ^"''" * "'•'"'g''"". ^ 18 t"-3! r° .—Il faut remanjuer qiir, diD) ifWpiirlpour toutecetle affaire, I« r6Ie le plus odietm rsl doDDC m Kgaldu P»p«. — • F° Î3 t> Sicile. ,. ei ï". — î F' 33 ï=-!G r". L'auteur drs Enfances Garin fait «irore une foil Taunonfc de ion poème ri expoiedc Doiiveau U théorie de> troii cyrin épiquea: n C'est UD* dei Iroii geito qui rient du reyii ling j — La première de» Iroii, c'est du bon roi Pépin, — Et la seconde geste, si rient de Dwlin, — De Garin Je Honglenne, le nolile polleiin, — Vient la llerclie des gestes. » *;* ANALYSE DES ELANCES GARIN. -W*' * et de Gérin ? Que devient ce troisième fils de Flore, deql *-Îaw. «tb- h. ^' cBâP» m. le berceau a été entouré par les fées ? Garin vit caché ■ près de sa mère, dans un village inconnu. Voilà qu'il a dix ans ; voilà qu'il a quinze ans. Il est d'une beauté écla- tante et qui attire sur lui tous les yeux. Or, le seigneur du lieu avait deux fiftes; la {rfto jeune, Florette, s'é- prend de Garin avec cette niaûvâis^ *i^te%r <|iu ^t le caractère de nos héroïnes : « Je vous faisT présent « de tout mon amour, » hii xlit-dle Qo jour avec une naïveté cynique. Garin ne lui avait Tjeo demandé, mais il l'ahnait depuis longtonps sans nul vilain pen- ser. Et il passait toutes ses journées à lui chanter de ,, beaux airs, et il perdait toute sa vie dans les frivolités charmantes de ce premier amour. Il n'avait jusque-là révélé que beaucoup de jeunesse ' . - ' !^ , . *^ • Mais voici qu'un tournoi est donné par le père de En/ancês Garin de Moniglane^ Î9 ^6 y®-27 V*. — * F« )S i^-32 r*. roi . ANALYSE DES ENFANCES GARIN. u * II PAUT. iiTR. n. Florette s'abrite derrière sa sœur et sait mal cacher sod CHAP III ■' — ^ — émotion à la vue de Garin qui fait dans la lice son en- trée solennelle '. Et notre poète de s'abandonner ici à une petite digression sur Amour (le dieu malin); et Flo- rette de tout avouer à sa sœur, qui lui recommande le silence, de peur d'irriter leur père; Le tournoi cepen- dant vient d'être brillamment ouvert. Un chevalier l'emporte sur tous les autres : c'est le hardi Galerant, sire de Monmort, oncle du marié. Déjà les iraulx pro- clament sa victoire sur tous les autres combattants, sur Anthiaume lui-même. Mais Garin se présente, et, avec une facilité que rien n'égale, renverse le vainqueur, c Je n'ai jamais été désarmé de la sorte, » répète Gale- rant, qui a encore assez de modestie pour admirer un beau coup d'épée, même chez un adversaire, ce Mais, ■^' a dit-on au vaincu que l'on croit consoler, votre jeune « vainqueur n'est pas noble. » Et Galerant de répondre par un beau vers : « Plus^ gentil est que moi, car cuer a de lion * ! ^ Une seconde joute, une troisiènke, relèvent encore la gloire si nouvelle de Garin. «Victoire! victoire!» s'écrient les héraults. Les ménestrels s'empressent autour de celui qui triomphe et qui les payera bien. La mère de Garin pense mourir de joie ; mais il est encore quel- qu'un de plus heureux : c'est Florette, que son bon- heur rend folle. Les dames, alors, descendent de leur estrade. L'une d'elles offre un faucon à Garin. Et les chants de redoubler, et les trompes de sonner, et la foule de reconduire Garin à son /idtel '. ... Mais, quelques heures après, les choses changent de face. Le seigneur, qui a découvert l'amour de Florette pour Garin, accable sa fille de coups de bâton et la « Enfances Garin de Montglane, f» 32 r«-34 r®. — » Po 34 r»-39 v*». — 3 P 40 rM3 r*». ^' ANALYSE DES ENFANCES GARIN. jA'.' laisse sur le carreau à moitié morte. Malheur à Garin," "ï*^"- "▼b.h. s il tombe entre les mains de ce terrible père ! Flo- rette retrouve assez de forces pour faire avertir sou ami du danger qui le menace : -46 p**. — » F» 46 r* et V». •• 104 ANALYSE DES ENFANCES GARIN, M PABT. uvi. II. filles de nos Chansons vont très-vite en amour : Ga- CBAP. III. • rin reçoit bientôt un anneau qui ressemble fort à un anneau de fiançailles ' . Mais les Sarrasins sont là, et ce n'est pas l'heure de se livrer à la frivolité de ces amou- rettes. Garin s'arme et se jette sur les païens. Une hor- rible bataille s*engage sous les murs de Reggio : dans la mêlée, le roi de Sicile tombe aux mains des infidèles ^. La fureur de Garin s'en accroît. Il se lance à travers les batailles des ennemis, et parvient enfin à leur arra- cher le roi captif. Puis,victorieux et souriant, il rentre dans la ville assiégée où il est reçu comme un triompha- teur. Germaine ne sait plus contenir sa passion : « Je suis « à vous, dit-elle au jeune vainqueur. Vous me pouvez a prendre sans déshonneur. » Et comme Garin reste froid devant ces avances, elle dépasse toutes les bornes de la pudeur et lui tient le langage le plus brûlant. Mais le fils de Flore ne se sent pas ému par toutes ces ardeurs, et lui dit très-simplement de se taire : Belle^ ce dist Gaririy tôt ce laissiez ester ^. Nous avons vingt scènes de ce genre dans la longue série de nos Chansons : il est permis de les trouver monotones. Par bonheur, le poète nous dédommage de tant de banalités par une péripétie qui pourra sembler à peu ' près originale. Germaine, que dédaigne Garin, est ai- mée par Ânthiaume qu'elle dédaigne. Celui-ci est tout irrité de se voir ainsi supplanté par un vilain, par un garçon; car personne ne connaît encore la haute naissance de Garin. Il prend néanmoins le parti de s'adresser à cet heureux rival : « Dites de ma part à « Germaine que je l'aime. » Voilà notre héros dans une étrange situation : il en sort à son honneur et remplit près de la jeune fille le message dont on l'a chargé. * Enfaneti Garin de Montglane^ T 47 r« et v«. — > F** 47 v*-49 r*. ■— 3 P» 49 r*»-5t r». — 4 F» SI 1^-52 r*. ANALYSE DES ENFANCES GàEIN. 105 ' Celle-ci se contente de lui répondre avec une viva- « paw. u?i. n. * CHAP. iir. cité qui n'a rien de virginal : « Parlez pour votre c compte, et non pour celui des autres '. » Pauvre Ànthîaume ! Une nouvelle gloire, d'ailleurs, va bientôt couron- ner le front de Garin et le rendre plus charmant en • core aux yeux de Germaine. Le libérateur du roi de Sicile n'estime pas que son devoir soit rempli, tant que vivra le géant Narquillus : l'enfant court bravement à la rencontre du colosse. C'est un beau spectacle que celui de cette lutte : du haut des créneaux, les dames de Reggio en suivent toutes les péripéties. Le combat n'est pas long : le frère inconnu de Gérin et d'Anthiaume coupe tour à tour les jambes et les bras de Marquillus. De sa main qui ne tremble plus, il tranche ensuite la tête énorme; il est vainqueur *. a Que me demandez-vous, dit le roi, pour prix d'une «f telle victoire ?» Alors se passe une scène touchante. Garin arrête un moment ses yeux sur Germaine , puis sur Anthiaume que ce nouveau triomphe a jeté dans la consternation. Il reste quelques instants silencieux, les contemplant tous deux : « Mariez Anthiaume avec « Germaine, s'écrie-t-il. C'est toute la récompense que « je veux réclamer de vous. » Il ne faut pas chercher à peindre la joie d'Anthiaume. Quant à la jeune fille, elle fit d'abord la moue et voulut pleurer un peu ; mais elle se consola bien vite et tendit la main à son nouveau fiancé : Dolante Jut la belle quand la parole oï; Nori" pourquant s^ accorda ^. C'est une vieille histoire. De ce mariage naquirent le roi Yvon de Gascogne et Clarisse, femme de Renaud de Montauban 4. > Enfances Garin de Montglane^ P S3 i^-SS v*. — > F* &S' V*-«t r*. — 3 F» 61 i*-6a 1^. — 4 F> 63 T*. 106 ANALYSE DES ENFANCES GARIN, II PART. UTB. U. CnAP. III. V. Driamadl^t ^ scènc sc transporte chez le roi des Lombards,. usurpe à Pavie. Le duc Savari vît encore, dans une affreuse la couronne . d'Aquitaine. Captivité. Et voici que Gérin, Anthiaume et Garin ar- Garln et ses frères . ^ , , j rri.- » j • »• s»appr.îieni Tiveut a la COUP de Thierry* Les deux premiers n i- à la reconquérir. . • . i » . . • j • •*. gnorent point que leur père est pnsonnier du roi ita- lien ; ils ont hâte de le voir, de le serrer dans leurs bras, et, s'il se peut enfin, de le rendre à la liberté. Quant à Garin, il passe toujours pour un garçon^ ne voit pas son père dans Savari et ne connaît rien de son origine. Une amitié fort tendre rapproche instinctivement ces trois jeunes gens qui ne se savent pas unis par des liens plus étroits '. Après Florette , après Germaine, le poète ne craint pas de nous offrir ici une troisième héroïne. C'est Yvoîre, fille du roi Thierry, sœur de Flore, tante de Gérin, d' Anthiaume et de Garin. Ne connaissant pas le jeune vainqueur de NarquîUus, elle s'éprend de lui avec une ardeur et une facilité que nous n'avons plus besoin de décrire. « Quel est ce jeune homme? » demande- t-elle à ses neveux. « C'est notre compa- re gnon de route; il est tout aimable. » La sœur de Flore est encore très-jeune ; son amour ne fait que de trop rapides progrès^: elle ne veut point avoir, elle n'aura point d'autre mari que Garin... Cependant les fils de Savari demandent à voir leur père : « Il est mort, répond Thierry, et je vais vous « conduire à sa tombe. » Le roi des Lombards men- tait effrontément; car le duc d'Aquitaine respirait encore au fond de sa prison, et cette mort simulée ' Enfaneet Garin de Montglatu, f» 63 ▼'^-ôé r*. — * F* 66 r«. CHAP. III. ANALYSE DES ENFANCES GÀRIN. 107 n'avait pour objet que de détourner l'attention de ses n pabt. mn. u. fils en les empêchant de songer à la délivrance de leur père '. Mais le perfide avait compté sans Tamour de sa fille pour Garin : « Votre père n'est pas mort, a dit-elle un jour à Gérin et à Anthiaume , et je vous a mènerai près de lui . Puis , nous prendrons la fuite a avec le prisonnier... et avec mon ami Garin. >» Ce beau plan est exécuté. Les deux fils aînés de Savari tombent bientôt aux bras de leur père ; Yvoire ras- semble ses joyaux qu'elle emporte ; ils s'enfuient à la dérobée. Us sortent de Pavie ; les voilà hors de danger, les voilà loin du roi Thierry ' ! Qr^ tandis que se succédaient ces péripéties de notre histoire, de graves événements se passaient dans la cité d'Aquitaine. Désespérant de revoir Savari, Yderne avait pris le parti de se remarier, et avait épousé un puissant seigneur, Driamadant de Tarente. Ce traître avait installé son usurpation dans le palais des ducs d'Aquitaine et jouissait en paix des fruits de son brigandage. Mais il fallait à tout prix qu'une telle iniquité ne fut point plus longtemps couronnée de suc- cès; il fallait qu'Yderne et Driamadant fussent châtiés. Il est temps enfin, pour le poëte, de nous faire assister au triomphe de l'innocence ^. Et déjà les vengeurs s'approchent -^. > Enfances Garin de Montglane, f» 65 r° et 66 v^. Lorsque le roi Thierry apprend aux troiâ enfants la prétendue mort de leur père, il se sert de ces paroict qui, comme nous l'avons dit, doivent se rapporter à Tépoque où la Danse macabre devint à la mode : « Mais la Mort qui tant prent evesques et ahbés, — Les grans et les petit, nulz iCen est déportés^ — Prist le Duc vostre père... » — > F* 67 r^-70 v®. A peine sortis de Pavie , les enfants se diri- gent vers Reggio. Le poète décrit ici la colère du roi Thierry lorsqu'il s'aper- ^it de cette fuite, etc., etc. — ' P 72 r^ et v°. Notre auteur, qui wt parait pas bvorable à la Papauté, ne craint pas de raconter comment li I^pe eonsentit an mariage illicite de Driamadant avec Ydeme. — 4 F^ 72 v^*. é 108 ^ALYSE DES ENFANCES GJRIN. n piBT. Linu u. CHAP. in. VI. ,/ ?u*rSîme°^ « Savarî est délivré et ses enfants s'apprêtent à recon- de Dria*'\d ^* quérfr l'Aquitaine, » voilà ce qu'un messager vient un Ktourde sarari, jour apprendre à Driamadant. Le misérable prend les delà devants^ et. sachant que le Duc et sesnls sont encore en G»rin,i qui Ton Sicilc, il marclic à leur rencontre, les épie, leur tend deta jusiteS!** "ï^e embuscade et se rend maitrede leurs personnes : ^'tt w cbercSr Yvoire et Germaine partagent le malheur et la capti- ku^^V vite de leur famille, li semble que tout soit fini pour de charteimgiie. Ja causc du bon droit ; il semble que l'usurpation triomphe pour toujours '. Non, Garin, le seul Garin n'a pas été fait prisonnier et se charge de toute la vengeance. La tâche est rude, et cependant Driamadant ne saurait s'empêcher de trembler. C'est en vain, d'ailleurs, qu'il multiplie ses ruses et ses iniquités ; c'est en vain qu'il enferme Savari, A^nthiaume et Gérin dans la forteresse de Rochefort, dans la plus cruelle de toutes les prisons ' ; c'est en vain qu'il promet la main de la belle Yvoire à un chevalier qui se propose de lui livrer Garin ^. Malgré tout, Garin saura venger la justice outragée. Le che- valier qui aspire à l'amour d'Yvoire (il s'appelle Ar- chiilus), ne craint pas de descendre jusqu'à l'assassinat pour en finir avec notre héros ; il forme le dessein de l'égorger durant la nuit. Mais ce projet échoue, grâce à l'honnêteté et au dévouement de l'hôtelier de • Garin 4. Archillus tombe aux genoux de celui dont il pensait déjà tenir la vie entre ses mains : a Grâce, c gc&pe, jdi||-il . — Retournez vers Driamadant et annon- « tfifimmearîn de Montglane^ ^ 73 r*»-74 v«. — « P» 76 r«. - 3 P» 75 r» et %•. — 4 Fo 77 r": f» 80 1*.«4 r*. ê » * CRAP. III. ANALYSE DES ENFANCES GJMiN. 109 a cez-lui que je vais de ce pas lui reprendre ma terre " "^i*^;".^» "• a et brûler Yderoe. 9 Op n'est pas plus fier ' . Le dénouement se prépare. Quelques jours après, Garin faisait son entrée dans la belle cité d'Aquitaine et, tout aussitôt, allait droit au palais de Driamadant. Le traître y était occupé à rendre la justice, à expédier les causes . « Je vous de - « mande justice, s'écrie le fils de Flore. — Contre qui ?-^ «r Contre un traître. » Et sans plus tarder : a II y a quel- ce ques jours encore , je ne savais pas quel était mon a père. La Duchesse, ma mère, vient de tout me dire. a Je suis, je suis le fils de Savari. » Alors, il ouvre son manteau, et, de son épée nue, en un instant, perce la poitrinedeDriamadantqui tombe roide mortau pied de son trône. Puis, se tournant vers les témoins de cette exécution sanglante : « L'entendez-vous, bonnes gens? « Je suis le fils de votre seigneur. Aidez-moi. » Quel- ques chevaliers se jettent sur lui : il les tue sur place'» Archillus alors, qui veut faire oublier sa méchante action : a C'est notre vrai seigneur, » dit-il. — Oui, (c oui ! » répondent les bourgeois qui pénètrent en foule dans le palais ^. On s'empare d'Yderne, on met la main sur Ostrisse , on délivre Y voire : « Ma « mère est votre sœur, » dit alors Garin à la jeune fille qui préférait voir en lui un fiancé plutôt qu'un neveu. « Quant à vous, s'écrie-t-il d'une voix indignée « en regardant Yderne et Ostrisse, vous allez mou- « rir. ï) Elles se traînent à ses pieds, et Ostrisse fait publiquement l'aveu de tous ses sacrilèges. Cet aveu innocente le pauvre Savari, et le réhabilite enfin aux yeux de son peuple ^. , ^ a A Rochefort, à Rochefort ! » s'écrie alo^s :ttinfa- « Enfances Garin de Montgtane, f> 84 i*. — > F*» 85 ▼'-88 r. .-y. * I^^ V . 4 F» sa ▼•-M I*. o ItO ANALYSE DES ENFANCES GARIN. m iiPART.LivH.il. tigable Garin. C'est là 6ue sont encore emprisonnés CHAP. III. ^ ^ * • * Savari, Gérin et A^nthiaume. On court à Rochefort : « Ouvrez, ouvrez vite ! y> Le châtelain , que la mort de Driamadant épouvante, perd la tête et abaisse son pont» levis. Garin se hâte, et arrive enfin devant le duc d'A- quitaine : « Vous êtes mon père, » lui dit-il en pleu- rant, ce Et vous, vous êtes mes frères, » ajoute-t-il en se jetant dans les bras d'Ânlhiaume et de Gérin. Ce sont des sanglots, des pleurs, des baisers délicieux '. Il y faut mettre fin pour revenir à Aquitaine : ce re- tour ressemble à un triomphe antique. On annonce alors l'arrivée de la pauvre Flore, de cette autre Berte^ de cette autre Geneviève dont les infortunes ont duré si longtemps. On sort de la ville, on va solennelle- ment au-devant de celle dont l'innocence a été si tar- divement reconnue. Et la voilà qui rentre, elle aussi, dans son propre palais, entre son mari dont tous les crimes involontaires seront désormais oubliés, et ses enfants qu'elle n'a pas encore eu la joie de voir tous les trois ensemble à ses côtés. Le Duc se met à genoux : elle lui pardonne. Quant à Ostrisse, elle est brûlée vive, meurt en possédée, et rend son âme à fiurgibus et à Néron. Savari ne tarde pas à mourir, et notre poète impose une mort prématurée à cette pauvre Yvoire qui n'a pu épouser son neveu *.... La paix régnait enfin en Aquitaine, et Garin com- mença de s'ennuyer. « Si j'allais à la cour du roi de « France?» se dit-il un jour 3. Il y alla, et nous l'y retrouverons tout à l'heure. • I I Enfances Garin de Montglane, P 90 r"-92 v». Flore a, en effet, appris longtemps à son fils le secret de sa naissance (f 79 r**). — > P* 93 r^-94 ▼• — > 3 1^94 v*« Le reste du manuscrit 1460 est consacré aux événements qui avaient été chantés, deux siècles auparavant, par Tauteur anonyme du Garin de Mont* glane et dont nous allons donner à nos lecteurs une analyse détaillée dans le clm>itre Miimnt. C*est là que nous signalerons aussi les variantes très-impor- tantes des deux rédactions. ANALYSE DE GJRIN DE MOUTGLÀN^. 111 CHAPITRE IV. LES ANGBTRES DE GUILLAUME (sUITE). (Qarin de Montglaiie>.) 11 PABT. LIVB. II. CIIAP. IT. Il n'est point rare de rencontrer d'antiques églises ^^ê^J/^^^,*^^^ du onzième ou du douzième siècle dont la noble et se- * HOnCE BISTORIQUE ET BIBLIOGRAPffiQUE SUR LA CBANSON MB OARIN DE MONTGLANE. I. BIBLIOGRAPHIE, l"" Datb db la COM- NtmoN. Garin de Montglane est un pocme de la première partie du trei- zième siècle. On ne saurait en douter lorsqu*on y rencontre si souvent le mot « jtublgois » employé comme équivalent du mot Samuins. « Ançois croient iapîn, Habom et Tenragant. — Si furent baptisé quant il furent enfant : — Or sont tôt Jubigois, félon et mescréant. (B. I. LaTall. 78, P 7 r^.) La langue et la composition littéraire de ce Roman témoignent surabondamment en faveur de la date que nous lui avons attribuée. Les premiers vers de cette œuvre de la déca- dence prouvent d'ailleurs qu'elle est postérieure à la plupart des Chansons de notre geste : « Oi avés canter^de Bemart de Brubant — Et d*Emaut de Beaulande, d'Aimeri son enfiint, — De Girart de Viane à Torgoillox sanblant — Et de Renier de Gennes que Dex parama tant, — Ki fu père Olirier li compaignou Rolant, — De Guillaume, de Foukeet du preu Viviant... » (B. I. La T. 78, f* 1 r^ A.) Faut-il ajouter que Garîn de Montglane a été évidemment connu par Tauteur de Doon de Mayence (f 118, r") et par celui de Ganfrey . (pasiim) ? or ces deux Romans, qui sont postérieurs à Garin, appartiennent l'un et Tautre au second tiers du treizième siècle. — 2® Autbur. Garin de Mont" g(mm€ est anonyme. — 3* Nombrb db tbrs bt naturb db la ybrsifi-. CATION. Dans le manuscrit de la B. I. LaVall. 78 (où manque tout un ca- « hier) Garin de Montgbme contient 14130 vers, et, dans le manuscrit de Rome (Vctietn, Regina, 1517), 14880 vers. Ce sont des alexandrins rimes : chaque cooplct est terminé par le petit vers hexasyllabique. — 4* Mahuscrits con- m». U nous reste quatre manuscrits de ce Roman : 1* Paris B. I. La YalL t- 78 (treizième siècle). 2^ Londres, British Muséum, Bibliothèque du Roi, 90 DXl (treiâèiiie siècle). 3° Rome, Regina, 1517 (quatorzième siècle, 1324). , (?• Mammu-t d'Ad.Keller, p. 337 et iuv.) 4'',Oxford, Bibl. F. Douce, ccglxzxi jjpripfient du quinzième siècle? ). Pour donner une idée de la langue et du style iiii seul manuscrit qui soit conservé à Paris, nous allons en citer un extrait : « Ma- hilelle ati der vis s'est par matin levée. — Moult reglvte Garin et gemist ea pensée. — Quant vestue se fu et [h] moult acesmée, — As barons s'en revint qui l'ont reconfortée. — Et quant il l'ont ensi une pièce esgardée, — Adont commence *I* plor et si très grant criée — Que la sale voltie en est tote estoaée. — Q^ant MaÛle les voit, s'est kéue pasmée. — En panÎM» estut pltts d'une grant loéci— V • Il PART CHAP 112 ANÂLYSj^^ GàRIN de MONTGLANE. . uva II. vère simplicité srjét4!>déshonorée par je ne sais quels — ' appendices modernes, par quelque portail en style • ,V ; ', • • Por 'I* poi que li ame n'est du cors desevrée. — Et quant ele reTint, n s*est haat escriée': — •> Ahi ! très dois amis, corn très corte durée — Que tote riens tI- vant ai por vos obliée ! — Geotis cuers amorox, plains de grant NMoÉiée I — Vi- verai-je sans li, lasse, maléurée? — Naie, par cel Segneur qui m*a faîte et êotmée.— Jà sans vos ne vivrai, bien m*en sui apensée. — Ânçois voir m*ocim[i] coiement à celée. — Miex aim morir que vivre, pus que sui esgarée. — Haï ! bons chevaliers de haute renomée, — Li hmis: <|lii miex feroit de la trancant espêe, -^ Li plus hardis qui fust dusqu'à la mer belètb — Li miens très dois amis à qui me sui d9Bée, — Se je remaaig db foi groase et enchainturée, — Lasse 1 que dirai-je qMmd serai relevée f — > &i6ore ne m*aviés prise ne espousée. — k toz jon serai maiz foie feme clamée... — Haï ! Mçn desIoiOt com tu (ttoaloaée, — Quant tu à cel baron fus onques adesiel*-Etpoar^fl|ii , me fuis-tu? Qlie ne m*as adesée — De la plus bêle riens qil 4dkques îmtt %^^./ mée. — Anis, or morrai-je \ amis, or sui alée ; — Amis, que ne m'tvil 'f^ * * samble o vos menée? — hmàê^ qui m*a de vos hui cest jor délivrée? — ^A n*est l^ame de moi o le votre assamblée ! — Amis, je vos sivrai, mais trop sui demo- rée. — Mors, quant [tu] ne m^ocis et tu m*as acorée, — Grant pecié ai enmoi,à morir si m'agrée, — A morir me covient. » Pus, keurt à *I* esgée ; — Du fuere la jeta* moult fu bien afilée. — La pointe devers li a en travers bou^, -^ Ja Téust en son cuer tôt maintenant boutée — Quant Berars de Vi||«oinble li a des peins ostée (r 96 r®). » — 5** YBRSion bti prose. Si Ton se laissait tromper par les titres de certains manuscrits et de certains incunables, on croirait aisément que Garin de Montglane a été plusieurs fois mis en prose et que peu de Romans ont été aussi populaires. Mais par malheur rien n'est plus faux que ces titres. Le manuscrit de l'Arsenal (B. L.-F. 226), si bizarrement intitulé : Garin de '^* Montglane, n'est en définitive qu'une compilation formée des éléments suivants : V* Hernautde Beaulande. ^ Renier de Gennes, Z'* Girars de Fiane. 4® Galien, S^ Aimeri de Narbonne . 6*^ La reine Sibilie, — Quant aux nombreux Guerin de ^ Moniglave qui ont été imprimés et réimprimés aux seizième et dix-septième siècleiy * . ils ne renferment également que quelques lignes directement consacrées à notre héros. Suivant nous, ces versions imprimées ont été rédigées d'après le texte du manuscrit de l'Arsenal. Elles se composent d'aillems des éléments suivprts : 1» Hernautde Beaulande, 2° Renier de Gennes, 3* Giran de Fiane, 4* F9ft^. • à Jérusalem ( très-abrégé ). 5** Chronique du faux Turpin, 6* Gaiimtm ■■■? V Fin de la Chronique de Turpin (Mort de Ganelon). — Nous avons énnoM ailleurs les éditions de Guérin de Montglave, Brunet n'a parlé que de celles de Michel Lenoir en 1518, qu'il regarde comme la plus ancienne, e| d'Alain Lotiii|^ . sans date. Mais il convient de signaler encore l'édition gothi^ de Iflçolpb -. • Chrestien (Paris, s. d.) et celle de Louis Cesté,en 162G,à Rouen.^-:^^ B9Ér|mnil -^ A l'étranger. Garin de Montglane n'a eu aucune popularité en dehin.^p'll ^*^ Ifrâttce, et son titre même parait y avoir été inconnu. — 7<* Édition uoUlnéc H eA inédit. — S» Travaux dont ck roman a été l'objet, a. Au siècle der- nieff en 1782, Gaillard avait résumé Gatin de Montglane au tome III de son Histoire de Charlemagne (p. 479 etsuiv.). b, M. de Reiffenberg, en 1838, lui consacra une Notice dans sa précieuse édition de Philippe Mouskcs et en publia « •' 7 ANALYSE DE GARIN DE MQNTGLAIfE. 113 italien, par des ornements de Hliiijntfns goût, des vases, " '*^"- ^»^"- "• des guirlandes, des flammes, par toutes les fausses ^ 444 Ters (II, p. CCXXXTII et suiv.). — c. En 1844, Ad. Keller publia, dans son Bomwart, 927 vers d'après le manuscrit de Rome. — d. Mais le travail le plus complet c^^lui de M. P. Paris, qui a donné enfin une anal^-se développée et de nombreux extraits de Garin dans le tome XXII de V Histoire littéraire (pp. 441- 448). — e. L. Clarus a imité ce travail dans son Uerzog Willielm (p. 198)^ t^» ^^ 9« Valeur littêraibb. Garin de Montgtane n'est, dans toute la force de ce terme, qu'un roman d'avMtaret : n Un chevalier se lance à la poursuite d'une dame inconnue, viei4 à bottl de tous les obstacle^ qui Ten séparent et, après cent victoires , arrive à. Vkfmma : » telle est toute la tffeme de ce trop long ^ poème. Ce recueil de liem. eomiBuns épiques n'offre |M|i d'ailleurs moins d'inté- iét que les véritables Romani de la Table ronde. Le style en est facile et élé- les péf^^étè» heureusement variées ; mais la désespérante IdUQtur du récit t^ tant de ^piftlités de second ou de troisième ordre. Rien n'eg|]pliis ennuyeux . loipiez à cet ennui transcendental les fadeurs d'un amour efféminé» les galante- * rfcs d'un goût douteux, tout ce qui caractérise. «afin la poésie de la décadence. Au lieu de Garin, on eût pu fort bien mettre en scène un chevalier breton, au lieu de Charlemagne Artus, et rédiger le Roman en vers de huit syllabes. II. ÉLÉMfliTS HISTORIQUES, a. Garin de Montglane est une œuvre absolument fabtdemHi un traïtor ke Deus dointt encombrier, p accuse Qafkk devant Renier et dirart : « Garins lor peire, ke les ûst anvoier, — N'ot à l'ifpos nés. 1. tôt souI maingier. — Pépin vo peire kant il prist sa moilier, «^ Berte la franche ke tant fist à prosier, — Don ftit Garins bachelers poi- sansier. — Je li vi l'augue parmi la mer nagier. — 11 savoit bien palerins *«iîma-y -^ tSt desrober et toz nus despoillier, — Prestes et clers, églises et ""ïr.^ — Fipfas l'en fist k graat honte chascier — Et fors de France foïr et — lofc^ ai (kscoigne ne se vot alardier. — Lai li douait li rois une r— Et de sa tefite li douait .1. quartier. — Puis fuit tel ore kil ^'an frajpaâtit chier. » (B.I. 1448, T 5 v».) Comme on le voit, rien de phy b«9, rien de plus avilissant que eMe vie de Garin : suivant Renart de Poitlck%*il •* n*aurait été qu'un chef de brigands , que Pépin aurait chassé honteosdbMOIt de France et qu'il aurait daigné marier en Gascogne. Renier et Girart ^'in^ digoent, il est vrai, contre de telles assertions; mais ils n*y opposent que III. 8 » . m' 9 CHAP. !▼. 114 ANALYSE DE GARIN DE MONTOLANK. II PART. uvB. II. richesses d une arcfiitectiire prétentieuse. Il est sou- vent nécessaire de subir la vue de ces médiocrités des démentis un peu vagues. Dans tout le reste du Roman » le vieux Garm joue d'ailleurs le plus beau rôle, mais cependant il consene uee physio- nomie farouche et tout-à-fait primitive que nous avons essayé de Uktt revivre dans l'analyse de Girart. On se rappelle la pauvreté de cet héroïque vieil- lard, ses pleurs à la vue de ses fils déguenillés, ses nobles conseils lors de leur guerre avec Charlemagne, son invincible fierté en présence de l'Empereur..... 2^ Le Roman de Doon Je Mayence^ TEL QUI KOUS LE POSSÉDONS AUJOUA- d'hui, ne remonte guère plus haut que la seconde moitié du treizième siècle, et nous le croyons postérieur à celui de Garin, Uoe place assez large y est faite à notre héros... Charlemagne est en guerre contre les Danois; Garin part de Montglane pour secourir l'Empereur en détresse : il est accompagné de sa fiancée Mabirette et de son compagnon Robastre. Après un long voyage, M arrive enfin en présence du roi de France qu'il ne reconnaît point. « Voici Charles, » loi dit-on; et il éclate de rire. Puis, il demande à l'Empereur Mabirette en mariage. Charles consent à cette union (vers 802 et suiv.) et se propose en même temps d'épouser Galienne, cette même Galienue qui, au début de Garïn de Montglame, est déjà la femme du Roi. Notre héros, d'ailleurs, est partout représenté comme le conquérant, non seulement de Montglane, mais encore de Beaulande • as pors de Balesgués », qu'il a donné à l'un de ses frères a avec une damoiselle dont il avait lui-môme été aimé. » N'y a-t-il pas ici un rapprochement à faire avec un épisode des Enfances Garin? Ce qu'il y a de certain, c'est que l'auteur de Doon de Maytnce connaît les aventures de Robastre, telles qu'elles sont racontées dans Garïn . Il rappelle notamment le trait de la belle Plaisance qui arme le géant : « Une gentil dansele dont il a fet s'amie — L'adouba l'autre jour et chainst une cugnie. — Or li a puis *1* fevre si créue et forgie — Que sous chiel n'a -il homme de si grant segnorie » (vers 8261 et suiv.). Cepen- dant la guerre recommence. Malgré cent exploits , Garin , Doon et Charles sont faits prisonniers; Robastre se fraie un chemin sanglant avec sa fameuae cognée, et veut à tout prix délivrer son compagnon. Elstout désespère devant Robastre de la vie de Garin, et le géant irrité veut tuer le pauvre Êlstout. Puis il va héroïquement se constituer prisonnier entre les mains de Danemont : « Je veux, dit-il, partager la captivité de mon ami. » Par bonheur, il retrouve sa cognée qu'il avait perdue, et écrase mille païens. C'est alors que Galienne arrive, avec une grande armée, au secours de Charlemagne. Une dernière bt» taille s'engage, et les chrétiens y sont vainqueurs. Garin épouse Mabirette, et, dès la première nuit, ils engendrent Hemaut, père d'Aimeri de Narbonne. 3» Les cycliques ont classé Gaufrey parmi les poèmes de la geste de Doon, et nous avons cru devoir respecter ce «Usiement que nous ofifre le fameux manuscrit 247 de la Bibliothèque de Montpellier. Mais, en réalité, Gaufrty ap» par tient tout aussi bien à la geste de Guillaume, et ce médiocre Roman du tirci^ zième siècle est rempli par les aventures de Gariu de Montglane et de ses fik. Nous devons en donner ici un résume où le lecteur tipuvera un complément de notre légende, à défaut de modifications et de variantes Garin de Montglane fait savoir à Doon de Mayence qu'il est assiégé par les Sarrasins, et que trois de ses enfants sont déjà prisonniers du roi Gloriant (vers 124 et suiv.) . Le malheureux \' ^ét ANALYSE DE GARIN DE MOpTGLANE. 115 avant de contempler l'austère beauté de Tédifice pri- " part. liyb. h. CBAP. !▼ mitif, et rien n'est plus pénible pour des yeux et une — Garin ii*a plus auprès de lui que Robasire et Hemaut . celui-ci a déjà un bel enfant, qui est notre Aimeri. Robastre, lui, ne craint rien : il affile sa fameuse cognée, et trouve encore le secret de faire rire les assiégés qui désespèrent. Mais Mabille est en larmes, et tout semble perdu (vers 272 et suiv.). C'est alors que commence une grande bataille dans laquelle Hernaut fait des prodiges de va- leur (vers 405 et suiv, ). La résistance nVst pas possible, et Garin reste aux main5 des païens (vers 476 et suiv.). Cependant Doon et Gaufrey arrivent sur le cbamp dn combat, et parviennent à délivrer Girart, Renier et Mille (vers 872 et suiv.). Quant à leur père, il est aceablé de mauvais traitements par le Sarrasin Auiandou (vers 900), mais réussit, ô bonheur ! à échapper i une aussi cruelle captivité (vers 96G et suiv.). Sa joie n'est pas de longue durée ; il retombe au pouvoir des 'nfidèles, et^0opn est fait prisonnier comme lui : ils demeureront sept ans dans l-259 v») était un remaniement pur et simple du Garin de Montglane du treizième siècle (B. I. 78 La Val!.). Il n'en est rien. Sauf la donnée générale et un certain nombre d'épisodes plus ou moins impor- tants, le Garin du quinzième siècle ne ressemble que de fort loin à celui que nous avons analysé. Il devient donc absolument nécessaire de donner ici une aualyse complète du manuscrit 1460, d'autant plus qu'il est possible, sinon probable, que ce refazimento ait été composé d'après un. pocme antérieur. Il y est écrit quelque part : « Si com dist le Romau, » et ce Roman est sans doute une Chanson plus ancienne d'un ou deux siècles. Quoi qu'il en soit, voici le résumé de cet étrange et curieux remaniement.... Garin part de son pays, tout plein de confiance, et s'achemine vers Paris où il fOut se mettre au service de Charles. Il chevauche en rêvant a sa fortune future. Tout à coup (il était en Gascogne) un incomparable château vient frapper ses regards. C'est Montglane (f« 95-96). Rien, suivant nous, de plus habile que ce début; rien de plus naturel. Dans le poëme du treizième siècle, au contraire, Garin demande à Charles le fief de Montglane avant de le connaître aucunement. « A qui est ce beau domaine ? ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE, 1 1 7 appelés plus d'une fois à constater de ces disparates " '*^"- "^■' "• rr r r ^ chap. iv. regrettables. Contre nos plus vieux poèmes on a aussi • demande ici notre héros, — Au duc Gaufrey, lui répond-on. Ce duc est eu « guerre avec la France, et c'est lui qui a jadis coupé la main d'un messager - de Pepiu. 11 ne cesse de répéter « que de roy ne de Dieu sa terre ne tenra. m « Le Limousin et l'Auvergne relèvent de lui. — Et où est ce Gaufrey? — Il « est en ce moment occupé à soutenir la cause des traîtres Heudri et Hainfroi « contre le jeune fils de Pépin, contre le petit Charles qui revient d'Espagne » (^ 96, 97). — Ces nouvelles étaient vraies. Gaufrey, à quelque temps de là, perd une grande bataille à laquelle avaient pris part contre lui Mille d'Aigler, père de Roland, l'évéque de Paris et Geoffroy l'Angevio. Il s'enfuit avec ses alliés , Hugues TAuvergnat et Guyon , comte de Limoges : c'est la sœur de ce dernier, appelée Mabille, qui sera l'héroïoe de tout le Roman (f" 98). — Comme ces traîtres fuyaient, ils rencontrent dix chevaliers qui conduisaient la sœur du duc Mille de Dijon. Ils se jettent sur cette petite troupe, et Gaufrey veut brutale- ment déshonorer la jeune fille et la faire déshonorer par tous ses chevaliers. Mais Garin parait, délivre la pucelle, reconnaît sa cousine et la ramène au duc Mille (^ 90-101). — Charles était là qui tout aussitôt adoube le fils de Savari et de Flore (f« 102): Garin se montre digne de cet honneur en se précipitant sur les derniers partisans des deux Bâtards, qui infestaient la Brie, et eu les dispersant (f* 102, 103). C'est alors que la reine Galienne se prend d'amour pour Garin; c'est alors qu'a lieu cette fameuse partie d'échecs si longuement décrite par le poète dn treizième siècle, à la suite de laquelle Garin, vainqueur, demande le seul château de Moutglane (f« 103-108). — Il part sur-le-champ pour son futur du- ché, embrasse ses frères Gérin et Anthiaume, et s'éloigne de la cour où il ne reviendra plus qu'au moment où éclatera contre Charlemagne la colère de Gi- rart et de Renier (f« 108, 109). — Sur son chemin il rencontre le ménestrel Rogier qui lui fait l'éloge de Maliille et l'enflamme d'amour pour cette incon- nue. Reçu par un seigneur, il lui demande le nom de celle que Rogier lui a vantée sans la nonmier : « Elle s'appelle Fo/'i-ùée », répond-on à Garin en se moquant de lui. Mais il est soudain remis en joie lorsqu'on lui donne ce bra- chet, ce fameux brachet qui doit le conduire vers Mabille (f* 110-112) : toute celte partie du poëme est servilement calquée sur la Chanson du treizième siècle. Il en est de même des vingt péripéties qui suivent, de l'épisode de la perte du brachet et de celui des voleurs , et surtout du récit très-développé de la rencontre d'Hemaut avec la belle Mabille « qui s'est noirci le visage ». Plus pudique que son prédécesseur, l'auteur du quinzième siècle fait coucher près de Mabille une jeune fille du nom d'ivoirie, au lieu de Garin (f* 113-122). — Enfin, jusqu'à l'assaut par les Ducans de la maison de Bérard deValcomblée, tout se ressemble absolument dans les c^eux poèmes (f« 122-160). 11 importe seule- ment de noter que Perdigon ne fait son apparition que fort tard dans le refa- ùmento du quinzième siècle, et qu'il se montre d'abord sous les traits d'un partisan de Gaufrey et d'un personnage tout-à-fait diabolique. Au milieu de lu nuit, il se rend « datez une justice où les larrons on pend », et il y évoque le Diable : « De Garin et de Mabille, s'écrie le Démon, doit sortir une race ap|)eiée « à exterminer les Sarrasins. Il faut que tu ailles lutter pour le duc Gaufrey •i contre le géant Robastre, allié de nos adversaires » Perdigon hésite : il ■^*- CH4P. IV. 118 ANALYSE DE GARIti DE MONTGLANE. II PABT. Lnri;. II. coUé, cn guise de portail, certains Romans conçus dans le goût le plus moderne. C'est ainsi qu'au début aime la sœur d*un ami de Garin, de Bérard lui-même : « Ne faiblis point, et va •c t'armer, » répète le Démon. Il y va (f*161-163). La terrible bataille commence entre Teuchanteur et le géant, et Robastre entre dans la lice : « Ainsy c'nn porc singler, — Se caignie à son col, commeocha à joster. » Perdigon ne pourra résister qu'avec toutes les ressources de son art. Il emprunte la forme d'un dragon , puis d'un chevalier gigantesque qui dépasse de plusieurs coudées le pauvre Robastre atterré. Enfin, il se laisse saisir, et Robastre monte sur lui M k guise de dextrier ». Mais le magicien le conduit, sans qu*il s*en doute, aux mains de Gaufrey, qui jette en prison le pauvre géant niaisement vaincu (f« 161- 170). — La prison de Robastre avait vue sur une rivière; il y entend un jour je ne sais quelle voix étrange, et aperçoit un gros poisson a tète d^homme : « Je suis ton père, le lutin Malabron , qui peut revêtir à son gré toutes les K formes. Je veux te servir. Tiens, voici la cape invitible d*Auberon : elle te « dérobera à tous les regards. Je te la confie durant quatre jours » (f» 170-172). Robastre, avec un tel talisman, est bientôt en liberté. 11 ne rêve que de se venger de Perdigon. Pendant la nuit, il va au chevet du duc Gaufrey, et, prenant la voix d'un petit enfant de sept ans pour imiter celle d'un ange : « Perdigon te trahit, lui murmure-t-il à Toreille, il a laissé Robastre s*échap« « per. w Le Duc l'entend, et se lève : «c Perdigon mourra, » dit-il. C'est en ce moment que Bernard de Mauregard met Garin et Robastre en sûreté dans sa demeure (fo 173-175). — Ce singulier épisode ne se trouve )>a8 dans le poème du treizième siècle ; il est vrai que tout un cahier fait défaut dans le manus- crit de Paris, et il n'est pas impossible que l'apparition de Malabron et les vertus de la Cape invisible fussent racontées dans ce cahier absent. C'est un fait qu'éclaircira l'étude des manuscrits étrangers. — Quoi qu'il en soit , le remanieur du quinzième siècle se remet, après ces péripéties fabuleases, à copier de nouveau la première Chanson, et c'est ici qu'il se décide à placer l'ap- parition merveilleuse de l'enchanteur Perdigon à Garin et à Mabille. Une béte énorme s'offre aux yeux de la pucelle, et Garin s'apprête à la combattre. Puis, c'est un griffou; puis enfin, un beau jeune homme : « Je m'appelle Perdigon, « dit-il, et veux être votre ami. Gaufrey m'a banni : me voilà tout à votre » service. » Alors il change une meule de foin en un admirable château, et assure la fuite de Garin et de son amie. Et c'est en vain qu'il tombe aux mains de Gaufrey, qui veut le faire pendre : il prend les traits de son propre bourreau, du pauvre Grignart qui est pendu à sa plafte (f° 178-199)! — Mais nous reucontrons ici une péripétie que ne nous offrait pas l'œuvre du treixième siècle : le frère de Mabille, Guy on, comte de Limoges, intervient dans notre action épique, où il ne jouait primitivement aucun r^le. Le perfide propose à Garin et à sa sœur de les emmener à Limoges : n Je vous y marierai, » dit-il. C'était une ruse. Guyon, aussitôt après son arrivée dans sa ville, fait saisir et emprisonner Garin : Gau- frey est prévenu, et accourt sur-le-champ pour profiter des circonstances (f® 199- 206). — Cependant, voici venir un traître à la face vulgaire et plate, que l'an- cien poète n'avait pas imaginé. Il s'appelle Manion. 11 se présente hypocrite- ment à Mabille et veut la séduire : elle le repousse, et il jure de se venger. En effet , le misérable empoisonne le comte de Limoges et accuse Mabille de ce CBAP. IV. AN\LYSE DE GARIN DE MOJSTGLANK. 119 de cette geste héroïque de Guillaume d'Orange, nous "part. uvb. h. somines condamnés à la lecture de Garin de Mont- crime. C*était à elle d'hériter de ce beau fief ; mais Gaufrey déclare *< quVUe a forfait », et donne Limoges au comte Jonas de Monserant. Si la pauvre Mabille ne trouve pas un champion pour attester publiquement son innocence, elle sera brûlée dans le délai de quarante jours : la voilà tout en larmes (f* 206-21 1). — Garin est toujours prisonnier, mais Perdigon, Tenchanteur Perdigon, n'est-il pas lÀ pour veiller sur le sort de son ami ? 11 change son visage, et se présente devant le duc Gaufrey sous les traits d'un ambassadeur de Charlemagne : « Vous avez bien « raison, lui dit-il, de faire bonne guerre à Garin : Charles le déteste autant que « vous. Ce Garin a été jadis un voleur de grand chemin que rKm|jereur a banni, u Puis Perdigon ajoute, en montrant au Duc un monceau d'or : n Voici ce que vous « envoie le roi de France pour vous aider à soutenir cette guerre contre Garin, « notre ennemi commun. » Gaufrey est plein de joie , il accepte le présent, même il va jusqu'à remettre l'ami deMabillette entre les mains de Perdigon, qu'il ne reconnaît pas. C'est ce que déûrait Tenchanteur, qui délivre Garin. Quant à l'or du prétendu messager de Charlemagne, ce n'était en réalité que de vils cail- loux y et l'on peut juger de la fureur de Gaufrey en s'apercevant de son erreur (f> 213-217). Vite, on se lance à la poursuite des fugitifs; mais le magicien fait jaillir de terre une grande rivière qui barre le chemin à ses persécuteurs. Reste à tirer Mabille du danger, et c'est Robastre qui sic charge de cette entreprise (f> 217-218). — Le lutin Malabron intervient une seconde fois, et prête encore à son fils la « Cape invisible » ; le géant s'en emparé et arrive près de la pucelle au moment où elle .allait être brûlée. Le traître Manion redoute ce nouvel adver- saire et veut s'en défaire par un crime : cent hommes envahissent l'hôtellerie où dort Robastre, et s'apprêtent à le tuer. Mais il les entend, et se rend invisible; puis il prend plaisir à les assommer, sans qu'ils puissent savoir d'où pleuvent ces coups morteb. Le champion de Mabille lutte ensuite contre quatorze ennemis à la fois et les tue. 11 tue encore le comte de Monserant, et engage avec ses gens une inégale et formidable bataille. Quant à la fiancée de Garin, elle revêt la Cape merveilleuse et s'échappe (f* 218-229). — L'heureuse Mabille fait alors la ren- contre de Perdigon, et l'enchanteur rend à la liberté son malheureux ami Ro- bastre par un nouveau sortilège. Toute la ville de Limoges apparaît en flammes : tandis que les bons habitants sont occupés de cet incendie imaginaire, le géant et le magicien s'enfuient, et rejoignent la pucelle (f» 229-234). — Tant de succès exaspèrent Gaufrey et ses partisans : il faut en venir à une bataille décisive, et elle a lieu sous les murs de Montglane, dont Garin fait ensuite le siège et qu'il emporte d'assaut (f» 234-243). — L'auteur du refazimento se remet alors à suivre de plus près notre ancien Roman, et là se place le récit d'une captirité du pauvre Garin, récit qui, du reste, est assez mal amené dans le poëmc du quinrième siècle. Notre héros, en véritable Samson, ébranle Vestaque de sa prison et abat le so/ier qui était au-dessus. Il est d'ailleurs délivré par Florinde, fille de Sor- barré, qui s'est prise d'amour pour Bernard, l'ami de Garin ( f« 243-253). — Les dernières pages de ce faible Roman sont consacrées à de nouvelles des- criptions de batailles. Le duc Gaufrey et Gaumadras sont mis à mort ; Mont- glane et Montgravier demeurent au pouvoir de Garin et de Robastre, dont il faut renoncer à vanter les exploits. Un bataillon defèvres fait preuve, à travers CHAP. IV. 120 ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANR. II PABT. uf R. II. vrlane ^ de ce méchant Roman d'aventures. Prenons courage et hâtons-nous de le traverser pour arriver la mêlée, d'un beau courage roturier qui est un puissant auxiliaire pour la cause de notre héros. Bref, Garin triomphe et va, jusqu'à Yauclère, demander à Char- lemagne la main de Mabillette. Quant à Perdigon, il se fait ermite et essaye de réparer par ses macérations tant de connivences avec Tenfer. Robastre, qui a épousé Plaisance, la perd au bout de quelque temps, et entre lui-même dans un ermitage d'où le fera bientôt sortir l'auteur à^Hernaul de Beanlande (f« 254- 259). Ainsi se termine le poëme du quinzième siècle. 5** Nous avons plus d'une fois appelé l'attention de nos lecteurs sur le manus- crit 226 de l'Arsenal. Sous le titre faux de Garin de Montglane, il renferme les premières versions en prose d'Hemaul de Deaulande, de Renier de Gennes, de Girart de Fiatie^ du Voyage^ de Gaiien, à^Almeri de NarlH>nne et de la Reine SibiUe, Les premières pages sont consacrées à une sorte de résumé de notre Garin ^ où l'on voit aisément comment s'était déjà décomposée la lé- gende première : « Garin estoit de hault lignage et peu avoit de terre ; si n'en volut rien tenir. Mais de si hault voloir estoit qui laissa deux frères qu'il avoit, pour aller là où avanture le poroit conduire; 11 oy parler de Charlemaine qui gaire n'avoit qu'il estoit couronnez roy en France dont il avoit esté fuigitif et chassie par deux bastars que son père Pépin avoit engendrez en une moult I)elle damoiselle qui lui fu baillie, par mauvais malice, la nuit de ses nopces, et couchée notablement en son lit, au lieu de Berthe au grant pié, fille d'un roy de Hongrie. Laquelle Berthe porta puis Charlemaine, et sa sœur Gille qui puis fut femme du conte Guennelon et paravant fut femme du duc Milon d'Ai- glent. Ces deux en&us bastars gouvernèrent le royaulme longuement et avoient aucuns grans seigneurs qui les soustenoient et avoient tant aidié qu*il convint Charlemaine, après la mort Pépin son père, soy absenlir. Et puis, re- vint par grâce de Dieu qui garder l'avoit volu et voloit pour justicier et sei- gneurier plusieurs terres et royaumes qu'il conquist. Si ne parle à présent l'istoire des faits qu'il fist, lui estant hors de son pays, et en pourra bien par avanture parler ailleurs selon la disposicion de la matière. Et parlera de Gue- rin de Monglenne qui vint ung jour à Paris, auquel lieu estoit Charlemaine qui moult joyeux estoit, et touz jours fut depub, quant il véoit venir gens à sa court. Moult fut rechéu Garin hautement et en grant honneur se démena avecq Charlemaine qui encore estoit en grant jonesse. Et, pour abregier, volu une fois jouer aux esches contre le duc Garin qui assez en savoit. Si s'eschauf • ferent tellement petit à petit que Charlemaine gaga pour la plus grant part de son royaume qu il gagneroit ung jeu ou que d'icellui le rendroit mat. Ce qu'il ne peut mie faire. Pour quoy Charlemaine, véant sa faulte, soubzmist sa terre au vouloir du duc Garin qui rien n'en volut avoir, ainsi comme tesmongne l'is- toire. Ainchois (lour payement requist au noble Empereur, presens ses barons, qu'il lui donnast Monglenne que Sarrasins possidoient adont. Et qui demande- rait qui mouvoit Garin à lui requérir Monglenne, l'istoire respond et dit que ce faissoit amour seulement et le bon voloir qu'il avoit. Car l'Empereur lui de- partoit toute Picardie quitement, et plus lui éust dpnné du sien s'il éust volu. Le duc Garin, sachant par ouï-dire que le sire de Monglenne avoit une fille belle, plaisant et sur toutes pucelles aimable, ne \olu aultre don que icellui qui ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE. 121 plus vite aux beautés solides et élevées du Couronne^ " '*^"- "^"^ "• ment Looys et d^Aliscans, . . n'estoit mie ou commandemeut de Charlemiine. Sy lui octroya TEmpereur, ayecq, son effort de gens et ayde d'or, d'argent et de puissance, ainssi que Garin le Touldroit requérir. Alors party le noble combattant de Paris. Et puis, fist tant i Tayde de Dieu et d'un jayant nommé Robastre qu'il conquist Monglenne et Mabillette la damoiselle, dont issirent les quatre damoisiaux devant nommez. Et maintint la terre contre Sarrasins et tous aultres jusques à ung temps que ristoire devisenL » (Arsenal, B. L. F. 226, ^ 2 V".) 6® et 7* Dans la vaste compilation du manuscrit fr. 1497 de la Bibliothèque impériale (quinzième siècle), les aventures de Garin ne sont même pas résu- mées ; mais il y est fait allusion i ses amours avec Mabillette : « Le noble prince Garin conquist Montglenne et la dame Mabillette qui tant fut bêle et plaisant que nulle plus. Et vivoit eu son jeune aaige celui Gariu du temps Pépin, li père Charlcmaine, et de Doon le signeur de Mayence qui éust *XI1* fils, » etc. (fo t V*). — David Aubert, auteur des Conquesies de CfiarUmaine, donne une place considérable à « Guerin de Monglenne •• dans son résumé de Gtrars de Fiane. Comme dans la version du manuscrit 226, on voit Guerin accourir avec Robastre au secours de son fils Girart assiégé par l'Empereur. « Gomment Guerin de Montgtenne, Mille de Puille et Robastre le jaiaud vindreut au secours de mon- seigneur Guerard, de Heniault et de Régnier de Gennes en la grand cité de Vienne que Charlemagne avait assiégée, et de leurs adventures. (F« 373.) 8** Dans les Guerin de Montglave incunables, qui contiennent Hernaut, Renier, Girars, le Forage, Galien et la Chronique de Turpin, la légende se modi- fie et se décompose encore plus déplorablement. On en jugera par le début sui- vant que nous empruntons à l'édition de Nicolas Chrestien : u A l'issue de Tyver que le joly temps d'esté commence et qu'on voit les arbres florir et leurs fleurs espanir, les oysillons chanter en toute joye et doulceur, tant que leurs tons et doulz chantz retentissent es verbocages, si mélodieusement que toute joye et lyesse est de les escouter et ouyr, tant que cueurs tristes , pensifs et dolens s*en esjouyssent et esmenvent i délaisser dueil et tristesse, et se parfor- ceot de valoir meulx ; en celuy temps estoit à Montglave le duc Guerin qui tant fut en son temps preux et vaillant, et avec luy estoit Mabillette sa femme qui estoit plaisante et belle. Si advint qu'à un hault jour et solemuel, furent servis de quatre beaulz fîlz qui estoient yssus d'eulx deux, beaulx à merveilles, dont l'un eut nom Arnault, le secoud Millon, le tiers Régnier, et le quart Girart, le plus beau. Si les print à regarder le duc Guerin, leur père, par moult grand fierté, et la dame dist à son seigneur : « Sire, nous devons bien louer m Dieu de quoy il luy a pléu nous donner ses beaulz dons. -7-^ Dame, dist Guerin, • par Dieu, quant je les voy, ilz me font tel despit que je vouldroye bien estre « mort ; car je voy bien que de ma vie je n'y auray honneur, car ilz ne sont m bons fors à boire du meilleur et friander et euU donner du bon temps. » Quand Mabillette ouyt ainsi parler le duc Guerin son seigneur, elle n'osa sonner mot, mais tint le chef bas en pensant aux parolles que son seigneur avoit dittes. Adonc le Duc appela ses enfants et leur dist : « Venez avant, meschans con* « quins. Que pensez-vous avoir quand je mourray? Vous si^avez bien que les Sar- « razins m'ont exillé de ma terre, et de si peu que j'en ay n'y a pas pour suffire 122 ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE, n PART. UVR. II. CHAP. IV. Prologue du Drame t Garin part à la conquête du château de Montglane, dont Chartemagne lui a Caitdon. Garin venait de perdre son père, Je duc d'Aqui- taine. Un ange lui apparut en songe, et lui dit : « à un de vous. Et voua estes cy quatre grands paillars qui n'entrastes oncques M en guerre n'en estour. Il me souvient bien que quand j'estoys jeune, je laisiay « mon père et tous mes amys, et m'en allay ^eoir le roy Gharlemagne, et jouay « à luy aux eschetz et gaignay tout son royaulme, jusques à Sainct Quentin. •( Mais je luy redonnay pour ce qu'il me donna Montglave que tenoit un Sairazin. « Et je vins au pays monté sur un roussin bien pauvrement. Et, par la vertu de •• Dieu, conquestay la cité et la tour de Montgravier et fus sire du pays, et tant fis « qu'il n'y éust voisin qui me osast meffaire en aucune manière. Et vous estes cy « engressez comme poussins en mue, et ne bougez de la cuysine k boire et à « menger du meilleur. Et puis, quand je seray mort, vous combatrez pour la I valeur d'une maille. Et par la foy que je doys à saint Martin, se vous estiei de M bon sang, vous ne seriez icy heure ne jour qui vous donneroit la meilleure cité «« de France. Si vous doit-on comparer à la faulce vigne qui point n'est labourée •* et ne porte point de raisins. » (Ed. de Nie. Chrestien, s. d.) Au-desiousde cette prose, il n'y a véritablement que celle de la Bibliotlùque des Romans, 9* Si l'on veut voir a comment une légende finit », il faut lire la traduction que M. de Tressan a donnée de Garin de Montglane (octobre 1778, t. II, p. 3 et suiv.). Elle est presque égale à cette Chanson de Roland restituÉb par le même érudity que nous avons citée dans notre premier volume (p. 584 et suiv.). On prendra peut-être quelque plaisir a rapprocher ce texte emphatique- ment ridicule de nos deux versions en vers et des deux traductions en prose que nous avons précédemment citées : « Le brave Guérin, fils de Florimond , duc d'Aquitaine, jouissoit paisiblement de la gloire qu'il avoit acquise dans la noble ville de Montglane. Cette superbe cité , reconnue de nos jours pour être la métropole des Gaules, et qui semble dominer sur le Rhône et la Saône, ne portnit pas encore le nom de Lyon. Elle avoit été long-temps soumise au joug des Sarrasins, et c'étoit à la valeur de Guérin qu'elle devoit sa liberté. 11 avoit vaincu Gazier, sultan de la Gaule Narbonnoise, et l'avoit fait son prisonnier, ainsi que toute sa famille, lorsque la beauté de la princesse Mnbilette, fille du sultan, obligea le vainqueur lui-même à porter des chaînes. II soupira, désira, demanda la niaiu de la princesse et fut favorablement écouté. Mabilette et le sultan, son père, consentirent à se faire chrétienner... K Enfans [dit un jour Guérin à ses quatre fils] , je ne veux pas que vous ignoriez comment j*ai acquis cette souveraineté... Or me souviens* je qu'é- tant de votre âge , je laissai père et mère , amis , jeux et bombance : je me rendis à la cour de Charlemagne qui m'accueillit comme un haut baron que j'étois. Il étoit jeun^ aussi et aimoit à gaber. » Guérin, me dit-il un jour..., je •• parie que vous ne voudriez pas jouer contre moi vos espérances snr cet échi- <• quier, à moins que je ne misse gros au jeu. — Si fait, répondis-je, les joue- « rai-je, pourvu que vous gagiez contre moi seulement votre royaume de France. n — Eh bien ! voyons, dit Cbarles, qui se croyoit fort aux échecs, y* Nous jouons, je lui gagne son royaume ; il se met à rire : moi, je lui jure par saint Martin et par bien d'autres saints de mon pays d'Aquitaine, qu'il faut qu'il me paye par quelque accommodement, x J'y consens, mon ami, me dit enfin le Roi : tu « connois mes prétentions sur la belle Ville et le fort Château de Montglave, dont ■*• ANALYSE DE G^RIN DE MONTGLANE, 123 « Abandonne ton duché à tes deux frères, et, sans plus " '*^«^- "^■- "• a tarder, rends-toi à la cour de Charles. L'Empereur « voudra te donner vingt fiefs, vingt cités ; n'accepte tf rien, si ce n'est le château de Montglane. N'accepte a rien, et compte sur Dieu. » Garin obéit : «Tenez, a dit-il à ses frères, voici mon duché d'Aquitaim; je « vous en fais présent. » Puis il partit. De tous ses tré- sors, il n'emportait que Florence, l'épée de son père : Or le candide Dieu qui fut ciel et rousée ' . Garin arriva à Paris dans les plus heureuses cir* constances. Le jeune Charles venait de triompher des deux enfants de la Serve, Uainfroi et Heudri *. Le fils de Pépin , dans toute la fleur de sa jeunesse, était aussi dans tout l'épanouissement de sa joie et dans la délicieuse allégresse de sa première victoire. Près de lui brillait cette charmante Galienne dont nous avons déjà conté l'histoire. Cette reine était digne de ce roi. S-' Jusqu'au treizième siècle, personne parmi les légen- daires latins, personne parmi les poètes nationaux n'avait osé mal parler de cette Galienne qui, la pre- « les Sarrasins se sont emparés. Eh bien ! je te les abandonue, et te prêterai six « mille lances pour en faire la conquête. » Content de cet arrangement, j'attendis Teffet de la promesse; mais il lui fut impossible de me la tenir Je pris le parti de ne devoir qu'à moi seul la conquête qui m'étoit promise : vous voyez quels ont été mes succès. Et vous autres, quatre grands gaillards comme vous êtes, ne rougissez-vous point de perdre temps et jeunesse à banqueter comme poussins mangeant grain sous une mue ? » Après M . de Tressan, im ne peut plus rien citer. . . . « Garin de Monglane, ms. de la B. I., La VaH. 78, f* 1 r-*'2 v°. Le poète commence sa Chanson en énumérant les héros de la geste de Garin dont l'histoire épique avait été écrite avant lui et devait être familière à tous ses lecteurs : « Oï avés canter de Bernart de Brubant , — El d'Ernaut de Beau- lande, «etc. Nous avons déjà cité ce texte important. Notre auteur ajoute que les poètes, ses prédécesseurs, se sont rendus coupables d'un oubli presque im- pardonnable : K Mais tôt en ont laissié le grant commencement, — De Garin de Montglane, le chevalier vaillant. » Il n'y a d'ailleurs rien à conclure de ce début, si ce n*est que le Roman de Garin de Montglane est postérieur à la plu- part des autres Chansons de notre geste.... » Garin de Montglane, Ms. La Vall. 78, P 2 v°, 3 r°. Au P 1 r*» le poète avait déjà résumé rapidement l'histoire de Maiuel. CHAP. IV. 124 ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE. II PAIT. Lif«.ii. mière, avait aimé Charles fufi'itif et inconnu, quand, pour lui plaire, il n'avait encore que son jeune cou- rage et la grandeur de son génie naissant. Mais l'au- teur de Garin de Mont glane n'a pas imité la réserve de ses devanciers, et, voulant trouver du nouveau à tout prix, n'a pas craint de ternir la belle réputation de l'impératrice Galienne. En un instant, elle est dé- pouillée de tout son antique prestige, je veux dire de sa pudeur. A la seule vue de Garin, la voilà qui se sent consumée par le feu d'un amour adultère. Elle oublie son premier amour en Espagne, et Mainet, et sa con- version , et Dieu lui-même , et brutalement se jette aux bras de ce nouveau venu, de cet étranger qui lui résiste '. La Reine va jusqu'à déchirer le manteau de cet autre Joseph; puis, éperdue de honte et sans faire néanmoins un seul effort pour étouffer sa passion, elle va se précipiter aux pieds de l'Empereur et lui tout avouer. Cet aveu est plein d'une fureur amoureuse qui a véritablement quelque chose d'animal : « J'ai « vu Garin, s'écrie-t-elle. Il est si beau et si courtois « que je n'aime plus que lui. Je ne puis plus dormir. Si « je mange, je ne trouve plus de goût à la venaison, ni « au piment, ni au clairet. Il m'est impossible d'écouter a messe ou matines. Je n'ai plus de plaisir à entendre « sons de harpe ni de vielle, ni à regarder danses de « Flamands et de Bretons ; ni à voir voler éperviers et « faucons. Quand vous êtes tout près de moi, j'aime- « rais mieux y sentir des charbons ardents. Je ne dis u plus de patenôtre, plus de prière. Quant à lui, il est « si loyal qu'il a résisté à toutes mes instances... Te- « nez, tuez-moi, faites-moi noyer ou pendre comme un « voleur. Je l'ai bien mérité. Tuez-moi, tuez-moi! » » Garin de Montglane^ f 3 r** et v°. Garin avait été comblé d'honneurs par le Roi, qui l'avait nommé son gonfalonier: ANALYSE DE GàRIN DE MONTGLANE. 125 Charles ne la tue point: mais il est dévoré de jalousie, " '*^"- "^- "• r ^ J . ' CHAP. IV. et sa colère va s'abattre sur Garin. Il semble d'ailleurs que le fils du duc d'Aquitaine se soit attendu à l'éclat de cette fureur : car il est venu à la cour fort bien accompagné. Il est entouré de chevaliers en armes, et ses deux frères ont trouvé bon de veiller sur lui jusque dans le palais de l'Empereur. Ils sont très-pru- dents, ces Aquitains. Charles, qui, dans notre Chanson, est représenté, à vingt ans, comme un vieillard déjà tout assotti, aperçoit alors ces gens armés, et, contenant sa rage : « Je te pardonne, dit-il à Garin, de t'étre ainsi défié « de moi et de t'étre fait escorter de la sorte. » Puis il ajoute niaisement : a Nous allons jouer aux échecs, a Si tu gagnes cette partie, je te donnerai tout ce que « tu pourras demander, même le royaume de France. 8 r^'-O v". I PABT. UTR. II. CHAP. IV. 128 ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANR. change de visage et pense mourir de joie. Vite, il se met en route avec le brachet ' . Ses aventures ne font que commencer; mais déjà elles ressemblent trop à celles des derniers chevaliers de la Table-Ronde. On rougit d'avoir à raconter ces fadaises, qui n'ont rien d'épique. A quelque distance de ce bienheureux château 'où' il vient d'apprendre une si bonne nouvelle, Gailn^ plus amoureux que jamais, rencontre deux chevaUers qui se rendent à un tournoi. Ce sont les frères mêmes de ce seigneur qui lui a fait présent du brachet; ils s'imaginent que ce jeune étranger est un voleur et se précipitent sur lui. « Ne m'arrêtez pas, leur dit-il; je a suis un chercheur d'amour. » Ils lui barrent le che- min ; mais Garin n'est pas d'humeur à se laisser re- tarder de la sorte, surtout quand il est à la veille de découvrir et de voir son amie encore inconnue. Il se mesure d'abord avec Rigaud, et le tue. Hurard veut venger son frère : il a le poing tranché. Mais si court qu'ait été ce double combat, un a troisième larron » en avait profité pour voler le bon cheval de Garin, et, chose plus cruelle, le chien de la pucelle. On ne saurait pejndre la douleur de notre héros , qui re- grette à la fois les deux objets de son affection, son amie d'abord, son cheval ensuite ' . . . Le voilà forcé de marcher à pied, et il en est tout honteux. Il pense à son amour et entre dans une mé- lancolie profonde d'où rien ne peut le faire sortir. Un cousin de Rigaud, voulant venger la mort de celui queGarin ne se souvient même plus d'avoir tué, se jette sur ce jeune chevalier désarmé et le frappe violemment. Notre héros s'en aperçoit à peine, et songe à celle ' Garîn de Montglane, f» 10 r°-ll r°. — « F"" 11 r°-14 r». CBAP. IT. ANALYSE DE GÀRIN DE MONTGLANE. 129 dont il voudrait connaître le doux visaee. Son nouvel " pabt.liti.ii. adversaire le frappe une seconde fois, plus violemment encore. Garin sort à moitié de sa rêverie, et lance tranquillement à la tête de son agresseur un bloc de rocher pesant plus d'un quintal. L'autre a la cuisse cassée; et le vainqueur, après avoir cruellement raillé le. vaincu, continue son chemin, plus absorbé que jamais dans son amour ' . Au sortir d'un bois, il entend des cris perçants : c'est le voleur de son cheval, qui est tombé lui-même aux mains d'autres brigands ^. Us ont attaché à un arbre ce misérable, dont les mouches ont déjà mangé un œil, et qui pousse d'atroces hurlements. Garin, avec une férocité que rien n'excuse, lui crève l'autre œil, et prend plaisir à le tuer 5. Puis, il poursuit sa route. Durant trois jours, il marche ainsi, cherchant tou- jours, trouvant parfois et perdant ensuite les traces de celle qui sera la mère d'Hernaut, de Girart, de Mille et de Renier, la grand' mère d'Aimeri, l'aïeule de Guil- laume ^. Un jour enfin, il rencontre une jeune fille accompa- gnée d'un chevalier ^. Ah 1 s'il savait qu'il a devant lui cette Mabille dont le jongleur lui a tant vanté l'incompa- rable beauté! C'est elle en effet ; mais ses traits sont cachés sous son chaperon, ces traits radieux qui illu- mineraient tout ce pays et éblouiraient Gafiiu « fiçlle, a Dieu vous garde ! Où êtes-vous née ? — A Liitioget.*— a Où allez-vous ainsi ? — Mon frère m'a donnée * Garm de Montglane , f 14 r^-lS r^. Garin dit au pauvre estropié : « Harrez, tos remaniez : Diex tos doinst à mangier ; — Car moult est durs li lis où je vus vi couchier ; — Trop i a poi de plume » (f» 18 r**). — * F** 14 r® et V. — 3 F" 18 V*. « Lors li a le bon oel à la lance crevé ; — Et cil brait et si crie, ft |Mtlt a duel mené. — En moult petitet d'eure a-il son tans fine. — L*ame de li emportent cil qui Tout emmené. » — 4 F*» 18 v'^-lS v*». — 5 F«> 19 v«-20 f, in. 9 Il PART. UTR. II CnAP. IV. 130 ANALYSE DE GJRIN DE MONTGLANE. (c en mariage à un comte d'Auvergne, qui est noir » ug^ntRoSsSî est mandée devant ce nouveau persécuteur : « Vous Jjf °^^ "h?"" « serez ma femme. — Je suis toute à Garin, ré- « pond-elle. — Non, ce Français ne vous possédera cr jamais. Sachez que je déteste la France et que la « France me déteste. C'est à moi que vous appar- « tiendrez. » Mabille pleure. Quant à Garin, il ne s'attend guère au coup qui va le frapper ^. Grâce à cette nouvelle péripétie, notre Roman va encore se prolonger pendant plusieurs milliers de vers. Mais, plein de pitié pour nous, le poète fait jaillir de son cerveau, ou plutôt de sa mémoire, plusieurs personnages nouveaux, destinés à nous distraire pen- dant la route... Lç premier, c'est le géant Robastre. Robastre , qui ressemble étrangement à ce Re- nouart dont nous écrirons plus loin les aventures, est le fils d'un lutin. Sa mère, femme de basse nais- » Garin de Montglane, fo 33 1*-35 t». — > F» 36 v«-39 v®. — 3 F» 40 i-». — 4F«40v*^et41 r». 134 ANALYSE DE GARIN DE MONT GLANE, Il PART.LivR. I sance, est morte en le mettant au monde, tout comme CHAP. IT. ^ ^ ' Alice est destinée à mourir un jour en enfantant Maille- fer '. Robastre fait brutalement son entrée dans un Roman qu'il doit d'ailleurs remplir de ses brutalités : il représente la force corporelle et sans intelligence au service d'une bonne cause. C'est un Hercule sans es- prit, qui tuerait pour tuer, et a besoin de dépenser à tout prix sa redoutable activité. Il commence par écerveler le portier qui l'empêche de pénétrer dans le palais de Gaufroi, au moment même où vont se célé- brer les noces du tyran avec la pauvre Mabillette *. Il se fait sur-le-champ l'allié de Garin, parce que Garin est devenu l'hôte et l'ami de Bérard de Valcom- blée dont Robastre est le charretier. Et voici que Bérard, Garin et le géant se présentent ensemble devant le duc de Montglane : « Est-ce de votre plein « gré que vous épousez ce vieillard ? » demandent-ils à la jeune fille qui est là toute tremblante entre les bras ■ i de Gaufroi. Et, sur sa réponse négative, les trois amis se jettent, furieux, sur le Duc et sur ses chevaliers. Une affreuse bataille ensanglante cette salle déjà toute parée pour les épousailles, où l'on allait entendre la vielle des jongleurs et leurs chansons d'amour. Robastre est dans son élément : il assomme. Ce boucher taille, coupe, tranche, écrase, tue. Durant la mêlée, le Duc parvient à s'enfermer dans son château avec Mabille en pleurs; puis, appelle son fils à son secours. Ce jeune homme est tué sur place, et une haine désor- mais implacable s'allume dans le cœur du père désespéré. La bataille continue ; Robastre fait la soli- tude autour de lui ^. Cependant le comte de Foix, Hugues d'Agen et Gautier de Pierre- Algue arrivent à ' Garin de Montglane, f» 42 r« cl >^ — > F** 41 v*, et f» 43 r*. — 3 F© 43 >•«- 461-". ANALYSE DE GÀRiy DE MONTGLANE. 135 l'aide des ducans assiégés ' : Bérard propose alors de "pabt. litb. h, CKAP IV battre en retraite, mais Garin s'obstine dans une lutte '' — '' — par trop inégale. D'ailleurs il est cerné, et il faut qu'il se dégage. Il y arrive enfin, non sans peine. Quant à Bérard et à Robastre, ils échappent plus aisément à l'effort de leurs ennemis : un cheval étrange, né au pays de Lutis, emporte loin du champ de bataille le géant couvert de sang. Les trois amis se retrouvent dans le château de Bérard dont le duc Gaufroi va tout aussitôt entreprendre le siège... '. Ils sont libres et peuvent songer à leur vengeance. Mais Mabille, hélas ! est toujours prisonnière. IV. Si notre Roman était devenu au moyen âge le suiet Amourscoupabiei ,, ^ ./ D j de Mabille t qui , d un Mystère^ et que ce drame populaire eût été re- une seconde fou présenté à la porte de quelque ville ou devant quelque de m^l église , l'attention des spectateurs aurait été , en ^©"«"iîh^e ce moment du drame, partagée entre deux compar- p"* ^*^*"- timents de la scène. Dans l'un, qui eût figuré la salle d'un château, on aurait entendu Mabille parler de Garin ^ ; dans l'autre , on aurait vu Garin pensant à Mabille dont il est si douloureusement séparé ^ Le duc Gaufroi a confié à Gérard de Beaufort la garde de celle dont, plus que jamais, il veut faire sa femme; quant à Garin, après d'autres batailles et d'autres exploits de son ami Robastre, il s'est fortifié dans un « Garin dt Montglane, P 46 v°. — > F» 47 1^-48 r**. Une lacune regret- table existe, dans le ms. La Vallière, entre les folios 48 et 49. Tout un cahier (le septième) manque à cet endroit; or un cahier de ce manuscrit ne ren- ferme pas moins de neuf cent soixante vers. On trouvera, dans le ms. 14G0, le récit malheureusement trop défiguré des événements peu importants qui étaient racontés dans les feuillets perdus. — 3 P* 51 r° et v», — 4 F« 50 r° et v**. cH/rp. I?. 136 ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE. iiPABT.uvR.il. nouveau château que Bernard de Mauregard a mis à sa disposition. Gaufroi, vaincu, s'est réfugié dans son donjon de Montglane '. Le plus triste, le plus abattu, c'est Garin : « Que -56 r**. Avant cet étrange départ, les trais couples amoureux se sont livrés aux jeux les plus lubriques : k Doi et doi sunt es bains por lor cors déporter. » — 2 P 56 v**, 57 vo, 68 r°. — 3 p 57 ^o ^^^^ _4 fo ^7 ^.9 ç^ 58 ^.0. «. 5 F" 59 r° et v«». — • F» 59 v". — ' P 59 v*. ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE. 139 Tout à coup un paumier arrive , et demande à n part. LnrB. n. combattre Rohart. On \ consent, on l'arme. Le paumier, c'est Garin. Quelques minutes après, Rohart était mort et Garin s'enfuyait,portant Mabille entre ses bras vainqueurs ' . V. Dans la forêt, au bord de la fontaine, (îarin et Apparition ' fie renchantenr Mabillette, poursuivis par le duc Gaufroi, s'arrêtèrent Pemigon. pour prendre une heure de repos. C'est là que fut engendré Hernaut de Beaulande, le père d'Aimeri de Narbonne, le grand-père de Guillaume d'Orange *. Triste commencement pour la geste honorée! Sî l'au- teur de Garin de Montglane n'était pas un de ces poètes de la décadence qui ne prêtent l'oreille à aucune des voix de la tradition, nous rougirions de raconter cette origine honteuse de la forte race du vaincu d'Alis- cans. Quoi! c'est dans une heure de délire, c'est sous des baisers coupables que serait née cette grande famille épique ! Ah ! mieux valait ne pas naître ! Sans remords après son crime, Mabille s'endort. Tout à coup, une bête énorme, un monstre épouvan- table s'approche de la malheureuse, qui va périr. Non, Garin veille, et saura bien défendre sa compagne. Dans le corps du monstre il enfonce sa lance une fois, une. autre coup encore. La bête immense ne paraît pas s'a- percevoir de ces terribles coups qui seraient de force à tuer plusieurs chevaliers. Lenlement, elle s'avance vers la fontaine. Horreur ! la voilà tout priés de l'amie de Garin. La gueule hideuse s'ouvre, la pauvre Mabille « Garin de Montglane^ ^ 60 r^-62 v*>. — a F** 63 r**. II PABT.UTB.U. CHAP. IV. 140 ANALYSE DE GARIN DE MONTGLJNR. est saisie par le milieu du corps, elle est emportée sous le bois. Mais, 6 merveille 1 elle dort toujours '. Tout à coup, le monstre disparait, et Garin n'a plus sous les yeux qu'un damoiseau charmant, éblouissant de jeunesse et de beauté, le feu dans les yeux, le sourire aux lèvres : « Je suis, dit-il, le fils ce du roi d'Espagne et j'ai appris la nécromancie à To- tf lède. Votre ami Bérard, qui est aussi le mien, m'a « prié de venir à votre secours. Me voici. — Quel est « votre nom? — Je m'appelle Perdigon. Si vous voulez « me retenir à votre service et m'adouber chevalier, je (c vous aiderai à conquérir Montglane et me ferai bap- a tiser. » C'est ainsi que fut scellée l'alliance entre le chevalier Garin et Perdigon l'enchanteur *. Ne nous étonnons pas de cette apparition du mer- veilleux dans notre poésie nationale, et saluons-le avec joie. Quand on a lu quelques cent mille vers de récits militaires et féodaux, on prend un vrai plaisir à lire un chapitre des Mille et une Nuits ^ et Perdi- gon produit un peu l'effet d'un rayon de soleil. D'ail- leurs, il faut avoir l'intelligence assez large pour tout comprendre en poésie. Tout à l'heure, nous aurons les rudes coups de lance, les torrents de sang répandus, les chevaux rougis jusqu'au poitrail, les grandes colères de Guillaume et de Vivien, les naïfs exploits de Renouart, Âliscans et la croisade : en attendant, restons assis sur ces gazons, et assistons dans la lumière aux métamorphoses de Perdigon. Notre héros n'aura que trop tôt besoin des sortilèges de son nouvel allié. Le ducGaufroi, qui poursuit son rival, le surprend soudain avec quatre cents t Garin de Montglane, fo 63 r«-64 r». — » F° 64 r»-65 i^. Perdigon avait été élevé dans l'Espagne où il avait appris Vart de Ungremance^ les carmes et caraudes ; mais il avait été forcé de la quitter « parce qu'il y avait tué un baron. » ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE, 141 hommes : Garin et Mabille vont tomber aux mains " pabt. livb. n de leur plus irréconciliable ennemi. « Perdigon, n s'écrie Garin^ je te confie mon amie, » et déjà il se croit perdu. Mais l'enchanteur, voyant devant lui une mqfle de foin, la change aussitôt en un admi- rable château, aux fenêtres duquel se montrent de belles dames et des chevaliers. Rien n'est compa- rable à ce donjon merveilleux dont le poète nous fait une longue description. Garin se présente aux portes de cette forteresse qui lui sont toutes grandes ouvertes : il y entre, comme un triomphateur, entre deux haies de chevaliers et de sergents^ sous les regards de vingt dames. On le salue, on l'acclame, et Garin croit rêver. Quant à Gaufroi, il tombe en une stupéfaction pro- fonde à la vue de ce palais par trop inattendu, et pense en perdre le sens : « Je suis certain qu'il ne se ce trouvait point de donjon à cette place, il y a quinze « jours. » Et il conclut en ces termes : « Décidément « je ferai pendre Garin '. » Nous ne saurions partager, quant à nous, la mauvaise humeur du vieux Duc, et pensons lire Aladin ou la Lampe merveilleuse. Le duc de Montglane, cependant, ne désespère pas de la situation, et prépare bravement l'assaut du château inconnu : il convoque ses gens, fait sonner ses cors, excite ses chevaliers. Cette petite armée est toute prête à se ruer sur ces murs orgueilleux et à triompher de leur résistance ; elle arrive furieuse, pleine d'élan... Hélas I la forteresse a complètement disparu. Perdigon n'a dit qu'un mot, et, comme un brouillard, elle a roulé le long des prés. Pour Garin, il est bien loin *. « Garin de Montghmey f» 65 r»-66 v». — « P» 66 v*-67 ▼*•. L*enchaiiteur a dégoisé Habille en écuyer; mais k tant soloit estre belle et ses vis colorez — que toz H mous estoit de li enluminez » (P 60 v*) . 1 142 ANALYSE DE GàRIN DE MONTGLATiR. II PART. U?B. Il CHAP. VI. Ce ne sera point le dernier des tours de Perdigon. Il se donne la joie cruelle de mettre aux prises avec Gaufroi un de ses meilleurs défenseurs, le bon che- valier Anciaume, qui, trompé par l'enchanteur, ne re- connaît pas Tarmée du duc de Montglane et l'attaque énergiquement. Perdigon pousse un cri de vengeance satisfaite à la vue de cette mêlée sanglante; mais Garin a le cœur plus noble et ne peut supporter l'idée de faire ainsi lutter un vassal contre son sei- gneur : a Bah ! répond le magicien , laissez-les se c( manger les uns les autres. Ils ne veulent que a votre mort. » Ceci se passe sous les murs du château de Montglane, et un terrible combat s'y est engagé entre Anciaume et Gaufroi; Garin lui- même prend part au poignéis^ et renverse le vieux Duc. Mais soudain il quitte le champ de bataille avec son ami Perdigon. Et où vont-ils ainsi? A Montglane. Oui, ils profitent habilement de l'ab- sence de tous les chevaliers de Gaufroi, et viennent à bout de la résistance du portier '. Les voilà enfin dans ce château tant convoité, et dont Garin veut faire le berceau d'une grande race : Mabille les y / avait devancés =*. C'est en vain qu'Anciaume désabusé se réconcilie avec son seigneur, et pénètre par la ruse dans cette tour de Montglane qui est tombée si rapide- ment aux mains d'un perfide ennemi ^ ; c'est en vain qu'il entreprend contre Perdigon une lutte inégale et dans laquelle il reçoit un coup mortel 4; c'est en vain que Gaufroi lui-même, malgré ses quatre- vingts ans, ne craint pas de se mesurer avec le jeune et robuste Garin ^ ; c'est eh vain que notre héros est ' Garin de Montglane, f> 68 rM2 i"". — » P 72r°. — 3 p 73 r**^lK v«. — 4 FM5 r*». — 5 po 75 r''-7C ^^ f'% ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE. 143 cerné par toute rarmée du duc et voit son ami, " "^chIp.^t?.* '*' Bérard de Valcomblée, emmené prisonnier par les ducans trop nombreux... '; le château de Mont- glane n'en demeure pas moins au pouvoir de celui qui Ta reçu en présent de Charlemagne. Quant à Bé- rard, Perdigon vient se mettre en sa place, et se livrer à Gaufroi : « Qu'on le pende sur-le-champ, » s'écrie le Duc irrité. Mais le subtil enchanteur lui gardait encore un tour de son métier. H prend tout à coup les traits de Bicher, son bourreau, lequel prend en même temps les traits de Perdigon. Et au lieu de Perdigon qui ne s'est jamais si bien porté, c'est le pauvre Richer qui est pendu ' ! Il semble que le Roman eût pu se terminer sur ce trait, qui est excellent. VI. La sixième et dernière partie de notre comédie Noureiies épique nous offre tour à tour plusieurs tableaux qu'il péripéties convient de faire passer sous les yeux de nos lecteurs. S^af^^cVcirin! Avec Garin de Monlglane^en effet, il ne serait peut-être MMlufTO point difficile d'écrire de nos jours une féerie à grand ei deMongiificr. spectacle, où l'enchanteur Perdîffon aurait la pre- etdéii?niice miere place, et ou Robastre remplirait le rôle co- Monde tous mique.... les partisans Depuis quelque temps déjà, nous avons perdu de ^^auMgou^^^^ vue Robastre le géant. Il s'est tenu sous les murs de adoraientMahom. Montglane, faisant le guet, tout prêt à tomber sur ^^I^^^^T les ennemis de Garin, au premier cri de détresse mariage qu'il entendrait. -81 v«». CHAP. IV. ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE. 145 verse sur trente ducans qu'il écrase, voit son bâton " p^**- *ï^»- "• éclater entre ses mains, et, désormais sans défense, ' s'accule contre un mur et résiste comme un san- glier à ses ennemis exaspérés. 11 ne lui reste que ses poings, mais c'est quelque chose que les poings de Robastre. Autour de lui, d'ailleurs, les Français font merveille, et, enfin, sont vainqueurs. Les voilà qui rentrent dans Mon tglane, joyeux et triomphants '• Mais la guerre n'est pas finie. \jà duc Gaufroi a un frère dont notre poète n a pas jusqu'ici prononcé le nom et qui tout à coup va jouer dans notre Roman un rôle important, Sorbarré. Garin, sans fausse modestie, ouvre le souterrain, entre, présente le frein à la bête et saute sur la croupe de cet autre Encéphale '. Il sort ensuite de ce caveau mystérieux, mais le temps est obscur et il ne sait de quel côté se diriger. Il tâtonne avec sa lance, aper- çoit une fenêtre éclairée, regarde au travers et voit Flandrine qui lui fait bon accueil : a Emmenez-moi a avec vous, lui dit-elle avec cette naïveté brutale a des jeunes filles de nos Romans. J'aime votre ami « Bérard : vous me marierez avec lui. w Garin l'em- mène ^. Ils partent, avec quelle joie, avec quelle rapidité ! Mais soudain, et quand ils se croient à Tabri de toute atteinte, une muraille de fer, une muraille vivante se dresse devant eux. Flandrine pleure et Garin lui- même n'est pas loin de trembler. Ils se disent adieu... » Garin de Montglane^ f » 90 v^-lOO V. — > F» 101 i'>-102 v". — 3 F« 103 v* el v«». V CHAP. ir. ANALYSE DE GARIN DE MONTGLÂNE. 149 Mais non, ils se trompaient. Cette troupe, qu'ils vien- " *'^"; "JJ*"' nent de rencontrer, ce n'est pas rarmée de Gaufroi : ' c'est celle de Perdigon et de Bernard. Voici même l'enseigne de Girouart et de ses fèvres : les braves fer- rons sont là, et Robastre s'y trouve avec sa cognée '. Cependant une grande bataille, une bataille décisive, est imminente ; il faut en finir avec le duc de Mont- glane. Nos lecteurs ont pu trouver que jusqu'ici Perdigon a été quelque peu avare de ses enchantements et de sa puissance surnaturelle. Il a laissé Garin traverser bien des épreuves que la nigromancie eut pu lui épar- gner. Mais, en cette heure solennelle, il se décide à agir. On lui apporte un faisceau de lances, et il les change en un immense beffroi plein de sergents et d'hommes d'armes. On pousse cette machine contre les murs du château de Mongravier dont il faut s'em- parer avant tout; sur les assiégés tombent les blocs de rocher avec le feu grégeois. Ils s'enfuient, ils se pressent aux portes; mais c'est là que Robastre les at- tend et les massacre. Quelques heures après les Fran- çais entrent dans Mongravier, vainqueurs, et Garin donne ce beau donjon à son ami Bérard. « Vous épou- cc serez Flandrine, » lui dit-il. a Et maintenant allons « à Montglane =*. » Gaumadras était absent de son château de Mongra- vier pendant que les Français eu faisaient le siège. H y revient, sans se douter du malheur qui l'attend, plein de confiance et de sécurité : « Votre. terre est ff aux mains de Garin, » lui dit un messager. Gauma- dras laisse alors éclater sa rage et se montre vraiment possédé du démon. Ce misérable, ce débauché, ce » Garin de Montglane, f» 103 v**-10G r*». — » F» 100 r». 150 ANALYSE DE GARIN DE MONTCLANE. II PART. uvR. 11. traître jette des cris de fureur, monte sur un vaisseau CHAP. I?. •* 11. — ^ avec toute sa gent et essaie de briser contre un roc cette nef qui contient sa fortune. Il ne croit pas en Dieu, ce maudit. Le seul mot Dieu prononcé devant lui Texas- père et le rend fou. Il fait le signe de la croix à l'en- vers ; puis, irrésistiblement entraîné vers le suicide, il parvient enfin à pousser son vaisseau sur le rivage où il s'entr ouvre : « O démons, dit-il alors, accourez, « accourez tous. C'est vous que j'appelle, c'est vous a que j'aime; je suis votre homme lige, je suis votre « serviteur, je suis à vous! » En ce moment le bâti- ment fait eau de toutes parts, s'effondre, descend len- tement dans la mer. Gaumadras essayait encore de prononcer le nom du démon lorsque Teau lui entra dans la bouche. C'est ainsi que mourut le neveu du duc Gaufroi '. Le récit de cette mort n'est pas sans beauté dans notre poème; il y est plein d'une ori- ginalité sauvage : peut-être même ne trouve-t-on rien de semblable dans nos autres Chansons *. » Garin de Moniglane, fo lOC v»-t07 v®. Gaumadras est peint sous les couleurs les plus odieuses: « S'amoil miex .1. garchou avoir à soii costé — Que puccUe vivant tant éust grant beauté, » etc. > La mort de (iAUMADras (Traduction //V/cVa/r). Gaumadras a dit aux siens : «1 Hâtez- vous de me suivre, seigneurs; car lorsque viendra Garin, — S'il nous (c trouve ici, il nous taillera en pièces. » — 11 les conduisit rapidement vers un grand cours d'eau. — Le félon et les siens y entrèrent sur-le-champ: — Il les embarqua dans une nef qu'il trouva sur la rive. — Or, écoutez ce qu'imagina le maudit : — «» (Vesl moi, dit-il, c'est moi qui veux vous conduire moi-même. ■ — Il saisit le gouvernail et s'éloigne de terre. — Les voiles sont levées, et le vent les frappe — Qui était trcs-vif. Et le vent a gonflé la voile, — Si bien que la nef va plus vite qu'oiseau qui vole. — L'eau était forte et faisait de grandes va.;ues. — Gaumadras voulut aborder sur l'autre rive, — Car il y vit une roelx», — Et le misérable entreprit d'y faire heurter sa nef. — « Elle se bri- « sera, et c'est ainsi que je les ferai tous périr. » — 11 adresse [alors] plus d'une prière au Dial)le d'enfer, — Aiin que quand il les aura tués, ce Diable em- porte toutes leurs âmes — Dans le feu de l'Enfer où il veut les conduire lui- même. — Car, s'il le peut, il n'entrera jamais dans le Paradis; — 11 n'a jamais fait, il ne fera jamuis le bien; — Jamais son âme n'ira à bonne fin. — Quant à sou cnr|.s, il le tuera lui-même, et il ne verra pas la fin du jour. — Sans ANALYSE DE GARIN DR MONTGLANE, 151 Cependant, Gaufroi vit toujours. u part, uvr.h. •!'/*! CHAP. IV, a Reprendre Montglane, » telle est l'idée fixe du vieux Duc. Il ne rougit pas de s'allier, pour atteindre ce but, avec un misérable dont le nom même est tri- vial et repoussant. Caupelé, quand on lui demande : « Qui es-tu? » ne manque pas de répondre : « Je suis « d'une famille où personne ne meurt dans son lit ; a mon aïeul a été pendu, mon père étranglé, mon frère tf noyé, et ma mère m*a toujours prédit que je serais « pendu moi-même. » C'est de cet oblique et cynique personnage que Gaufroi va faire le ministre de sa ven- geance contre Garin. Comme un serpent, Caupelé se glisse dans le château de Montglane où la pauvre Ma- bille est depuis longtemps restée seule. [1 rampe jus- qu'aux fenêtres, s'accroche aux lierres, se colle contre les murs; mais Dieu, qui veille, avertit Mabille par trois songes successifs, et la met en garde contre le danger qui la menace'. Elle ouvre sa fenêtre, aperçoit les en- tarder, il s*achemine droit vers la roche. — Un marinier le vit, et s*écria : — « Seigneur ! vous nous conduisez mal, et la nef va heurter. — Si Dieu n*a « pitié de nous, nous sommes morts. » — A peine Gaumadras a-t-il entendu ce mot « Dieu » — Qu'il vient au marinier el le jette à l'eau. — Puis, il retourne en arrière, au gouvernail, — Et pense à cingler droit vers la roche.... — Et quand la nef en fut tout proche , — Les gens qui étaient dedans tremblè- rent de peur. — Les uns réclamèrent doucement l'aide de Dieu; — Ceux-là, Gaumadras, le félon Gaumadras, les assomma tout aussitôt. — Mais il récon- forta tous ceux qui ne croyaient pas en Dieu : — « Ne craignez rien ; si Dieu « nous fait défaut, — Le Diable sera près de nous pour nous porter secours. » — A ces mois , il se lève tout debout. — U fait de la main gauche le signe de la croix à rebours. — 11 les donne tous aux diables d'enfer, — Et, en ce moment même, la nef donna un si grand coup contre la roche, — Qu'elle se fendit et brisa en plus de cent parties : — « Ah! s'écria Gaumadras, accourez, « Diables, accourezv — Prenez tout en une fois : c'est pour vous une bonne « aubaine. — Il vous a fait un beau présent, celui qui a brisé cette nef sur « cette rive. — Si vous m'abandonniez ici, ce serait une vilenie, — Car il y a « longtemps que j'ai bien mérité votre amour, — Et je suis votre homme lige. » — Gaumadras est noyé... (B. 1. La Vallière 78, P* 107 v®.) » Garin de Montglane^ f» 109 r«> el v®. Mabille croit voir un singe hideux qui grimpe contre les murs du château et ronge le « maistre colomhel, >• elc. * • « CHAP. IV. 152 ANALYSE DE G/IRIN DE MONTGLANE, Il p\RT. Liv». II. vahisseurs nocturnes, les crible de pierres; puis, avec une énergie rapide, va prévenir ses chevaliers et les arme. En ce moment un grand bruit s'entend au de- hors : c'est Gaufroi qui cerne Montglane et ordonne Tassaut. Alors les défenseurs de Mabille perdent la tête et, en vrais couards, parlent de se rendre sur-le-champ à Tennemi de Garin et de lui offrir humblement les clefs du château. La jeune fille se traîne à leurs pieds : « Pilié, pitié! dit-elle, Garin va revenir. » Ils ne veu- lent pas récouter et désirent avant tout de vivre, redou- tant peu de vivre infâmes. Là-dessus, ils font parvenir au Duc leurs propositions de paix : « Laissez-nous « la vie sauve et Montglane est à vous. )i Mais Gaufroi prend une attitude terrible et refuse superbement les offres de ces lâches, qui seront forcés de se battre : ils ne méritent plus le nom de chevaliers. Fort heu- reusement Mabille a des amis plus dévoués; autour d'elle, comme une garde populaire, quarante y?- vres s'empressent, donnant et recevant les meilleurs coups. L'assaut, d'ailleurs, est effrayant. Le bourg de Montglane tombe au pouvoir des assiégeants, qui se déshonorent en y massacrant les petits enfants et les femmes. Ils s'approchent du donjon, qui ne peut plus leur opposer une longue résistance : « Envoyez un a messager à Garin, » crie-t-on de toutes parts à Ma- bille. Elle y consent, mais il est peut-être trop tard '. Non ; le messager arrive à temps, et Garin se hâte de secourir son amie en danger. Cependant, à l'aspect de l'innombrable armée de Gaufroi, notre héros n'est pas sans être épouvanté. Il n'a jamais vu tant de chevaliers ensemble, et naïvement fait le signe de la croix. Une voix douce le réconforte alors et lui dit d'espérer : c'est celle de Perdigon. I Garht de Montglane, f«> 107 v^-lU r*. "S ANALYSE DE GARIN DE MONTGLANE. 153 Il importe que renchanteur intervienne ici comme "'A"- ut», h. le Deus ex machina^ et précipite le dénouement de — — — cette trop longue action. Le magicien jette un charme sur le duc Gaufroi et sur ses chevaliers : soudain leurs yeux sont troublés et ils croient voir devant eux une armée de cent mille hommes : « C'est Charlemagne, c'est le grand empe- « reur qui est venu au secours de Garin. » Ils recon- naissent l'étendard impérial , et ils tremblent. Comme ils sont occupés à réfléchir sur cette péripétie inat- tendue, ils sont très-vivement attaqués par les Fran- çais. Robastre entre dans la mêlée comme un ton- nerre, renversant tout. 11 i^ncontre le Duc, l'attaque, le frappe, l'abat, le tue. I^e combat devient plus ter- rible. I^es cris des mourants se mêlent aux acclama- tions des vainqueurs. Tous les ducans périssent ; pas un seul n'échappe : le pays tout entier fut ce jour- là rougi de sang, et d'horribles ruisseaux coulaient dans ces plaines. Quant à Garin, il fit dès le soir sa rentrée triomphale dans le château de Moiitglane et tomba dans les bras de Mabille '.... Quelque temps après, Garin alla trouver le roi Charles dans la cité de Vauclère, en Saxe, et lui de- manda la main de sa fiancée. Les noces furent célé- brées richement, et Robastre les égaya : il avait em- porté sa fameuse cognée qui fit l'étonnement de tous les barons de Charlemagne. Elle allait lui être singu- lièrement utile dans cette guerre contre les Danois qu'a racontée l'auteur de Doon de Mayence^ et que nous aurons lieu de raconter après lui '. Robastre s'était marié avec Plaisance, et Bérard avec Flandrine. Quant à Perdigon et à Girouart, « Gar'tn de Montglane^ f» Ui ¥o-l 18 r<>. — « F<» 1 18 r«. Tt 11 PART. LITR. II. CHAP. IV. 154 ANALYSE DE GjiRIN DE MONT GLANE, ils avaient reçu les plus beaux présents de ce Garin dont ils s'étaient montrés les défenseurs si zélés '. Le poète ne nous dit pas si Perdigon continua ses mer- veilleux enchantements *. C'est dans le château de Montglane, à son retour de France, que Mabille mit au monde son premier fils, Hernaut, conçu dans la douleur et dans le crime. Et successivement elle donna à Garin de Montglane trois autres fils, honneur de sa race : Renier, qui fut le père d'Olivier et de la belle Aude ; Mille, qui fut duc de Fouille, et Girart de Viane, le grand ennemi de Char- lemagne ^. Mais, à nos yeux, c'est à l'aîné de ces enfants qu'é- tait réservée la plus grande gloire : car il devait être le père de cet Aimeri de Narbonne qui eut pour fils Guillaume d'Orange, le héros de toute notre geste. « Garin de Montglane ^ f» 117 ▼**. — » Nous retrouverons Robastreet Perdi- gon dans le Roman à^Uernaul de Beoulande. 3 Garin de Montglane^ f» 1 1 8 v». Notre poète s^est préoccupé, à la fin de sa Chanson, de relier tellemeut quellement son récit à celui de Girars de P'tane ; mais rien n'est plus maladroit que cette soudure. « Tant les norri Garins et tôt dis guerroia — Que avoirs li failli por ce que tant dona. — Quant furent bel et gent , Garins li regarda: — Povres les vit et nus, moult forment l'en pensa. — Quant vestir ne les puet, por poi ne forsena. — A .1. tans de pascor au Roi les envoia — Qui chevaliers les fist et qui les adouba. » C'est là une traduction très-inintelligente des premières laisses de Girars de riane, La pauvreté du vieux Garin est très-naturellement expliquée dans ce dernier poëme par l'envahisse- ment des Sarrasins qui s'étaient rendus maîtres de tout le pays aux environs de Montglane ; l'auteur de Garin se contente assez niaisement de nous dire que son héros s'était appauvri à force de libéralités. Et il termine son œuvre par ce dernier trait : « De l'estoire Garin plus avant n'en i a. » (f® 118 v*). * ANALYSE DE GIRARS DE VIANE, 15S II PABT. UVB. II. CHAP. Y. CHAPITRE V. LES ANCÊTRES DE GUILLAUME (SUITE). Girart de Viane (première partie)*. Nous n'avons entendu jusqu'ici que les accents ^"i*** très-affaiblis de notre épopée dégénérée ; nous n'avons G^rars de viane, > NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LA CHANSON DE GIRARS DE VIANE. BIBLIOGRAPHIE. \o Datb de la COMPOSITION. Gtrars de Fiane est une œuvre du commencement du treizième siècle : il est bien entendu que nous parlons ici de la seule version qui est parvenue jusqu*à nous. Y a-t-il eu une version antérieure? Nous serions fort tenté de le croire, en considérant la dernière tirade féminine de ce Roman, qui est assonancée (B. 1. 1448, f*^ 40 fo et v**), tandis que toutes les autres sont rimées. Cette laisse semble être un débris d'une ancienne rédaction qui pourrait être antérieure de quel- que cinquante ans. — 2° Auteur. L'auteur de Girars de Viane a pris soin de se nommer en tête de sou œuvre, et il nous parait difficile d'aller à rencontre de cette attribution : « A Bair^sor-Aube •!• cliastel signori, — Lai cist BeriranSy en un vergier pensi, — Uns gentis clers ke ceste chanson fist. — A un juedi, kant dou mostier issi, — Ot escoulé 'I* gaillart pallerin — Ki ot saint Jaike aoré et servi, — Et per saint Piere de Rome reverti. — Cil li conta ceu que il soit de fi, — Les aventures qui à repaire oï — Et les grans peines ke dans Girars soufri — Ains k'il éust Viane » (1448, f»» l v»). Il est inutile, d'ailleurs, de s'arrêter ici à réfuter l'opinion de P. Tarbé, regardant son Bertrand de Bar- sur-Aube comme l'auteur présumable des dix-huit branches de notre geste (!). — 3« Nombre de vers et nature de la tersification. Dans le manuscrit 1448, Girars de Viane renferme 66G2 vers; dans le manusciit 1374, il n'eu contient que 6533. Ce sont des décasyllabes rimes. Le dernier couplet fémi- nin, seul, est assonance. — 4<* Manuscrits connus. 11 nous reste cinq manus- crits de Girars de Viane : I» Bibl. imp. 1448, fo 1-40, treizième siècle ; 2° Bibl. imp. 1374, fo 91 et suiv., treizième siècle ; 3o British Muséum, Bibl. Harl. 1321, fin du treizième siècle; 4« British Muséum, Bibl. du Roi, 20 B XIX, treizième siècle; S» British Muséum, Bibl. du Roi, 20D XI, treizième-quatorzième siècle. Il n'est peut être pas superflu de signaler, dans le manuscrit 22G de l'Arse- nal, quelques fragments eu vers d'un remaniement du quatorzième siècle (fo 53, 6G r», 79 ro). Nous donnons ici ces fragments, qui sont restés tout-à-fait incon- nus. Le premier se rapporte à l'amour de la duchesse de Bourgogne pour Girart de Viane : « La dame de Bourgoigne qu'Amours ainsi demaine — Voit son amy mener sa cousine germaine, — Fille d'un hault baron d'une terre loin- taJDgne : — « Qui est celle damoiselle, dist le roj Charlemaine, — Qui avecq « Gérard donlcement se pourmaine.' » —m Sire, dist la pucelle, c'est unechasiel- 166 ANALYSE DE GIRJRS DE Fi A NE. II PART. LivB. n. eu affaire qu'à des Romans de la décadence, pleins d'un ' faux merveilleux et, qui pis est, d'une fausse barba- « laine — Du linage ma mère; ma parente est prochaine. — Pour moy compai- <« gnier est venue ceste sepmaine. » — « Bien lui siet, dit ly Rois; à dansermet « grant paine. » — « C'est vray, sire, fait-elle. Si fiut cis qui la maiue. » — Lors regardent les aultres dont la salle fiit plaine ; — Tant en a c'on ne scet lequel mieulx se demaine , — Sans commander à Dieu, à créature humaine. — Or estoit la pucelle d'elle mesmes haultaine ; — Si a dit à par soy : « Vecy bonne « trudaine. — Gerart ne m'aime point, j'en suis toute certaine. — Que lui ay-je * me£fait? Pourquoi m'a-t-il en haine? — Loyaulment l'ay aimé sans pensée M villaine, — Autant ou mieulx qu'onques Paris n'aima Helaine. — Lasse ! or « ay-je d'Amours assez petite estr[a]ine. — Si en sui trop malade, jamais n'en «* seray saine. — Mais, par la foy que doy la Vierge souveraine, — Sa volenté •• sauray avant qu'il soit quinsainne. — Ne l'en sauroit laver toute l'eaue de « Sainne » (f» 53). Le titre même du second fragment en fait connaître le sujet : Comment HernauU de Beaulande envoya son Jdz Aymery servir Cempereur Charlemaine, « Beau doulz filz , dit Fregonde , aprenés ce notable : — Soyés « en notre foy toujours ferme et estable ; — Amez et servez Dieu pour lui estre «« acceptable ; — Parlez courtoisement et soyés véritable, — En vos dis et vos fais «• envers chascun traitable. — Estre doulz et courtois est chose peu coustable, — « Sans prendre orgueil qui est pechié espoen table. — S'un homme povre ou riche, « marquis ou counestable, — Avoit tout l'or du monde et chevaulx pleine estable, " — S'il a orgueil en soy, la fin en est doubtable. — Humilité vault moult, car M elle est prouffitable. — Aussi vous pry, beau filz, soies entremetable — A la « court Charlemaine. Si le servez à table, — Regardez bien comment ; car il est « redoutable; — Aux felous est cruel et aux bons est pitable » (f» 66 r«). Quant au troisième fragment, il a trait à ce passage de notre poëme où Renier et Girait forment le projet d'appeler à leur secours leur vieux père Garin, ainsi que leurs frères : a. Seigneurs, dit Regnii^r, temps est de conseil prendre, — Sans atendre •< le temps qu'il nous covendra rendre. — La royne l'a induit, vers nous l'a fait «* mesprendre : — Pléust à Dieu qu'elle fust brûlée et mise eu cendre ! — Car on ■ verra par elle maint homme à sa fin tendre, — Maintes lances froissies et « maint escu pourfendre. — Je conseille que nous mandions, sans plus atendre, — t* Nostre père Guarin qui nous vendra deffendre. — Sy fera le duc Mille, et « deust se terre vendre, — Et HernauU de Beaulande, s'il le veult entreprendre. — •• Se Charles nous prenoit, trestous nous feroit pendre » (fo 79 r«}. Ces frag- ments appartiennent évidemment à un poëme en vers alexandrins que le com- pilateur en prose avait sous les yeux et imitait assez servilement. Ce pocme lui- même était une imitation de l'ancienne Chanson décasyllabique, et le Roman en prose allait être à son tour imité par les éditeurs des Guerin de Montglave incunables. Nous avons ici toute la filière. — 5<* Versions rn prosr. Girars de Fiane a conservé longtemps sa popularité, et à trois reprises,au moins, la Chan- son de Bertrand de Bar-sur-Aube a été mise en prose : a. Dans les Conquestes de Charlemaine de David Aubert (1468). b. Dans la compilation du manuscrit 226 de l'Arsenal ; c. Dans les Guerin de Montgtave en prose incunables. Nous allons examiner,une à une,chacune de ces traductions la.-b. Dans \t»Conquestes ANALYSE DE GlRjiRS DE F UNE. 157 rie. Il est temps de quitter cette poésie de vingtième "'^rt. uvr.». ordre et de nous transporter enfin devant une épo- '— — de Charlemaine^ dans cet essai avorté d'une histoire poétique du grand Empe- reur, le Roman de Girars de ftane tient une large place (Bibliothèque de Bourgogne, à Bruxelles, mss. 9066-9068, t. I, f» 35G-446). M. de Reifiemberg, dans les Appendices si précieux du tome I de son Philippe Mouskes, a publié toutes les rubriques des Conquestes de Charlemaine et en particulier celles qui se rapportent à notre Chanson. Nous les avons étudiées avec soin, et les avons rapprochées minutieusement de celles du manuscrit 226 de l'Arsenal. Nous sommes par là arrivé à nous convaincre que David Aubert a sans doute eu sous les yeux la version en prose qui est aujourd'hui conservée dans le ma- nuscrit de TArsenal , et qu'il s'est contenté de l'abréger en en supprimant des chapitres entiers (et notamment toute la première partie) afin de ne pas nuire aux proportions de son étrange compilation. Certaines rubriques, en dTet, sont . à peu près identiques dans l'une et l'autre version : Jf«. 220 de V Arsenal, ^ David Aubert, Comment l*eropereur Charlemaine et Comment Tempcreur Charlemaine et Gerart de Vienne firent chascun leur man- monseigneur Ouer art, duc de Vienne, firent demcuL chascun leur mandement. Comment Roland et Olivier, qui oncques Comment Roland et Olivier s'entrcco- ne s*estoient véus, s*entr*acointerent et gnéurent et acointerent premièrement en- congnéorent premièrement. samble et Comment Aymery et Roland Jousterent Comment Aymery de Beaulande Jousta ensamble devant la demoiselle Aude et à rencontre du preu Rolant qui le fist fut Aymery abatta. tomber par terre défaut la belle Aude. Comment Garin de Montglenne, Mille de Gomment Goerin de Montglenne, Mille de Puille et Robastre le géant vindrent au Pnille et Robastre le Jaiant vlndrent au secours de Gerart de Vienne et de Her- secours de monseigneur Guerard, de ller- nault de Beaulande, etc. nanlt et de Renier de Gennes, etc. Comme on le voit, l'un de ces deux textes est évidemment la copie de l'autre (tout au moins en de certaines parties). S'il restait encore quelques doutes à ce sujet, la comparaison suivante les lèverait. Nous devons à M. Pinchart, biblio- thécaire à Bruxelles, la copie d'un chapitre de David Aubert que nous allons mettre en regard du chapitre correspondant dans le manuscrit de l'Arsenal.... 11 s'agit de Tentrevue de Roland et de la belle Aude . Mi, 220 de VArsenaL David Aubert, Moult fa Rolant Joieux quant il en- Le noble duc fu moult Joieux quant il tendi la pocelle. H tira son anel de son eut entendu la damoiselle. Il dra lors son doy lors, et lui bouta au sien. Si fist la anel de son doy et le bouta au doy de la damoiselle semblablement,eta tant se levé- pucellc, et si fist-elle pareillement. Et atant rent. Sy l'acola Rolant et, aucongié re- se levèrent. Le gent vassal racola et, au cevoir, baisèrent Pan Tautre si douce- congié recevoir, baisèrent Pun l'autre si ment que assex furent comptens pour doulceinent que bien en furent contens icelte fois. 11 prist congié lors, et aussi fist pour icelle fois. Lequel s'en party avecquet Savary qui asses longuement Tavoltatend a.' le bon chevalier Savary qui l'emmena en Il remmena en son hostel sans quelque son hostel sans avoir quelque empeache- coae trouver qui lui péust tourner à nui- ment. Les chevaulx furent amenez et ils sance oe empetchier la promesse que foitte montèrent à cheval. Et, chevauchans par 158 ANALYSE DE GIRJBS DE VUNE. 11 PART. uvR. II. pée sincèrement primilive. Après avoir lu Garin de CHAP. V. * * r / 1 tfc l\fQfjlglfine , après avoir subi les brutalités de Ro- lui avoit. Les chevaux Turent amenez, s'y la cité, vindrent à la porte. Et quant ilz montèrent les chevaliers, et, chcvauchans Turent dehors et au plus près de Post de par la cité, devisant l'un à Tauire, vindrent TEmpereur, le bon Savary s'en retourna à la porte. Et quand ils furent dehors, en la cité, bien content du bon duc Ro- voulut que Savary le chevalier demourasi. lant, lequel s^en retourna à soo tref oii il liais il le convoya Jusqucs assez près du fut bien recéu.... siège, et finablement s'en retourna en la cité de Vienne. Et le noble baron Rolant s'en retourna en son tref oti il trouva ses barons et serviteurs qui tous furent en* tenlif à lui servir.... 11 est facile, par Texemple qui précède, non-seulement de constater ridentité des deux versions, mais de deviner où est Toriginal, où est la copie. Il est vi- sible que David Aubert transcrit, en Tabrégeant, un texte plus ancien. Et c'est ce qui apparaît plus nettement encore dans la suite de ses rubriques. — c. Quant au texte eu prose de Girars^ de Viane qui se trouve dans tous les Guerin de Montgiave incunables, il est également calqué, mais beaucoup moins servile- ment, arvec de plus profonds et plus nombreux rajeunissements, sur la version du manuscrit de TArsenal : c'est ce que mettront suffisamment en lumière les citations que nous ferons plus loin et auxquelles nous renvoyons nos lecteurs. — Co Diffusion a L'éTRA?iGER. a. Dans Us Pays-Bas, 11 nous reste des fragments d'un poëme néerlandais sur Girars de Fiane: cent quatre-vingt-douze vers que Bilderdijk a publiés à tort sous le titre de Garin de Montglant (f^ers» c/teidenheden^ IV, 12G et suiv. V. Rciffeniberg, II, p. CCXUY, et Jonckbioet, Gescfùedenis j II, 175). — h. Dans lès pays Scandinaves. La première branche de U Karlamagnus Saga contient cinq chapitres consacrés à Girart du Fratte qui y reçoit le nom de Girart de Vienne. A l'exception de cette fu- sion des deux Girarts en un seul (si tant est que ce soit une fusion), la lé- gende est à peu près la même dans la compilation islandaise et dans le poème français qui en a très-évidemment été Toriginal (V. Gaston Paris, BUdiothèque de l* École des Chartes^ 1864, p. 100). — M. Geoffroy, dans ses Notices et ex- traits des manuscrits (p. 38), a signalé une Saga qui remonte sans doute au règne d'Haquin V (1217-12G3) et dont le titre est le suivant : Geirards jarU ok FilUjrlms Geirardssonar saga. Il resterait à savoir quel est le rapport exact qui existe entre cette saga, d'une part, et, de l'autre, la première branche de la Karlamagnus Saga. — 7° ÉDITIONS IMPRIHÊF.S DE CE BOMAN. a. En tête de son Fierabras provençal (Berlin, 1829, in-4o) M. Imm. Bekker publia une grande partie de Girars de fiane (4060 vers). — b. M. P. Tarbé, dans sa Collection des poètes de la Champagne antérieurs au seizième siècle^ a publié, en 1850, une édition complète de ce même poème. Il en a fait précéder le texte d'une Introduction où il essaie trop subtilement de retrouver les éléments historiques de ce Roman. — 8" Travaux dont ce poème a été Vobjet. a, La Bibliothèque bleue ^ elle-même, semblait avoir laissé dans l'oubli la gloire de Garin de Montglaue et de son fils Girart. lorsqu'en 1 7 78 la Bibliothèque des Romans résuma à sa manière notre vieux poëme d'après les éditions incunables. ANALYSE DE GlRABS DE y UNE. 159 bastre, les lubricités deMabille et les enchantements «part. uvr.h. CHÂP V de Perdigou, il nous sera doux d'entendre Girars de — — (Octobre, t. II.) Girars de Viane fut ainsi •• modernisa » par M. de Tressanqui, tout fier de ses •• Extraits de Romans », en donna une nouvelle édition en 1782. — ^. En cette même année 1782 prut V Histoire de Charlenuigne par Gaillard , œuvre surfaite et où n'éclate pas une vraie intelligence de Thistoire ni de la lé- gende : Gaillard consacre quelques pages intéressantes aux Chansons où figure le fils de Pépin. Il analyse notamment Girars de l^iane d'après les Romans en prose (III, 484 et suiv.). — c. Vingt ans après, un esprit original et aventureux, un des créateurs de la littérature romantique , Uhland , en des pages trop peu remarquées , restituait à nos vieux poèmes la place qu'ils doivent occu- per dans notre histoire littéraire, et Girars fixa son attention. {Ueber das aUfranzosische Epos^ pp. 68-73). — d. Il était écrit que notre vieille poésie nationale devait d'abord provoquer l'admiration des étrangers. Dans son Uistory of fiction, en 1 8 1 4, Dunlop faisait pour notre épopée ce qu'Uhland avait fait avant lui en Allemagne. En France, nous restions plus que jamais fidèles aux traditions classiques, et voulions fermer obstinément les yeux à notre gloire.— e. C'est en- core l'Allemagne qui était appelée à publier le premier texte de Girars de Fiane; du moins, M. Inmi.Bekker édita, en 1826, une grande partie de ce Roman et lui consacra une partie de son Introduction. — /. Cinq ans plus tard, un des érudits auxquels notre science du moyen âge est le plus redevable, M. Fr. Michel, décrivit le manuscrit de notre Bibliothèque impériale qui renferme à la fois le texte de Girars et celui du Roman de la violette. — g. Le même savant, dans ses Rapports au ministre sitr les Diblioihèqucs d^ Angleterre (I83O), signalait à l'attention du public et décrivait les .manuscrits du British Muséum qui renferment Girars dt Fiane (}, l.,pp. 80, 115, 266). — h. i. En 1841, Graesse ( Die grossrn Sagen^ kreise des Mittelalters^ p. 345), Ideler et Nolle {Hatidbucli der Franzosiscken Sprache und Uteratur, p. 87; donnaient une bibliographie fort incomplète de notre Girars qu'ils confondaient avec Garin de Montglane, — y. M. Francis Wey qui, en 1848, au milieu d'une révolution, publiait trcs-placidement ses deux volumes sur V Histoire des révolutions du langage français^ y comparait ingénieu- sement la fameuse scène du combat d'Olivier et de Roland et l'amour de la belle Aude aux plus grandçs conceptions épiques de rantiquité. — k. M. Tarbé, non content de publier le premier texte complet de ce précieux Roman, lui consa- crait une Introduction^ assez médiocre d'ailleurs, et où le paradoxe tient trop de place (1850). — /.Le travail vraiment décisif sur la matière est l'excellente analyse de M. Paulin Paris au tome XXIf de V Histoire littéraire (1852, pp. 448 et SUIT.). — m. Elle a été imitée par L. Clams (Herzog JVilhelm, 1855, p. 205). <^ n. Enfin, dans son Histoire poétique de Charlemagne (1865), M. Gaston Pans a résumé vivement la Chanson de Bertrand de Bar-sur- Aube : il a émis l'opinion que ce poème est du même auteur qu' /^«/n^r/ de IVaràonne, et il en fait ressortir toute la valeur littéraire. — Nous avons énumcré plus haut les travaux relatifs aux imitations étrangères.— d*> Valeur littéraire, h De toutes les imitations « des anciens poèmes, c'est celle de Bertrand qui peut le plus dignement se placer * auprès d*eux. » Ainsi s'exprime l'auteur de V Histoire poétique de Charlemagne (p. 328), et il serait difficile de mieux dire. Il est évident que l'œuvre attribuée à Bertrand de Bar-sur-Aube n'a rien de véritablement et profondément primitif. :^ 160 ANALYSE DE GIRARS DE ViANE. II PART. LivR. II. Viane. une de nos meilleures et de nos plus féodales cnAP. V- >^, , ^ Chansons de geste ^utflM lieux commuDS épiques y abondent ; oui, la vérité historique en est absente ou ne s*y montre que bien rarement. Mais Tesprit général, mais le ton du poème, sont dignes de nos plus mâles, de nos plus antiques épopées. Le fier tablean de la pauvreté du vieux Garin, au commeucement de la Chanson; le récit de Tar- rivéede ce sauvage Renier à Paris et de ses incoteparables brutalités; le con- seil tenu par Garin et ses fils, avant de commencer la guerre contre TEmpe* reur; le jeune et frais portrait d*Aimeri ; la charmante figure d*Aude ; Tinter- minable combat entre Olivier et Roland qui abonde en beautés si touchantes; la scène de la forêt où Ton ivit des vassaux rebelles s^emparer de la personne de Charlemagne et tomber à- les pieds, tous ces épisodes, toutes ces péripéties» tous ces personnages sont stUmsants, vivent, frémissent. Suivant nous, tant de qualités sont dues, plus que dans nos Romans antérieurs, à la personnalité du poète. S'il est vrai que la même main ait écrit Girart de Fiane et cet Aimeri de Narbonne dont le début est presque sublime, ce trouvère inconnu peut se glorifier de son œuvre, en voyant de nos jours le plus grand de nos poètes fran- çais, Victor Hugo, puiser dans ces deux Chansoai le sujet de son Mariage da Roland et de son AymerUiot, de ces deux épisodes qui suffisent, au milieu de la Légende des siècles, à représenter dignement toute notre vieille Épopée natio- nale..., n. ÉLÉMENTS HISTORIQUES DE LA CHANSON. On peut scientifiq ment établir les propositions suivantes : l^* // n'y a dans Girars de Viane à signaler aucun élément directement et 'véritablement historique, — 2* Garin ei ses fils sont des personnages compléiememt fabuleux et qui n'ont même rien de pro^ fondement légendeûre, — 3o Mais un certain nombre de faits généraux et cont» tants ont laissé leur empreinte sur ce poème dont le ton général est d'ailleurs plus historique que les péripéties ou l'action. — 4« Montglane (sur le Rhône) est entouré de Musulmans qui ont conquis tout le pays voisin. C'est un souvenir m- dent de ces invasions des Sarrasins dans le midi de la France que nous avons énumérées ailleurs, et qui se sont prolongées Jusqu'au onzième siècle (Narbonne fut sans doute assiégée par eux en 1018.) — S'* La plus grande partie de notre poème consiste dans le récit d'une lutte acharnée entre *CharUmagne , ' 126 r« et 128 r«). A côté de Robastre, MabÛlette apparaît aussi dans III. 1 1 *♦ t 162 ANALYSE DE GIRARS DE FIANE. iiPART. LivR. u. lexandrie, et par toute une armée de Sarrasins. Les CHAP. ▼. ' r quatre filsdeGarin sont là, près de leur père, pauvres eette singulière imitation de notre Girars de yiane, et reçoit à Montglane ses quatre eiifants qui ne sont pas encore en guerre av^c TEmpereur (f» 66 r«). Mais un des plus beaux rôles appartient à Garin lui-même, qui ne semble aToir ici aucun des traits de la vieillesse. C'est lui qui se montre à la fin du Roman, sous la physionomie d'un puissant pacificateur, et qui récraèilie rEmpereur avec ses fils. « Comment la paix du roy Charlemaine et de Gerari de Vienne fut faitte par la prière de Garin de Monglenne (fo 166 v«). Rien de pareil ne se rencontrait dans notre vieux poëme. Quant au style, ce sont, hélas! bien d'autres changements. Tout ce qu'il y avait d'héroïque et de primitif dans la Chanson de BertÉmd de Bar -sur-Aube a complètement disparu pour faire place à une prose affadie, à des sentiments alambiqués, à une litté- rature de la décadence. On en jugera par l'extrait suivant : « Comment Garin de Monglenne, Mille de Paille et Robastre le grant vindrent au secours de Gerart de Vienne et de Hernaut de Beaulande. Comme a jà recompté l'istoire, firent leurs establissemens et ordonnèrent leurs hommes les enfans , de Monglengne, et, pour conclure et abregier, ordonnèrent qu'ilz yroient devers leur père qui par tout son païs avoit [fait] son mandement et envoyé messa- giers en tous lieux pour plus assambler de peuple, comme on doit faire en tel cas et par especial besoing. Robastre lors estant en une forest, en ung hermitage ou quel il s'estoit tenu depuis que Hemault de Beaulande avoit sa seigneurie obtenue, et quant il scéut par ung des messagiers qui s'estoit fourvoyé cfue Gerart de Vienne estoit assegiè du roy Charlemaine, il fut tant dolant que merveilles, et jura Dieux que jamais en renclusage ne seroit demourant jusqu'à ^ ce qu'il éust véu Garin de Monglenne et scéu quel estoit le débat pour quoy guerre estoit mène à l'encoutre de Charlemaine de France. H se parti lors et tant exploita, aiosy habillié comme ung hermite, qu'il vint à Monglenne où les gens du noble prince estoient assamblez, atendant ses enfans pour tirer droit à Vienne. Sy estoit, pour icellui jour que Robastre ariva, Garin en sa chappelle oyant messe par ung matin avecque Mabilette,la noble ducesse^qui moult dolente estoit, plus que nul ne recorderoit, de l'aversitè qui à ses enfans conmienchoit à venir. Car, comme elle consideroit que Charlemaine estoit trop grant signeur, jà soit ce qu'ilz fèussent nobles bien emparentez et aliés, fors et puissans de leurs corps, et que de guerre scèussent autant que homme nul en pooit savoir, elle ne cessoit de prier Dieu qu'il voulsist mettre paix entre eulx, afQn qu'ilz fèussent à séurté de leurs corps. Et croit l'istoire que pareillement traveilloit le noble duc Garin, envers Dieu priant qu'il luidonnast grâce de pacifier ses enfans avecq l'Empereur. Et quant leurs prières furent faittes, ils s'en issirent de la chapelle. Sy les rencontra à l'issue Robastre lequel, aiiisy habillié comme il estoit, les salua en demandant l'aumosne, et disant : « Vostre aumosne me soit donnée s'il vous « plaist, sires, en l'onneur de cellui Dieu ou nom duquel tous chevaliers sont fais « et créez. » Sy le regarda assez le duc Garin, ains lui respondi assez doulcement : « Ta requeste te sera passée, beaux amis, fait-il. Vien t'en en salle, sy te feray « donner assez à boire et à maugier pour l'amour des bons chevaliers qui jadis n furent eten mémoire de ceulxqui encore sontvivans. »£t atant monta le Duc et des chevaliers après lui grant nombre. Sy s'en ala la Dame en sa chambre et ANALYSE DE GIRJRS DE f'IANE, 163 et affamés comme lui, et il iette, sans dire un mot, "p^^- "▼«•»• un regard triste sur le misérable accoutrement de ces SCS damoiselles après elle. El quant le duc Garin vint en salle, il manda par son maistre d'ostel à mengier pour le bon hermite, et dist qu'il le Touloit véoir re- paistre. Sy fut la table drecée et rermilte assis par le commandement Garin qui assez le regard^ctlui-mesmes asséit la TÎande derant lui, disant . »Tenez,amis, « en Fonneur de Dieu soit ce. — Amen, monsigneur, fait-il, et de Robastre dont « Dieu ait l'ame s'il lui plaist ; car puisqu'il est mort,jamais ne le verrez. » Et quant Garin de Monglenne entendy parler de Robastre, il fut tout Irespensez et re- garda cellui qui parlé lui en avoit, disant : « Par foy, beaux amb, fait-il, vous ■ m'avez cy parlé d'un homme que j'amoys moult en son temps, et Dieux ait son « ame, s'il est mort ; car moult de bien me flst en sa vie, et par lui et à son aide « conquestay Montglenne et la dameMabillette, qui plus sera dolente que dire ne « sauroie quant telles nouvelles lui seront dittes, pour l'amour de ce que, n'a pas « longtemps au mains puis XX. ans en ça, il secouru Hemault à Beaulande et « fit si grant courtoisie à Fregonde la dame que jamais ne le portons oublier. Et « encore eussions de lui milleur mestier que jamais s'il fiist eu vie. — Ouy certes, « sire Duc, ce respondi Robastre , voirement est-il vivant , et aussi bon voloir « qu'il éust oncques, il a encore. Mais tant estes en orgueil surmonté pour vostre « ricesse que vous ne daigniez nuUui recongnoistre, sinon à toute peine. Véez cy « Robastre devant vous qui bien vous cougnoistt et vous ne le daignez raviser. • Robastre osta son chapperon lors et demoura à toute sa barbe et une grant grise chevelure qui lui pendoit si bas, que à paine le ravisa le noble duc Garin. Et quant il lecongnut, lors l'embrassa le noble prince et acola moult serréement. Sy fi&t Robastre lui, si. qu'il lui froissa presque les os. Dont Gaiin ne se péust taire, ains dit : •< Bien soit le mien loyal amy Robastre venu qui à ce b^oing « me vient secourir !» Il le mena devers Mabillette, qui jamais ne l'éust reconnéu en Tabit ou quel il estoit, et de l'éage dont il se monstroit. Et au fort lui dé- dain Garin que c'estoit Robastre ; si l'acola la dame et aussy l'embrassa-il, mais non mie comme il avait Garin embrassié, car toute Téust deffroissiée, tant estoit encores fort et puissant. » (Ms. de l'Arsenal, B. L. F. 226, f<>* 88 v<>.90 1«.) 3* David Aubert, dans ses Conquestes de Charlemaine, n'a fait qu'abréger, en la desséchant, la version du manuscrit de l'Arsenal. (Voir plus haut, p. 157.) 4« Nous avons dit que les Guerin de Montglave incunables « ont été calqués sur Pp. 30-32.— 3 Pp. 32-33.— 4 Pp. 33-34. ANALYSE DE GIRARS DR Fi ANE. 173 II PART. LITS. U. CHAP. ▼. .'. IV. • * • Charlemagne était à la chasse lorsqu'il apprit un «*Jî*^ .. * jour la mort du duc de Bourgogne. Ce grand vassal pJfrGinrt; laissait une femme aussi consolable que belle, et, qu'eue d'ailleurs (nos Chansons l'attestent plus de cent fois), cwt rori^nede l'Empereur avaitet exerçait féodalement le droit de ma- ** «"^^Mpaerre rier, comme il l'entendait, les veuves de ses vassaux. Ces ^^ ^^ qMnTfiis' veuves de nos vieux poèmes ne ressemblent nullement à ^ ^**^"' celles de l'Inde qui se brûlent dans le bûcher de leurs maris : « Remariez-moi bien vite, » disent-elles. Et on les remarie. La duchesse de Bourgogne fut tout d'abord desti- ' née à Girart dans la pensée du roi de Saint-Denis. f « Je lui donnerai le duché et la duchesse. >» L'un n'allait pas sans l'autre, et, quand on recevait un fief, il fallait aussi se charger de la dame. Notre veuve ici ne se fit pas longtemps prier... ni Girart non plus. Ils se trouvèrent mutuellement jeunes et beaux, et s'acceptèrent *. Par malheur, Charles eut le temps de faire ses réflexions : «Tout bien pensé,» se dit-il, « la « dame est des plus belles, et me convient mieux qu'à « Girart. Je vais l'épouser. » Mais la jeune duchesse pré- férait le jeune chevalier au vieil Empereur; elle alla trouver le fils de Garin et lui dit cyniquement : « Tenez, « épousez-moi. » Girart, que notre poète a peint sous de belles couleurs, fut noblement révolté de ce lan- gage et repoussa durement cette effrontée dont il se fit une ennemie mortelle ^. Alors, dans un instant de dépit, la duchesse se tourna vers Charlemagne et lui donna sa main. Ces représailles, d'ailleurs, ne lui suffî- i Girars de Fiatie, éd. P. Tarbé, pp. 34-36. — » Pp. 3S-38. V Il PART. LIVB. II. CHAP. y. V'.'* '.' * .*- ■ 174 ANALYSE DE GIRARS DE FtANE, saient pas, et elle songeait sans cesse à trouver quel* que vengeance plus cruelle et plus raffinée contre ce Girart qui avait osé dédaigner son amour. Quant à l'Emperetu*, il cherchait au contraire à satisfaire Gi- rart et à lui faire oublier son ingratitude. C'est alors qu'il lui donna le duché de Yiane dont il ré- clama l'hommage ' . L'hommage-lige était,comme on le sait,entouré,dans la rigueur du droit féodal , d'une solennité destinée à saisir vivement les esprits. Parmi ces rites, un des plus imposants était le baisement de la jambe du seigneur par le vassal. Il circulait sans doute, sur cettepartie du rituel féodal, un certain nombre d'histoires plaisantes dans la société peu attique des douzième et treizième siè- cles. C'était le trait de quelque seigneur qui donnait en ce moment un coup terrible à son vassal ; c'était, plus souvent encore^ la légende du vassal qui poussait yiolemment la jambe de son seigneur et le faisait piteusement tomber à terre, aux grands éclats de rire de tous les barons. L'auteur de Girars de Piane n'avait pas été sans recueillir ces traditions ou ces contes : il s'en servit assez heureusement. Au moment donc où Girart, duc de Viane, se pré- senta pour rendre solennellement l'hommage à Charles, son seigneur, il se trouva que l'Empereur était au lit avec l'Impératrice. Girart n'en accomplit pas. moins tous les rites exigés, et s'agenouilla pour baiser le pied du roi. Mais alors le Diable suggéra à la reine une idée étrange et qui devait faire couler des torrents de sang chrétien : elle tendit son pied nu au nouveau duc, qui crut poser ses lèvres sur la jambe de son seigneur, et qui en réalité baisa le pied de cette femme. Quel 1 Gïrart de Viane y éd. 1». Tarbé, pp. 38-41. ANALYSE DE RENIER DE GENNES, 175 déshonneur! Quelle honte pour un chevalier, pour u part. uyr. n. I 11'* tSUkP. VI. un homme 1 Et, si Girart Tavait su, comme il lui eut percé le cœur de son couteau d'acier ^ ! Mais le duc de Viane n'apprit que plus tard ce grand outrage. Et nous verrons comment... CHAPITRE VI. LES ANG£TR£S DE GUILLAUME (SUTTE ET FIN). «• ê (Renier de Grennes* ) I. Girart et Renier étaient restés à la cour de Char- . tlî^Zîfw. ^ de nemer ae lemagne longtemps après le départ de leurs frères i Gemuê. > Girars de Flâne, éd. P. Tarbé, p. 41. > NOTICE BIBUOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE SUE LE EOMAN DE RE!ÎI£1i DE GENNES. 1. BIBLIOGRAPHIE, l» Datb db la compo- sition. Renier de Gennes ne nous est parvenu que sous la forme d*un Roman en prose du quinzième siècle. Mais, dans cette rédaction, qui n*est pas la plus ancienne, un couplet en vers nous a été heureusement conservé (f® 50 i« du ms. de TArsenal). Ce couplet ne nous parait^ d'ailleurs, appartenir qu'à un poème du quatorzième siècle. — 2° Auteur. Ce Roman est ano- nyme. — 3« Nature de la versification. D*après le couplet qui nous est resté) Renier de Gennes était en alexandrins rimes. — A** Manuscrit CONNU. Le texte en prose de Renier ne nous a été conservé que dans le manus- crit de r Arsenal B. L. F. 226 (P» 34 r»-43 vo). — 5» Versions en prose. Ce précieux manuscrit nous offre en réalité la plus ancienne version en prose de notre Roman. Il peut être considéré comme le type de tous les incunables qui ont pour titre : Guerin de Montglave et dont Renier forme toujours la seconde partie. C*est ainsi qu'on retrouve Renier dans les Guerin de Montglave de Nicolas Chrestien (s. d.), d'Alain Lotrian (s. d.), de Jehan Bonfons (1618) et de Louis Costé (1626), etc. — 6» Diffusion a Têtranger. Renier de Gennes n'a conquis aucune popularité ni en France ni à l'étranger. — 7o ÉDI- TION upRiMtE. Il est inédit. — 8» Travaux dont ce roman a été l'objet. Résumé par M. de Tressan dans la Bibliothèque des Romans (octobre 1 7 7 8, t. H), il est ici étudié pour la première fois. Nous avons publié plus haut (I,p. 508), CHAP. VI. 176 ANALYSE DE BENJER DE GENNES. II PART. u?B. IL ils y forent Tobiet d'une vive jalousie. Mais ils n'a- vaient pas d'ennemis plus redoutables que Griffon * le seul couplet eu tcts qu'il renferme. — 9o Valeur uttébaub. Nos lec- teurs pourront appliquer à Renier de Gtnnes le jugement que nous porterons tout à rheure sur Hernaut de Beaulande. Œuvre du même compilateur, les deux Romans tffrent le même intérêt secondaire et sont dignes du même dédain. II. ÉLÉMENTS HISTORIQUES, a. Renier de Gennet ne contient aucun élément directement ou indirectement historique. — b. Si ce misérable Roman offre par hasard quelques traits traditionnels ou légendaires, ce sont ceux qu'on trouve dans Girars de Fiane, ni. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. 1<> C'est dans , Girars de Flâne, en effet, qu'il faut aller chercher la plus ancienne Terrien connue de Renier, et il n'est aucunement besoin de supposer ici l'eustence d'une plus ancienne Chanson qui aurait porté ce titre. Dans le Roman de Ber- trand de Bar-sur-Aube, Renier est peint sous les plus énergiques couleurs. Après avoir pleuré sur la pauvreté de son père Garin et surtout après y avoir mis fin, il part à la cour de Charlemagne, accompagné de son frère Girart. On sait par quelles prodigieuses brutalités il attira sur lui l'attention de l'Em- pereur. 11 tue le portier du palais sous les yeux de Charles lui-même; il ne res- pire que les menaces et le sang, et le Roi est tout épouvanté à la vue de oe furieux qu'il s'empresse d^adouber. C'est alors seulement que Renier s'adoucit, il se met au service de l'Empereur et délivre les environs de Paris des brigands qui les infestaient. Mais il ne veut pas que de tels services soient gratuits et réclame fièrement son salaire. Déjà Mille possède la Fouille ; déjà Hernaut, maître de la cité de Beaulande, a un bel enfant qui s'appelle Aymeriet. Et lui, lui, Renier, n'a pas encore de fief ni de terre ! (Girars de Fiane, éd. P. Taiiié, pp. 25, 26 : remarquez que ces derniers traits ont été servilement reproduits dans le Roman en prose.) L'indignation de notre héros ne connaît plus de bornes : il insulte l'Empereur, il déclare qu'il va le quitter, il rappelle inso- lemment tous ses bons offices, il parle de se retirer dès le lendemain, il se tourne furieux contre son frère Girart qui parle un langage moins révoltant et qui veut demander pardon à Charlemagne, il se jette sur Doon-à-la-barbe, il le renverse d'un coup de poing, il jette Renard dans le feu, il pense devenir fou de colère. Par bonheur, un chevalier du Roi, Henri d'Aleoois, ouvre on bon avis et propose de donner le duché de Gennes à ce terrible Renier, a Si li doneiz, c'il vus plait, Genevois. — Mors est li Dus, bien ait passé .IL mois. — Ni ait nul oir remeiz, biau sire Rois, — Fors une fille ki le cuer ait cortois. — Rainiers Tarait, li chevaliers adrois, — Ke sire iert de la terre » (B. I. fir. 1448, f* 7 v«). Renier prend à peine le temps de remercier l'Empereur et s'empresse brutalement de partir dans son nouveau domaine : a Vait s'an Rainier san plus d'arestison... — A Genne vindrent li nobile bairon. — La dame prist Rainier li gentis bon, ~~ Et espousait sen nule arestiaon. — Les noces fixent sus el maistre donjon. — De celé dame, ke nos issi disson, — Fait Oliviers à la deire faisson. — Il et Rollans furent jai compaignon, — Ke puis vandit le cuvert Guenelon — En la terre d'Espaigne « (B. I. fr. 1448, f* 7 v«. ANALYSE DE RENJBR DE GENNES. 177 d'Hautefeuille et Ganelon^ son fils. Ces traîtres pre- " naient plaisir à ébaucher en quelque manière le " 8 r*). Et, quelques vers pluâ loin : « Or fuit Rainiers dus de Gènes sor mer. — Dès or commance ses guerres à mener, — Murs fait dressier et fouseiz re- lever — Et fors chasteiz et fortes tor fermer. — En tôt le raigne n'avoit bairon ne per — Ke ne covigne par force à lui aler, — Houmaige faire et féauté jurer. — Ke le refuce, cel fait déshériter » (ibid. f<» 8 r^). 11 est inutile d*ajouter que Renier prend la part la plus active à la guerre de Girart contre le roi de France; qu'il fait ce dernier prisonnier à la fin du siège deViane et tombe aussitôt à ses pieds ; qu'il devient, comme ses frères, un serviteur fidèle de TEmpereur. Quand Charles s'apprête à partir pour sa grande expédition d'Es- pagne, il laisse à Renier et à Hemaut le gouvernement de l'Italie. Telle est la véritable légende de notre héros : elle offre un caractère profondément épique, qu'on ne retrouve guère dans le Roman en prose. 2^ et 3** Nous avons déjà eu l'occasion d'affirmer que « le texte du manuscrit de l'Arsenal est le type de nos éditions incunables *•. Pour donner de cette affir- mation une preuve nouvelle, nous allons successivement faire passer sous les yeux de nos lecteurs le même chapitre de notre Roman : a, d'après le manus- crit 226 ; h. d'après l'édition incunable de Nicolas Chrestien. Lç chapitre que nous choisissons est celui qui sert de dénouement à tout le récit. a, « Comment Régnier desconfit Sorbrin lejaytxnt ou cluunp en la présence de Olive et autres. Tout ce véoit bien Sorbrin à qui moult tardoit que Régnier venist pour s'en despeschier, afBn qu'il péuxt avoir la pucelle que tant avoit désirée. Il estoit bien armé à la guise payenne, et, entre tous autres habille- mens, avoit une grant hache en quoy plus se fioit qu'en cose nulle du monde, et en menassoit Renier qui mien'estoit du tout asséurs. 11 entra en champ neant- mains et vist le jayant tout à pié , la hache sur son espaule , aprochant vers Régnier pour l'ocire à son pooir. Et quand Régnier l'aperchut venir, il se seigna et commanda à Dieu ; puis, baissa la lance et le cheval hurta de toute sa force. Sy l'atendi plainement le jayant qui oncques n'en chancela, ains demoura debout comme une tour et laissa passer oultre le chrestien qui garde ne se donna quant le payen lui asséit la grant hache pesant sur la cruppedu cheval, si qu'il le pourfendi tout en travers. Et quant Régnier senty le cop, il retourna la bride legièrement, et ce fut ce qui de mort le sauva. Car le jayant, qui aux bras le cuidoit prendre, se frappa par my le cheval qui chéy en la place, et tandis dessendi Régnier, Tespée traitte, dont il assena le jayant si arréement que l'espaule lui trencha à demy ; sy que son escu lui chéy et ne se péust plus aidier que d'une main. Or tenoit-il la grand hache à celle main là. Mais il ne povoit mie avoir si grant puissance comme à deux mains. Il la leva nonpourtant et de toute sa force la dévala ou cuida dévaler sur Régnier qui legier estoit à merveilles. Si advint que le horion chéy en terre, si avant que plus de deux pies y entra en parfont. Et lors s'aprocha Régnier quant il vit le jayant baissié, et l'assena de l'espée à plain, si qu'il lui coppa sur le col toutes les lainières de ^n heaulme; et lui demoura le chief tout nu, dont moult lui en- nuia. Dieu ! conome fut grant le cry et le huy que firent les nobles crestiens qui des murs le regardoient quant le jayant virent ainsi desheaulmé par Régnier, le chevalier de France ! Et, se ilz en furent joieux, vous devez savoir que 12 PÀBT. LlVIUll, CHAP. VI. CHÀP. TI. 178 ANALYSE DE RENIER DE G EN NES, ri PART. uYR. II. grand crime de Roncevaux , que Ganelon devait - commettre quelques années après. Toutes les fois qu'ils sy fut : Olive plus sans comparisoQ qu'ils n'estoient , et moult dévotement prioit à Dieu qu'il lui voulsist sauver son amy. Le Sarasin qui grant estoit se prist à couroucer lors et faire si laide chière, que bien Tapperchut Renier à son visage. Si ne scéut que faire, sy non courir vers Régnier qui, au mieulx qu*il pooit, se gardoit de luy à ce qu'il ne le prenist aux. poings : car aultre chose ne queroit. Et, fin de compte, ne s*en séut garder. Il Tempoingna et, par force, le jetta sur son col, ainsi legièrement comme une nourice met ung petit enfant sur le sien. Puis, se mist à la suite par my le champ, courant ci et là, cuidant trouver quelque mauvais et périlleux trou pour le getter et mourdrir. Sy ne le voulu mie la grâce de Dieu. Anchois Régnier s'avisa d'un coutel qui au costc.lui pendoit, lequel il sacha et tira hors, et en frapa le jayant; sy qu'il le perça par my le col de part en aultre. Puis le retira, et tant lui en donna et piquota de horions par le visage, que les deux yeulx lui creva et aveugla de sang. Et adont ne scéut où aler ne où soy conduire ; el sy ne se savoit dé- livrer du crestien. Fin de compte, il se hurta à une pierre qu'il trouva en my le champ, sy qu'il convint chéoir, lui et Régnier, qui le plus tost qu'il péust se releva et, l'espée haulcée, se dressa à Sorbrin et là l'ocist legièrement, car il avoitson chief désarmé ». (Ms. de l'Arsenal, R. L. F. 226, fo 51, 52.) b. a Comment la pucelle Olive fut menée par quatre chevaliers ou champ, ei comment Régnier desconfit Sorbrin et lui couppa la teste. Après les sermens faitz s'en retournèrent les bourgeoys à la ville et dirent la chose ainsi qu'elle estoit accordée, dont chascun fut content. Adonc quatre chevaliers prindreot la pucelle et la menèrent jusquesau champ, et la mirent soubz un arbre et deux damoyselles avec elle. Et, quand Sorbrin la vit, il alla celle part et luy dist : « Mahom Dieu vous bénie; je vous prometz et jure sur mes Dieux que, avant « qu'il soit quatre ans, je vous feray couronner de dix royaulmes. *• Quand Olive l'ouyt, il (sic) baissa sa teste et ne dist autre chose, mais dist en soy mesmes : « H « n'en sera jà rien, se Dieu plaist-il. » Adonc arriva Régnier qui regarda Sorbrin qui parloil à s'amye ; si luy dist : a Sorbrin, il vous convient contre moy la belle con- « quérir. » Et quand Sorbrin l'ouyt, il dit à ses gens : « Seigneurs, tirez*voiiB (c arrière, je vous en prie; si medelivreray de ce chevalier-cy ». Adonc dist à on de ses gens : « Allez moy quérir le meilleur pallefroy qui soit en l'ost, pour monter •< la dame; car, avant qu'il soit veDu,je me seray délivré de ce pautonnier ••. Adonc entra le roy Sorbrin dedans le champ, sa ha[c]he sur son col. Et s'en vint vers Régnier; et quand Régnier vit qu'il aprochoit, il baissa sa lance et brocha son cheval des espérons et dist à Sorbrin : «< De Dieu soyes-tu mauldit, et celuy (i qui t'eugendra ! » Adonc le payen se tint tout coy et nesedoubta rien; et Régnier le ferit de toute sa force et puissance, mais oncques le payen n'en remua, et demoura en estant comme une tour. Et quand le preux et vaillant Régnier vit qu'il uv. le povoit abatre, il en fut courroucé : si passa oultre, et le géant haulça la hache et ataignit le courcier sur sa croupe et la coupa tout outre. Si cuida bien prendre Régnier, mais le cheval chcut, qui encombra le géant tant qu'il tomba à terre. Et Régnier saillit sur ses piedz, qui fut fort legierel voila tout en l'air; et le payen estoit pesant. Si se hasta Régnier et lui trencha de l'espée bien lamoytié de l'espaule et le mist en tel point que jamais ne s'en peust ayder. Et CHAP. YI. ANALYSE DE RENIER DE G EN NES, 179 découvraient une âme fière, un cœur d'homme, une " '^"t- "^"- " ' ' m AD. Vf vraie nature de chevalier, ils éprouvaient le désir de • quand le géant se sentit ainsi navré, et qu'il vit son sang quil perdoit ainsi, adonc il fut moult fort esbahy, et Régnier luy dist : « Vous avez senty mon espée. Or « ne peust-il estre que vous n^ayez chèrement acheptée la pucelle, et encore vous « coustera-elle plus cher avant qu'il soit nuyt. — "rais-toy, filz de pute, dist Sor- « brin,car se j'avoys les deux mains couppén, si ne peulx-tu eschapper sans mort » Lors est venu à luy, et tenoit la hache, et jetta un grand coup à Régnier : mais il fist un sault et la hache entra en terre bien deux piedz et demy, et Régnier le frappa tel coup sur le heaulme quil luy en trencha le laz, et la coiffe si luy vola jus de la teste, et lui demoura lit teste toute nue» Adonc firent les gens si grand huée sur les cameaulx de la muraille que oncques n'ouystes si grand noyse, et prisèrent moult le chevalier, et dirent qu'il ne fut oncques de si hardy chevalier ne plain de telle prouesse : « Hé Dieulx ! se dirent-ilz, s'il povoit occire le • géant, que nous aurions en luy un bon chevalier et loyal I » Et la noble Olive se mist à genoulx et pria nostre Seigneur quil luy pleust dopner victoire à son amy Régnier. Une fault pas demander s'elle avoit grand paour. Atant s'en vint Sorbrin contre Régnier, la hache au poing, et luy jecta 'un coup et l'assena tel- lement que tout ce qu'il attaignit il jecta par terre, et rompit sa hache par où il la tenoit, et rencontra une pierre et la fendit en deux. Et quand Sorbrin vit que sa hache estoit rompue, il jecta à terre tout le demourant quil tenoit et print le chevalier et le troussa à son col et jura Mahommet quil le pesdroit ^devant la belle Olive. Si s'en partit à tout Régnier qu'il avoit à son col. Et, quand les Genevoys le virent, ilz dirent l'un à l'autre : « Nous avons perdu le « champ, il n*y a plus de rescousse. » Qui adonc eust veu la pucelle comme elle cryoit, c'estoit grand pitié, tant que Régnier l'ouyst, et, quand il eut ouye la voix de s*amye, tout le sang luy mua, et luy souvint de l'oisel qu'il avoit songé. Si regarda la belle au mieulx qu'il peust et print à soy courage. Et par force fist tant qu'il osta une des mains à Sorbrin dont il le tenoit ; et quand il l'eut au délivré, il tira son Cousteau et en donna un tel coup au roy Sorbrin par la gorge qu'il le passa tout outre ; puis, le ferit es yeulx tant quil luy en creva un, et du sang qui en yssit l'autre en fut aveuglé, tant que le géant ne se sçavoit où con- duire ne où aller. » {Guerin de Itîontglave^ de Nicolas Ghrestien, f» 40 r"et v».) 4«> Il ne nous reste plus qu'à citer la dernière forme, déplorablement alté- rée, qu'a subie Renier de Gennes dans la Bibliothèque des Romans, « A l'heure marquée la belle Olive partit de la ville sur une haquenée, entre quatre an- ciens chevaliers revêtus de leurs robes fourrées d'hermine, ne portant qu'une baguette d'ivoire à la main. Régnier, monté sur un puissant destrier, qu'il faisoit caracoler à la droite d'Olive, étoit paré sur sa cotte d'armes d'une riche écharpe qu'elle avoit brodée, et le cimier de son casque étoit couronné par un de ses bracelets. Lorsque le terrible Sorbrin parut, Olive pâlit et pensa s'évanouir en songeant au péril que Régnier couroit pour elle, et craignant plus que la mort celui dont elle-même étoit menacée. Nou^ ne rapportons point les détails de ce combat qui fut long et terrible, et pendant lequel Olive trembla bien des fois pour les jours de Régnier; mais, les forces et l'agi- lité de ce prince se renouvelant à chaque fois qu'il portoit ses regards sur la belle princesse, Sorbrin, dont le sang couloit déjà en abondance de plusieurs 180 ANALYSE DE RENIER DE GENNES. Il PART CHAP .LnrE.iL rhumilicr et de lui barrer hypoci^tement le chemin. ■ lis mettaient constamment en pratique ce qu'un de nos Charles vicux Doêmes appelle énerriquement a le Code Gane- fail présent 5,» i ^ i t ànenierdaducbé lon ». C cst dans cc Codc monstrucux, antithèse exacte deGennes. de celui de la Chevalerie , qu'on lit les préceptes * suivants : « Ne vous montrez loyal avec personne, déshéritez les orphelins, maltraitez les- pauvres, dés- honorez rÉglise, trahissez et vendez les honnêtes gens, le mal hauciez et le bien abatez ^ » . Telles étaient les maximes que suivaient Griffon d'Hautefeuille et son fils, et ils méritaient d'attacher leur nom à cette morale satanique. te Vous avez déjà fait trop de bien à ces gens-là« » disaient-ils san^ cesse à Charlemagne. « Que sont-ils « après tout ? Les fils de ce Garin qui vous a grossière- « ment insulté et qui n'a pas voulu de votre aide pour « conquérir Montglane. Orgueilleux! Ingrats! » Charles entendait ces paroles de Griffon, mais ne les écou- tait pas et n'en aimait pas moins Renier et Girart. Quant à ces favoris du Roi, ils s'ennuyaient. Car on s'ennuyait, paraît- il, à la cour de Charlemagne que nos trouvères, d'ailleurs, ont eu la malheureuse idée de faire vivre plus de cent ans.... Un jour (et l'auteur de Girars de Viane nous a déjà fait en abrégé ce récit que nous devons ici re- prendre avec plus de détails), les deux frères reçurent larges blessures, tomba eiiûn sur ses genoux, et fit un vain effort pour en- traîner Régnier dans sa cbute. Ce prince s'esquiva légèrement, et, d'un coup terrible, il fit rouler la tête de Sorbrin dans la poussière. Il la releva prompte- ment et fut la porter aux pieds de la belle Olive. Cette princesse, avec une force au-dessus de son âge, s'écria : « Je prends le ciel à témoin que je suis « libre, et que je reçois le duc Régnier pour mon époux. Vous, Sarrasins, « selon la foi jurée, faites retirer vos troupes ; et vous, mes fidèles sujets, « venez rendre bommage à votre nouveau souverain. » (ffihiiotfièque des Ro- mans, oct. 1778, t. 11, pp. 51, 52.). ' Gaidony vers 6438 et suiv. ANALYSE DE RENIER DE GENNES. 181 des brefs de Mille, et d'Hernaut. L'un d'eux leur di- " pa*t. u?b. n. sait ; « J'ai épousé la fille du duc de Calabre, el suis "^ — '- — a devenu seigneut de la Fouille. » Et l'autre : « J'ai « épousé Frégonde, fille du roi de Beaulande, et P 35 v", 36 I*. — 3 p 36 V0.37 To. * 182 ANALYSE DE RENIEE DÉ IRENNES. II PART. u?B. II. murmurait tout bas, et bientôt iMia assez haut pour • '^ être entendu de Charles : « Il y a trop longtemps que « nous sommes à votre service ains en être payés, a Voyez nos frères : ils sont plus aisances que nous. « Nous allons partir, w Le roi supporte, sans frémir, un ^ tel langage ; même il baisse la voix, même il s'hu- milie : a Je fus bien coupable envers vous, s*écrie-t-il a avec une componction qui nous révolte. Mais je « saurai réparer mon injustice ' . » Ainsi parle celui que la Chanson de Roland nous représente comme un nouveau Josué arrêtant le soleil dans sa course et conversant avec les anges de Dieu... Tout à coup, et fort à point, arrive un messager : « D'où viens- tu? lui dit TEmpereur. — De la cité « de Gennes. — Quelles nouvelles en apportes-tu ? — cr Le duc de Gennes est mort, et les Sarrasins ont « mis le siège devant la ville. — Le danger est-il « grand? — Si vous ne venez à notre aide, c'en « est fait de la cité , c'en est fait de nous. » Char- lemagne alors a l'esprit traversé par une idée qui l'illumine. En attendant qu'il puisse aussi se débar- rasser de Girart, il va se délivrer de son frère : « Re- « nier, » dit-il, a où est Renier? » Le fils de Garin se présente humblement devant l'Empereur : o Le duc « de Gennes, » reprend Charles, « laisse une fille cr qui est fort belle ; elle sera votre femme. Renier, a Quant au duché, je vous le donne; vous n'avez « qu'à le prendre. » Renier, tout aussitôt, se met en route ^ . Le roi de France lui avait en même temps proposé cinquante mille hommes ; mais il n'était pas en vain de la race de Garin. Il était parti seul, pensant à la cité de Gennes et, peut-être aussi, à la fille du Duc ^. • Renier de Gennes^ f» 37 y". — > F» 38 >«». — 3 F" 38 >•, 39 i*. %''^ ^ i •• 4V ANALYS19 i|: RENIER DE GEMMES, 183 II PABT. UTB. II. r«, CHAP. ▼!• II. T ^ •■' « Les Sarrasins sont-ils nombreux? — On ne les Arrivée de Renier A GeDoes; « peut compter. — Qui les commande? — Sorbrin, le «on amour if roi d'Aquîlée. — Etles Gennois leur font-ils une bonne da dernier du<ît ^ o résistance? — Hélas ! ils ont promis de se rendre avant son courage, «quinze jours. — Et Olive, la fille du Duc? — « Olive a juré de se tuer plutôt que de tomber entre « leurs mains, et elle est dame à tenir parole. — Al- « lez dire aux bourgeois de Gennesque je leur amène a un secours de Charlemagne et que je m'apprête à com- « battre Sorbrin. — Mais c'est un géant, et il est de « force à lutter contre dix chevaliers à la fois. — Allez, a et remplissez mon message. » C'est ainsi que parlait notre Renier, à cinq lieues de Gennes, et déjà il pouvait contempler cette ville dont Charlemagne lui avait fait présent et qu'il regardait comme son propre héritage '. Quant aux bourgeois, en véritables bourgeois qu'ils étaient, ils raillèrent le jeune chevalier et ne voulurent voir que de la forfanterie dans son courage. « Et (usaient Fun à Fauhre que bonjaisoit monstrer la bejaunieà ung tel coquart qui se disait estre leur seigneur ^. » Bref, dans toute la cité de Gennes, personne ne se montrait disposé à croire au nouveau venu. Seule, au milieu de tous ces chevaliers et de ces bourgeois, une jeune fille avait le courage d'espérer en ce libérateur in- connu : « Je voudrais bien le voir, s'écria-t-elle tout « d'abord, avec une curiosité naïve. — Il est en vé- « rite fort beau, » lui dit alors le messager de Renier. Et Olive de rougir. « Puis, quelle générosité ! ajouta Renier de Gennes^ f» 39 r<»-40 v». — > F» 40 >«. — 3 p© 41 y». • •• f *.% 184 ANALYSE DE MA/£it /)# fia»JIMlfc '■ • .** *' II PABT. LiTB. n. Cependant Renier est déjà arrivé dans là ville/et -7 tous les regards se sont fixes su^ lui. Un riche bour- ^) geois lui fait accueil et lui offre l^ospitalité : a Vous (( serez bientôt récompensé de cette bonne action, a lui dit le fils de Garin avec une belle fierté toute F a française. Sachez que vous avez reçu chez vous le a duc de Gennes '. » Celui qui parlait aussi royale- ment était vraiment digne d'être roi. c< Irai-je voirie jeune envoyé de Charlemagne? se F» 44 v**48 r«. % %• *k^ • » ••-■^ H ASAliYK DE RENIER DE QENNES, 185 X* « main, donc, et amenez Olive... si vous le pouvez. — hpait. livb. h. ' . • * CHAP. VI. « Je ramènerai. — A demain '. » ' — jîft III. Le combat devait être terrible. Renier, plein d'amour combit de Renier .î nii j # 1 > avec le géant * pour la fille du Duc, se repentait étranglement de s être sorbHn; * sa victoire * engagé à l'amener sur le champ de bataille; Olive son mariage avec pleurait : « Ah ! disait-elle^ mon corps est bien aven- fûî'te' « turé. » Mais tout à coup elle essuya ses larmes, et pa- ^^SateMnce*" rut toute consolée : « J'emporterai un couteau, » disait- elle. Renier , d'ailleurs, était souriant et ne craignait rien '. Le lendemain Olive s'habilla tout de noir comme femme de deuil ; pâle, tremblante, elle alla trouver Renier qui s'armait, a Pourquoi ces vêtements lu- « gubres? s'écrie le jeune chevalier. Non, non, il « faut aujourd'hui vous parer comme pour une « fête. Mettez, mettez vos robes les plus riches et vos a parures les plus joyeuses ; n'est-ce pas en réalité « un jour de fête, et doutez-vous de ma victoire ^? » La jeune fille obéit, mais elle tremblait toujours. Alors Renier la prit par la main, et traversa avec elle toute la cité de Gennes. Ce fut un spectacle touchant. Les bourgeois, tout à fait convertis à Rénier, regar- daient en pleurs ce beau jeune couple qui allait peut- être mourir. Elle était couverte d'or et de soie, éblouissante de grâce ; il était revêtu de ses armes étincelantes et brillant de jeunesse. C'est ainsi qu'ils passèrent les portes de la ville, c'est ainsi qu'ils arri- vèrent en présence de Sorbrin... 4. « Renier de Gennes, f» 48 vo-49 v*. — - » P© 50 v». — ^ po 50 v<» et 51 r«. C^est dans le récit du combat entre Renier et le géant que se trouve le couplet en vers que nous avons déjà publié (I, 508). — 4 F^ 51 v*-53 ro. d*01i¥ier et dUude. »^ t86 ANALYSE DE KENIER DE GEXNES. " "^GHAP^i!" "* Quelques heures plus tard une procession triom- ç: phale faisait son entrée dans la ville de Gennes. Le triomphateur, c'était Renier, antre David, qui ve-t nait de couper la tête d un nouveau Goliath. Olive avait vu cette victoire, et se donnait au vainqueur '. Un an après, naissait la belle Aude, et deux ans après Olivier, qui fut l'ami de Roland. CHAPITRE VIL LE GRAND-PÉRE DE GUILLAUME. ( Homaut de Beaulande ».) 1. û^Ha^Mut Deux des enfants de Garin de Montglane, Hernaut (te Beaulande. g^ MjHe, avaient quclquc temps associé leur destinée; » Renier de Gennes, f» 53 r« et v«. > NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTOR1Q17E SUR LE ROMAN D'HERNAUT DE BEAULANDE. I. BIBLIOGRAPHIE. 1» Datb DE LA COMPOSITION. Hernaut de Beaulande ne Dous est parvenu, comme Renier de Gennes y que sous la forme d'un Roman en prose du quinzième siècle. Mais dans celte rédaction, qui n'est pas la plus ancienne, un couplet en vers nous a été heureusement conserve (fo G v^du ms. de ]' Arsenal). Nous avons déjà publié ce couplet précieux, qui ne nous semble pas antérieur au quatorzième siècle. Dans tout ce récit, qui sans doute est servilement calqué sur la ver- sion en vers, on trouve, d'ailleurs, de nombreuses allusions à Garin de Moni^ glane , œuvre du treizième siècle ; on y remet en scène Robastre et Perdi- gon ; on y rappelle la mort de Gaumadras : l'auteur enfin semble ne s'être réellement proposé que de continuer Garin, En résumé, la première rédac> lion à* Hernaut de Beaulande serait , suivant nous , du quatorzième siècle, et la seconde du quinzième.' — 2» Auteur. Ce Roman est anonyme. — 3« Nature de la VERSiFicATioif . D'après le couplet qui nous en est resté, Hernaut de Beaulande était en alexandrins rimes. — 4<* MANUSCRIT CONNU. Le texte en prose à^ Hernaut ne nous a été conservé que dans le manuscrit de l'Arsenal, B. L. F. 226 (fo 5-33), où il est iutitulé : « Vistoire étHernault M et de MiUon son frère, n Ce manuscrit, dont nous avons déjà pu tirer tant 'MiAh\StldHERNJUT DE BEÀULANDE. 187 ils avaient ensemble couru des aventures dont notre " p^"- »'"^- "• épopée ne nous a point conservé le récit. Mais un jour "^ de parti, nous offre le remaniement en prose à^Hernaut de Beaulande^ de Kenier de Gennes , de Girars de T'iane^ ^Aimerl de Narbonne , de Galieu cl de la Reine Sibille, Tous ces Rbmans nous sont présentés comme appar- tenant au cycle de Guillaume , et on a sans doute éprouvé quelque peine à ' < y faire rentrer les deux derniers. — 5** Versions ex prose. Le manuscrit de 1* Arsenal, qui nous offre la pins ancienne version en prose à^Hernaut^ peut être considéré comme le type de tous les iucunables qui ont pour titre : Guerin de Montglave^ et qui renferment en réalité les Romans âiHernaut, de Renier de Gennes, de Girars de Vtane, de Gatien et la Chronique de Turpin en abrégé. C*C8t ainsi qu^Hernaut de Beaulande se retrouve dans les Guerin de Montglave de Nicolas Chrestien (s. d.), d*Alain Lotrian (s. d.), de Jehan Bonfous (1518) et de Louis Costé (1620), etc. — 6» Diffusion a l'étranger. Hemaut de Beaulande n'a joui d'aucune popularité en France, ni par conséquent à l'étran- ger. — 70 ÉDITION IMPRIMÉE. Il est inédit. — 8° Travaux dont ce roman A ÉTÉ L* OBJET, a. Au slècle dernier, les auteurs de la Biùiioih'^que des Romans (oct. 1778, t. Il) ont pris la peine de traduire en style moderne Hernaul de Beaulande d*après les incunables précédemment cités. — b. C'est nous qui, le premier, avons signalé la version du mauuscrit de l'Arsenal, et publié le seul couplet en vers qu'elle renferme (t. I, p. 508). — 9° Valeur uttérairk. La version en prose d'Hernaut de Beaulande offre tous les défauts des traduc- tions du quinzième siècle : une élégance affectée ; un style prétentieux et plein de rafGnements ; Amour mis à la première place ; des enchantements et des féeries ridicules ; la disparition complète de l'élément héroïque ; des sermons, de la morale, de la philosophie, des longueurs désespérantes. Littérature fausse et qui méritait de provoquer les anathèmes ou le dédain de la Renaissance ! IL ÉLÉMENTS HISTORIQUES. Hernaut de Beaulande iie conXitni absolu- ment aucun élément historique, ni même traditionnel ou légendaire (si ce n'est pevt-étre les quelques traits qu'on retrouve âsLïàGirars de f'iane). C'est un roman dans l'acception la plus moderne de ce mot, et toutes les péripéties en sont fabuleuses. III. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. 1» Hemaut de Beaulande est nommé dès le commencement du douzième siècle par Tauteur de la Chronique du faux Turpin, qui, dans son chapitre XIV, lui donne le comman- dement d'une armée dirigée contre Pampelune. 2« C'est dans Girars de Viane, c'est dans ce très-précieux Roman que nous trouvons en réalité la plus ancienne version connue de toute la légende d'Her- naut. Dés les premiers vers de la Chanson attribuée à Bertrand de Bar -sur-Aube, Hemaut semble jouer le rôle principal ; c'est lui qui s'aperçoit le premier de la tristesse de son père Garin et qui lui en demande la cause. C'est lui qui. lorsque ses frères vont attaquer les Sarrasins et que Mille avec Renier se propose d'en tocr deux ou trois, s'écrie : •• Et moi, les autres ! » Puis il s'en va chercher for- tune à Beaulande, au moment même où Renier et Girart partent à la cour de Chariemagne.Ce passage du vieux poëme est on ne peut plusdigned'attention,etil convient, suivant nous, d'y voir le germe de tout le Roman du quinzième siècle : '« Vait s'an Emalz à Biaulande ou pais, — Une citeit ki molt est signoris. — CBAP. VII. 188 ANALYSE WHERNAUT DE BEAULAfiDE. t II PABt. uvB. II. ils se séparèrent; Tun des deux, Mille, alla chercher mAo. VII- ^ ' 1 1 r fortune en Lombardie ; l'autre, Hernaut, se dirigea Coin il i vint, si fut mors et finis — Li queus, ses oncles, ke tenoit le pais. — Oiez, seignor, ke Deus voz soit amins, — Kel aventure k*il avint à marchis. — Il prist moilier ke fut preuz et gentis, — Fille à un duc ki astoit poestis. — r Oe ceste fut li frans quens Aymeris — Ki dou lignaige avoit sor toz le pris. — Si commance la geste. » (B. I. fr. 1448, f« 3 r».) Dans cette version remarques qu il n'est aucunement question (comme dans le ms. 226) d'une conquête de Beaulande sur les Sarrasins . les choses ici sont infiniment plus naturelles, plus simples. Hemaut, d'ailleurs, ne tient pas moins de place dans le reste du poème. Il envoie son fils Aimeri se faire adouber par Charlemagne. Dès qu*ou lui ap- prend l'outrage que Girart a reçu de l'Impératrice , il accourt à Viane ((?/- rars^ éd. Tarbé, p. 47). 11 prend part à toute la guerre (de ses frères contre la France ; mais, moins implacable que son fils Aimeri, il tombe aux pieds de l'Empereur qu'il vient de faire prisonnier {Ibid,, pp. 167-169), et devient un bon serviteur de Charles. Lorsque l'oncle de Roland part pour la grande ex- pédition d'Espagne , c'est à Hemaut et à Renier qu'il laisse le gouvememeot difficile de toute l'Italie (Ibid,^ p. 180). Mille partage à peu près toute la fortune d'Hemaut. Lorsque son frère te dirige vers Beaulande, il prend, lui, le che- min de l'Italie, passe à Rome,, conquiert la Fouille, les Romagnes, la Sicile, et devient duc de Salerne. Trois vers suffisent au vieux poète pour nous raconter ces aventures qui sont le noyau de toute l'histoire de Mille : « Buer i alait; Puelle i ait conqueslée, — Toute Romainne et Paleme aquitée. — Puis fuit dus de Salerne. » (B. I. fr. 1448, f« 2 vo). 30 Dans Doon de Mayence, poème du treizième siècle, c'est Garin lui-même qui s'attribue la conquête et la possession de la cité de Beaulande : « Quant Garins fu laiens et il fu désarmés, — Il demande le Roy, et il li est monstres : — Quant il le reconnut, si en a ris assés, — Que li sembla musart et si fu tres- mués : — n Sire, fet-il au roy, envers moy entendes : — De Montglane la fort que vous donné m'avés, — La merchi Dex du chiel, j'en sui sire clamés. — Les félons mescréans ai du resne getés. — Beaulande la chitc as pors de BaleS' gués — Ajr mon frère donnée, moult est bel ostelés, etc. » (Doon de Majrence, éd. Pey, p. 244, vers 8080-8089). 40 Nous avons déjà affirmé plus d'une fois que les Guerin deMontglave incuna- bles, et en particulier YHernatit de Beaulatide qui en forme la première partie, dérivent de notre ms. 22G de l'Arsenal. Et nous en avons déjà donné plus d'une preuve. Il faut, toutefois, remarquer que l'auteur de la version imprimée n'a pas été jusqu'à calquer servilement son texte sur celui de notre manuscrit : il en a emprunté le fonds plutôt que la forme. C'est ce dont on se convaincra aisément par la comparaison suivante entre un chapitre du Guerin de Montgia9e de Nicolas Chrestieu (goth. s. d.) et le chapitre correspondant de notre manuscrit : Extrait du m», 21^ de V Arsenal, Extrait du Guéi in de Moni glane incunatte {éd. de IS'icolas Chresthn), Comment Fregonde la pucelle 8* enparti Comment Fregonde s'en va avec Ro- de la tour de Betande avecq Robastre qui bastre pour trouver son ami Arnauit» Du- la perdi en alant en Acquitaine quérir rant ces choses, Robastre vint devant la Hemautt, Peu de Jours passez après ce l)elle Fregonde etluydist: «Belle, je m*n- ANALYSE i^UERNAUT DE BEÂUL4NDB. 189 vers cette cité d'Aquitaine qui avait été, d'après une upaht.uvr. h. légende, le berceau de sa race. Car, ainsi que. nous '• — ^ que Pardigon fat arriTé STCcq Robastre, se « merTeille moult de Arnault, vostre amy, complaingnirent par lëans les ungs aux « qui ne retourne point. Je me doubte qu'il anltres du noble damoisel Hcrnault qui • ait aucun ennuy. Car une advision m*est tant demoaroiu Sy les arraisonna par ung « aujourdtiuy advenue en mon dormant, matin Fregonde : ■ Par Dieux, beaulx sei- « (Test que Je véoye un bracquet moult le- « gneurs, (ait-elle, trop m*enhuie (si doit-il ■ ger qui cbassoit en un boys; deux Teneurs « bireà ungchascun de vous qui céans estes • venotent après, tenant chascun un espleu « enfermez comme moy) que tant demeure «en leur poing, et assaillent iceluy brac- « Hemaultfle mien amy,qui , Jà a longtemps, « quet. Si me doubte moult de Ârnault. Car « comme il me samble, s'est de céans parti « je vous promets que, s*il eust peu revenir, • pour aler à secours. Et pour vous esclarcir «qu'il fust revenu pour son pesahi d'or. ■ la cause principale qui me meult de ce dire, « Et si vueil aller en Acquitaine. Et sçauray ■ J'ay songié qu'il avoit encontre deux ve- ■ de Arnault comme il en va. » Et quand la • neurs [en passant] par uueforest, lesquels belle l'oayt, elle commença moult fort du- • estoient garnis [d'un] fort espiel et l'assail- rement à plourer. Et luy dist :■ Haï Ro- ■ loient si désespéra nment que trop estoit « bastre, mon amy, donnes moy un don. • en grantdaogier... Si que je vous prie que • — Et je le vous accorde, • dit Robastre. « par nuit me faciès bors de céans conduire Adonc Fregonde l'en remercia et lui dist • et mener Jusques en Acquiuine. Car Unt quelle s'en veult aller avec luy. etc., (f* XX « TOUS dy que J'aime aussi chier mourir que r* v*.) • céans plus demourer sans mon amy véoir, • poor ce que trop me doubte de sa person- « ne. • Et quant Pardigon et Robastre cn- teodirent la voulenté de Fregonde, ils con- clurent lors que Robastre la conduiroit et Pardigon garderolt la tour avecq ceulx qui léans estoient. (^ 22 v*.) 5^ Une dernière déformation, un dernier outrage , attendait cette malheu- reuse légende qui ne nous apparaît d'ailleurs, sous une forme vraiment épique, que dans Girars de Fiane, Nous ne pouvons résister au désir de citer ici la Bi&liotkèque des Romans qui n'a jamais été si grotesquement prétentieuse que dans l'analyse d^Hernaut de Beaulande : « Florent, qui eût bien autant * aimé avoir [Arnaud] pour gendre que Hunaut, pourvu qu'il eût également pris le turban, proposa au marabou de se charger de cette conversion. Celui - ci accepta Ja commission avec plaisir et répondit sur sa barbe qu'il s*en acquitteroit parfaitement. JLe sultan le fit donc conduire à la tour où étoit enfermé Arnaud; et comme les gardes ne connoissoient pas l'entrée secrette par où passoit Fregonde , ils le descendirent avec des cordes jusques dans le caveau qui renfermoit le Prince. Arnaud n'avoit jamais vu Robastre, qu'il ne counoissoit que par le récit que lui avoit fait le duc Guerin, son père, des exploits de ce brave et terrible fils de Malembrun. A l'aspect de cette énorme figure qu'il voyoit descendre dans sa prison, il prit une torche pour reconnoitre ce que c'étoit ; le feu prit à la barbe de Robastre, dont la moitié brûla en jetant une fumée épaisse qui remplit tout le caveau. Le géant, en faisant une grimace affreuse, Tétouffa promptement avec ses mains, et, se trouvant enfin sur le pavé du souterrain, il courut les bras ouverts, et enleva tendrement Arnaud à quatre pieds de terre, en serrant contre ses joues le reste de sa barbe brûlée . « Fils du noble Guérin, lui dit-il, prends cou- « rage ; je suis Robastre et je viens pour te délivrer. » Arnaud, connoissant 190 ANALYSE WHERNâUT DE BEAULÀNDE, Il PART. UVB. II. CHAP. yn. ArriTéed'Hernaut dans la cité d'Aquitaine. Le l)âtard Hunaut conspire contre loi. rapprend de nouveau le consciencieux romancier du quinzième siècle : « Aquitaine pour lors estoit cité ' . » Le prince de cette ville était, quelques mois aupara- vant,lefrèremémedeGarin de Montglane^ceGérindont nous avons essayé plus haut de mettre en lumière l'his- toire assez effacée. Mais Gérin venait de mourir, sans laisser d'enfants légitimes. Un bâtard, Hunaut, s'était entendu (chose odieuse autant que bizarre) avec les propres frères de la veuve pour mettre la main sur l'héritage du mort. C'était un attentat à la justice ; c'était encore un préjudice fort grave qui était fait alors rancien compagiiou d'armes de son père , J'assûra de son amitié, et alloit lui faire le récit de ses malheurs ; mais, au seul nom d'Huuaut , llier- mite rinterrompit : « Mon ami, lui dit-il, ne crains plus rien de ce traître; je « l'ai envoyé en Paradis, où ce coquin ne méritoit guère d*aller; mais, quand c( on a embrassé mon état, il faut faire du bien quand on eu trouve rocca- « sion. Je Tai confessé et assommé. Ne songeons plus qu*i te tirer d*id. » Les pages sont toujours malins ; un petit Icoglan (page musulman), prêtant Toreille à la grille par laquelle Robastre étoit descendu, entendit tonte la con- versation, et, ayant bien reconnu que Thermite n'étoit point du tout roahomé- tan, il alla en avertir Florent. Le sultan, furieux, vouloit d'abord faire mourir le faux Derviche ; mais, faisant réflexion qu'il étoit déjà dans le cachot, il prit le parti de l'y laisser, et se contenta de lui envoyer un vilain eunuque qui, lui jetant un morceau de pain noir, lui adressa ces douces paroles : « Tiens, chien tf de chrétien, qui contrefais le Derviche, eu voilà plus qu'il n'eu faut pour ta « nourriture jusqu'à ce que tu sois empalé. » A ce mot d'empalé, Robûtre vit bien qu'il étoit découvert, et en parut aussi affligé que du mauvais repas qu'oo lui proposoit de faire : mais Arnaud le raàsura en lui promettant qu'ils auroient cette nuit même un très-bon souper. Effectivement, avant minuit, la porte se- crette du souterraiu s'ouvrit, et Frégonde arriva suivie de son esclave chargée d'une triple provision de vivres et de bouteilles. Les deux amans mangèrent avec quelque modération ; mais Robastre acheva de consommer les provisions sans penser à en laisser le moindre morceau à l'esclave qui les avoit apportées. Il ne réserva que la valeur d'un seul gobelet d'eau, et expliqua après le souper à la Princesse l'usage qu'il eu vouloit faire : c'étoit de la baptiser et de la marier tout de suite avec Arnaud, persuade qu'elle avoit été assez instruite par le jeune Duc. « Crescite et multiplicaminif leur dil-il, en leur donnant la béuédictiou M nuptiale ; c'est, ma foi I le seul mot de latin que je sache; réfléchissez là-dessus « une couple d'heures ; pendant ce temps, le geôlier et moi, nous allons faire une « expédition, après laquelle je viendrai vous retrouver. » (Biâfiothèque des Ho* manSf octobre 1778, t. II, pp. 31-34.) I Hernattt de Beaulande^ ms. de l'Arsenal, B. L. F. 226, (^ 5 r«. ANALYSE lyUERNAUT DE BEAULANDE, 191 aux enfants de Garin de Montglane, et, en particulier, " p^rt. uvb. h. à notre Hernaut * . Hernaut était pauvre, comme ses frères, k peine arrivé dans la cité d'Aquitaine, il s'y logea fort hum- blement dans une auberge. L'hôtesse se montra pour luitrès-expansive, et lui raconta longuement Thistoire du bâtard qui venait de succéder à Gérin: « Et pour- « tant, dit-elle, ce n'est pas le véritable seigneur a de la terre. — Le véritable seigneur! s'écrie alors a notre héros : il est devant vous. — Quel est « donc votre nom ? — Je m'appelle Hernaut , et a suis le fils aîné de Garin de Montglane *. » L'hô- tesse se récrie et admire; mais, comme nous le dit notre vieil auteur, a elle estoit du lignage aux femmes du costé de la bouche^. » Voilà un secret qu'elle n'est point de force à garder. Vite, elle va conter la chose à une voisine. Il lui tarde que« Gautier et Thevenault le sachent comme elle; » puis, vingt autres, puis cent autres. « Aussi bien le cella^ puisque dire le fautif — Que près tre son sermon quant est en tescaffault. » Les Voisins chuchotent , ils s'assemblent. Les commères surtout sont en émoi : a Catherine, Mahault, Isabelle, Perrelte, Gertrude et Guinehault » s'approchant l'une de l'autre : « Il parait que notre vrai seigneur est ici, « dit Tune. — Il s'appelle Hernaut, dit l'autre. — Il est « jeune et beau, » dit une troisième. On parle d'abord tout bas; puis, un peu plus haut; puis, c'est un cri universel, et le peuple tout entier vient sous les fenê- tres d'Hernaut, criant : « Nous voulons , nous vou- a Ions voir notre nouveau seigneur. » Et déjà ils ajou- tent ; a Nous n'obéirons plus au Bâtard. » Tout à l'heure ce n'était qu'une émeute : il semble que nous ' Hernaut de Beaulande, ms. de l'Arsenal, B. L. F. 226, f» 5 r» et \^. — t F» 5r«-6 r*.— 3 p* g v«, 7 r». Nous avons déjà publié le couplet en ver» (I, 508i) r 192 ANALYSE l^HERNAUT DE BEAULANDE. II P4RT. UTB. II. allons maintenant assister à une révolution . Cette scène CHIP. VII. . > t n est vivante et a ete tres-nnement rendue dans le poème du quatorzième siècle dont nous ne possédons qu'un fragment'... Cependant tout ce bruit est depuis longtemps ar- rivé aux oreilles du Bâtard, et il a, en un instant, compris le danger de la situation que lui crée le nouveau venu, le fils de Garin. Il compose son vi- sage ; il va trouver Hernaut, le sourire aux lèvres et les bras tout grands ouverts ; il le serre contre son cœur et lui fait mille protestations de dévouement : « Cette a terre esta vous, » lui dit-il hypocritement, il ne sait comment s'humilier devant lui, et ne rêve cependant qu'aux moyens de le trahir. F® 23 r» et v*, 24 f, — 3 F» 24 r«. — 4 F» 24-26 ro. CHAP. ni. ANALYSE IfHERNAVT DE BEAVLASDE, 199 tf tard, » dit un jour Robastre aux seigneurs d'Aqui- "pabt.ut». h. taine, et il leur raconta tout au long Thistoire de la confession et de la mort du misérable : « Puisque c'est « là le coupable, répondirent les oncles d*Hernaut , « qu'on le jette aussi en prison ^ » C'est ainsi que les affaires de notre héros empiraient tous les jours; c'est ainsi qu'il perdait l'une après l'autre toutes ses espé- rances. Quant à Frégonde, elle ne paraissait pas. Le jour du combat arriva. Le châtelain et les éche- vins de la ville choisirent Robastre pour tenir te champ contre les ennemis d'Hernaut. Le géant sortit de prison, objet de la curiosité, et bientôt de l'en- thousiasme universel. Sa tête seule était armée; dans ses rudes mains il balançait un énorme bâton. On rit d'abord de cette arme primitive; mais on ne de- vait pas rire longtemps. Car, à peine arrivé dans la lice, cet autre Renouart tomba sur Fromont et l'as- somma, tomba sur Foucart et le renversa : la lutte ne dura qu'un instant. Cette fois, et comme il n'y avait plus aucun risque à courir, le peuple tout entier se prononça très-énergiquement en faveur du fils de Garin. On le délivra, on le fêta, on Tacclama ^. Per- digon et les chrétiens de Beaulande allaient eux- mêmes être mis en liberté . Quant à Frégonde, elle ne paraissait pas. Tout à coup, on entend un grand bruit aux portes de la ville ; à quelque distance on aperçoit une vaste armée. Les hauberts étincellent, les gonfanons flottent au vent. C'est l'oncle d'Hernaut, Anthiaume, et c'est son frère Mille qui viennent à son secours, un peu tard. Ils arrivent de Pavie, et Mille en est parti au moment même où il allait épouser la fille du duc « Hernaut de Beaulande^ f« 26 r« el v*, 27 r«. — * F* 30 r« et v«, 31 r«. ^ 3 Fo 31 ▼• el 33 r». 200 ANALYSE lyHERNAUT DE BEAULANDE, iipiRT. LiTR.li. de Calabre : ce qui relève encore son dévouement CHAP. TII. * fraternel. Mais qui donc a prévenu le duc Ânthiaume et Mille lui-même du danger que courait leur frère dans la cité d'Aquitaine? Quel est l'ami inconnu qui a franchi une aussi longue distance pour aller réclamer ce secours? C'est une jeune fille portant des vête- ments d'homme; c'est celle que vous voyez là, tout éblouissante de beauté , entre Mille et Ânthiaume. Pouvez-vous le demander? c'est Frégonde '. On la maria avec Hernaut, dans la cité de Beau- lande définitivement conquise > , et le premier fils qu'ils engendrèrent fut cet Aimeri de Beaîilande qui devait si glorieusement changer de nom et s'appeler un jour Aimeri de Narbonne. CHAPITRE VIII. LE PÈRE DE GUILLAUME. Qirars de Viane (seconde partie). I. Analyse Un joiir Girart était dans son palais de Viane et Giroit^de Viane s'appuyait aux riches fenêtres, laissant errer son re- i2«pariie). g^^j ^^^ j^ chcmiu qui conduisait à Laon. Près de au pafab^d^ vitne 1"* ^^^^^ assisc sa femme, la belle Guibourc, sœur du ^iTHeroaut ^^^ Othou; à leurs pieds jouaient deux petits enfants filsd'Hernaut de Deaulande. « Hernaut de Beaulande , f» 27 r», 29 v», 31 t», 32 r*. — » F© 33 r*. Mille, le frère d^Hemaut, retourna à Pavie près d^Anthiaume, son oncle, et épousa bientôt « la demoiselle de Fouille. » Notre Roman en prose «e termine par cet expUcit : « Cy fine Vistoire d* Hernaut et de Millon son frère, » •# ANALYSE DE GIRARS DE VI ANE, 201 oui se nommaient Othon et Savari. Tout à coup, dans "pait. Limn. la vallée, entre deux tertres, Girart aperçut; sur un ' mulet d'Aragon, un beau damoiseau dont la selle et le frein étaient d*or, jeune , fier, admirable. Deux autres valets étaient avec lui. Le damoiseau mit pied à terre au bas du château de Viane, et Girarl, sans trop savoir pourquoi, sentit soudain tout son sang qui battait dans son cœur. Qui donc était cet inconnu ? Le beau jeune étranger portait sur son poing un épervier plus blanc que n est faille (ïauhrier; il entra d'un pas ferme dans le donjon, comme si c'était là son propre palais ^. Girart s'étonna : « Je veux, dit-il, a lui parler le premier, d Le damoiseau franchit la porte du château , traverse les longues salles, passe à travers cent sergents et écuyers qui ne lui disent pas une parole. Il les regarde, il s'indigne : a J'ai de quoi « me faire héberger ailleurs, leur dit-il, et je possède « quinze livres d'or. » Et comme ils ne répondent rien, il les insulte : il les traite de licheorsy de losangiers, de paulonniers . Caché dans un coin, le seigneur de de Viane avait grand'peine à s'empêcher de rire. «f Ne serais-tu pas un jongleur? lui dit le Duc. Dis- cc nous une chanson , et je te donnerai ma pelisse a d'hermine. » Alors on vit l'inconnu prendre soudain un visage irrité, rougir, trembler, exciter son éper- vier et le jeter à la tête de Girart, qui eut bientôt le visage tout en sang et ne put supporter tranquille- ment cette dernière enfance : « Qu'on pende ce glou- « ton, » s'écria-t-il. — « Arrière, arrière, garçons! ré- « pondit le nouveau venu d'une voix terrible. Vous n ne savez donc pas qui je suis? Je m'appelle Aimeri, > Girars de rianê, éd. P. Tarbé, p. 43. 202 ANALYSE DE GIRARS DE VIANE. 11 PA«T. UTB. IL a fils d'Hernaut de Beaulande. neveu de Girart de « Viane. Arrière ■ ! » Tout aussitôt, Girart court vers son neveu, qui vient de se faire connaître, il le serre dans ses bras, il lui baise la bouche et le menton : a Mon neveu, dit-il, vous êtes vraiment de la famille, a et vous avez un cœur de baron *. » C'est ainsi que Girart vit pour la première fois et apprit à connaître son neveu Aimeri, qui depuis... Mais alors il n'était encore qu'un damoiseau presque imberbe, et déjà plein de fierté '. « Girars de Viane, éd. P. Tarbé, pp. 44-46. — » P. 46. 3 Abritée o'Aimbri au palais de Viane. {Traduction littérale). Un jour Girart était en sa maison. — De ses fenêtres si richement façonnéet, — Il regardait le chemin qui conduit à Laon. >- Soudain , entre deux tertres, au milieu d'un val profond, — 11 voit venir rapidement un damoiseau : — Deux compagnons sont avec lui ; — Chacun chevauche sur un mulet d*Aragon. — Les arçons de leurs selles sont tout dorés, — Avec des fleurs peintes tout au- tour, — Et de leurs freins les boutons sont d'or. — Ils descendient sous la tour, au perron, — Laissent leurs mules et les confient à Guyon — Qui est le portier de monseigneur Girart ; — Puis, montent d'un pas rapide les degrés. — L'un d'eux s'appelle Aimeriet. — C'est lui qui est entré le premier dans le maître- donjon. — Girart le voit, et commence à changer de visage : — Car l'enfant avait un air de famille. Aimeriet monta à la chambre haute — Et fit [ainsi] son entrée dans le grand et riche |)alais. — Sur son poing portait un épervier — Plus blanc que feuille de peu- plier blanc. — Le duc Girart agit en chevalier de prix. — Quand voit venir Aime- riet, le fier, — Il appelle tous ses barons chevaliers : — « Seigneurs, leur dit-il, « cessez maintenant tout ce tumulte. — Je vois venir un léger damoiseau — Qui « regarde souvent sur son poing Tépervier. — Faites en sorte ^que sergent ni « écuyer — N'aille aborder ce valet.* — Car je désire être le premier à lui parler. » a — Il en sera comme vous voudrez, » ré|)ondent-ils. — C'est alors que le valet monta à la chambre haute — Et commença à crier à haute voix : — a Que le « Seigneur Dieu, qui doit tout juger, — Conserve et garde tout ce fier baronnage ! «( — Lequel de vous est mon seigneur Girart, le guerrier, — Le gentilhomme que «j'ai tant entendu vanter?» — Ecuyers et sergents ne sonnent mot — Et baissent leurs visages. — Aimeri le vit, Aimeri entre en grande colère — Et, dans sa rage, se prend i les insulter : — « Fils de putains, lâches et misérables, — « Maudit soit celtii qui vous a donné ce mot d'ordre, — Quand je vous vois, tt pour moi seul, vous mettre en tel émoi ! — Mab sachez que je possède encore «t quinze livres d'or, — Avec lesquelles je me ferai héberger dans ce bourg, — K Oui, oui, malgré vous tous, méchants garçons et poltrons que vous êtes. — « Car vous m'avez tout l'air de fourbes et de gloutons, — Et plus n'aurai de « joie avant de m'étre vengé de vous ! » — Girart entend Aimeri, et en rit vo- ANALYSE DE aiB^RS DE VIAVE. 2«3 II. H PAirr. iim. n. CHAP. Tni. « Je veux aller à Paris, je veux aller voir le erand Grande gacrre ce empereur Charles. )) Ainsi parla notre Aimeri a son oariemagiie .et les fils oncle Girart, moins d'un an après son arrivée. Il s'en- decarinx nuyait à Viane, et partit '. C'était toujours la même ql?yVoc^'i^eH. jeunesse, volontiers imprudente ; c'était toujours la même ardeur, facilement insolente et présomptueuse ; c'était toujours le même sang, bon, généreux, ardent, désireux de se répandre. Certes, il était d'avance très- loDtien * « Qui es-tu, frère ? lui dit-il; ne me le cache point. —Ces gens que tu « vois sont des hommes puissants très-occupés à plaider — Une grande affaire « qui va être jugée. — Us se soucient fort peu de tes menaces. — Parle, dis ta « parole. Je t^offre un gite chez moi, — Et tu reviendras à la cour pour ton « repas. — Si tu es jongleur» tu feras ton métier.— Situ cherches acheteur pour « ton cpervier, — Je t'en ferai donner une bonne somme. » — Girart alors appelle son maître dépensier : — « Mets-moi son épervier sur cette perche. — « Il De sait pas seulement le tenir ni le donner. » — Aimeri l'entend, et pense devenir fou de rage: — «Fils de putain, glouton et lâche, — Mon père, •c qui s'appelle Hemaut le guerrier, — N'a jamais fait si pauvre métier. — « Mais jamais [en vérité] je ne pourrai dire et avouer — Que cet homme-là soit mon « oncle, — Et je m'en vais de ce pas retourner — Vers Hemaut de Betfulande. » Quand Girart entend le damoiseau, — 11 l'excite, tant qu'il peut, pour le faire parler; — Car il sent bien qu'il a le cœur un peu fier : — •• Allons, al- « Ions, dit-il^ un air de vielle, — Et si tu es jongleur, dis-nous une chanson: « — Je te donnerai ma pelisse d'hermine — Et tout le monde ici te fera quel- « que don.» — A ces mots, il n'est pas d'homme plus triste qu'Aimeri ; — De colère, son visage prend la couleur d'un charbon, — Et, dans sa rage, il 8*écrie de sa plus haute voix : — « Par l'Apôtre, dit-il, qu'on invoque [à Rome] « aux prés de Néron, — Il est un métier que nous savons faire, — Et, bon gré m mal gré, vous l'éprouverez tout à Theure. » — Alors il lève en haut son éper- vier — Et le lance sur Girart qu'il frappe à la croix du front. — 11 lui met en sang la bouche et Iç menton, — Et sa pelisse d'hermine, par devant. — Et Gi- rart de s*écrier : « Prenez-moi ce glouton — Et qu'on me le pende à une four- « che! » — Plus de soixante hommes se jettent sur Aimeri. — « Arrière, glou- « tons, arrière ! dit-il. — Je suis dis de monseigneur Hernaut le baron ; — Je « suis le neveu de Girart, c'est chose bien connue. — Et d'ailleurs, j'ai là mes « lettres dans un karUlon. » — Girart l'entend , et vite court vers lui, — Il le prend entre ses bras, l'élève jusqu'à lui, — Lui baise la bouche et le men- ton : — « Neveu Aimeri, dit-il, vous avez un cœur de baron : — Vous êtes bien « de la famille! » (B. I. 1448, P 10 v r^) > Girars de natte, éd. P. Tarbé, p. 47. 204 ANALYSE DE GIRARS DE VU NE. iiPAiT. Lnrs.n. dévoué au roi de Saint-Denis , mais à la condition ^^^' ^!"' qu'il ne lui refuserait aucune de ses demandes et ne se mettrait pas en travers de sa jeune ambition. Ils se ressemblent tous, ces héros de la geste de Garin. ^ins roi de France ils ne vorent boisier : oui, mais pourvu que le roi de France aille au-devant de leurs moin- dres désirs et s'abaisse profondément devant eux*. Tels ont été, en réalité, les grands vassaux des neu* vième et dixième siècles, ou du moins les meilleurs d'entre eux. Que penser des autres? Sur le chemin d'Aimeri s'embusquent des brigands, des voleurs de grand chemin, un Gilbert, un Gautier. Le jeune homme se jette sur eux et les tue ' . Et c'est couvert de ce sang vil, si courageusement répandu, que le fils dUernaut se présente devant l'Empereur : (c Salut , dit-il , au meilleur roi de la chrétienté. Je « m'appelle Âimeri ; je suis le fils du seigneur de Beau- ce lande et le neveu de Girart *. » Or l'Impératrice était là, celle dont Girart avait refusé la main, celle qui avait jadis fait baiser son pied nu au duc de Viane. Bien qu'elle fut femme, elle avait su jusque-là gar- der le secret de cette honte qu'elle avait fait subir au fils de Garin; elle avait contenu les empresse- ments de sa langue. Mais, en vérité, sa vengeance n'était pas complète. Girart, après tout, ne connais- sait pas son déshonneur; il ignorait qu'il se fût hu- milié, qu'il se fût avili jusqu'à rendre hommage à une femme, et à une femme qu'il méprisait, il fallait qu'il connût enfin le trait empoisonné dont il avait été percé... C'est alors que la Reine prit à part le jeune Aimeri ; c'est alors que, savourant lentement sa vengeance, > Girart de Fiane, éd. P. Tarbé, pp. 47 et 48. ANALYSE DE GIRARS DE VlANE. 205 elle raconta au neveu de Girart toute l'histoire de " '*^"' "^"' "• CBAP. VIU. rhommage rendu par le duc de Viane , et du pied qu^il avait baisé , et de cette humiliation qu'il avait dû subir '. La Reine s'imaginait sans doute que notre héros entendrait ce récit sans frémir, que son sang ne bondirait pas dans ses veines, qu'il supporterait tranquillement le déshonneur de toute sa race. Elle ne savait pas ce qu'était cette geste de Garin, elle ne connaissait pas la nature particulière de ce sang de baron. Aimeri se leva, terrible : « Si vous « avez fait cela, madame, dit-il, ce (ut puiage. » Et, fa- rouche, il lui jette un couteau à la tête. 11 s'évertue, il veut l'assassiner sur place. On le retient, et alors, comme un fou : « Partons, » dit-il. Il part, et, sans s'arrêter, il court, il vole à Viane *. On le vit franchir, bride abattue et furieux, cette même route qu'il avait tout à l'heure suivie en souriant et plein d'espé- rances. « Girart, où est Girart? » dit-il en posant le pied sur le seuil de ce donjon où il avait passé un si joyeux hiver. Son oncle arrive : a La Reine, reprend-il, a vous a déshonoré, vous et tout notre lignage. » Et il se met à répéter longuement l'histoire de l'hom- mage et des représailles de l'Impératrice, a J'ai fait « tout mon possible pour la tuer. » Girart alors pense devenir fou : « La guerre, s'écrie-t-il, la guerre avec «r la France ^ ! « Nous sommes quatre frères, ajoute le duc de a Viane : il faut associer contre l'Empereur tous nos a efforts. Allons rapidement chercher les secours a d'Hemaut, de Mille et de Renier. » Il se met en a route : « Tu m'accompagneras, Aimeri. » Et ils che- « Girars de Viane, éd. P. Tarbé, pp. 49, 50. — » P. 51. — 3 Pp. 51.53. 206 ANALYSE DE GIRARS DE rUNB. II PART. Lnm. n. yaucheiit suF le chemin de Gennes , fiévreux , co- lères, insensés. Us entrèrent un soir dans la ville de Renier ; ils descendirent à la porte de son palais plenier. Le premier mot que le duc de Gennes leur adressa n'est pas bien loin du sublime, tant il est na- turel. Il y a plusieurs années qu'il n'a vu son frère, il n'a peut-être jamais vu Aimeri, et tout d'abord il leur dit : « Voyez le beau fils que j'ai de ma femme. » O cœurs de père, cœurs naïfs! «Comment s'appelle- ot t-il? » demande complaisamment le duc de Viane. — « Olivier. — Il a l'air fier, répond Girart, il me res- « semble, p Scène digne d'Homère '. Et, en effet, c'était là ce grand et doux Olivier, qui fut d'abord l'ennemi, puis l'ami ou plutôt le frère de Roland ; qui, noyé dans son sang sur le champ de bataille de Roncevaux, fut un des trois derniers sur- vivants de toute l'armée chrétienne, de toute cette légion de martyrs ; qui, martyr lui-même, criblé de cent blessures, le corps traversé de quatre lances, lutta encore, sublime, et se débattit victorieusement contre des milliers de païens; qui eut enfin l'insigne honneur d'avoir son oraison funèbre prononcée par Roland lui-même, par Roland agonisant ! Mais Aimeri et Girart ne s'arrêtèrent pas longtemps à contempler la beauté d'Olivier; ils remontèrent à cheval et retournèrent à Viane, après avoir envoyé des messagers à Mille de Fouille et à Hernaut de Beau- lande *. Dans le donjon de Viane se trouvèi'ent bien- tôt assemblés tous les héros de la « geste honorée ^. » Le vieux Garin lui-même y fit un jour son entrée avec sept mille chevaliers qui étaient tout épuisés par leurs longues luttes avec les Sarrasins et par les fati- » Girars de f'iane, éd. P. Tarbé, pp. 53-54. — > P. 54. — 3 Pp. 54.58.' CHAP. TIII. ÂltALYSE DE GIRARS DE FIANE, 20T gues du voyage. Il ne savait pas encore, le rude " part. uVr. h. vieillard, TafFront que son fils Girart avait reçu ; il l'apprend à son arrivée, et c'est une des plus belles scènes de toute notre épopée. Garin se fait fier, se fait terrible, et cependant, en vassal soumis, il con- seille à ses quatre fils de n'entreprendre la guerre contre leur suzerain^ contre Charles, qu'à la dernière extrémité '. Ce conseil de vieillard déplaît à la jeu- nesse d'Aimeri qui, sans respect pour son aïeul, in- sulte à ces propositions pacifiques ; mais le père d'Her- naut et de Girart , encore vert malgré ses cent an- nées, se jette sur son petit-fils et Je veut rudement bâtonner ^. Mœurs sauvages, cdobne on voit, mais énei^quement épiques! On connaît le reste, et nous l'avons longuement raconté. On sait comment cette guerre éclata mal- gré la bonne volonté de Garin et son désir sincère de la paix ; on se rappelle comment les fils du vieillard héroïque se présentèrent un jour à la cour de Charlemagne pour essayer de s'accorder avec TEm- pereur, comment le vieux Garin y fut insulté, com- ment la guerre devint inévitable dans cette sorte de conférence de la paix ^. Quant à Aimeri, là comme partout, il se montra le plus violent. C'est lui qui se jeta sur Doon de Laon, Tinsulteur de Garin, et qui lui arracha la cervelle de la tête ^. Il monta ensuite à cheval avec ses oncles couverts de sang français, et courut s'enfermer dans Viane avec eux ^. Mais tant d'exploits méritaient une récompense. Aussi Gi- rart et ses frères se hâtèrent- ils de descendre un jour lés un brueljlori et d^jr adouber le donzel Aimeri. c Voilà un bon chevalier de plus, d s'écrièrent les té- « Girars de Viane, éd. P. Tarbé, pp. 56-59. — a P. 69. — 3 Pp. 60-65. — 4P. 63*— 5 Pp. 65-67. r% 208 ANALYSE DE GIR^RS DE VlAi II PART. uvH. II. moins de cette solennité encore toute lAilitaire ' . lis CHAP. VIII. ne savaient pas si bien dire. Quelques jours après, l'armée de Charles meltait le siège devant Viane*. C'est alors que notre poète, ou- bliant cette grande loi de l'unité d'action qui est la vie d'une épopée, change pour la troisième fois de héros, et donne dans ses vers la première place à Olivier et à Roland. Le pauvre Aimeri est relégué au second rang: il était digne d'un meilleur sort. Cependant, sur une île du Rhône, deux jeunes gens aussi beaux et aussi vaillants que lui, représentant dignement les deux ar- mées, chargés des destinées de l'un et l'autre parti comme autrefois 'jTorace et Curiace, se revêtent de leurs armes, se saluent, se précipitent l'un sur l'autre, se frappent, s'évitent et se frappent encore, se dé- sarçonnent, s'abattent, se tuent à moitié, et déjà s'ai- ment tout-à-fait. Nous avons fait ailleurs le récit très- détaillé de cette admirable lutte, et nous avons quelque peine à ne pas le recommencer tout au long : « car de ces deux enfants qu'on regarde en • tremblant, l'un s'appelle Olivier et l'autre a nom Roland ^ ! » Parmi tous ceux qui les suivent du regard ou du cœur, il en est deux surtout qui sont particulièrement agités. L'un est un jeune chevalier qui voudrait être en leur place, et qui pleure de jalousie : c'est notre Aimeri. L'autre est une jeune fille aux cheveux blonds, au chapeau d'or, qui, comme la Camille des HoraceSy est la sœur de l'un des combattants et l'amie de l'autre : c'est la belle Aude. Elle a vivement invo- qué Jîotre Dame : « Frère Olivier, quelle destinée pe- « sanle ! — Si je vous perds, c'est que Dieu m'aura « Giran dt Ftane, éd. P. Tarbé, p. 65. — » P. 71. — 3 Pp. 74-166. ANALYSE DE GIBABS DE FIANE. 2i8 II PÀirr. vrrfi* u. CHAP. THI. II. « Je veux aller à Paris, je veux aller voir le grand Grande gaerre a empereur Charles. » Ainsi parla notre Aimeri a son onriemagne oncle Girart, moins d'un an après son arrivée. Il s'en- deGarim nuyait à Viane, et partit '. C'était toujours la même ^^^^^r\, jeunesse, volontiers imprudente ; c'était toujours la même ardeur, facilement insolente et présomptueuse ; c'était toujours le même sang, bon, généreux, ardent, désireux de se répandre. Certes, il était d'avance très- loDtiers * « Qui es-tu, frère ? lui dit-il ; ne me le cache point. —Ces gens que tu u vois sont des hommes puissants très-occupés à plaider — Une grande affaire « qui va être jugée. — Ils se soucient fort peu de tes menaces. — Parle, dis ta c( parole. Je t*offre un gite chez moi, — Et tu reviendras à la cour pour ton M repas. — Si tu esjougleur, tu feras ton métier.— Situ cherches acheteur pour « ton épervier, — Je t'en ferai donner une bonne somme. » — Girart alors appelle son maître dépensier : — « Mets-moi son épervier sur cette perche. — M II ne sait pas seulement le tenir ni le donner. » — Aimeri l'entend, et pense devenir fou de rage : — « Fils de putain, glouton et lâche, — Mon père, n qui s'appelle Hemaut le guerrier, — N'a jamais fait si pauvre métier. — « Mais jamais [en vérité] je ne pourrai dire et avouer — Que cet homme-là soit mon « oncle, — Et je m'en vais de ce pas retourner — Vers Hemaut de Betfulande. » Quand Girart entend le damoiseau, — Il Texcite, tant qu'il peut, pour le faire parler ; — Car il sent bien qu'il a le cuiur un peu fier : — •• Allons, al- A Ions, dit-il, un air de vielle, — Et si tu es jongleur, dis-nous une chanson: « — Je te donnerai ma pelisse d'hermine — Et tout le monde ici te fera quel- « que don. » — A ces mots, il n'est pas d'homme plus triste qu'Aimeri ; — De colère, son visage prend la couleur d'un charbon, — Et, dans sa rage, il s'écrie de sa plus haute voix : — a Par l'Apôtre, dit-il, qu'on invoque [à Rome] « aux prés de Néron, — Il est un métier que nous savons faire, — Et, bon gré •• mal gré, vous l'éprouverez tout à Theure. » — Alors il lève en haut son éper- vier — Et le lance sur Girart qu'il frappe à la croix du front. — 11 lui met en sang la bouche et Iç menton, — Et sa pelisse d'hermine, par devant. — Et Gi- rart de s'écrier : « Prenez-moi ce glouton — Et qu'on me le pende à une four- «( che! » — Plus de soixante hommes se jettent sur Aimeri. — k Arrière, glou- « tons, arrière ! dit-il. — Je suis fils de monseigneur Hemaut le baron ; — Je « suis le neveu de Girart, c'est chose bien connue. — Et d'ailleurs, j'ai là mes « lettres dans un karillon. » — Girart l'entend , et vite court vers lui, — Il le prend entre ses bras, l'élève jusqu'à lui, — Lui baise la bouche et le men- ton : — « Neveu Aimeri, dit-il, vous avez un cœur de baron : — Vous êtes bien « de la famille! » (B I. 1448, P 10 v r**.) > Girars de riane, éd. P. Tarbé, p. 47. 210 ANALYSE DE GIRARS DE VIANE. t II PART. uTB. II. \xx\ était tendu '. Il se vit soudain entouré de sesenne- ciiAP. vin. " mis, de Girart, d'Hernaut, de Mille, de Renier, d'Ai- meri, de vingt autres. Le plus implacable , c'est Ai- meri : (c Tuez-le, tuez-le, » dit-il à son oncle. Mais Giràrt, avec un geste superbe : a Ne plaise à Dieu, « dit -il, que je frappe jamais un roi de France. Je suis ce sonhomme,et ne lui demande que de me pardonner. (c Je veux tenir de lui tout mon pays, et, s'il me re- « pousse, j*irai plutôt chez les païens : Moi en serait la a honte, si en serait plus vis — Nostreempereres riches. » Alors on vit un spectacle magnifique : Girart et Renier se mirent à genoupc, très-humblement, devant ce roi vaincu et prisonnier ; Mille et Hernaut s'agenouillèrent en même temps ; puis Olivier lui-même. Un seul homme se tenait à l'écart, farouche et indompté : c'était Aimeri. a Voyons, Aimeri, » lui dit l'Empereur à moitié sérieux, « est-ce la paix, est-ce la guerre que a vous voulez? — Mes oncles se sont pris à vos (C paroles comme des oiselets à la glu , répondit le c( fils d'Hernaut. Comme je ne saurais, moi tout a seul, vous faire la guerre, je consens à vous servir. « Je verrai , d'ailleurs , comment vous agirez avec a moi, et vous aimerai si vous me faites du bien. » On promet à ce forcené de lui confier l'oriflamme, on ne le traite pas moins bien qu'Olivier et Roland, on le flatte, on le caresse, et c'est alors seulement que, poussé par son oncle Girart, il daigne enfin se mettre un peu à genoux devant le très-débonnaire empe- reur*. Ce n'est plus de la fierté , c'est de la sauvage- rie : les Germains du second ou du troisième siècle étaient plus humains dans leurs forêts que cet Aimeri au milieu d'une société chrétienne ^ ! • Girarsde Viane, éd. P. Tarbé, p. 166.— ^ pp, 166-167. 3 CHABLBMAGIfR EST FAIT PRIS0IV5IER PAB SES YASfAUX; FIKBTft D*Al« ANALYSE DE GIRARS DE VI ANE, 211 Quelque temps après on célébrait les fiançailles de " p^t. Liva. u. Roland et d'Aude , mais la fête fut interrompue par CHAP. TlII. . (Traduction littérale). Le Roi De sa^t rien et ne se méfie de rien — Jusqu'au moment où il se sent de toutes parts arrêté — Par les rênes de son cheval arabe. — Le duc Girart alors ne perd pas la tète — Et, tout aussitôt» saisit la lance four*^ bie ; — Puis, dit à Cbarles : « Sire roi, c'est moi qui suis là devant vous. — Vous « pensiez sans doute que je m'étais endormi — Dans Viane, et que j'étais étourdi « par le vin. — Point ne le suis, en vérité ; mais me voici, tout près de vous. — « Les sons de votre cor sont venus jusqu'à nous, — Et nous avons entendu tout « ce que vous avez dit. — Quant à ce sanglier, il doit être à moi, et c'est à tort « que vous me l'avez pris. — Il sera pour mes chevaliers, — Et pour ma femme, a an corps si beau et princier. — Quant à vous, Sire, vous allez venir avec « moi. •• — « Bel oncle, dit alors Aimeri, tue-le, tue-le bien vite — Et, sans plus « tarder, prends sa tête. — Ce sera la fin de la guerre et des batailles.» — a Ne A plaise à Dieu, lui répond Girart, — Que jamaii^ un roi de France soit tué « par moil — Si Charles veut avoir pitié de moi, je serai son homme, — Et je « tiendrai de lui ma terre et mon pays. — Mais s'il n'y consent pas, par saint « Maurice, — Je m'exilerai au pays des Sarrasins. — La honte en sera pour « moi, mais du moins il vivra, — Notre grand Empereur I » Quand Charlemagne entend Girart le courtois — Lui demander merci de si bonne foi : — « 0 Dieu, dit-il, qui êtes le souverain roi, » — (Et l'Empereur alors jeta quatre fois ses regards vers le ciel,) — « Déjà vous avez fait pour « moi bien des miracles. — Mais cette guerre, Girart de Viane, — Je la re- « doute en vérité plus que rien au monde. — Dieu me confonde si jamais je « guerroie contre vous I — Venez ici, Girart, venez, bon et noble duc.»-^ « Sire, « dit Girart le courtois, quel est votre bon plaisir ?» — « Je vais vous le dire, « répond le Roi : — Vous aurez la paix que vous voudrez. — Vous ferez toute « votre volonté en France la douce ; — Je vous y abandonne tous mes droits • de justice; — Je vous y cède et octroie le tiers dernier. — Bien venu sera « celui que vous aimerez, — Et celui que vous haïrez, malheur à lui ! » — « Ne « plaise à Dieu, dit Girart le courtois — Que vous soyez jamais mon prison- « mer ! — Mais, d'ailleurs, voici Hemaut, mon frère, qui est mon aîné, — Et « c'est à lui de commander partout avant moi. » — Hemaut alors s'agenouille devint le Roi — Et devient son homme loyalement, sans mauvaise pensée. — Mille de Pouille lui engagea de nouveau sa foi ; — Pub, Renier de Gennes, qui fat droit et prudhomme. — Puis, Girart de Viane ; — Puis, Olivier, le preux et le courtois. — Quant à Aimeri, il n'y a pas plus félon que lui. — Il se tenait loin des autres à l'écart, — Examinant le tort et le droit — Et les excuses que tes oncles faisaient au Roi. — « Vassal, lui dit Charles, dites-moi ce que vous « voulez faiN : — Acceptez-vous la paix, ou ferez-vous la guerre? » — « Par ma « loi, je n'en sais rien, beau Sire, répond Aimeri. — Quand je vois mes oncles « et mon père, — Qui se sont laissés prendre conmie oiselets à la glu, — Que le Cl Seigneur Dieu me maudisse — Mais puisque tous les autres se sont « mis en votre main, — Je ne veux point faire la guerre pour moi seul. — ■ J'approuve donc et confirme tout ce qu'ils vous ont dit. — Je vous ser- ti virai, c'est mon devoir, — Et je verrai , après , comment vous agirez. « — Si vous me faites du bien, je vous porterai grand amour. » — « Bien 212 ANALYSE DE GIRJRS DE FI ANE. 11 PART. UVB. II. CHAP. VIII. l'arrivée de ce messager qui annonçait l^invasion des Sarrasins en France'. On entendit Charles jeter alors Départ son cri de guerre, et l'on vit l'archevêque de Vienne se * poUru transformer en un prédécesseur de Pierre l'Ermite ^"qufSr^"* pour prêcher cette véritable croisade*. «Girartjditl'Em- à'îionœiaux. * pcreur au moment de son départ, je vous confie pen- ro^mIÏÏi ÏÂude. ^ dant mon absence toute la Bavière et toute l'Allemagne. u poêle s'apprête « Et à VOUS, Renier, je laisse le gouvernement de toute la suite a Wi^We.etàeKovaequeFonclamemachamhre, »ll partit de l'histoire . ' / . . . . ^ . d'Aimcri.... ensuite pour cette lugubre guerre qui devait se termi- ner à Roncevaux : Roland partit avec lui, après avoir baisé Audain, sa belle amie, qu'il ne devait plus re- voir ^. Et notre poète nous apprend en finissant qu'il ne veut pas nous faire subir le récit de la guerre d'Es- pagne ni de la trahison de Ganelon ; ses devanciers ne les ont déjà que trop chantées. Il passe par-dessus le désastre sanglant de Roncevaux et s'apprête à nous ' raconter l'histoire d'Aimeri « ke tant par fut preudons, le seignor de Narhonne ^. » Nous allons essayer de la raconter après lui. « dit, vassal, s'écrie le Roi. — Vous me servirez, Olivier et vous, avec mon ne- « veu Roland le courtois, — Et c^est vous qui porterez mon oriflamme dans « les batailles. » — n Merci, dit Aimeri, merci, seigneur Roi. m — « Mais, miséra- •• ble, s*écrie alors Girart, va donc te jeter à ses pieds. — Ne vois-tu pas qa'fl « nous aime du plus sincère amour? » — « Je le veux bien, dit Aimeri. » — Alors il s'agenouille, et se jette aux pieds du Roi. — Mais l'Empereur aussitôt le re- leva... (B. I. 1448, fo 37 v«, 38 r«.) « Glrars ae Viane, éd. P. Tarbé, pp. 167-179.- » P. 180. — »Pp. 180-181. — ^P. 181. ANALYSE lyÂWERl DE NàRBONNE. CHAPITRE IX. LE PERE DE GUILLAUME (SUITE). (Aimeri de NarJbonne *). 313 II PART. UVB. II. CUAP. IX. pi Charles revient d'Espagne, tête basse et les yeux en eurs. > NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LA CHANSON D'AIHERI DE NARBONNE. — I. BIBLIOGRAPHIE. \^ Datk DK LA COM- FOSITIOIV. jiimeri de Narbonne est un poëme de la première partie du treizième ûècle : M. Paulin Paris a pu fixer cette date, d'une façon à peu près exacte, grâce à quelques vers de ce Roman où il est question d'André, roi de Hongrie. C'est Hermengarde qui parle, avant son mariage avec Aimeri : •* Si me requiert rois Andreu de Hongrie, — Riches bons est, ce ne dedi-ge mie; — *X' cités a dedens sa signorie. — Mais il n'aura jà à moi conpaignie ; — Car il est vioz, s*a la barbe florie ; — Et si est rouz, s'a la cbière flaistrie, » etc., etc. (B. 1. fr. 1448, f<> 55 v°). Or il ne peut s'agir, dans ces vers curieux à plus d'un titre, que d'André II, père de sainte Elisabeth de Hongrie, un des chefs de la cinquième croisade, mort en 1235, et l'on peut légitimement conclure du passage précédemment cité qu'il était encore vivant au moment où fut com- posée notre Chanson, qui remonterait ainsi au premier tiers du siècle de saint Lwifl. — 2** AUTBUB. Aimeri de Narbonne est anonyme. 11 est possible ^pifi ce poème soit du même auteur que Girars de Fiane, On y retrouve à peu près le même style, la même physionomie littéraire. Mais ce n'est.encure là qa'ane hypothèse. — 3» Nombre de tebs et nature de la yersification. Dans le ms. fr. 1448 de la Bibl. impériale, Aimeri de Narbonne renferme 4560, et, dans le ms. 23 La Vallière, 5100 vers. Ce sont des décasyllabes rimes. Chaque couplet est terminé par un bexasyllabe. — 4« Manuscrits connus. Quatre manuscrits nous ont conservé le texte à^ Aimeri de Narbonne : deux en Franco, B. I. fr. 1448, {• 41 (treizième siècle), et La Vallière 23, f<» I (quatorzième siècle}; deux au British Muséum, Bibl. du roi, 20 D. XI, f» 62 (fin du treizième siècle), et Harl. 1321, f* 35 (treizième siècle). Les deux textes ^de Paris ne présen- tent pas entre eux de différences considérables, mais seulement des variantes orthographiques. 11 convient toutefois de remarquer que le texte du ma- nuscrit La Vallière est plus développé que celui du ms. fr. 1448 (540 vers de plus). La fin de cette version, d'ailleurs, n'est pas la même que celle du ms. 1448. Dans cette dernière, on voit Aimeri envoyer ses enfants conquérir an loin honneur et biens : « Or se pensa li frans cuens Aymeris, — En autres terre[s] as rois et as marchis, — Envoiera les damoixiaus de pris ; — Si iront honor querre. » (F« 68, v«.) Dans le ms. 23 La Vallière, le dénoûment a quel- que chose de plus solennel et qui prépare beaucoup mieux les péripéties des Analyse de Narbonne. 2\\ ANALYSE I^AIMERI DE NARBONNE. iiPAST.LivB.il. Il pense à Roncevaux^ à son neveu Roland, aux douze pairs qui sont morts là-haut, dans les mon- CHÂP. IX. Cbarlemagne, Enfances Guillaume : et que c'est à cause de notre Aimerj que toute cette compilation italienne a reçu ce titre : «c / Nerbonesi ? n — b. Deux romances espagnols sont consacrés au comte Benalmeuique (V. les Vieux Auteurs castillans de M. de Puymaigre, 11, 350, 351). L'un et l'autre sont étrangers à la légende de la Chanson française. — c. Au commencement de son Arabellens Entfûhrung^ Ulrich du Thurlin raconte brièvement comment Ai- CHAP. IX. ANALYSE D*yiWERI DE NARBONNE, 215 tagnes, victimes de la grande trahison de Ganelon. ""^^J^/J^"- L'Empereur, à cette seule pensée, rougit et tremble de - meri de Narbonne conquit sa femme, Ermengarde de Pavie. Nous aurons lieu de reparler longuement de ce poëme allemand du treizième siècle, dans notre Notice sur les Enfances Guillaume, — 7® ÉDITION iMPRilfÉB. Atmeride Nar- èonne est inédit. Dans sa Chronique de Philippe Mouskes^ M. de Reiffemberg en a publié un fragment (II, p. clxt), et M. P. Paris en a cité de nombreux pas- sages dans sa notice de V Histoire littéraire, t. XXII, p. 460 et ss. — S» Tra- vaux DOHT CE PofeME A ÉTÉ l'objbt. o. En 1834, il régnait encore une telle ignorance au sujet des Chansons de geste en général et de celles de notre cycle en particulier, qu'au tome XVI de V Histoire littéraire, dans son Discours sur l'état des lettres en Frwnce au treizième siècle, Daunou pouvait écrire, sans étonner personne, la proposition suivante : « Le plus célèbre de noa « poètes est Adenès, auteur d'un Aimeri de Narbonne tu 77000 vers !! ! » — b. Mais, en douze ans, quel progrès I Dans ses fameuses Ie<;ons à la Sorbonne, qui furent publiées par la Revue des Deux Mondes (septembre -novembre 1832), dans sa troisième Ie<;on notamment, Fauriel mettait en lumière les véritables pro- portions de la geste de Guillaume et cherchait surtout à expliquer l'introduction d* Aimeri dans ce cycle. — r. En 1 836 parut le livre de M. Reinaud, ces Invasions dês Sarrasins en France où nous trouvons les plus précieux détails sur les diffé- rents sièges de Narbonne, d'après les sources arabes qui étaient et sont encore si peu connues en France. — d. Deux ans plus tard, M. de Reiflemberg publiait, comme nous l'avons dit, un extrait à^ Aimeri dans V Introduction du tome II de son Philippe Mouskes (p. CLXT). — e. En 1839, M. Francisque Michel, dans sou Rapport au Ministre de t Instruction publique sur les Bibliothèques d* Angleterre, décrivait les deux manuscrits du British Muséum où nous a été conservé le texte à" Aimeri de Narbonne (Hari. 1321, et Bibl. du Roi, 20 D,X1). On peut regretter Iliktefois que ces analyses n'aient pas été plus détaillées, et nous en sommes tttibit k ignorer si le ms. du British Muséum, 20 B, IX de la Bibl. du Roi,contient le texte de notre Roman. — /. L'année suivante, M. Paulin Paris publiait le tome III de ses Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, dans lequel ce savant initiateur, cet excellent vulgarisateur, résumait brièvement et reliait entre elles les différentes branches de tout le Cycle : « Les Chansons dans les- quelles le père de Guillaume joue un rôle important ont été évidemment réu- nies plus tard à celles du héros de l'Aquitaine » (]>. 123). M. Paulin Paris exprimait U, le premier, une opinion que toutes les recherches postérieures ont confirmée. — g. L'Histoire de la poésie provençale de Fauriel ne parut qu'après sa mort, en 1846; mais elle était en préparation depuis de longues années. Fauriel toyait dans Aimeri II, qui fut vicomte de Narbonne de 1 105 k 1 134, le type réel du héros de notre Chanson : n Ce n'est pas sans motif, dit-il, que le nom d'Aymeric de Narbonne a été donné à ce père prétendu, à ce chef imaginaire de toute la glorieuse geste. Plus l'application de ce nom était arbi- traire, fausse et bizarre, et plus il est évident qu'elle avait un motif privé et local.... Or ce fut la fille d'Aymeric 11 qui lui succéda, cette même Hermen- garde, célèbre dans l'histoire de la poésie provençale, et dont la cour fut fré- quentée par les troubadours les plus renommés du douzième siècle. Tout auto- rise, tout oblige à croire que ce fut quelqu'un de ces troubadours qui, pour 216 ANALYSE HTjélMERl DE 19JRB0NNR, Il PABT. tiTi. n. colère : « Ils vont me demander en France ce qu'est CHIP. IX. , , *• « devenue la grande baronnie que j'avais emmenée flatter Henneogarde, et célébrer la gloire de son père et de ion aïeul, morts tous deux en combattant les Infidèles, DOifif A lbuk nom à un premier con- quérant de Narbonne, chef supposé de leur race « (11, p. 410). — h. Dans son édition de la Chanson de Roland (18&0), qui fut trop Yantée autrefois, qui est trop dénigrée aujourd'hui, M. Génin signalait, au millieu du Roland italianisé de^la Bibliothèque de Venise (ross. français, n» ly), Tintercalation d*un épisode qui correspond exactement au début de notre Àhneri et qu^il intitulait : le Siège de Narbonne; il en publiait un long extrait que nous aurons lieu de com- parer tout k rheure avec le texte de notre Chanson (Génin, pp. 503 et &23). — i. Parmi les notices si intéressantes et si claires que M. Paulin Paris a cotisa* crées k la plupart de nos Romans dans le tome XXll de l'Histoire Ruéraire (1852), il faut mentionner celle qu*il a donnée à Aimeri de Narbonne, C*est certainement une des meilleures. M. P. Paris confirmait sur Aimeri Tidée de Fauriel et disait : « L' Aimeri de notre Chanson fut réellement vicomte de Narbonne de 1105 i 1134. 11 avait employé une grande partie de sa vie k guerroyer contre les Sarrasins, » etc. (1. 1. 4 67, 468). — y. Le Guillaume d'Orange de Jonckbloet parut deux ans après, en 1854. Les différents sièges subis par Narbonne; les rapports exacts entre la légende et Thistoire au sujet de cette ville qui tient tant de place dans notre épopée; Torigine de ce nom d* Aimeri donné au père de Guillaume (p. 183 et suiv.) : tels sont les points qui ont le plus fixé l'attention du savant hollandais. 11 partage Topinion de Fauriel sur Aimeri 11 et Hermengarde. Même il va plus loin et dit : « L*Her- mengarde de Thistoire n'est pas sans ressemblance avec TErmengart de la Chanson. Lorsque son fils a besoin de secours, celle-ci s'écrie : « Et je méimes « i seré chevauchant. — S'ai-je le cuer hardi et combatant. — S*aideré-je, se « Deu plest, mon enfant. » Par rapport à l'autre, l'histoire nous raconte qm lorsque Raymond Bérenger IV, comte de Barcelone, entreprit en 1 148 le siéfe de Tortose sur les Sarrasins, il fut secouru par Guillaume VI de Montpellier, ses fils et Ermengarde, vicomtesse de Narbonne, à la tête des troupes de sa vicomte (1. 1., p. 166) >•. — k. M. Dozy, dans ses Recherches sur P histoire et la litte'rature de l'Espagne pendant le moyen âge (l860)t ne manque pas de donner une origine normande à Aimeri de Narbonne (V. t. II, Appendices, p. ZCYlii). Nous avons réfuté ailleurs l'opinion de ce savant sur la légende « des hanaps et des noix que les messagers d' Aimeri firent brûler à Pavie ». Sans doute, on retrouve un fait analogue dans une Chronique normande publiée par les éditeurs des Historiens de France (IX, 327); mais cette Chronique ne mérite aucune créance, et elle est servilement calquée sur le Roman de Rou. — /. En 1862, dans sa Légende des siècles, Victor Hugo traduisit en vers magnifiques le début d* Aimeri de Narbonne, Ce petit poëme, intitulé Ajmc rillotf est peut-être la meilleure pièce de tout le recueil : nous en citons plus loin un long extrait. C'est aux poètes qu'il appartient d'être des initiateurs : les vers de Victor Hugo ont plus fait, pour la diffusion de notre légende, que vingt œuvres d'érudition. — m. M. de Puymaigre, dans ses Fieux Auteurs eastil" lans (1862, t. Il, 350, 351), publia les deux romances dont le comte Benalménique est le sujet. — /i. En 1865, L. Clams résumait rapidement ftotre Roman CHAP. IX. ANALYSE Hi'AIMERI DE NjiRBOWNE. 217 « en Espagne. Elle est morte, elle est morte, 'leur opaet. utb. n. ). Comme on le voit, elle présente avec celle de notre Chanson des différences vraiment considérables. La principale consiste dans cette intervention miraculeuse de Dieu qui déchaîne contre Narbonne un orage dont notre Roman ne parle point. Dans Aimeri de Nar- bonne, l'Empereur propo.se à ses barons de conquérir la ville ; dans Bo' land, il ne leur offre que de la garder, ce qui est beaucoup moins difficile. CHAP. n. 220 ANALYSE WJIMERI DE NARBONNE, II PART. LiTR. u. Derrière lui marche une armée découraeée, des chevaliers épuisés, demi-morts et qui jettent vers la Le voyage d'Hernaut, son horreur du mensonge, son arrivée à Paris, les pleurs qu'il fait couler en y racontant la mort des douze |>airs, toutes ces par* ticularités ne se retrouvent pas d^ns notre poème, auquel nous n'hésitons pas cependant à donner la préférence. 11 est évident que Tauteur du Roland de Venise a travaillé sur d'autres traditions ou sur une autre Chanson. Nous n*avons pas à parler ici de la langue de ce poème dont les couplets suivants donneront une idée : « Li emperer sus el palaxio montava. — Apresso lui, lo bemaço de França. — Li emperer a parlé sens dotança : — « Traeç vos avanti, « Amaldo de Bellanda ; — Prendi Nerbona, che vos la do en guarda. » — « Bons « rois, dit-il, vos parlé de niant ; — Des e set anz e che no fu en Bêlant ; — « Guera me la una païna çant, — Prendent mes teres, mes villes vont ardant. — t Altrui la donc, bon roi, miga no la domant ! — Fous Gresses arda Nerbona el « paesant.» — Quant si oit dit,porpensé fu atant. » (Génin,l. 1. 528.) 11 est digne de remarque que, dans cette partie du poëme italianisé, on ti'ouve quatre fois le petit vers de six syllabes à la fin de quatre couplets : ce qui semblerait indiquer que le remanieyr avait sous les yeux une ancienne Chanson munie de cet hexa- syllabe à la fin de toutes ses laiises. On sait qu*à peu d'exceptions près, ce petit vers n'a été employé que dans le cycle de Guillaume. 3» Dans le Philombh A, c'est encore une tout autre version. La scène se passe avant la guerre d*Espagne : une grande bataille s'engage sous les murs de Nar- bonne entre le païen Matran et Charles qui sort de Carcassonne. (B. L 2V32, f» 45 V». ) C'est alors qu'Aimeri fait sa première apparition dans le Boman : « N'Ajrmeric que era nebot de Guiraut de Viana e [de] Raynier, payre d'Olivier, loqualh Aymeric fo pueys duc de Narbona » (f» 48 r°). A quelque temps de là, Marsile, qui était en Roussillon, envoie Borel de Combe- Obscure au secours de Matran avec sept mille chevaliers (fo 57 v»). Nouvelle bataille sous les murs de Narbonne : Roland s'y dislingue, Roland qui est aimé par la femme de Matran (fo 57 vo-67 r«). Mais Aimeri n'y fait pas moins vivement éclater son courage, et c'est lui qui reçoit le titre de duc de Narbonne : désormais il ne portera plus le nom de Beaulande. « Fayt ac K. aquest do à n' Aymeric. L'Emperador mandée que negu no l'apeles d'aqui avant Aymeric de Berlanda, mays Aymeric de Nar- bona •• (f» 70 r«). D'ailleurs, Aimeri justifie le choix que Charlemagne a fait de lui : il se mesure avec un terrible Sarrasin, Corbealh deTortouse, et décide en partie la prise définitive de cette ville que deux armées se sont si longtemps dis- putée (ro72-97). Le voilà duc. Son nouveau domaine estimmense : il embrasse Bé- ziers, Maguelonne, Uzès, Nîmes, Cette, Avignon, Viviers, Valence, Rhodez, Lodève, Cahors, Toulouse, .\lby, Carcas/onne et quelques villes d'Espagne, comme Barcelone. Le fils d'Ilemaut est solennellement investi de ce maguifique duché (fo 98), et n'oublie pas d'établir tout d'abord un sénéchal à Narbonne (fo 102). Mais Marsile à son tour vient assiéger cette riche cité que les païens ne peuvent se consoler d'avoir aiusi perdue. Aimeri se jette sur les envahisseurs, tue TAumaçor et met les Sarrasins en pleine déroute (fo«98 109). 40 L'auteur de la Vie de saint Honorât se rapproche davantage du texte de Venise que de la version du P/nlomena, Charlemagne est depuis long- temps devant Narbonne et ne peut venir à bout de cette rude entreprise. 11 ^K ANALYSE lyAIMERI DE NARBONUE, 221 France des regards pleins de désirs. Us vont enfin re- " '^^- w^*- "• voir leurs femmes, leurs enfants, leurs châteaux; ils invoque saint Honorai, et voici que soudain les murs de la ville tombent aux pieds des Français ravis et triomphants. Un tremblement de terre a fait rapi- dement justice de la résbtance impie des Sarrasins. (B. I. La Vall. 152, f» 64 ro.) M. G. Paris ne parait pas avoir connu la parenté qui unit cette version à celle du Roland de Venise. (V. V Histoire poétique de Charlemagne^ p. 258.) 5* Nous avons vu déjà que les BOM ancbs espagnols n*ont emprunté à la légende d*Aimeri que des traits peu précis. Ik nous représentent notre héros fait prisonnier par le soudan de Babylone, après un siège de « Narboone la gentille ». Les païens maltraitent le comte : sa femme leur offre , pour la délivrance du captif, toutes ses richesses et jusqu'à ses trois filles ; elle s'offre elle-méme,et, voyant tous ses efforts inutiles, voyant qu*Aimeri lui-même refuse d'accepter de tek sacrifices, elle lui dit adieu : « Que Dieu vous fasse rencontrer le paladin Roland! >* (V. de Puymaigre, les Fieux Auteurs castiiieuis, II, 3S0.) 6* Le manuscrit 226 de l'Arsenal contient un premier remaniement en prose d*Aimeri,oii déjà la rudesse héroïque du vieux poëme est singulièrement adoucie : « Comment Aymery conquist Nerbonne dont il fut signeur et gouverneur tout son temps. Après la bataille et mortelle desconfiture de Raincevaulx,s'en parti Charlemaine d'Espaigne dolant plus que oncques mak, et non sans cause, pour ses amk qu'il avoit perdus. Et aussi convenoit-il qu'il fékt emmener les corps de Rolant et d'Olivier et des aultres nobles barons en leurs lieux. Advint en chevauchant, à tout grant nombre de gens, ainsy comme son chemin se adonna en aprouchant le pays dé Prouvence, et passant par terre basse nommée maintenant Languedoc, qu'ik virent une cité belle, grant, fort et TÎce, apeuplée et habitée noblement ; mak, en icelle ne en icellui pak qui estoit ausques près de la mer, n'estoit point le nom de Dieu aouré ne congnéu. Sy se voulurent les chevaliers eslongnier de la cité ad ce qu'ilz ne féussent appercéus de ceulx qui dedens estoient, et rien tant ne désiroient les ungs et les autres conune d'eux haster pour venir en France et estre à séjour. Si appercéut bien Charlemaine la manière, et demanda quelle ville s'estoit qu'il véoit à costé de lui. « C'est une cité, sire, ce respondi ung chevalier qui là fut vokins d'icellui « paîs. Et, pour ce qu'en icelle n'a sinon payens et Sarasins qui de la loy Jhesu- « Crist n'ont cure, convient-il ce passage eschever affin que aucun dommage ne « puissent porter à ceulx de nostre compagnie. — Et comment est nommée celle « dté, beau sire? fait Charlemaine ; car le me faittes savoir. — En non Dieu, sire, « ce respondi le chevalier,Nerbonne l'appellent ceux qui y ont esté et qui souvent « y conversent par saufconduit. — Et de qui est-elle tenue? ce respondi Charle- « maine. — Par foy, sire, ce dit le chevalier, elle est tenue d'un moult fier admi- « raly riche roy et puissant plus que nul de ceulz qui furent eu Espaigné, et avec « ce est grant et terrible conune ung jayant, car il est de l'extracion, et se son « nom voulez savoir, il est appeliez Desramé qui moult a de terres et grant sei- « gnourie; sy lui est tout cestui pak en obéissance, jusques au gué du Rosne, e « se tient communément à Cordres sur mer, et sachiés que à moult grant paine « lui puet l'en estre nuisant. «Sainte Marie ! comme l'Empereur fut pensifs quant il ony ainsy parler le chevalier ! Il s'aresta tout quoy adont, et demanda ses armes /»f 222 ANALYSE WAIMERl DE NÀRBONNM. II PART CHIP p.^nt**"* vont enfin se reposer un peu. Et ils ont tellement besoin de ce repos, ils sont tellement fatigués, qu'ils disant que de plus près vouloit la cité véoir. Les compagnies furent arettées adont et le grant train et charroy de main en main, si furent les armes deffiur- delées, prises et vestues d'un chascun, dont on ne scéut qui fiit le plus joieux ; car mestier avoient de repos plus que de guerre, de quoy les pluiseurs firent de ceste heure en avant double, et moult furent repentans d'avoir par là pris leur chemin. L'Empereur s'arma fin de compte ; si firent tous les haulz princes, comme Ogier de Dampuemarche, le duc Najrmon de Bavière, Salmon de Bretai- gue, Reignier de Gennes, Hemault de Beaulande, Gérait de Viennois, Hoguon de Berry, et assez d'autres qui moult estoient preux et vaillans, lesquels n'éua- sent pour nulle chose desdit l'Empereur. Et quant chascun fut prest, lors se mist l'Empereur à chemin, faisant conduire son dragon devant, que tous San* sins du monde craingooient et congnoissoiont pour enseigne ; et véu l'avoient en Espaigne et ailleurs en faisant ses conquestes. Si n'y éust Sarasin tant hardi qui de la cité se partist, mais montèrent aux murs et creneaulx pour véoir le maintien des crestiens. Moult fut joieux Gharlemaine quant il vist la cité si forte, si belle, si bien emparée et bastilliée, et de grandeur assez spacieuses. Il loua Dieu lors et dist à soy*mesmes que jamais d'illecq ne partira si l'aura an- çois par force conquise et soubzmise à loy crestieune, puisque si près estoit voisine de son empire. Et quant ill'éust bien avisée tout entour, il assambla ses barons voire arrierre d'illecq» ad ce que ceulx dedens ne leur péussent poHer nuisance de trait ou autrement, et leur dist : « Yéez-cy ciste plaisante^ beaolx R seigneurs, fait-il, bien assise, forte et en beau pais et marchist assez près de « mon royaulme . Sy est dommage quant elle ou ceulx qui sont dedens t>^hjfa«Tf « ne scevent qu'est Jhesu-Grist, et de la loy que nous tenons. Et moult nous se* « roit chose honteuse de nous départir sans la conquester, qui seroit aysée chose « afifaire et eu petit de temps, comme il me semble, mesmement que il n'a comme « je croy léans delTense qui nous en scéut garder. Pour quoy je rabandonne à « cellui qui le hardement osera emprendre de la garder contre la geste «ara«in^, n mais que je Taye conquestée.uEt quant les haulx barons entendirent l'Empereur qui jamais n'avoit eu le cuer saule de guerre, chascun d'eulx fut moult esbahy, et n'y éust cellui qui ung tout seul mot respondist. De quoy Charles commen- cha devant eulx tous à larmoyer : car lors lui souvint-il de Rolant, d'Olivier et de la chevalerie qu'il avoit en Raincevaulx perdue, h Or voy-je bien, beaulx si- « gneurs, ce fait-il, que plus n'y a de Rolant en mon hostel, je congnois que Oli- a vier est pardu, et croy que ma chevalerie soit morte, et que avecq s'en soit « vaillance fuie, quant sy hardi n'y a qui une cité que je me oblige à conquérir u et baillier ose prendre la garde contre les ennemis de nostre foy. Sy me soient n ainsy aidant Dieu et saint Denis, que jamais démon aage ne partiray de devant <( jusques ad ce que je l'auray mise en ma subjection : sy la tendrai en ma main, et, (( qui aura de moy afaire, il vendra icy de tous lespaïs à moy obéissans, voire si « je ne treuve qui de la garder se vueille entremettre. » Charles conunanda le siège lors, et fist-on illec dessence (sic) tentes, trefs et pavillons et autres choses propres à siège tenir. Sy devez savoir que mie ne furent les escuiers, variés et garchons de repos ; ains s'entremist ung chascun pour son maistre ou son seigneur appointier de logéis, et, quant le tref royal fut levé, lors manda CBàP. IX. '^ ANALYSE IfAlMERl DE NARBONNE. 9SS oublient la honte de Roncevaux et n'en rougissent npAKT.urA.ii. plus. Se coucher dans un bon lit, sans armes, tel est r Empereur ses princes, barons et chevaliers pour jurer le siège en leur pré- sence, et entre les autres avisa Gerart de Vienne ; sy lui dit : « A vous sui moult « tenu, sire Gerart, fait-il ; si vous vouidroie recompenser tellement que tousjours « péussions estre bons amb : je vous donne ceste dlé qui mie n*est de reffus, car « elle estoit en bon pays assise, près de la mer et en plaine terre ; si pourez par « icelle conquérir tout cestui païs et tenir en vostre main malgré tous les Sarasins « du monde. — Vostre mercy, sire, ce lui respondi Gerart, de terre ai-je assez « pour le présent, et se de plus en prendre m'entremettoie, ce me pouroit plus, « par adventure, tourner à dommage que à prouffit, mesmement que j'ay assez « afiaire à garder le mien dont il me souffist et doit souffire très-grandement, et m. comme racompte ung sage en proverbe notable disant en deux vers : t Le vray repos ne gist mie en l'avoir, ■ Mais seulement en souffîsance avoir. » Sy fut C3iarles plus dolant que par avant, et bien dit que, s*il ne treuveà qui la baillier, qu*il la conquestera et fera son palais faire, sa chambre dès illec ordon- ner, et sa propre demourance. Sy lui |)ouront tous ceux de son obéissance venir jréoir, se de lui ont aucun besoing. 11 regarda plusieurs autres princes auxquelz il fist comme il avoit fait et dit au dit Gerart. Mais tant estoient mattés de la gnem» que nul ne lui respondi ad ce qu*il disoit. Et lors vist Hemault de Beau- lande, lequel estoit assistant comme Tun des vaillans honunes de sa maison. « Et « vous, fait-il, Hemault, beau sire,ferez-vous conune les autres ? serez-vous de la « cité de Nerbonne reffusant? Je la vous otroie ; s*en vous ne tient et se me croyez, « vousn*en ferez mie reffus,car bien vousappertient et.croyque sur tous autres « et contre tous honmies la saurez bien défendre. — Pardonnez moy, sire, ce « respondi Hemault, je ne reffuse le don que vous me présentez, ne je ne le re- « tiens, et, se la raison voulez avoir de moy, vous savez que de vous tien-je la » dté avecq la terre de Beaulande qui costoie et marchist à Arragon et autres «c pais sarrasins, ou du moins ne sont mie encores si fermes que trop n*éussecon- « tre eulx à besongner, se trop m'avançoie d'entreprendre grant charge de terre « ou de quelque autre gouvernement que cellui dont je me suis tousjours entremis ; « et comme dit ung sage en notable proverbe par deux vers ainsi rimez : t II vauldroit mieulx à moyen estât tendre ■ Qne le trop grant toute sa vie attendre. • J'aime mieux, de ma part, tenir et garder ce que j*ay conquis, tenu et gardé « JQsquez à cy que tant embrasser à ung fais qu'il me convenist tout laissier chéoir « en ung tas; mais tant vous dy-je bien et respons que j'ay ung filz, grant damoi- « sel, puissant de corps et d'am [e] : s'en lui a bon courage, lequel je feray cy venir « présent vous, auquel vous octroierés, pffrerez et presenterés ce que moy et « piuiseurs autres ont reOiisé, et, s'il ne le reçoit, sachiés que,demon vivant, ne le « tendray à filz : c'est Aymery, lequel n'a point de terre, sy me semble que jà « ne la devra reffuser. » L'Empereur commanda faire venir Aymery lors, et il fax appelé. Et quant il fut devant, l'Empereur le regarda moult ententivement, £sant: • Vous estes chevalier, Aymery, fit-il, beaulx amis, et servi m'avez long- « temps sans ce que gaires ayés de moy amende. Je ne vueil nonpourtant vos « paines retenir, ainçois vous vueil à mon povoir recompenser, non mie pour t / > Hl ANALYSE WAIMERI DX I^ARBONNR. Il PART CHAP . uw^. n. tout leur rêve. Quant à Roland et aux douze pairs, — leurs âmes a sont dansles fleurs du Paradis », et les sur- vivants ne s'en soucient guère. H tous salaires, mais pour une fois seulement vous octroie ceste cité : par ainsi que « je la conquesteray et mettray France et nette en vostre possession, vous la gar- «' derez et tendrez de par moy et en mon nom s*U en est mestier. Et je tous <« promettray par saint Denis et [par] la couronne dont je fus couronné, de tous « la garandir, de vous secourir et faire tout ce que seigneur doit faire à vassal, n et mieux vous feray se ainsy le voulez acorder. » (Bibl. de TArsenal, B. L. F. 226, fo 223rM27 V».) 70 Le remaniement du manuscrit 1497 de la Bibliothèque impériale atteste une décadence bien plus profonde que le texte de T Arsenal. On y entend Charlemagne parler sérieusement de sa Chambre des Comptes et de son Parle- ment, etc. Tous les beaux mouvements de la Chanson primitive ne se retrouvent . plus dans ce refazimento, non plus que dans le précédent. On y a supprimé : « Allez- vous-en, Normands et Angevins, » etc. Tout a été amolli, efféminé, défiguré. On s'en convaincra aisément en lisant le fragment suivant que l'on comparera avec le passage correspondant du ms. 226 : « Comme Charlemeine se fut du païz d'Espaigne départi pour s'en retourner en France, par k conseil des nobles el gentils hommes qui demourez lui estoient, lesquieulx estoient lassez de guerre et requeroient surtout le repos pour leur corps aissier, que pie^ n'avoient fait, il chevaulcha tant sans faire long devise* ment de ses journées et adventures que il aproucha le pals de Prouvence, le- quel sciet ausques près de la terre de Languedoch que Sarasins tenoient pour lors et d'ancienneté en avoient jouy et possédé. Et pour ce chevaulchoieot les Crestiens qui celui paîz ne povoient bonnement éviter le plus diligemment qu'ilz pou voient, et le plus loings des villes et citez d'icelluy païz, pour le dan- gier des païens que il ne queroient jà encontrer pour lorz. Mais si celéement ne autrement ne le scéurent faire ceulx qui les guidoient et conduisoient, que Charlemeinne, qui le domage que les païens lui avoient fait en Raincevaulx ne povoit oublier, ne véist et apercent à costé, en chevaulcbant triste de cueur et doUoureux, une cité grant, belle par semblant, forte et richement bataillie et enforcée, séant en beau paix ausques près de mer. Sy se arresta lors tout quoy pour la regarder et montrer à ses princes ausquieulx il demenda quelle cité es- toit, et se elle estoit en son demeure (sic) ou non. Or chevauchoit assés près de lui à icelle heure *l* chevalier nommé Guinemer, lequel avoit autrefois travercé par là et bien savoit le païs, qui lui répondi : « Ceste cité dont vous demandés est n Nerbonne nommée, sire, fet-il. Mais tant est forte de soyet de Sarrasins peu- « plée et de grant richesse garnie que en ces marches n'avilie ne cité qui à elle ce « puisse ne doie comparer. Sy vous dy bien tant que qui n'auroit cy endroit ausques « ou trop à faire,il ne s'i fait mie bon longuement tenir. Pour ce est-il bon d'aler « le nostre chemin que Sarrasins ne puissent nostre train et nostre convenoe « aparcevoir.» Dieux 1 comme fut dollant Charlemeine,qui sur tous les princes du monde estoit d'honneur, de proesse et de chevallerie renommé, et qui oncqoes mais n'avoit eu paour de Sarrasin ne d'aultre qui qu'il fust, quant il entendi le chevalier Guinemer qui de soi arrester là en droit l'avoit blasmé ! 11 lui souvint de RoUant 5on nepveu, de son coropaignon Olivier, et des vint mil chevaliers ANALYSE ^JIMJSRJ DE NARBONNE. ^6 Charles revient d'Espagne^ tête basse et les yeux en itpabt. uvi. n. pleurs. qu'il airoit laissiez occire et decopperen Raincevanlx par la trahison que firent Guennelon et Marcille d'Espaigne. Sy se prist à plourer lors. . . Et quant il fut apaisié et que il péust ausques parler, il tourna de rechief ses yeulx vers la cité, et dist en la regardant : « Trop sui en mon couraige desplaisant, beaux « seigneurs, fet-il, de ceste cité qui tant sciet en beau païz, qui tant est forte, « comme l'en dit, qui tant est peuplée de Sarrasins et où tant a de richesses, « quant ainsi la nous convient eslongner et la issier derrière nous et si près de noz •I marches, que trop noz pourroit en aultrui temps damagier. Et moult pour- « roit [avoir] grant prouf&t et tout cestui [pais] couquester par elle, qui la pouroit « avoir par siège, par engins ou par force. Si vieogne avant, pour la demander, « qui aura le cueur si vaillant de la tenir quant je l'aurai conquestée. Car, par « saint Denis qui est le vrai roy et patron de France, et auquel lieu je désire ■ moult aller- comme pèlerin, jamais de cestui païs ne sera le mien corps parti « ne eslongnié tant que j'aurai la cité de If erbonne véue de près et assegie et x« prise par force, se par amour ne veuillent ceulx qui sont dedans à moy « obéir. » Si furent de ce seurement tous les François plus dollans qu'on ne sauroit le dire ne racompler.... Car chascun de eulx estoit si las de pêne, de travail et de grant meschief qu'il avoient eu en Espaigne qu'il n'y avoit celui qui ne desirast le repos... Si regardoient les nobles barons l'un l'autre, en fai- sant chiere ma[rr]ie, ne il n'i avoit celui qui, pour la cité avoir eu don ne en garde de par lui, se osast de la demender avancer ne ingérer. Et quant Charle- meine rist que cbascun se taisoit, il prist à son nepveu et à ses bons chevaliers qu'il avoit perdus en Espaigne à regreter moult dolantemenl, et dist comme par manière couroucée et sans nulle fixion : « Hay ! Rolans, fet-il, dont Dieu ait « Tame, comment ton absence m'est au jour d'hny damagable, et la mort de toy • et de tous mes barons peu proufGtable et trop nuisible ! Certainement je puis « dire que du milleur grain qui fust en ma granche ne m'est demouré que « la paille.... Mais je promet à Dieu que jamais ne feray aultre chosse tou- • chant fait de guerre, ne de païs ne partiray, si l'aurai à mon plaisir et à « l'aide de Dieu conquestée. Et, se nul ne se avance pour la repcevoir, si la « tendray-je en sia main , qui que me conseille le contraire, et y ferai mon « séjour pour tout le païz d'environ conquérir et mettre à l'usaige de la foy « crestienne. Sy y ordonneray mon estât, mon Parlement et ma Chambre des • Comptes comme à Paris. Par ainsi, qui que de moy aura besoing, il me « pourra icy trouver à séjour. » Sy furent lors tous plus esbahis que par avant. En la compaignie de Charlemeine avoit plusieurs princes de grant renom, comme çà après le devisera l'istoire, lesquieulx l'Empereur regarda ententi- vcment. Si apercent entre les aultres Gérard de Vienne, filz du duc Garin de Monglenne. Et il quant il vist, il l'appela pour ce, que la terre n'estoit mie longtainne de son pais, et lui dist : « Youldrés-vous point accepter l'onneur ■ de Nerbonne, sire Gérard? » fet-il. Si lui repondi Gcrard le Viennois : « De « ce vous dy-je grans mercys, sire, fet-il ; car, tant qu'à moi, je suy prouvéu « du bien de vous, et tiens Vianne et tout le pais qui est ausques joignant à ■ cestuy et voisin d'un costé de si près, que ai assés à faire à le garder; et « Nerbonne est si grande chose que quiconques en aura la garde il se peut m. 15 CBAP. IX. CHAP. IX. 226 ANALYSE h'^IMERi ^jfAKBONNE, iipABT. LivR. II. Tout à coup, les yeux de l'Empereur se sont fixés dans l'espace. Qu'a-t-il donc aperçu du haut de la n séurement vanter de non jamais faillir à guerre. Si conseille que la doonés à « ung aultre qui mieulx la gardera par aventure que je ne sanroie ou pourroie (( faire, atendu que je n*ay de charge que trop, et tant que bien me suffist tant « qu*à présent. » Et quant TEmpereur entendi Gérard qui se excusa en telle manière, vous devés savoir que il ne fut gueres joieux. Sy regarda ci et là et vist plusieurs chevalliers et seigneurs ungs et aultres, ausquieulx il offry la cité, voire en soi arguant à soi mesmes du reffuz que chascun en faisoit, car il n*^ avoit qui en vousist recevoir le don. Et quant il éust scéu sa voUenté des plusieurs, il jura lors pour tierce fois que jamais ne retoumeroit en France jusques ad ce que elle seroit par lui prise et conquestée. Et dut que, s*il ne la trouvoit à qui baillier, il mesmes y feroit son lieu et demourance et ung palaix édifier, pour faire droit et raison à ceulx qui de lui auroient à besoing. Entre ses premiers chevaliers et barons apercent Charlemeine le duc Hemault de Beaulande : si l'appella en disant : « Yostre est ceste cité, sire duc de Beau- •c lande, fet-il, se vous ne la reffusés : car bien say qu'elle sera en vous bien « emploie. Or la repcevés et m*eu faittes présentement hommaige affin que je a voise mettre le siège devant, car pour tout l'or de ce monde je n'en paiju[re]roie « le serment que j'en ai fait. » Et quant Hemault, qui bien cognoissoit Charle- meine, savant que là les convenoit demourer, entendi l'offre que il .lui fait, et que il avoit fait à son frère Gérard de Vianne et à plusieurs aultres seigneurs, nobles et vaillants hommes, pour la terre justicier et gouverner et deffendre, il lui respondi assés courtoisement : « Sans terre et sans guerre ore sui-je « mie, sire, fet-il; et bien savés que je tiengs laseignoriede Beaulande qui sciet « vers les marches d'Aragon, où les païens sont, qui tant me donnent à besoigner « et souvent, que moult enviz pourroie cestui païs et cestui-là garder en pahi. X Mais d'une chose vous contemplerai, ce croire me voulez. J'ai ung beau filz •< grant, grox, jeune, apertet legier, qui Aymery se fait nommer, comme bien « le savez. Celiui sçait les tourz de la guerre, car il a frequanté et converti longue- « ment en vostre compaignie, et a esté avecques moi en cestui voiage pour vous « servir comme les aultres jeunes et nouveaux. Je le ferai venir devant vous s'il <* vous plaist, et lui donnerés ceste terre avecques la cité de Nerbonne, dont il « vous fera hommaige par mon conseil, presens vos barons, devant lesquieulx je « le renoncerai à ûlz et à linaige s'il en est reffusant. » Moult fut joieux Charle- meine quant Amault lui parla ainsi du sien (ilz Aymery. Il lui commenda qu'il le féist venir lors, et si ûst-ii... Et lors lui dist Charlemeine assés courtoise- ment... « Sy veil, pour vostre non acroistre, que ceste cité soit vostre et que « vous la reteniez et recepviez de moy ; car je la vous octroie en pur don, par M ainsi que vous m'en faciez icy présentement hommage devant mes hommes. » Ajrmery... respondi lors en soubzriant : « Vous me donnés poisson qui n'est « mie encore peschié, sire, fet-il; mais je le repçois nonpourtant et vous en « mercie assés de fois, en faisant proumesse à Dieu et à vous que jamais nedor- « miray ne choucheTS^ sans le haubert que j'ai en mon dos jusques à ce que je « aurai le castel conquis. » Et à cesparolies en a fait hommage à l'Empereur et, presens sou i)ère Amault, son oncle Gerart de Vianne et tous les barons qui là estoient, le baisa en la bouche, dont Emault, le sien père, fut si joieux que merveilles. » (B. I., fr. 1 i97, fo 2 v»— 4 v».) ^' V CHAP. II. ANALYSE iy^l/fi$ltJ DE NARBONNE. 227 colline? Dans la belle lumière du Midi, une ville n pabt. ut». n. splendide, immense, se détache sur Thorizon et appa- 8» Nous avons dté dans notre tome II (pp. 101 , 102) le Mariage de Roland ^ de Victor Hugo. L'auteur de la Légende des siècles s'était proposé, dans ce petit poëme, de traduire un des plus beaux passages de Girars de Fiane : dans son Aymerillot, il a inuté de main de maître le début de notre Aimeri de Nat" bonne, et nous renvoyons volontiers nos lecteurs à ce chef-d*(Kuvre qui les dé- dommagera de tant de platitudes contenues dans les refazimenù du quinzième siècle. Nous nous contenterons d'en donner ici quelques vers et prendrons soin, comme pour le Mariage de Roland, de marquer en italiques les tons faux ou les notes fausses qui sont trop en désaccord avec notre antique Chanson : L*Empereur fit le tour de tous ses capitaines; n appela les plus hardis, les plus fougueux. Us refusèrent tous Alors, levant la tête. Se dressant tout debout sur ses grands étriers , Tirant sa large épée aux éclairé meurtrière. Avec un âpre accent plein de sourdes huies. Pâle, effrayant, pareU à Vaigle des nuées. Terrassant du regard son camp épouvanté, LUnvincihle empereur s'écria : « Licheté 1 O comtes palatins, tombés dans ces vallées. O géants qu*on voyait debout dans les mêlées, Devant qui Satan même aurait crié merci, Olivier et Roland, que n*êtes-vons ici ! Si vous étiez vivants, vous prendriez Narbonne. Paladins 1 Vous, du moins, votre é|)ée était bonne, Votre cœur était haut, vous ne marchandiez pas. O compagnons couchés dans la tombe profonde. Si vous étiez vivants, vous prendriez le monde 1 Grand Dieu 1 que voulez-vous que Je fosse à présent ? Met yeux cherchent en vain un brave au cœur puissant. Et vont, tout effrayés de nos immenses tâches. De ceux-là qui sont morts à ceux-ci qui sont lâches. Je ne sais point comment on porte des affronts: Je les Jette i mes pieds, Je n'en veux pas 1 Barons, Vous qui m*avez suivi Jusque cette montagne, Normands, Lorrains, marquis des marches d'Allemagne, Poitevins, Bourguignons, gens du pays Pisan, Bretons, Picards, Flamands, Français, allez-vous-en 1 Guerriers, allez-voos-en d'auprès de ma personne, Des camps où Von entend mon noir clairon qui sonne. Rentrez dans vos logis, allez-vous-en chez vous, Allez-vous-en d'ici, car Je vous chasse tous 1 Je ne veux plus de vous : retournez chez vos femmes. Allez vivre cachés, prudents, contents, infâmes ! C'est ainsi qu'on arrive à Vâge d'un ctleul. Pour moi. J'assiégerai Narbonne à moi tout seul. Je reste ici, rempli de Joie et d'espérance I Et quand vous serez tous dans notre douce France, O vainqueurs des Saxons et des Aragonais , Quand vous vous chaufferez les pieds à vos chenets^ Tournant le dos aux Jours de guerres et d'alarmes, Si l'on vous dit, songeant à tous vos grands faits d'armes 328 ANALYSE h^AIMERI DE NJRBONNE, II PART. uvB. II. paît, radieuse, aux yeux de Tarmée française. Elle a CHAP. IX. ' ^ ' «^ * une riche enceinte toute crénelée, ses murs sont hauts, vingt-trois tours la défendent. Au centre de la cité s'élève un palais dont les toits reluisent au soleil, et sur le faite éclate, comme un astre, une escarboucle qui suffirait à éclairer les habitants pendant la nuit. Les pieds de cette ville charmante sont baignés par ^ / la mer qui lui amène mille dromons chargés des marchandises du monde entier. C'est une activité merveilleuse, c'est un coup d'oeil incomparable. Ja- mais, jamais Charlemagne n'avait encore vu de cité aussi belle. Alors il relève la tête, alors il essuie ses lar- mes, et, d'un front très-fier, ses narines dilatées par le désir : « Je veux cette ville, et je l'aurai, » s'écrîe-t-il '. I^ duc Naimes, comme on le sait, représente l'ex- périence auprès du trop pétulant Empereur, auprès de ce Charles qui avait encore le cœur jeune à cent ans. Mais l'expérience est sans enthousiasme; elle ne se passionne pas, elle ne s'aveugle point. Aussi le vieux Bavarois essaye-t-il d'apaiser l'oncle de Roland : a Cette cité est trop forte ; elle est défendue par des a milliers de païens. — Non, non, reprend Charles, je u veux cette ville, et je l'aurai. — Ayez pitié de vos a barons, ils sont si las! — Je veux cette ville, et je « l'aurai. — Vous n'ignorez pas que sous cette ville Qui remplirent longtemps la terre de terreur : I Mais oh donc avez-vous quitté votre empereur T » Vous répondre!, baissant les yeux vers la muraille : # ■ Nous nous sommes enfuis le Jour d'une bataille, ■ Si vite et si tremblants et d*an pas si pressé ■ Que nous ne savons plus oii nous Pavons laissé I > Ainsi Charles de France, appelé Charlemagne, Exarque de Ravenne, empereur d'Allemagne, Parlait dans la montagne avec sa grande voix : Et les pâtres lointains, épars au fond des tfois. Croyaient en l'entendant que c'était le tonnerre > Aimeri de Narbonne^ B. L, ms. fr. 1448, P* 41 vo et 42 r*. La Chanson commcDce (f» 4 1 r») par un méchant prologue qui a été sans doute ajouté CHAP. IX. ANALYSE D'jélàfEBI DE NjtRBONNE. 229 a étrange sont des souterrains immenses qui abou- n pabt. litb. n. u tissent à Saragosse, à Orange, à Toulouse. — a J'aurai cette ville. Quel est son nom? — Narbonne * . » Charles s'entête dans son désir; mais il ne veut pas se charger lui-même d'une entreprise aussi rude, et cherche dans les rangs de ses barons celui qui aura l'insigne honneur d'assiéger et de prendre Narbonne. Naimes est trop vieux pour accepter cette offre, et, d'ailleurs, il faudrait un an pour venir, dit-il, à bout de cette entreprise^. Mais Dreux de Montdidier passe alors auprès du roi : « Tenez, Dreux, je vous donne « Narbonne. — Non, Sire, reprend le baron, je vais fc aller me faire baigner et ventouser. Il y a un an '< que je ne me suis couché sans mon haubert dou- a blier. Donnez Narbonne à d'autres^. — Eh bien! dit « l'Empereur à la barbe fleurie , c'est à Richard de « Normandie que je ferai ce beau présent. — Non, « répond Richard, j'ai la chair blanche de fatigue çt Chablbm AGNB DEVANT Narbonnb. {Traduclion littérale.) [Après Ronce- vaux] Charlemagne revint au riche pays de France. — Triste et colère, comme bien vous le croyez. — Et les Français revinrent avec lui ; et chacun d'eux se lamente. — Ils ont bien Tapparence d'hommes que la douleur travaille rudement. — L'Em- pereur chevauche devant tous les siens — Sur un mulet de Syrie. — Il pense aux douze pairs, et de là sa tristes.^e. — Il adresse à Jésus-Christ une ardente AiALYSE h'MMERi DE NARBOSWB, 333 II PAIT. UVIU II. CHAP IX, II. Charles, tout joyeux d*avoir enfin trouvé un homme parmi ses chevahers : ce Français, Flamands et Ber- prière pour leurs âmes, — Afin que Dieu leur donne place dans la vie qui ne finit pas : — « Ah ! beau neveu Roland, puisse votre Ame être sauvée, — Et « avoir au paradis la vie qui ne finit pas ! — Mais moi, que dirai-je tout i « rheure au riche pays de France? — Que dirai-je à Saint-Denis, la maîtresse « abbaye? — Car je vais y trouver réunis tous mes chevaliers, — Et ib me « demanderont des nouvelles de la grande baronnie — Que j'avais avec tant « d'empressement conduite en Espagne. — Que leur répondrai-je, ô dame « sainte Marie, — Si ce n'est ces seuls mots : Vaincue, morte !» — « Sire, dit « Naimes, ne parlez pas aussi follement : — Une telle douleur ne vaut pas une « ailiie, — Les comtes sont morts , vous ne les ressusciterez pas. — Tout cela est « Toenvre de Ganelon que Dieu maudisse. » — « Cet homme, dit Charles, a « déshonoré la France. — Quatre cents ans et plus après ma vie — On fera « encore des chansons sur ma vengeance. » — Alors ils laissent le parler et suivent leur chemin, — Charles avec tous les siens. Grande fut la douleur dont je vous parle, — La douleur des vassaux et des barons. — Cependant, avec tout ce qu'il a pu ramener de son armée, — Charies s'en revient. — Notre Empereur a descendu un tertre — Et, comme il va en gravir un autre, — Il presse le pas de sou cheval — Et se prend i jeter son regard vers sa droite. — Entre deux montagnes, près d'un golfe de la mer, — Sur une montagne, il aperçoit une ville — Que les Sarrasins ont fortifiée. — Elle est bien close de piliers |et de murs. — Aucun homme n'en a jamais vu construire de plus forte. — Nos Français y voient les arbres qui se balancent au souffle du vent ; — Il y a là des ifs et des érables à foison ; — Et il n'est pas de plaisirs comparables à ceux qu'on y voit. — Vingt tours sont là, en pierre de liais toute claire, — Avec d'admirables créneaux. — Dans tout le monde, il n'y a pas si grand parleur — Qui ne dût employer tout un jour d'été — S'il voulait décrire complètement toute cette construction. — Et ce sont les païens qui ont aussi fortifié la maîtresse tour. — Les cré- neaux en sont scellés à plomb ; — Jusqu'à la hauteur de ces créneaux, un grand arc est jeté. — Et sur le faite du palais principal — On a placé une escarboucle -» Qui flambe et jette une lueur brillante — Comme le soleil qui se lève au matin. — Par une nuit obscure (et c'est la pure vérité) — On la peut voir de quatre lieues. — D'autre part est la grève de la mer — Qui amène aux habitants tout ce qu'ils peuvent désirer. — Dans les grands dromons qui abordent sur celte rive — Les marchands entassent mille trésors — Dont ils pourvoient surabondamment la cité. — Rien de ce qu'on peut souhaiter, rien ne manque à cette ville, — Rien de ce dont ou peut avoir besoin pour se faire honneur. — Chariemagne se prend à contempler la cité, — Et à la convoiter fortement dans son cœur. — U appelle alors le duc Naimes. — « Beau sire H Naimes, dit Charles le baron, — Dites-le moi bien vite et ne le cachez pas, — tttaqoe et prise de Narbonne par l'armée française. Exploits d*Aimeri qui, après le départ de Chariemagne, reste seol dans la ville conqobe. Î34 ANALYSE W AIMER! DE N. 4 R BONNE, iifMT. Lnri.li. E SARBONNE. 237 se soucie guère de se livrer à ces joutes stériles. Sans " 'art. ufiu n. ^ ■* CHAP. IX. attendre les ordres de l'Empereur, il sort du camp et « Votre enseigne, au besoin, est la première dans la bataille — Et je dois Tavoir « la première. — Jamais tous n'avez manqué à votre foi envers moi : — Pre- « nez Narljonne et toute la contrée ; — Vous les tiendrez de moi ... — Et, « s*il plait à Dieu, cette gent perfide — N'en aura plus la valeur d'un osier. » — Naimes Tentend, et lui répond par ces fières paroles .: — « Ne me deman- « dez point cela, droit Empereur, — Je veux m'en aller là-bas dans mon pays. « — Depuis que je suis parti de mon palais de Bavière, — Je n'ai pas été un « seul mois sans porter la broigne aux doubles mailles, — Sans avoir l'épée au « c6té et la coëffe lacée en tète. — Ma gent que j'aimais tant, ma gent est « morte. — De trois cents hommes que j'avais sous ma bannière — Je n'en ai « pas cent qui ne gisent en bière. — Ce peuple misérable, les païens, les ont « tués. — Et vous m'offrez maintenant cette riche cité. — Mais , sachez-le « bien : de quelque façon que ce soit, — Quelque prière qu'on me fasse. Je ne « la prendrai point. — Donnez-la à quelque autre à qui elle convienne davan- « tage : — Elle ne sera jamais à moi. » K Avancez, Anséis de Garthage : — C'est vous qui tiendrez Narbonne et « son maître-manoir. — Vous êtes chevalier d'un courage éprouvé : — Vous « en garderez les ports et le rivage, — Pour que la maudite gent sauvage « n'y puisse plus pénétrer. — Et, si les Sarrasins viennent vous y assiéger, « — S'ils vous y font quelque dommage ou vous y causent quelque terreur, — « Envoyez-moi chercher par un messager. — Quel que soit le vent, quelque « temps qu'il fasse, je ne manquerai pas — De vous secourir, tout aussitôt, avec « mon baronnage. » Quant Anséis l'entend, il pense devenir fou de colère : — « Droit Empereur, enlendez ma pensée; — Vous voulez, sage et juste Empereur, *■ — Que je reste dans la terre sauvage. — Par la foi que je vous dois, ce sertit « folie, — Si j'allais quitter ma terre et ma maison, — Où je ne trouve personne « qui me fiuse le moindre dommage. — On dirait avec raison que j'ai la rage « au corps. — Si je restais à Narbonne , — J'y serais vraiment comme un oi- « seau en cage. — Maudit soit un tel pays ! » Notre Empereur se prit lors à pleurer — El à regretter son neveu Roland, — Ainsi que ses barons qu'il avait tant aimés : — « Ah ! beau neveu, dit « Charles, quel malheur pour moi de vous avoir vu mourir ! — Jamais plus ne « pourrai retrouver un tel ami. — En qui pourrai-Je désormais me fier ? Je n'en « sais rien. — C'est en ce besoin, hélas ! que je puis bien en faire l'épreuve.» — Ainsi dit Charles, tout entier à sa colère. — Et il recommence à faire offre de Narbonne. — 11 la propose de nouveau à Doon de Monlcler — Et à Girart de Viaoe, le baron. — Pas un, pas un ne le veut écouter, — Parce qu'ils ont trop peur des païens d'outre-mer. — Ces nouveaux refus accablent Chariema- gne : — 11 ne sait plus à qui donner la ville, — Si ce n'est à Hemaut de Beau- landc-sur-mer, — Le noble comte. — Le roi se mit à l'appeler — Et lui offrit Narbonne. « Beau lire Hemaut, dit Charles au fier visage, — Je tous prie d'acceptei « Narbonne, — Par telle convention que vous m'enverrez un message, Si « les païens et les mécréants vous y attaquent. — Alors je vous secourrai^ et tr 4- 238 ANALYSE YfAmERl DE NARBONNE, II PART. Livi. r. se dirige versNarbonne avec cent nouveaux chevaliers. CHAP. IX. O —^-^—^ Sur leur chemin, ils rencontrent cent païens : « Tant a mieux, tant mieux, s'écrie Aimerî; il y a trop long- ce temps que je désirais les combattre! » Avec plus de courage que de prudence, il se jette sur eux et les met « nombre de chevaliers avec moi. )> — n Par Dieu, sire, dit Hernaut le guer- n lier, — Je suis vieux et frêle, et ne peux plus me servir moi-même, — Ni n porter armes, ni monter sur destrier. — Je ne saurais plus aujourd'hui mener n une guerre, — Et c'est pourquoi je ne puis me charger d'une si grande terre. n — Celui qui aura Narbonne à justicier — Aura maints forts assauts, maintes n grandes batailles, — A endurer et à souffrir. — C'est à un jeune damoiseau» te à un vassal agile, — Qu'il vous conviendrait de donner cette ville. — Celui-là du « moins sera en état de supporter une guerre, — De confondre et mettre en « pièces les païens, — De les mater enfin au fer et à Tacier. — Voilà Thomme « qu'il faut pour justicier Narbonne. — Je ne veux pas vous le cacher : si elle (c n'est pas aux mains d'un baron — Qui soit puissant et de fier lignage, — Il « ne pourra tenir la terre ! » Quand Charles voit que tous lui font défaut, — Et ne veulent pas être mis en possession de Narbonne, — II regrette vivement Roland, son bon ami, — Et Olivier, son hardi compagnon, — Et les barons que Ganelon a vendus. — « Beau neveu, dit-il, puisse Dieu qui jamais ne mentit, — Avoir pitié et merci ' ( C'est alors quAlmen de Beau-' lande se propose et prendla ville : B. I., 1448, f» 41, v© — 44 v») ANALYSE IfAlMERI DE HJRBONNK, 239 en fuite; puis, entraïué par sa jeunesse, il les poursuit et va peut-être les atteindre, lorsque tout à coup il s'aperçoit qu'il est arrivé aux portes de la ville et qu'on vient de les refermer. Furieux, il s'en prend aux portes elles-mêmes, les secoue, les frappe à coups d'épée : « Ouvrez, ouvrez, dit-il, et livrez-moi le maître-don - « jon : Charlemagne m'en a fait présent. » Les Sarra- sins ne se rendent pas à cet argument naïf, et laissent notre héros sous ces murs dont il ne pourra pas si aisément se rendre maître. Aimeri rentre au camp presque honteux '. Cependant, dans la cité de Narbonne, les païens ne sont pas aussi assurés qu'ils le paraissent. Un bruit ter- rible a circulé par toute la ville : « C'est Charlemagne a qui nous assiège. » Et tous les Narbonnais répè- tent en tremblant : « C'est Charlemagne ! » Ce seul nom-là était fait pour prendre des villes. Les rois sar- rasins s'assemblent, et il est décidé que deux d'entre eux iront sur le champ demander du secours à l'ami- ral de Babylone. Desramé et Beaufumé, qui sont choisis pour ce message, s'engagent aussitôt dans les mystérieux souterrains que Naimes avait signalés à l'Empereur ^. Quant à Charles, il ne perd plus de temps, et appelle ses engineors : « Faites-moi, dit-il, « un beffroi aussi haut que les murs de Narbonne. » Mille charpentiers se mettent à l'œuvre, et la machine énorme, rapidement achevée, est roulée contre les 'murs de la forte cité. Puis, l'assaut est donné ; il est horrible. Les Français sont repoussés, mais reviennent à la charge; repoussés une seconde fois, ils se précipi- tent de nouveau sur les païens qu'ils massacrent. « Je « resterai ici sept années, s'il le faut, dit Charlemagne, > jâimeri de Narbonne, f<» 45 v», 46 r« el v». — » F» 46 ▼* et 47 r». II PART. UVR. II. CUAP. IX. eHAP. IX. 240 ANALYS&9^Wl|yr/ DE NARBONNE. • II PABT. LivR.ii. tf mais je prendrai la ville. » La bataille recommence. ' On entend les hurlements des Sarrasins, le sifiQem^Qt des pierres que lancent les machines, le râle des mou- rants. Les murs de Narbonne sont teints de sang '. Pendant ce temps, Âimeri s'est mis à la tête de cent barons : vingt d'entre eux sont armés de haches et brisent les portes de la ville. Ils entrent comme un orage dans Narbonne épouvantée, ce Mahomet! Maho- a met ! » s'écrient les païens que va couper en morceaux l'épée d'Aimeri. Us s'enfuient, ils courent, ils se heur- tent, ils s'écrasent, ils se réfugient dans le palais prin- cipal. Mais Âimeri les suit, les frappe, les taille, les tue, et se rend maître de ce palais qui est leur dernier refuge. C'est alors que le fils d'Hernaut monte au sommet de la plus haute tour ; c'est alors qu'il em- bouche son cor dont il sonne lentement. Tel devait être le signal de la victoire. Charles entend ce son qui lui entre délicieusement dans l'oreille. Il accourt. Dieul quel butin ! que d'or, que d'argent! Quels sont ceux qu'on emmène là bas et qu'on va jeter en prison? Quoi! ce sont les rois sarrasins! La victoire est donc complète? Oui, certes, grâce au courage d'Aimeri, elle est entière, et les Français sont maîtres de Narbonne *. L'Empereur en croit à peine ses yeux. Vite, vite, il faut christianiser, il faut baptiser en quelque sorte cetle ville que la présence des Infidèles a déshonorée. Les vainqueurs entrent dans les syna- gogues et y renversent les statues de Mahom« Puis, on bénit aussitôt un beau moutier, et, sans plus attendre, on y établit un nouvel archevêque. A qui consacrera- t-on cette nouvelle église, improvisée en si peu de temps? A saint Pol, premier apôtre de Narbonne. Et « jilmerî deNarbonne, (• 47 r* et \<». — > F« 47 v<» el 48 r». ANALYSE D'JLyE^i Mê0ÀRBONNK. ^41 TEmpereur offre pieusement à la vénération des " paît. livb.ii. chrétiens le bras de ce Bienheureux qu'il avait apporté d'Espagne. La première messe est célébrée dans le temple nouveau ; le fils de Pépin et ses barons font les plus riches offrandes; marcs d'argent et be- santsd'or pleuvent aux mains des prêtres; il n'y a plus un seul infidèle dans tout le pays, la joie est partout, et Charlemagne s'apprête a retourner en France '. (f Kc craignez pas les païens, dit-il au comte Âimeri a qu'il abandonne à ses nouvelles destinées. — Moi, « les craindre! répond le jeune vainqueur. N'ai-je pas « Roland à venger et Roncevaux à faire oublier? « Partez, sire, parlez : je saurai conserver Nar- cc bonne conquise. » Le Roi s'en va, et ne laisse que cent chevaliers au nouveau comte. Et voilà que déjà l'on aperçoit dans le lointain l'armée française qui s'éloigne, et va disparaître à l'horizon.... Aimeri reste seul *. IIL Pendant qu'il organisait « à la chrétienne » sa belle conquête, Âimeri apprit la mort de son père, le vieil Hernaut, et de la bonne comtesse sa mère. Il les pleura, et fonda une abbaye pour le repos de leurs âmes^. Puis, il songea à se marier. Ses chevaliers, depuis longtemps, le pressaient d'en finir et de prendre femme; mais le comte de Narbonne était difficile. Il cherchait une dame qui fut à la fois sage, belle et de haut parage. Quand les barons de Narbonne eurent bien jeté leurs regards sur tous les points de la chré- ' Jimeri de Narbonne^ fo 48 i"*. — » F» 48 r® et >«. Le poète dit qif Aimeri , i qui le Roi u'avait laissé qu'un si petit nombre de chevaliers, se fit néanmoins itidouter jusqu'à la mer betée. — ^p© 48 v°, 49 r«. ui. 16 Mariage «r Aimeri avec Ilernieiigarde, » rible mêlée commence, et les Germains ne tardent pas à s'apercevoir qu'ils ont commis une grave impru- dence. Ils ont contre eux toute l'élite de la France, toute la fleur de la chevalerie. Ces Français sont ef- frayants à la bataille : « Ce sont de vrais diables, » dit • Savari, qui perd la tête et s'enfuit dans la ciVe'd'Auver- « Aimeri de Narhonne, f« 50 \». M. P. Pari» {Histoire littéraire, XXII, p. 464) a traduit avec raison GodecUelespe par God euch helpe (Dieu nous aider). CHAP. II. 244 ANALYSE D'JIMEFI DE N.4RR0NNE. " ^r«!o".V*'"' 8"®* Quant aux Narbonnaisy ils essuient leurs armes, et continuent placidement leur chemin. Peu de temps après, ils faisaient leur entrée dans Pavie ^ Notre poète s'est montré fidèle à la vieille tradition française qui s'est toujours plu à représenter les Lom- bards comme un peuple de trembleurs et de poltrons. A peine le bon roi Boniface a-t-il aperçu les Narbon- nais qu'il est pris , lui aussi , d'un tremblement irrésistible : n Ils sont armés! » dit-il, et il fait fermer devant eux les portes de la ville. Cette prudence ex- cessive déroule les messagers d'Aimeri : a II a peur de a nous, s'écrie Girart qui a quelque envie de rire. ... Ne a craignez rien, dit-il au successeur de Désier; nous c( sommes de pacifiques ambassadeurs, et ne réclamons a que le droit de coucher à Pavie durant une nuit. « Boniface leur accorde, non sans quelque témérité, cette permission exorbitante; même il les invite à diner, en tremblant. Mais les autres : « Nous sommes a assez riches, répondent-ils fièrement, pour n'accepter a l'hospitalité de personne ! » Cette fierté par trop fran- çaise irrite le Lombard qui se résout obliquement à affamer ses hôtes. H mande tous les boulangers, tous les sauniers, tous les taverniers de sa ville, et leur recommande paternellement les Français : Vendez- « leur, au prix de deux sous, ce qui ne vaut que « deux deniers. » Ces honorables marchands s'y rési- gnent sans trop de peine : « Sire, fonhils, par les « sains de Poitiers, — Cest bons nos est à faire moult « lei^iers'^. » Les pauvres gens! ' Almeii de Na bonne ^ f» 51 r° el v». — * F" j2 \«-ô3 \^. Quand les Français refusent Tinvilalion de Boniface, ils le font en termes fort orgueilleux : «t Car u iretuit Sûmes riche baron et [»er... — Nos a fait Dex plus d*avoir conquester a — Que ne poroient .XXX. sommiers mener. — Tant en ferons et dépendre et « doner — Que li pins povres s'an pora bien loer. » C'est alors que le roi lom- bard fail venir « ses boiangiers, — Et tus lesfcvres et tos les^averuiers, — Ceus ANALYSE YTÀIMERI DE NARBONNE. 245 Et, lorsque les Français voulurent, ce jour là, faire " »'A"- "^n-". leurs provisions de table, on leur vendit un ours cent ^ marcs d'argent (!), un cerf trente livres (!), une poule dix sous (!1), et ils ne trouvèrent pas une perdrix qui valût moinsd'un mangon. Néanmoins, en vrais Français, ils firent contre mauvaise fortune bon cœur, et ache- tèrent en riant toutes les denrées de la ville. Ce jour- là, les habitants de Pavie firent pauvre chère. « Qu'on a ne vende plus de bois à ces prodigues, » dit alors le roi des Lombards. Les messagers d*Aimeri ne se lais- sèrent point déconcerter, et achetèrent alors tous les hanaps sculptés qu'ils rencontrèrent dans le pays : ils en allumèrent le feu de hurs cuisines. La flamme monta si haut, si haut, qu'elle faillit incendier toute la ville, et Boniface cette fois trembla jusqu'à la moelle : « Il faut à tout prix, dit-il, nous débarrasser « de ces importuns » Et, sans plus tarder, il leur donna audience '. Devant le roi de Pavie tous les messagers d'Aimerî paraissent en même temps. Ils ont revêtu leurs cos- tumes les plus brillants, afin de faire honneur à Nar- bonne et à la France. Ils sont splendides, et les plus vieux paraissent jeunes. Hugues de Barguel une prend la parole : « Nous sommes tous marquis et comtes, dit- « il avec orgueil. Aimeri par nos voix vous demande « Hermengarde. 11 lui donnera pour douaire le Bis- et quarrel, le Beaulandais, le Narbonnais et d'autres « encore. Mais si vous nous refusez, malheur à vous ' ! » Le roi qui pâlit va trouver sa sœur, andous ses bras qui fain vendent et tos les sauniers, — Sous qui char vendent et avoc les mer- deriy — Les peletiers et tos les cordooniers, — Tos sons qui font en la ville mcstiers. » C*est alors qu'il leur recommande de traiter les Français en enne- mis : « A vos comment qui faites les mestiers — Que lor vendois tos vos avoirs « si cbiers, — Une danrée •!!• sous ou 'XX* deniers. — Lors mangeront avoc « moi volantiers. » — » Mmeri de Norhonne, f« 53 v»-54 v**. — « F* 54 v» et 55 r«. CHAP. IX. 246 ANALYSE WAIMERI DE NÂRBONNE, Il PART. uv». II. // a au col setés. « Ma belle sœur, écoutez-moi. je veux * « VOUS marier, et je vous ai donnée au meilleur che* « valier de la terre. — Non, dit-elle, je n'aurai jamais « d'autre mari, d'autre seigneur, que le comte Aimeri (c dont j'ai entendu dire de si grandes choses. » Alors, avec une fierté qui n'a rien de féminin, elle se met à énumérer tous les partis qu'elle a superbe- ment refusés, et le doge de Venise, et Savari l'Alle- mand, et tant d'autres : « J'aimerais mieux être brûlée, a dit-elle, et je n'épouserai qu'Aimeri. — Mais c'est pré- ce cisément à lui que je vous ai promise. » Hermen- garde alors entre en une grande joie, et parait plus belle qu'elle n'a jamais été : « Qu'Aimeri vienne bien « vite.... Mais, ajoute-t-elle, comment le reconnaitrai-jo c( au milieu de tous les siens? — Si vous vovez, (c reprirent les Français, un baron au fier regard, « aux bras carrés, au visage superbe, escorté de mille (C chevaliers et remplissant de terreur toute la grande « cité, c'est lui, c'est Aimeri. — Dites-lui donc, répond « Hermengarde, de venir chercher sa femme en ce a pays ' . » Toutes ces scènes sont charmantes, parce qu'elles sont naturelles et vraies. Décrirons-nous le retour des messagers qui sont de nouveau attaqués par Savari l'Allemand ? ferons-nous le récit de cette seconde bataille qui ressemble beau- coup trop à la première? raconterons-nous la résistance de Savari, la détresse des Français, leur retraite dans un donjon où ils font la plus héroïque défense, le se- cours qu'ils envoient demander à Aimeri, le départ du Comte, la délivrance des ambassadeurs narhonnais que » A\meri de K mitonne ^ f« 55 r®, 5G ^°. Ilernu'ngarde dil fii effel aux nifssa- ge)*s d'Aimeri : <> Tôt maintenant n' i aura terme mis, — Et si dimis Aymeris M au lier vis — Qu'il vigne qucre sa IVme en cest païs. » — « Qu'il se liâte, •« «joule-l-elle : S'il pert ronriii, je !i rendrai destrier.... » ANALYSE h'^mERI DE NARBOMSE, 247 les Allemands tenaient rigoureusement assiéeés, la mort " part. livr. h, CIIAP IX de ces traîtres, le châtiment de leur chef' ? Non ; nous préférons nous transporter avec notre héros à la cour de Boniface, où il va lui-même chercher sa jeune femme. Ce fut un jeudi, à midi, qu'il entra dans Pavie : Boniface vint à sa rencontre. Derrière le Roi mar- chait sa sœur^ dont la beauté éclairait toute la ville; elle était* couverte de vair et de gris, coiffée d'un chapeau d'or, radieuse de joie : « Où est Aimeri ? » dit- elle. — Pour toute réponse, le comte de Narbonne rejeta son manteau par derrière, et passa ses deux bras au cou d'Hermengarde : a Je vous aime, » lui dit sur- le-champ la dame qui, naïvement, comme toutes les femmes de nos Chansons, fait toutes les avances, a Je « vous aime, » répondit Aimeri. lis s'assirent tous deux sur un lit, et parlèrent d'amour. Cependant le mariage n'était pas encore conclu. Le roi de Pavie prit tout à coup une attitude et une voix solennelles : a Voulez- « vous d'Hermengarde pour votre femme ? dit-il avec a un accent presque sacramentel. — Oui, répondit Ai- « meri. » Alors le Roi la lui bailla par la main désire^ et le Comte put l'emmener *. C'est ainsi qu'Aimeri de Narbonne épousa Hermen- garde de Pavie. IV. Le fils d'Hernaut, dans les premières joies de Nou?eiie invasion ses noces, alors qu'il revenait d'Italie en rêvant au quubercheni à reprendre » Aimeri de Norhonne, f« 5G v"-CO r». — » P 60 i-, v«, el61 r». Aymeris si liJfr^îéwie fut sagfset enpalés : — Prrnt la pucelle, si est asis delès, — Par la main destre leur fuite. la prist par amistés, — Les dois li baille que hien avoil formés. — Blanc ot le liSy bien fut enluminés; — De sa lieauté poisse dire assés, — Mais ans seroit li demi jor paisses — Que ses snnlilans vos fust jai devises. — Li cuens parla comme saiges menbrés : — «< Helle, dist-il, qués est voslre pansés? —Que vos sanhie de CHAP. IX. 248 ANALYSE WAIMERI DR NARBONNE, PART. LiTR.ii. sourire d^Hermengarde , durant tout ce charmant voyage, ne prévoyait guère les terribles épreuves qui l'attendaient à son retour. Il ne pensait plus aux Sarrasins, et cependant sa vie tout entière n'allait être désormais qu'une guerre contre ces infidèles, une guerre de plus de cent ans.... L'Amiral de Babylone avait reçu la nouvelle de la prise de Narbonne ; Desramé et Baufumé étaient venus en fugitifs chercher auprès de lui un asile et des se- cours; ils avaient excité contre les Français la colère de celui que tous nos poètes représentent comme l'Empereur des Sarrasins. De toutes parts, l'Amiral avait envoyé ses brefs et fait entendre son cri de guerre: a Non -seulement, disait-il, nous reprendrons Nar- c< bonne ; mais Paris et la France tomberont aussi entre « nos mains. » Une ambassade était partie a la Mec- que, et en avait rapporté la statue de Mahomet. Des milliers, des cent milliers de païens se réunissaient pour cette expédition suprême et hurlaient de joie à la pensée de leur victoire ^ Une grande guerre de re- ligion allait ensanglanter de nouveau le sol français : la chrétienté était peut-être arrivée à sa dernière heure.... Ce fut un beau spectacle que celui de l'embarque- ment de cette immense armée : quinze jours après, les Sarrasins apercevaient les rives de la France. Et à peu de temps de là, les chrétiens de Narbonne se réveillèrent un matin, étreints par le cercle de fer que ■ moi, nome celés? — De long vos vien querre, bien lou savés. — Por ceu vos « pri, que, se ne me volés, — Que vos talant ici me descovrés, — Ansois c*à veut « en soit *I- mot aies. — Et bien sachiés, se vos me refasses, — Qui me donroit n tout Tor de *X* cités — Ne vos prendroie, se ce n*iert vostre grez. — Miaulz est (i que ci vostre bon me contés — Que jai Lonbart en soit après gabés. » — •• Sire, « dist-elle, jà mar en douterés — Que pUis vos am c'ome de mère nés, » etc. — • Mmeri de Narbonne, f^ Gl r",>'«, et C2 r°. ANALYSE h'ylIMEBl DE JSARBONNR. 249 formaient cent mille païens autour de leur villb " paît. uyb. n. r 1 ... » CHAP. IX. étouffée et perdue*. C'était le 2f\ juin, jour où rÉglise célèbre la Nativité do saint Jean-Baptiste. Et pendant ce temps, uniquement occupé d'Hermen- garde et la main dans sa main, chantant et riant, sans défiance et sans souci, Aimeri tout joyeux suivait la route qui conduit de Pavie à Narbonne ^. Narbonne cependant n'est défendue que par un petit nombredechevaliersàla têtedesquels noustrouvons un neveudeNaimes,nomméElinant. Que vont-ils devenir? Avant tout, il importe qu'Aimeri soit averti du danger qui menace sa ville : Forques, fils de Garnier, se charge de ce message qui n'est point sans péril. « Que me faut-il faire ? » dit, en apprenant celte nou- velle, Âimeri, qui se tourne vers Hermengarde. Celle-ci, en vraie chrétienne, lui répond : « Allez vous battre, « el je prierai pour vous. » Le Comte l'embrasse, lui dit adieu, la regarde encore une fois et, plein d'ar- deur, marche droit sur Narbonne ^. Par malheur, son courage ne se communique point à ses soldats. Der- rière lui, les chevaliers lombards font preuve d'une couardise qui le désespère :« Qu'on les place en tête de « rarmée,s'écrie notre héros, et qu'on tranche le cou au a premier qui recule! » Cette détermination énergique enflamme soudain le courage de ces Italiens qui pré- fèrent risquer leur vie contre les païens que de la per- dre tout à fait en tournant le dos à l'ennemi. Ces lâches se transforment en héros, et déjà les Sarrasins » Âimeri de Karbonne, P» 62 r*. — » P» Gl i^ et v«. — » F" 62 v» el 63 i* : « Dame, dist-il, savés moi consaillier. » — « Sire, dist-elle, oil bien, par mon • chief, — Que, il mo sanhle, li coiisalz est ligiers. — Dont n*estes-vos *lin* M* « chevalier — Que Karlemaines li rois vos fist laissier, — Et si avés des Lon- « bars 'I' millier. — Que chascuns ait et armes et destrier. — Se tos Tenés en « grant estor plenier, — Par ceus porois grant est or commencier. — Aléa avent, « vos et vos chevaliers »... — Aymeris Tôt, s*anbrace sa moillier, — Les iolz. lou vis li commence à baissier : — « Dame, dist-il, bien fait à otrier. n 250 ANALYSE hJlMEBl DE X.iIinOi\i\£. Il PART. LlVn. 11. CHAP. IX. \jps doute enfants d*Afnieri et d*Hermengarde. pflënt'. Quanta Aimeri, il pénètre directement dans la maitresse-tente de l'armée païenne, y trouvé rA.mî- ral au milieu de quatre rois et tranche ces cinq têtes. « Montjoie« Montjoie! » s'écrie-t-on de toutes parts. Sur vingt points à la fois, Timmense bataille recom- mence. Le comte de Narbonne est blessé, Girart de Roussillon frappe de grands coups, les Français sont comme des lions enragés. . . . Tout à coup, on entend un bruit étrange sur le champ de bataille ; c'est un nou- veau corps d'armée qui vient d'entrer en ligne. Est* ce une arrière garde des païens ? Non, ils ont engagé toutes leurs forces. Seraient-ce des chrétiens, des Fran- çais? Oui, c'est Girart de Viane qui, averti par Her- mengarde, s'est hâté de venir au secours de son neveu. Son arrivée d'ailleurs, est décisive, et entraîne la victoire des Narbonnais. Les Sarrasins sont frappés de terreur, ils fuient, ils crient, ils meurent. Sous leurs cadavres amoncelés on ne voit plus la terre ; trois cents d'entre eux, trois cents seulement, parviennent à se rembarquer avec Desramé ; le reste a succombé ' ! Le lendemain matin , l'archevêque de Narbonne bénissait solennellement le mariage d'Aimeri et d'Her- mengarde. Cette union devait durer un siècle^. Us eurent douze enfants, sept fils et cinq filles 4. « j4imrn de NarlH}nNf, {• G3 v» et 61 r*. — » F*> 64 v»-66 r». — 3 fo 66 >-" et 67 r®. — 4 L^aiiteiir A'Aimeri de Narbonne éniimère avec soin le* douze enfants d'Aimeri et d'Hermengarde. Les sept fils furent : « 1* Bernait de Brebant qui eut pour fds le paladin Bertrand ; 2^ Guillaume « qui conquit Nîmes, mit à mort Herpin et Otrant, prit Orange, fit baptiser Guibourc et fut le vainqueur de Corsolt sous les murs de Borne » ; 3° Garin d'Anséune, qui fut le père de Vivien; 4oHeniaut de Gironde, personnage héroï-comique dont le poète trace un portrait ridicule; 5" Beuves [de Commarcis], ])cre de Gérard et de (lui ; 6* Aïmer le cliétif (|ui conquit Vei)i>e, cnk>a la IjcUc Soramoiide et In fit baptiser; 7*^ Guii>cliu, qui fut plus tard le successeur d^Aimeri lui- m(>rae à Marboune. I^armi les ciu(| filles, lu première épousa Dreux de Montdi* dier et en eut quatre (ils, (iaudin, Bicher, Samsou, Hiigelier. La seconde fut la femme de Banul du Mans, et eut pour fils le célèbre Auqnelin le Normand. \a ••o CHAF Z. PREMIÈRE HALTE AC MILIEU DE LA IJËGENDE DE GUILLAUME. 251 Mais de. «es douze enfants, il en est un* dont 11 " '*^JL^:J^J«- "• nom fut plus illustre que ceux de tous les autres, - et qui absorba dans sa gloire la gloire de toute sa race. C'est celui dont nous allons raconter This- toire : celui qui aima la belle Orable et Tenleva au roi Thibaut d'Arabie; qui affermit Louis sur le trône de Charlemagne ; qui triompha du géant Corsolt sous les murs de Rome ; qui prit Nimes par la ruse, et Orange par la force; qui eut Vivien pour neveu ; qui fut vaincu à Aliscans et qui, après avoir vengé cette défaite sur les païens cent fois battus, se retira enfin dans un moutier, et s'y fit moine afin de conqué- rir le ciel. C'est Guillaume. CHAPITRE X. PREMIKBE HALTE AU MILIEU DE LA LEGENDE DE GUILLAUME. Si ces haltes au milieu d'une légende épique ont Bésumé succinct . »^f » » ^ u- * • ^ des »lx ChMMoi» jamais ete nécessaires, c est bien certainement au mi- de geste lieu de celle de Guillaume. Tandis que^ dans la geste ^ana?ysées du Roi, un seul poème est consacré aux ancêtres de p»»»*»""^? troiftième se maria avec un marquis dWiigleterre, qui deviut ud saiut : ils eu- rent dnq fils, Rabiax, Estormi, Villars, Sohier du Ples^is, et saint Morand dont le coqM repose à Douai. La qualricnie, femme de Huon de Floriville, lui donna un fils. Foulques de Candie, qui aima et conquit la U'ile Aufelise. La cinquième enfin fut rimi)ératrice Dlancbenvur, f»-mme de Louis. = La Chanson à\4imen de Narltonne se termine par ( es vers (|ui sont une soudure trop visibU* entre le poëme que nous venons d^aualyser rt les Enfances Guitlaiime : n Or se pensa ji frans cuens Aymeris — Kn antres terre ks rois et aus marchts, — Eiivoiera les damoixiaus de pris : — Si iront honor querre. » 252 RÉSUMÉ SUCaNCT DES SIX CHANSONS II PAIT. LIT». II. Charles, six Cliansons, dans la seste de Garin, out T-^ pour objet les ancêtres du fils d'Aimerî. Et voici qu'en réalité, après de si longues analyses, nous ne sommes encore parvenus qu'au seuil de Tbistoire de notre béros. C'est l'instant de jeter un regard en arrière et de résumer très-nettement tout ce que nos vieux poèmes nous ont appris sur la famille de Guil- laume. . . . - . ^^^ _. L'Aquitaine est le berceau de cette race héroïque. Enfances Garin ; *■ . ^ * Charles ayant eu pour mère une femme innocente et persécutée, les cycliques n'ont pas voulu prêter une autre origine à Garin, à ce chef de leur seconde geste. Flore, qui est la copie trop exacte de Berte aux grands pieds, enfante Garin dans les angoisses d'un exil injuste; elle l'élève en vrai fils de prince et le voit se jeter, de bonne heure, en des aventures qui n'ont rien de vraiment épique. Il est tour à tour aimé de Florelte, de Germaine, d'Yvoire; mais il n'a pas le temps de s'arrêter à ces amours vulgaires. Il ac- complit, avant toute autre chose, la mission difficile de réconcilier son père Sa va ri avec Flore sa mère, et de reconquérir son duché sur des usurpateurs de bas étage. C'est alors seulement qu'il se rend à la cour de Garin de Charlcmague. Persécuté par l'amour adultère de de Moniglane t'i»* '.* *i'i «i i> ji 1 Imperatnce, il échappe avec peuie a la colère de l'Empereur et, comme un vrai héros de la Table ronde, se met à la recherche d'une héroïne inconnue, de ê cette Mabille qu'il épousera un jour, après avoir tra- versé mille épreuves, après s'être rendu maître de ce de château de Monfglane dont il prendra le nom. Ce châ- Gù^ari de liane: ^ j» mi j • • r' i i • teau, d ailleurs, va devenir un repaire teodal qui pour- rait résister à Charlemagne lui-même, et Garin y est bientôt entouré de quatre beaux enfants : Hernaut, Renier, Mille et Girart. Mais les Sarrasins s'abattent û*llernat4t de Beautande; de ttenier dcGennci; QUI ONT ÉTÉ ANALYSÉES JUSQUiCI. 253 sur ce malheureux pays, el cernent ce donjon où les "pabt. Liva.ti quatre enfants vont mourir de faim avec leur vieux père. Us parviennent cependant à se frayer une trouée sanglante au milieu des païens, et chacun d'eux alors court à sa destinée. Hernaut , qui est le grand-péro de notre Guillaume, prend d'une façon assez ba- nale la cité de Beaulande, épouse la fille d'un roi païen, Frégonde, et engendre Aimeri. Quant à Re- nier, il conquiert en quelques heures le duché de Gennes et la main de cette belle Olive d'où naîtront Olivier et Aude. Mille est duc de Fouille. Girart, le plus doux et le plus épique des fils de Garin, reçoit le comté de Vienne que ne peut lui arracher la rage jalouse de la femme de Charlemagne, et soutient dans son château un siège de plusieurs années contre toutes les forces combinées du grand Empereur. Après Oli- vier et Roland dont le duel gigantesque hâte la fin de cette guerre, c'est Aimeri, fils d'Hernaut, qui joue le premier rôle dans cette lutte sanglante et fratricide.... Et quand le roi de France reviendra, les larmes aux yeux, de cette Espagne maudite où il doit perdre son neveu Roland et les douze pairs; quand, tout rempli du deuil récent de Roncevaux, il apercevra soudain la belle cité de Narbonne qui est aux mains des Sarra- sins; quand il fera le tour de tous ses barons, les suppliant l'un après l'autre de vouloir bien tenter la conquête de cette ville, une voix, une seule voix répondra à ces supplications du vieil empereur : ce sera celle du jeune Aimeri. Il prendra Narbonne et y épousera bientôt la belle Hermengarde, fille et sœur des rois lombards, de qui naîtront douze enfants, de qui naîtra Guillaume, le héros de toute cette geste, le centre vivant de tout ce cycle. ... Et voici déjà que nous entendons je ne sais quels accents fiers et jeunes dans û'Ainuiri de Sot bonne 254 PREMIÈRE HALTE At' MILIEU DE LA LEGENDE DE GUILLAUME. II PAET. LivR. ji. le château du vieil Aîmeri : c'est l'eufaot Guillaume CHAP* X. dont le sang frémit et qui demande des armes à son i • • • • père. Nous n'avons pas encore abordé, comme on le voit| riiistoire poétique de celui qui mérite, mieux que Garin, d'imposer son nom à toute cette famille d'épopées. Mais déjà nous avons fait connaissance avec certaines figures légendaires qui vont animer tous nos poèmes. Le vieil Aimeri n'est pas mort, et nous le verrons glorieusement intervenir dans dix ou quinze autres Chansons. Nous avons entrevu rapide- ment les traits de ses sept fils qui, tous, tiendront dans les récits suivants une place importante : Ber- nart de Brebaut, père de Bertrand; Guillaume; Garin d'Anséune, dont Vivien fut le fils; Hernaut de Gi- ronde ; Beuves de Commarcis, père de Gérart et de Gui ; Aimer le Chétif et Guibert. I^s six Chansons que nous avons déjà résumées appartiennent à des époques très-diverses, et ne pré- sentent réellement aucune homogénéité. Les Enfances Gavin ne sont qu'une pauvre fiction du quinzième siècle, portant toutes les traces d'une décadence déjà très-avancée. Garin de Montglane est un agréable roman d'aventures, qui se trouve écrit pair hasard en tirades épiques et consacré par hasard à des héros carlovingiens. Renier de Gennes et Hernaut de Beauiande ne nous ont été conservés qu'en prose; mais le peu que nous en avons gardé ne nous permet guère de regretter le reste. Par bonheur^deux œuvresde la bonne époque, et qui sont dues sans doute au même auteur, jettent enfin quelques rayons de belle lu- mière sur les tristes commencements de cette grande geste t c'est Girars de Viane et c'est Aimeri de Nar^ bonnes Le plus grand poète de notre temps, Victor ANALYSE mes £i^f,éJVC£S'GU/LLJL\M£. '2bS HugOy a puisé dans ces deux épopées les deux seuls hpart. livb.i!. chants qu'il ail voulu consacrer dans sa Légende des • siècles k la chevalerie française : /e Mariage de Ro^ landel Aymerilloi, On ne saurait, comme nousTavons dit, faire un plus grand éloge des deux Romans attri- bués à Bertrand de Bar-sur-Âube.... Mais il est temps d'en venir à notre Guillaume, dont objet nous allons maintenant raconter toute Thistoire d'une qui TonfLine. seule haleine, depuis son enfance jusqu'aux fameuses représailles de la bataille d'Âliscans. Le chemin sera long; mais nous rencontrerons sur notre route les plus anciens, les plus beaux poèmes de tout notre cycle, et, quand nous ferons notre prochaine lialle, nous au* rons la joie de connaître plusieurs chefs-d'œuvre de plus ! Il y a là de quoi nous donner quelque cou- rage au moment de ce second départ.... CHAPITRE XL » r. L£N FANGE DE GUILLAUME. (Uos Sinfances Guillaume'*) Le comte Aimeri est sur le seuil de son château, à Narbonne; sa femme, la belle Hermengarde, est près > HOtlGE BlBLlOtiRAPHIQlÎE Kt HtSTOBIQCE SCa LA CHANSOH DBS SnrANCes âClLLAUBlE. I. BIBLIOGRAPHIE. 1<< DaTk DK LA coM- POimOll. La seule version des Enfances Guiilaiime qui soit parvenue jusqu'à Dons ne pi^rait pas remonter plus haut que le commencement du tteiiième siècle. Mais il a certainement existé une ou plusieurs versions antérieures* — 2* AUTBIJB. Les Enfances Guillaume sont une œuvre anonyme. — 3« Nom- bre DB YBM BT NATvmK DB LA VRRSiFiGATioif. Dans le manuscTÎt fran^us AikilyM* (les Enfante» GnUlavme. CHAP. XI. 2S6 ANALYSE DES ENFANCES GU1LL.4UME, Il PART. m». II. de lui; ses enfants jouent avec leurs éperviers. Il les voit, et fixe sur eux un de ces longs regards satisfaits 1448 (le la Bibliothèque impériale, les Enfances Guillaume reoferment 3422 vers; dans le manuscrit 774, 27 ?0 vers (mais quatre feuillets soot perdu); dans le manuscrit 1449, 3335 vers; dans le manuscrit de Boulogne» eoviron 3'^00 vers, et enfin dans le manuscrit La Vallière 23, qui nous offre presque toujours une rédaction plus développée, 3720 vers. Tous ces vers, dans tous les manuscrits connus, sont, à quelques tirades près, des décasyllabes assonances . La fin des laisses n*est pas onice du petit vers hexasyllabique. — 4* MANUSCRITS CONNUS. 11 nous est resté, à notre connahéanre, six manuscrits des Enfances : a. B. I. fr. 1448 (du f» G8 vo au f« 89 r«), treizième siècle ; 6. Brili»h Muséum 20 D, XI, du r« 79 r« au f» 103 vo, treizième siècle; c. B. L fr. 1449, du f* 1 r* au fo 22 r«, treizième siècle; d. B. 1. fr. 774, du f» 1 r« au f« 18 r*, trdaièaie siècle; e. Manuscrit de Boulogne-sur-Mer, f» 1 r« au f» 21 r*, treizième aîède; f. B. L, 23 La Vallière, du F 30 ro au f» 51 r«, quatorzième siècle. = Ces ma- nuscrits (et nous n^avons étudié de visu que ceux de France) peuvent, diaprés les différentes formes données k notre poëme, se divisâr en quatre familles. Pkk- MIBRE FAMILLE DE MANUSCRITS. Elle est représentée par le seul manuscrit de Boulogne qui contient la meilleure et la plus brève version des Enfances, Cou- forme au manuscrit 1448 de la Bibliothèque impériale, il eu diflere seulement en ce qu'il ne renferme pas le Département des en fans jtimeri. Il te termine brusquement par uue tirade destinée à préparer le Couronnement Looys : « Cbe fu en mai qu'il fait caut et seri, — C'adoubé furent li enfant Aimeri — Et furent tuit à Nerbone la chit. — S'orent Tibaut vencu et desconfit. — Sus en monte» rent el palais signouri. — Adont parla Guillames li marcis : — « Seignor, dist-il, « entendes envers mi. — Moult devés Dieu honorer et servir — Quant teil hoiior n vos laisse consentir. — Aler en voel au roi de Saint-Denis, — Son fil vdoir « qui a à non Locys. — Car proie m'a Karles, li rois jentis, — Que foi por- « taisse son fil qi est petis. — Se ferai-jou, se Dieu plaist et jou vif. » (F«» 1.) Ce manuscrit est en dialecte picard. = Seconde famille. Elle est représentée par le manuscrit 1448 (aiic. 7535) qui déjà renferme une première version du />€>^ LXXII v», — Comment Desrame' , doublant le secours de France que Guibelin ala quérir, cuida prendre par assault la cité de Nerbonne ce temps pendant, f LXXIY v«, — Comment le sieige de Nerbonne fut par farce levé et l'amiral Desramez et Fernagus JCArrabe mors et les Sarrassins dascsau^ fis et c/taciéSf f« LXXvn T«. — Comment Desramez, le /Hz l'amiral DesraméSj Tlùbaut tTArrabetfUs Fernagus le vielx, et Eroflet,filz Erofiede Tartarie Jurent couronnés après leurs pères qui mors furent au sieige de Nerbonne, (• LXZXTI v«. — Cf commence tistoire à parler du jeune Desramé, du jeune Tlùbaut, fUz Fer» nagus^ et delà grant guerre qu*U menèrent à Aymery de Nerbonne et à ses emfi fans, fo» LXXXYII ▼«• — Comment Guillaume le marckis, Jilz Ajwsery, conqmist le bon cheval Bouchant et Archillant le seigneur de Luisarne en allant cm Ar^ rabbe^ f> XCI 1«. — Comment Orable, la noble damoyselle, envoia segreteuÊcat dire h Guillaume qu^il se gardast, et que Arc/ùUont et Clargis avaient sa mort f tirée, f» XCYII r«. — Comment Desramés envoya segonde fois devers ThibassU, le rotf d'Arrabbe, pour faire le mariaige de luy et de Orable, famye Gmllrnssme le marchis, h CIV v«. — Comment' Jes 'lUl' fis Aymery furent fois chevaliers par la main C/iarlemeine à Paris, et comment Charlemeine reeéut Ajmery à grant honneur, fo Gxn r«. — Comment Thibault ttArrabbe vint au mamslement du roy Desramé à Orenge, où il espousa Orable, l'amye Guillaume de Nerbonne, f» GXI v». — Comment Guillaume le marchis ala à Orange véoir Orable s'amye, la fille Desramé, lequel lui donna la robe qu'il avait vestie, fo CXVII ro. — Comment Guillaume, le fUz Aymery, et Orable, la fille Desro' mes, affièrent l'un Vautre, à Orenge la grant, en parlant d'amours et dejoye, fo CXXVIII To. •— Commentiez Sarrasins vindrent Nerbonne , la grant cité, tusei' gier, et comment Aymery et ses enffans y entrèrent les premiers , {• CXXXO r». — Comment Guillaume, le marchis de Nerbonne, amena Girart de Ftanne^ son oncle, ou secours de son père et de ses [frères"] que les Sarrasins avaient assei* giés en Nerbonne, f» CXXXV r». «— Comment Thibault d^Arrabe fut son meS' saige, de par Guillaume de Nerbonne, à Orable la pucelle qu'il espousa tissés tost après, du consentement Desramé et des oultres princes sarrasins,^* GXLIT t*. — Tel est le résumé de la seule rédaction en prose des Enfances Guillaume qui soit parvenue jusqu*ii nous. EUe n*a jamais reçu les honneurs de Timpreaiîoo, et ne les méritait poiuL Dès la première partie du seizième siècle, on peut dire que la légende des Enfances était complètement oubliée parmi nous. — 6* Diffusion a l*êTRANGBr. a. En Allemagne. Entre les années 12&2 et 1278, sous le règne du roi Ottocar de Bohème, Ulrich von dem Thurlin éerÎTit un poëme de 9630 vers sur les Enfances de Guillaume : ce poëme était destiné à compléter le Willehalm de Wolfram d*Eschenbach. Nous avons déjà exposé plm haut (p. 40), nous aurons lieu de redire ci -dessous (p. 264), combiôi VAra» belens Entjulurung, d*Ulrich von dem Thurlin^ qui fut publié en ItSl par Cas» ANALYSE DES ENFAl^CES GVILLAVHE. 2â0 Aimeri ne s'est senti plus heureux, et c'est par le récit " paw.uv». h. de cette scène d'intérieur, par le tableau de cette paix ' — '— penon, difière de nos Enfances, 11 est évident que le minnesinger travaillait sur un original français, mais sur un texte complètement distinct de tous ceux que nous possédons. — b. En Italie. An moment où commence Faction du premier livre des Nerbonesi, Guillaume est âgé de seize ans, et il conquiert la faveur du vieil empereur Charles qui revient d*Espagne, en le prenant entre les bras et en le descendant doucement de son char de voyage. Rien de pareil ne se trouve dans nos Enfances qui ont été pour le compilateur italien le prétexte de nouvelles péripéties romanesques, plutôt qu'un original exactement suivi. (Y. les Nerlo- nettf oiss. de laBibl. nationale à Florence, n» 7, 8, 9 et 160 de la classe Y!.)— 7» ÉDITIOll IMPRIMÉE, TmADUCTlON FBAlfÇAiSB. Les Enfances Gaiflaume soni encore inédites. M. W.-J.-A. Jonckbloet, qui n'avait pas voula, en 1854, faire entrer le texte des Enfances dans le tome I de son Guillaume it Orange, a es* sayé tout récemment de nous dédommager de ccjtte regrettable omission : il a traduit, ou plutôt, suivant sa propre expression, « mis en nouveau langage » la Ghamoa dont Toriginal ne lui avait pas autrefois paru digne de Timpression. « Les premières armes de Guillaume, » tel est le titre qu*il a donné à cette traduction de notre poëme. Il ne sera peut-être pas inutile d'en citer un extrait. Nous choisissons le passage du vieux Roman où Guillaume lutte devant TKm- perenr contre un champion breton... : « Jeune fou, dit le Breton, retire-toi, je « t*afliommerais du premier coup. » Guillaume lui répondit tout en colère : « Mitérable bnfsron, avec ton gros cou tu ressembles à un chat en maraude. «( Tu es sorti de chez toi par esprit de rodomontade : eh bien ! rends-moi ton « éco et ton bâton. Jure-moi, en présence de l'Empereur, que de ta vie tu ne (t fieras plus le champion, et je te laisserai partir d'ici sain et sauf. Si tu ne fois m ee que je te dis, je jure Dieu qu'en sortant d'ici tu n'iras te vanter dans au- « cane cour d'avoir vaincu les écuyers de France • Guillaume lui asséna sur rédûne un coup qui lui ouvrit les chairs et fit craquer les os. Le Breton tomba à feooux, et, avant qu'il pût étendre le bras pour se défendre, Guillaume le salait par le menton et lui arracha les moustaches, de manière que les chairs eBMDgIantées pendirent de ses lèvres: « Misérable ! lui cria*t-il, en ce moment « tn ai bien l'air d'un coquin. Tu me tendras enfin l'écu et le bAton, et nos da« lux n'auront plus à te craindre. Tu vas jurer sur les saintes reliques que en ta vie tu ne feras plus le champion, et je te laisserai partir d'ici, car « ta pourras enfin être guéri. » Le Breton, ivre de colère, saute sur ses pieds, et» fofîeox, il se rue sur Guillaume comme un chien de basse- cour, pensant le ren- verser du choc. Mais le jeune homme n'en est nullement ému ; il s'avance vers son adversaire et lui porte un coup qui l'atteint au front ; la cervelle jaillit au loin, et il tombe mort aux pieds de Tempereur Charles : « Ya-t*en au diaJ>le ! cria « Giiillaame , te voilà par terre. » Pub, appelant les écuyers et les serviteurs, il leor dit : « Prenez-le-moi, et jetez-le hors de cette maison. » Et, sans tarder, ils eiécotèrent ses ordres. Ils sortirent le cadavre par la tète et les pieds, et le UmeiiCDtdans les fossés du ch&teau. » (Guillaume tt Orange, le Marquis au court ngZf pp. 66, 67.) Il est à regretter que, dans celte traduction, un certain nombre ifVMMgssioM tentent beaucoup trop la langue et le style de notre temps, et qa'cD gènérali comme il le dit lui-même, Mi Jonckbloet ait « éliminé les répé» r 260 ANALYSE DES ENFANCES GUILLAUME, II PART, Liv». II. charmante que commence une de nos Ciiansous les plus rudes et les plus sanglantes. lilions que le jongleur se permettait » et se soit lui-même « permis des transposi- tions de certaines parties du texte •(Introduction,^» XXIll). — %*» Tbav AUX DONT CKPOKUK Kkïk l'objet. ouvons reconnaître encore, danscertaines parties de la Chanson,uue inspiration véritablement héroïque. La première scène du Drame, celle où l'on voit Aimeri jeter un regard satisfait sur ses enfants, est un charmant tableau de genre. L'amour de Guillaume pour sou cheval Baucent, sa lutte avec le cham- pion breton, ses longs combats sous les murs de Narbonne, sont autant d'épisodes dignes de nos plus anciens poèmes. 11 n'en est \^s de même de l'amour d'Orable pour notre héros, et des étranges sortilèges qu'elle emploie pour éloigner son mari, Thibaut, d'une couche qu'elle veut garder virginale. Partout, d'ailleurs, le poète est d'une longueur désespérante, et trop souvent il est ennuyeux. Somme luutc, les Enfances Guillaume méritent d'être placées, dans notre estime, à ANALYSE DES ENFANCES GUILLAUME. 26! Pour mettre le comble à cette joie^ un messager de ""^^^ip"^".' "' Charlemagne arrive à toute vitesse, et salue le comte côté ^Aspremont. C'est une de nos meilleures Chansons... de deuxième ordre. — 10» La version des ElfFAflCBS GUILLACME QUE NOUS POSSÉDONS AU- JOUBD^BUI EST-ELLE LA SEULE, EST-ELLE LA PLUS ANCIENNE QU*ON AIT ItCKlTE ? C'est à M. Jonckbioet que revient l'honneur d'avoir soule%'é ce pro* lilèroe ; c'est lui qui Ta jusqu'à ce jour Te plus heureusement élucidé. Nous repro- duirons sous une forme nouvelle les arguments du savant hollandais, et nous y ajouterons les nôtres. =Tout d'abord, il est mathématiquement certain que, dans tout nos manuscrits cycliques, les Enfances GuiUaume et la Prise it Orange appartiennent à deux auteurs absolument distincts et qui n'ont pas récipro- quement connu leurs poëmes. Va Prise tt Orange ne se rapporte pas au même courant de traditions et de légendes que les Enfances Gtàllaume; elle n'a point la même physionomie,elle ne rend pas le même sou. C'est ce que M. Jonckbioet a surabondamment démontré. Dans la Prise ttOrange, eu effet, c'est à Louis que nous avons affaire, et, dans \ek Enfances, c'est à Charlemagne. Dans la pre- mière de ces deux Chansons, ce sont les frères d'Orable qui sont maîtres d'Orange ; dans la seconde, c'est Arragon, le fils aine de Thibaut. Dans l'une, c'est Aimeri qui apparaît comme le chef de la famille narbonnaise, et ses en- fiints ne sont que Imcheliers ; dans l'autre, les frères de Guillaïune sont depuis longtemps adoubés et jouent un rôle important. Guillaume, dans celle-ci, reçoit déji le surnom de Marquis au Court Nez; il n'est encore, dans celle-là, qualifié que de Ftèrebrace. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que, dans la Prise d'Orange^ Guillaume-semble d'abord ne pas connaître Orable et se prendre très- soudainement d'amour pour cette princesse dont le poète parait n'avoir jamais entendu parler, tandis que, dans les Enfances^ notre héros est d^à représenté comme éperdument amoureux de cette même Orable. Donc, l'auteur de la Prise d'Orange n'a pas voulu en réalité continuer notre version des Enfances , et même il ne Ta jamais lue. Mais, d'un autre côté , son poëme est relativement tout moderne et trahit à chaque vers la décadence de notre Épopée ; ce n'est qu'un pau%'re recueil de lieux communs. N'y aurait-il pas. eu une autre Prise sT Orange^ plus ancienne, et se raccordant mieux à l'ensemble de tout le cycle.' N'y aurait-il pas eu également une autre version des Enfances, se fondant plus harmonieusement avec la Prise d^ Orange ? Nous sommes convaincu, quant à nous, de cette préexistence d'une autre rédaction des Enfances ; noiis sommes convaincu que cette antique rédaction eenfebmait un autre récit de la prise d'Orange, et nous appuyons cette double assertion sur cinq arguments : a. Le plus ancien des deux débuts des Enfances GuiUaume (c'est celui qui se trouve dans le manuscrit de Boulogne et dans les manuscrits 1448 et 774 de la B. I.; l'autre ne se lit que dans le manuscrit 23 La Vall.) nous annonce fort clairement un poème où l'on se propose de raconter non-seulement les premiers exploits de Guillaume, mais subtout la prise d'Oeange et le mariage de notre HÉROS ATEC GuiBOURC. » Par moi orrés le chanchon de Guillaume — Com li eonqnist premièrement Orenge , — Et com il prist dame Guibourc à feme. .. (Maouserit de Boulogne.) Kl, un peu plus loin, dans la tirade suivante : n Hiii- Biais oreir de Guillaume chanleir, — Com il conkist Orange la ci tri, — Et prist Guibourc à mouliier et à pc/r.» (Mamiscrit 1448, f* 68 v».) Or, daus notre CHAP. XI. 262 ANALYSE DES ENFANCES GViLLAVME. II PART. uva. II. de Narbonne : « L*Empereur te mande de lui ameDer ce sur le champ tes quatre fils aînés. Us le serviront version des Enfances^ rien de pareil ; il n*y est aucunement question ni de la prise d'Orange, ni du mariage d'Orable avec le fils d*Aimeri. Donc, ce début est probablement tout ce qui nous reste d*une plus ancienne version des Enfances où cette conquête et ce mariage étaient longuement racontés. La conclusion ne nous paraît pas excessive. Et le second Prologue lui*mème, qui est sans doute bien postérieur au premier, en reproduit à peu près la teneur et oonfime cette conclusion : « C'est de Guillaume qui cuerot de Ijfon — Ç^mprist Oraiie, que de poir U set-on, — Que il toii à Tiébaut tEsclavon. (23 La Yall. f* 30) = 6. Le Charroi de Nimes est un poème qui doit logiquement se placer APRÈS Les Enfances et le Couronnement ^ avant Aitseans. Or, dans le manuscrit de Bou- logne, le Charroi est précédé d'un prologue où se trouvent œs vers : « Plusor vus ont de Guillame canté, — De Renoart et de sa grant fierté, — Mais dû en droit en ont-il oublié — De ses enjances et de son grant bamé : — Com il ton* quist Orenge ta cttile' — Et prist Cniborc au gens cors honoré ^ — Et haptisier la fist à '/* abé^ — Et tespousa en Vonor Damedé, — Et 81 ORRfts, se il vus vient a gré, — Commbnt prist Nîmes... » (f» 38). Donc, ilejùstait une antique version des Enfances qui devait se placer et se lisait jadis AVANT le siège de Nimes, et où étaient racontés la prise d'Orange et le mariage de Guillaume. Ce qui n'empêche pas, d'ailleurs, le compilateur du manuscrit de Boulogne, après ees vers décisifs et cet aveu formel, de nous donner encore un peu plus loin (r 47) la version moderne et défigurée de la Prise d* Orange, Mais ce manque de lo- gique n'altère en rien la valeur du raisonnement précédent. =■ c. Dnns le Siège de Narbonne (poëme qui n'est jias encore connu ) , dans ce complément des Enfances^ Orable est représentée comme éprise de Guillaume : ce qui s'har- monise fort bien avec les Enfances ; ce qui est en désaccord complet avec la Prise d'Orange : « Orable l'ot, toute s'en effréa — Et pour Guillaume si dure- ment penssa — Que ne respont ne nul mot ne sonna. *• (23 La Vall.. f* 71.) Donc, à l'époque où fut écrit le Siège de Narbonne^ la seconde version de la Prise tt Orange n'avait pas encore conquis une grande popularité, et c'était tou- jours la légende primitive des Enfances que l'on suivait de préférence. =^. Mais voici un texte beaucoup plus décisif. Dans le manuscrit 18& de l'Arsenal, au vers 1047 de la Chanson d' A /iscans, ou voit figurer un roi païen du nom d'Esmeré, qui est représenté comme le fils de Thibaut : Le • [semé] apelent d'ODiERNE EsMERÊ, — Fiex fu Tiébaut, » Cet Esmeré, d'Odierne, adresse fièrement la parole à Guillaume, et lui dit : « Porquoi m'as tu à tort desireté — « Et pris ma terre outre ma volenté, — Et mes '11* frères, ke tant avoie amé, — « Batis-tu tant en ton palais listé — Ke de leur sanc en coururent li gué ? » (Vers 1051-1055.) Et les manuscrits 774 et 368 sont plus explicites encore : n {je semé apelent d'Odierne Esmeré , — FiLZ kst Guiborc, en ses /lans tôt porté; — Si estJiUatre Guiliaume au cort nés... — « She parafre^ dist li rois Es- • merez, — Por quoi m'as tu à tort déshérité — Et fors d'Orenge par traîson « ^rté — Et pris ma merv Irestot outre mou gré ? >» (Éd. de Jonckbloet^ • p. 215.) Aces textes précieux qui nous montrent Ouiljourcajaut plusieurs en- fants de Thibaut, il faut opposer notre version actuelle des £///a/}cri où Guiliourr, un contraire, nous est reprcseiitce comme préservant sa virginité de toutes les at- ANALYSE DES BSPj4NCES GUILLAUME. Î63 « durant six ans à Reims ou à Paris. Puis il en fera " 'tV:."I^ " « des chevaliers et leur donnera de beaux fiefe. — teintes de Thibaut. D*où il faut nécessairement conclure : en premier lieu, que cette version n*a pas été la seule; en second lieu, qu'elle n*e8t pas la plus an- cienne, puisque le texte de notre Aiiseans, dans le manuscrit de I* Arsenal, est certainement antérieur à celui des En/a nées. Mais en quoi consistait la pre- mière version de ce poëme ? = e. Un mot à^Allscans^ un seul mot nous met sur la voie : c'est Odisiimb. Le fillàtre de Guillaume est appelé « Esmeré d*Odieme. » Or, dans le poëme allemand d'Ulrich du Thurlin, Arabtlens Entfûhning (qui fut composé entre 1252 et 1278), Guillaume est fait prison- nier par les Sarrasins et emmené par Tibalt à Todibrn où il reste huit ans prisonnier. Et le minnesinger donne à Tibalt et à Arabelle (Orable) un fils nommé Ehmereltz (Esmeré). Tout cela se trouve parfaitement d'accord avec le texte à*Aliscans, 11 est donc permis de conclure qu'avec le poème d'Ul» BICH DU ThVEUN , OH PEUT RECONSTITUEE, IfOlf PAS LA TOTALITÉ, MAIS UHE GRAHDE PARTIE DE LA PREMIÈRE VERSION DES ENFANCES. Or nous avons déjà donné l'analyse de ce Roman qui peut se résumer en ces quel- ques mots : « Guillaume, prisonnier chez les païens à Todiem, est aimé par « Arabelle, femme de Tibalt, qui le délivre, s'enfuit avec lui, arrive à Marseille, t* s'y fait baptiser et, sous le nom de Gyburg, épouse Guillaume. » Une conquête de la tille d'Orange suivait sans doute ces derniers événements dans la pre- mière version des Enfances^ et leur servait de dénouement. Nous croyons être le premier à proposer cette hypothèse et i rapprocher le texte d^Al'ucans du poëme d'Ulrich du Thurlin. = En résumé nous pensons être en droit de con- clure de tout ce qui précède : « // / a eu une rédaction des Enfances di/férani notaidemeni de celle que nous possédons, — Cette rédaction était la plus «m- cienne, — Elle comprenait la prise d'Orange. — Elle avait probablement de grands rapports avec l'Arabelens Entftihrung d^ Ulrich du Tlutrlin, dont elle a sans doute été Voriginal. • 11. ÉLÉMENTS HISTORIQUES. On ne peut scientifiquement éublir que les propositions suivantes : 1* « Il est certain que Guillaume Joua de très' bonne heure un grand raie 'à la cour de Charlemagne, La f^ita nous le re- présente près du jeune fils de Pépin, dès son avènement au trône : u Cum jam Pippiniis rex ex hac luce migrasset et filius ejus Carolus, qui dictus est Magnus, in throno regni resedisset, inclytus adolescens commendatus est ei a parentibus ut régi semper adstaret.... Igitur Willelmus, commendatus a pâtre, stat ante régis conspectum, suscipit nomen consulis et consulatum, in rébus bellicis primse cohortis sortitur principatum... • (Acta sanctorum Maii^ VI, p. 804.) — 2» tiarhonne^que Us Sarrasins assiègent dans notre poëme^a été réelle^ ment assiégée par eux h plus d!* une reprise, notamment en 721, en 798, en 1018. En 721, Alsamah s'en empara et la pilla ; en 793 les païens brûlèrent les faubourgs de Narbonne et ne furent arrêtés, dans leurs trop rapides progrès, que par la défaite de Guillaume à Villedaigne; enfin, s'il faut en croire les his- toriens arabes, ils tentèrent un nouveau siège en 1018 ou 101 9,mais furent re- pousses. Tous ces souvenirs ont sans doute donné naissance à la légende qui tient le plus de place dam les Enfances Guillaume, -^^f» f^ nom de Thibaut, donné au # •••; •'.. M* 264 ANALYSE DES ENFONCES GUILLAUME. II PAKT. uf R. Il « Mes enfants, dit Aimeri, Dieu vous bénit. Avant « sept ans vous serez adoubés par le plus noble prince roi tC Arabie par l'auteur de notre Clumson , se trouve^ dans la ViU Stncti Willelmi et rHistoire à*Orderic Fital, attribué au prince sarrasin d^Ormnge : «( Ad urbem concitus Arausictm agmina disponit et castra (quam illî Hiapani cum suo Theobaldo jampridem occupaverant) ipsam facile ac brevi csaif atquc fiigatis eripit invasoribus. » {Fila sancti Willelmi ^ Acta ss. Maii, VI, 802.) « ContraTheobaldum regemeX, Hispanos atque Agarenos injungitar [WiUeIraua], Rhodanum transivit, Arausicam urbem obsedit et, fugatis inTasoribua, eripuit. • (Orderici Vitalis Bistoria ecclesiastica, lib. VI, cd. de la Société de mUtoire de France, ]II,p. 6 et 7.) Mais il est fort probable que Tauteur de la rita, et Orderic après lui, ont emprunté le nom de Thibaut et la légende de la Prise d*Orange aux traditions orales ou aux Chansons de geste qui avaient cours de leur temps... ni. VARUNTES ET MODIFICATIONS DE U LÉGENDE. LcÈEnfiners Guillaume ont donné lieu à quatre récits principaux : \^ Celui de ran« Tienne rédaction qui n'est point parvenue jusqu'à nous, mais dont nous pouvons arriver à reconstituer les éléments |)erdus. 2<; V Arahelens Enifûhrung, dTU rich du Thurlin. 3* Le premier livre des Nerbonesi, V La version en prose du nuinuscrit français 1497 de la Bibliothèque impériale. Nous allons reprendre un à un et étudier successivement ces quatre récits : 1« Nous croyons avoir démontré plus haut qu'il a existé une ancietine ver- sion des Enfances Guillaume^ et qu'elle renfermait le récit de la prise d'Oranfe et du mariage de notre héros avec Orable convertie. Nous sommes allé plus loin. D'une part, ayant vu figurer dans Aiiscans un fils de Thibaut et d*Orable, nommé Esmerè d'Odibrnb, et, d'autre part, ayant trouvé dans le poëme alle- mand d'Ulrich du Thurlin un Ehmereitz né à TODIBRN, de Thibaut et d'Orable, nous avons conclu que V Arahelens Entfiilirung avait été calqué sur un ori- ginal français auquel l'auteur d'Aliscans fait évidemment allusion. Toutefob il convient de remarquer que le poëme allemand ne renferme pas le récit de la prise d'Orange, et c'est par là que nous le trouvons incomplet. Ulrich du Thurlin, sans doute , aura fait comme Wolfram d'Eschenbach : trouvant que sou original français était trop long, il en aura supprimé le dénoue- ment. En résumé, l'ancienne version des Enfances Guillaume se composait sui- vant nous : 1« Des péripéties racontées dans V^rabelens Enifiikrung (et noiu en avons la preuve dans le rapprochement que nous avons fait du passage précité à'Aliscans avec l'œuvTC d'Ulrich ) ; 2*^ D'un récit de la prise d'Orange (et nous en avons la preuve dans les prologues des Enfances^ etc..) 2° Nous avons déjà résumé, mais trop rapidement, V Arahelens Eni/ùltrung,,.. Un jour, Aimeri envoie loin de lut ses enfants à leurs aventures, et laisse tout son héritage au fils d'un vassal qui est mort à son service. Guillaume, alors, offre «wn épée à Charlemagne : il combat pour le grand Empereur en Espagne et en Normandie. Louis continue au fils d'Aimeri la faveur de son père ; attaqué Itar une armée de Sarrasins envahisseurs que conduit le roi Terramer, il se confie en notre héros. Mais^écrasé par le nombre, Guillaume est vaincu après des prodiges de valeur: même il est fait prisonnier par Tibalt qui l'emmène avec lui à Todiern. C'est là qu'Aralielie (Orable), femme de Tibalt, se prend d'amour pour 1 r.HF^'' "■ ./• ANALYSE DES ENFONCES GUILLAUME. 26r» n qui ait jamais justjcié la terre. » Tous sont joyeux. " Un seul ne rit pas : c'est Guillaume. ' ce ciptif, pour ce vaincu. Elle adoucit cette captivité qui ne dure pas moins de huit longuet années. Par bonheur, la prison où Ton a jeté le chrétien est voi- sine du château, et Arabelle. profite de ce voisinage pour multiplier ses visites. Son amour, d'ailleurs, ne fait que s'enflammer tous les jours plus vivement. Ti- lialt ne voit rien, et, dans son ayeuglement, va jusqu'à confier à Arabelle la garde de son prisonnier pendant une longue absence. La jeune femme s'empresse de délivrer son ami Guillaume des lourdes chaînes dont on l'avait chargé et « qii i pesaient deux quintaux » ; elle le fait sortir de cet horrible cachot où le jour pénétrait à peine par une étroite fenêtre. Puis.elle le reçoit à sa table, lui de- mande le rédt détaillé de ce combat à la suiteduquel il est tombé aux mains des Sarrasins, et lui propose de se convertir à Mahom et a Tervigint. Guillaume ne lui répond qu'en adressant une ardente prière à la Vierge : « Fortifiez-moi •• dans ma foi, » dit-il. Il se transforme en théologien, et professe véritablement tout un cours de catéchisme à Arabelle : il lui raconte longuement la chute * d'Kve, l'incarnation , la mort et la résurrection de Jésus. Il l'instruit enfin sur le sacrement de baptême. Arabelle , que son amour pousse trop vite vers une convovion qui n'est pas assez désintéressée, est déjà sur le point de se faire chrétienne ; mais elle craint tout deTibalt et des païens, et il ne lui reste en réalité d'autre moyen de salut que la fuite... avec Guillaume. Celui-ci, qu'on a reconduit dans sa prison, feint d'être malade, et on le débarrasse tout à fait de ses chaînes. Cependant un navire attend les fugitifs; les geôliers sont gagnés, Guillaume sort de son cachot, et en sort pour la dernière fois. Le vaisseau gagne le large, notre héros est délivi^, et « les bras d' Arabelle prennent la place *« qu'avaient occupée les fers ». Tout danger, hélas ! n'a pas disparu. L'émir qui commande la nef sarrasine n'avait pas été mis dans le complot; Arabelle ne lui avait parié que d'une partie de plaisir et lui avait indiqué Benolil (?) comme but de ce petit voyage. Mais, sur l'ordre de Guillaume, le pilote, durant la nuit, fait filer le navire vers la terra chrétienne. L'émir s'en aperçoit ; il s'indigne, et se jette sur notre héros. Une horrible bataille s'engage dans la nef. Guillaume, qui semble avoir dormi {tendant huit ans, a un réveil terrible pour les Sarra- sins : il en « tue cent trente » ,et force les autres à se rendre. Arabelle tombe aux bras de l'heureux vainqueur et le couvre de ses baisers ; et, en ce moment même, le vaisseau, qui vient d'être le tliéàtre de ce drame sanglant, arrive en vue de l'Ile de Montamar, qu'habitent des Français, des chrétiens. Il était temps. A Todiem, on avait enfin découvert la fuite de Guillaume et d'Ara- lielle; plusieurs vaisseaux s'étaient mis à leur po«.irsuite, et déjà l'on pouvait entendre les cris des équipages païens. Heureusement Guillaume peut abor- der, et les habitants de Montamar le reçoivent avec des transports dVn- thousiasme. A l'aide de puissantes machines, on coule bas la plupart des navires arabes ; les autres sont dispersés par un orage. Quelque temps après le fils d'Ai- roeri débarque à Marseille ; on l'y croyait mort depuis longtemps : il y est ac- cueilli avec allégresse. Partout on fait fête à Arabelle, et le cqmte de Tinant (?) propose de la marier solennellement avec GuilUume. Une telle union mérite en vérité un consécrateur extraordinaire, et le Pape est seul jugé digne de la bénir. h* j4poseoie réfçn^nt s'appelait Léon ,et,par bonheur, il était alors à Paris, n Qu'on PABT. UVB. II. CHAP. II. «• » •> * 9 r ^ ' GIIAP. XI. 266 ANALYSE DES ENFANCES GUILLAUME, Il PAHT. uw.ii. Guillaume est plein de colère; il bondit, il insulte - ses frères dont la joie Tindigne : «r Six ans, six ans, m*attende à Avignon, » dit-il aux messagers de Guillaume. L'empereur Louis veut assistera celte incomparable solennitéet devance leFape dans la ville qui est ap- pelée à en être le théâtre. Januiis on n'avait vu tant d'étrangers à Avignon ; le Souverain Pontife y arrive lui-même, et tout d'aliord procède au baptèmed' Ara- belle. La reine d*Arles est la marraine de la femme de Tibalt, qui absndonne son nom païen d'Aralielle pour recevoir celui de Guibourc. interrogée sur sa foi, la nouvelle chrétienne répond avec assurance, et, par trois fois,on la plonge nue dans le baptistère. Le mariage de Guibourc suit de près son baptême ; car, dans nos Romans, ces deux sacrements, en des cas analogues, sont trop soov^At inséparables. Et le poëme finit là. Le minnesinger, en terminant, prie Di«i fut dévotement d'envoyer le Saint-Esprit à ses lecteurs et à lui-même, « afin que ce Dieu devienne notre secours et que nous puissions voir la-haut la Femme célerte avec son fils. •> (V. L. Glarus, Herzog IFUhelm von Aqui ionien^ p. SS7 et tiUT.) 3** Les Nerùonesi donnent, comme nous l'avons dit, une singulière origine à la fortune de Guillaume. Plein de charité et de respect pour les vieillards, notre héros, âgé de seize ans, recuit dans ses bras le vieux Gharleraagne qui ne pouvait plus descendre seul de sou char de voyage, et tout aussitôt l'Empereur lemmune gonfalonier de la sainte Église (V. les mss. 7, 8, 9 et 160 de la cl. >l, à la Biblothèque nationale de Florence).... 4° Nous avons donné plus haut toutes les rubriques de l'iSin^n' de Narhonae en prose (ms. fr. 1497 de la B. 1.), qui se rapportent directement tmxEmfimees GitUlaHme. Il nous reste à faire ici quelques remarques sair cette version de notre Roman et sur les procédés du remanieur : a. 11 a eu sous les yeux et a'est proposé de rajeunir non-seulement les Enfances^ mais encore le Siège de Nar» bonne ^f\\x\ en V9\ la suite. — b. Toutefois, au lieu d'ndopter dans son refazimemto l'ordre si naturel de ces deux poèmes, il a naïvement résumé le Siège de Nar^ éfonneAVAm les £/i/•).—//. C'est à la fin des Enfances , et non après la Prise Ôl Orange, qu'il fait épouser Orable par Guillaume (f" CXLIV). — e. Dans la première jMirtie de son récit, il intercale les aventures assez vulgaires d'Hernaut le Roux, frère de Guil- laume, empruntées sans doute à quelque Roman qui est aujourd'hui perdu (P XUII et suiv.). — /. Pour tout le reste, il suit A PRC Plia l'action du Siège de Narhonne et des Enfances ^ mais il en défigure le style et en dé- nature l'ejiprit. L'extrait suivant suffira sans doute |)our faire comprendre ii nos lecteurs jusqu'où peuvent aller ces regrettables déformations de nos anciens fioëmes : « Comment Thibault d'Arrabbe vint au mandement du Roy Desramè a Orengr oit il ripousa Orable^ Camye Guillaume de Nerbonne,,,»Qt fut fiancée Orable <;ans remède qu'elle y scéut oncques mettre. Mais d'itant delaia «es ANALYSE DES RNFyINCES GVtLLAUMR. 267 ff dit-ii ; ce sont là de trop longues enfances ! J'aime " ^art. u? r. h. a mieux partir sur-le-champ en Espagne, courir sus — '■ — '- — '— espounaîlles que elle troiivt manière de foire les Sarrasins aller en guerre en attendant qu'elle éust Guillaume véu par aulcune ad^anture. Sy fut celluy jour le mengier richement apresté et tint court Desramé le plus amplement qu'il pénst, en prommettant de faire au ]x>ut des huit jours feste et joye ren- forcée à tous Tenaos. Et, quant vint au souper, lors se séirent les princes et nobles hommes Sarrasins, et les raines, dames, damoicelles et pucelles parmi eulx entremesléement. Sy se aparurent lors en salle les ménestrels et joueurs d'instnimens, les quieulx, pour la feste desduire et donner esbatement aux sei- gneurs, s'entremirent rhascun du mestier qui plus leur fut nécessaire et dont ilz cniderent estre myeulx loués. Sy se avisa lors la belle Orable d*un esbate« ment composer, car elle savoit des ars de nigromance et de Thoulette, et si avant que bon ouvrier éust esté qui rien luy en vual monstre pour aprendre. Et, quant il furent ou plus fort de leur mengier, elle fist ung charme tel, sans soy bougier de la table, que il fut avis au roy Desramez son père, à Thi- bault d'Arrabbe, à Esclammart de Nubie, à Clargis de Valdune, à Archillant de Luisame, au rouge lion et aux seigneurs qui là furent presens, et mées- mement an ealiphe de Gabon, qui là fut pour ieelle heure, que tous les ma- nières de viandes dont on les servoil, tant grosses come menues, estoient vifves, c'est à dire qu'ils vinrent beufs, moutons, oysons, cochons, connis, lièvres, gamteSy gaies, signes, paons, pors-sengliers, serfs, daims, alouettes, faisans et aultres chosses plusieurs dont on les servoit en manière de mes. Et sambloit que les bestes allassent parmi la salle, et les oyseaulx volletasse nt par desseure les tables, dont Thibault esloit tant joieux que merveilles. Mais, quant le charme iaiUi, sy fut come homme esbahy : si se merveilla dont venir se po- voit. Et jàéust sa robe, qui maint denier valoit, donnée à ung ménestrel, quant on lu! dîst que ce faisoit Orable qui de tels gieux savoit jouer. — Thibault.... véant' Orable qui de tel mestier faire se entremetoit , fut plus joyeux que nul ne diroit, et moult s'en loua au roi Desramé, lequel lui dist : v De « tels gieulx se scet bien ma fille meller, sire Thibault, fet-il ; et tant saichiés « que encores vous en fera d'aultres; mais qu elle voyeque ce ne soit à voustre ir desplaisance. Et bon est au fort que vous véés et saichiés qu'elle scet faire, « afiîn de luy deffendre ou commander lequel qu'il vous plaira. » Sy fut de ce le roy Thibault tant joyeux que merveilles; et dist que bien luy aggréoient. Et lors en commençi la pucelle ung aultre tel qu'il sambla à ceulx qui le pre- mier gieu avoient véu que par les huis du palaix venoient en salle ours, liépars, loups, liones, lions, asnes, cinges, rt auhres bestes, lesquieiilx se venoient mettre à table tout simplement, sans mefTaire à nulluy, et men- goient par dessus les espaulles des gens aussy doulcement comme se on les éust de longue main aprivoysiés ; et, ce fait, béurent aux coppes et aux banaps le vin qui sur les tables estoit. Et, ce fait, regardèrent ung grant bois qui par enchantement se leva en la salle, et d*icellui bois ouyrent, ce leur sembla, ung venéeur qui sonna ung cor au son duquel tontes les bestes obéirent et se retraïrent. Et tantost après ce failly l'enchant et le charme qui lant fut plai sant au roy Thibault que saouler ne se povoit du véoir. — Longuement se des- duisî la noble pucelle à foire les esbatemens qu'elle faisoit. Sy demenda le 368 ANALYSE DES ENFONCES GUtLLAUME. iiPABT.uvt. II. tt aux païens, lutter avec eux épée contre épée, con- ~ « quérir leurs terres et revenir glorieusement de cette « conquête avec mille chevaliers à mon service. Vous « n'êtes que des couards ! » — On entend alors une voix fraîche ; c'est celle du petit Guibelin, le plus jeune des sept enfants d'Aimeri. « Frère, dit-i), je veux aller « avec toi, et, s'il le faut, j'irai à pied. — Bien dit, ré- « pond Guillaume. — Et nous aussi, nous sommes a prêts à (e suivre, s'écrient Hernaiit, Beuves et Ga- c( rin. » Bernarl, l'aîné , s'oppose seul à cette esca- pade, et fait valoir ses droits. Mais Guillaume ne se connaît plus de rage : - n Je suis l'ainé et le mieux équipe ; — Je marcherai devant vous : je serai •( votre guide et votre capitaine. >* — •• Vous en avez menti, répond Guillaume ; K — Par cet Apôtre qu'invoquent les pèlerins, — Quand bien même vous •( seriez trois cents et quatre-vingts, — C'est encore à moi que vous obéiriez ! » {Enfances Guillaume, ms. fr. 1448 de la B. I., f» 68 vo et G9 r».) 270 ANALYSE DES ENtAKCES GUiLLAUME. "'^"^•"- quatre fils sortaient de leur château, suivis de mille ' chevaliers et de cinquante sommiers tout chargés d or de Goiitauine et d'argent. Dans les murs de la ville, la comtesse deomira^giie; Hcrmengarde restait avec ses trois plus jeunes fils, SïïwwhMw! ^^ quatre filles, el cent chevaliers seulement : c'est assez dire qu'elle demeurait à la merci des Sarrasins qui occupaient tout le pays, «c Fils, dit-elle à Guil- ce laume, si les païens m'attaquent, tu viendras à mou if secours, n'est-ce pas? vf^uillaume le lui promet, et s'éloigne joyeux. 1^ pauvre mère se pâme'. Cependant le roi païen Thibaut, qui jouera un grand rôle dans tout notre poème, est prévenu par un de ses espions de ce départ d'Âimeri : « Narbonne, « lui dit-on, n'est plus défendue que par une femme. » Tiiunut d'Arabie Thibaut scut qu'il ne retrouvera jamais une occasion rataence Semblable. Il est vrai qu'il est en Afrique ; mais n'a- et 4e 800 père t-il pas uue bouue flotte et de rapides dromons ? Vile, iiieture^aiége il rassemble ses vaisseaux, y embarque des milliers ^^^KirewT'^' de Sarrasins, aborde en France et se précipite, ardent, d'ikiiueiiBinie. g^p Narbouue. La ville est entourée d'un cercle de lances païennes^.... Pendant ce temps, joyeux et fiers, Aimeri et ses quatre fils poursuivent leur chemin vers la cour de Charlemagne. Nous pouvons nous les représenter marchant jour et nuit à la tète de leurs mille cheva- liers, parlant de l'Empereur qu'ils vont voir, oubliant Narbonne dont ils ne connaissent pas la situation périlleuse... Et c'est sur ce tableau que se termine le prologue de notre Drame... « Enfances Guillaume^ B. I. fr. 1448, f ' «8 v», 6» r", v»; cl fr. 774, (iu- romplet par le commencement), f*;i r** el v'\— » B* I. fr. 774, f» 1 v*— f« 2 1^. ANALYSfe: DES £XfJAC£S GUILLAUME. 371 I. Il PAIT. UVB. II. CBAP. ». Uaus la ville d Oranse, qui donnera son nom au commencenieuts héros de toute cette geste, mais qui appartient encore de Guillaume aux Sarrasins, dans ce beau palais de Gloriette dont pr^ï^ victoire 1a < «.j'*a. Ê. M. Jï 1* 1 du fils fTAimeri les trouvères ont décrit avec tant de complaisance les suriessarnsin»: incomparables merveilles, au milieu de ces sculptu- du^ï^i reSyde ces fresques, de ces richesses véritablement féeri- Bauocni. ques, au milieu de tous les enchantements de la magie, fleurit la belle Orable, « à la face plus claire que la fleur « d'aubépine et plus vermeille que la rose. » Orable un jour se fera chrétienne ; elle sera la femme deGuillaume. Maisque d'événements terribles doivent se passer avant cet heureux dénouement de notre poème ! Que de lar- mes etde sang seront répandus! r.a princesse sarrasine, jusqu'à ce jour, n'a guère songé qu'à jouir tranquil- lement de sa jeunesse, et Guillaume n'est pas encore « le tourment de sa pensée». Sa beauté, d'ailleurs, est célèbre dans tout le monde païen ; et Thibaut d'Arabie, dont l'empire s'étend à la Sicile, à l'Afrique, à l'Arabie, à l*Esclavonie, à la Calabre et à la Fouille, Thibaut vient de la faire demander en mariage. Ces Sarrasins là-bas qui sortent d'Orange tout en armes, ce sont les messagers de Thibaut qui viennent d'accomplir heu- reusement leur mission et qui sont chargés de beaux présents pour leur maître : le frère d'Orable a con* senti à ce mariage, et la belle païenne envoie à son futyr époux un cheval merveilleux, Baucent, avec les clefs de la ville d'Orange...» Tout à coup, sur la montagne de Montpellier, et comme ils étaient àmi-chemindeNarbonneetd'Orange, les messagers de Thibaut rencontrent Aimeri et ses quatre fils. Guillaume^ à la vue des Sarrasins^ pousse II PAIT. uvn. Jl, CHAP. XI. 272 ANALYSE DES ENFANCES GUiLLAUME. un grand cri de joie : son vœu le plus cher est réalisé. O bonheur ! il aura pu répandre du sang païen avant d'être chevalier! Il s'arme d'un pieu et se lance éperdument contre la gent maudite que les Fran- çais n'ont pas craint d'attaquer malgré rinfériorité de leur nombre. Quel combat ! Mille chrétiens contre sept mille infidèles ! Le courage des Narbonnais va sans doute rétablir réquilibrc... Mais non, la fortune semble tourner contre eux, ou plutôt Dieu parait les abandonner. Âimeri, le comte Âimeri, est fait prison- nier*. « Que vont devenir mes enfants? » s'écrie-t-il, les yeux levés au ciel. (vuillaume, lui, ne sait pas se désespérer. Il change (Parme, laisse son pieu et le remplace par une grande perche dont la seule vue fait pâlir les païens. Epou- vantés, ils se mettent en fuite, et (luiilaume n'a qu'à se montrer pour délivrer son père : « Arme- toi, dit c( alors Aimeri à son libérateur. Prends le heaume et le « haubert. — Non pas, répond notre héros. C'est « Charlemagne qui me donnera mes premières armes, a et je jure de n'en point porter d'autres. » Mais à ce vaillant il manque encore un cheval digne de lui. Tout à coup il aperçoit Baucent, ce cheval merveil- leux qu'Orable envoyait à Thibaut. Sa selle est d'ivoire; il est couvert d'une housse de soie vermeille et bleue qui traîne jusqu'à terre ; son frein seul vaut cent mille besants; il habite une sorte de palais à Orange, et l'on n'y fait sa toilette qu'avec la plus fraîche et la plus blanche hermine; douze païens enfin, parmi lesquels sont quatre rois, le conduisent par des chaînes d'or. a Ce sera mon cheval, » dit (Guillaume, et, sa per- che à la main, il se jette de nouveau au milieu desSar- ^EnJ'ancts GuiUuumey lus. 7*1, !• 2 r*', >•. ANALYSE DES ENFANCES iWlLLÀUME. 273 rasins qui, de nouveau, lui tournent le dos. Rapide- " p^"- "^"- "• ment il saisît Baucent par la rêne, le monte avec non ■ moins de vivacité, et lui enfonce dans le ventre ses éperons d'argent. Le bon cheval aussitôt fit un saut de trente pieds : il avait connu son maître '. La grande bataille continue. Le chef des Sarrasins, Aquilant, roi de Luiserne, se lamente de la défaite : il est blessé. Comment pourrait-il résister aux bonds formidables de Baucent, à ces bqnds de trente pieds qui promènent Guillaume sur tous les points du combat? C'est en vain qu'il essaye d'arrêter la fuite désordonnée, le saiwe^qui-peut de ses soldats. Tous disparaissent, et il se trouve seul face à face avec Guillaume qui l'arrête et l'interroge à la façon des héros d'Homère. « Ton « nom? — Aquilant. — Où allais-tu ainsi? — J'allais « demander la main d'Orable pour Thibaut, roi d'Ara- « bie. » Et le messager ajoute, non sans quelque naï- veté : « La belle pucelle que cette Orable ! Heureux « qui pourrait la tenir nu à nu dans ses bras! » A ces mots, la passion de Guillaume s'allume : passion toute charnelle, et qui n'a rien de platonique ni de chevale- resque. « Va dire à cette Orable, s'écrie-t-il, que son M cheval Baucent est tombé aux mains de Guillaume, ce fils d'Aimeri de Narbonne. Dis-lui aussi que je «c compte me trouver bientôt sous les murs d'Orange, a et que, si j'y rencontre ce fameux Thibaut, je le « tuerai... Ah! dis-lui encore que je la veux pour « femme et que je la ferai baptiser, et donne-lui cet « épervier de ma part *. » Telle fut l'origine des amours de Guillaume et de la belle Orable.... Peu de temps après, Aquilant remplissait son mes- » Enfances Guillaume, f» 2vS 3i^. - > F*» 3 r"et v». III. 18 271 ANALYSE DES EN¥ATiCKS GUILLAUME, " '^^^Vî^lî' "' ^^ auprès de la Sarrasine. Orable, tout d'aÉord, changea de couleur et maudit le ravisseur de son cheval fiaucent ^ Mais, avec une variabilité toute féminine et que le poète a bien rendue : « Montrez-moi donc cet « épervier, » dit-elle. Et elle sourit. Par ce seul sou- rire le pauvre Thibaut était à jamais condamné., Car ce sourire-là voulait dire r « Je veux être un jour la « femme de Guillaume. » II. tel pilens, sur le point de surprendre] lesFIraiiçab endonnto, lont trahit pir Orable, •qni le.fiance aYecGnUlaïune. Sur le champ de bataille sont demeurés les Français, vainqueurs. Leur triomphe les a aveuglés , ce qui n'est pas rare chez les Français... de nos Romans.  côté de leur immense butin , ils s'endorment. Un Sarrasin les épiait, et, comprenant la gravité de leur imprudence, court à Orange et avertit les païens. Le frère d'Orable, Clariel, ne veut pas perdre cette occasion de reconquérir tant de trésors perdus et l'honneur. Les clairons sonnent, les païens s'ar- ment, ils se glissent hors de la ville : les voilà qui, dans la campagne, à la faveur de la nuit, vont se préci- piter soudain sur les chrétiens et les tailler en pièces. Le danger est immense, et Guillaïune pourrait bien ne > AhOUE de GuaLAUMB POUR SON CHKTAL BaUCBHT. {Traduction Uité' raie.) « II est une chose [dit Guillaume] qui me rend triste et colère : — C'est n que Baucent, mon cheval brun, nous soit échappé, — Lui que Je pensais mener « à Orange, — Lui que je voulais montrer à la pucelle Orable !» — « Fils, dit n Aimeri» nous l'avons repris -^ Et votre frère vous Ta ramené... » — Aussitôt que Baucent entendit la voix de Guillaume, — Il déploya soudain une telle force, il se revigoura si bien — Qu*il renversa par terre les cinq hommes qui le tenaient. — Bon gré mal gré, il faut qu'ils le laissent aller. — Et Bauceot de traverser tout le camp français. — Il vient à Guillaume, et s'arrête devapl lui. — Non^ vous n'avez jamais entendu parler de deux hommes, — D'homme et de femme qui se soient assez aimés — Pour être plus joyeux — Que ne le furent alors Guillaume et Baucent le rapide ! (Enfances GuiUaumt^ fr. 774, f* 7 v«, col. 2. Cet épisode se rapporte à la bataille que nous raconterons plus loin, p. 2750 ANALYSE DES ENFANCES GUILLAUME, 276 jamais recevoir ses armes de la main du grand Empe- " '^"t* '^^>* "• reur. Mais Orable veillait sur Guillaume, Orable dont l'amour s'est rapidement exalté. Elle ne permettra point que « son ami » périsse de la sorte, dans une embuscade vulgaire : a Messager, dit-elle, va trouver «c Guillaume en toule hâte. Dis-lui que, s'il me veut a conquérir, je me ferai baptisera cause de lui. Ajoute « que cinq mille hommes d'Orange sont à sa poursuite, Le siège, tout aussitôt, est repris avec yne nouvelle vigueur. Par bonheur, les bourgeois de Narbonne ont du cœur, et le prouvent. Leur résistance ferait honneur à des chevaliers, et Thibaut lui-même en est épou- vanté : tf II faut que la ville soit à nous avant « le retour d'Aimeri e^ de Guillaume! » C'est le cri universel, et les Sarrasins s'imaginent déjà en- « Enfanee* Guillaume, P 6 v° et 7 r". — > F*» 7 r* et V*. — F** 7 v". — 4 F* 7 ?• et 8 1^. 278 ANALYSE DES ENPAI^CRS GUILLAUME. PART. uv».ii. tendre les pas terribles du cheval Saucent monté MF — ^— le fils d Aiméri. Un formidable assaut est préparé ; en tête des ba- taillons païens s'avance la statue de Mahomet. Cette statue est creuse, et un Arabe s'y est introduit ; « Cou- a rage, dit-il à Thibaut, Narbonne est à toi ! » En en- tendant cette voix qu'ils croient divine, les païens se prosternent, et adorent leur idole. Puis, ils s'élancent à l'ennemi... et sont battus '. Le pauvre Mahomet lui- même tombe à terre, et Thibaut furieux roue sa di<^ vinité de coups de bâton. Alors, tout honteux et tout humble, il demande une trêve à Hermengarde et se trouve fort heureux de l'obtenir*. Son orgueil vient de recevoir une nouvelle et terrible leçon. D'ailleurs Thibaut pense beaucoup trop à Orable pour pouvoir songer sérieusement à la direction d*un siège aussi difficile. Il a sans cesse Orable devant les yeux, il est brûlé de jalousie, il veut hâter ce mariage tant désiré. Oubliant tous ses devoirs de général et de roi, il al>andonne son armée dont il laisse le com- mandement aux rois Mathusaiant^ Aarofle et Albroc, et le voilà sur la route d'Orange ^. Or, dans le même moment, un messager d'Hermengarde sortait des murs de la ville assiégée et allait réclamer le secours d'Ai- meri et de Guillaume : «Cent mille Turcs m'assiègent « dans Narbonne la Grande. Si vous ne venez à mon w aide, je suis morte 4 ! p A la tête de dix mille païens, Thibaut suivait le long chemin qui sépare Orange de Narbonne; il dut passer non loin du champ de bataille où Guillaume avait été vainqueur des Sarrasins d'Orange. Quant à son entrée dans la ville d'OrahIe , elle fut moin5'. » Enfances Guillaume^ f°8 r». — > F» 8 v". — 3 P 8 >^-9 r». — 4 p 9 r«. ANALYSE DES ENFANCES GUILIAUMB. 279 joyeuse et moins triomphante qu'il aurait pu le " '^"- "^R- "• croire ; partout, il n'entendait parler que des exploits et de la beauté de Guillaume. Le frère d'Orable, Clariel lui-même, fut le plus ardent à lui faire cet éloge inattendu : ce Pourquoi me rompez-vous la tête « de ce garçon qui n'a pas seulement d'épée au côté? « Si je le rencontre, je n'aurai qu'à le prendre par le ce bras, et j'en serai le maître. » Orable alors parut de- vant ses yeux, tout éblouissante de beauté, et le premier mot qu'elle prononça devant lui fut encore le nom de Guillaume : « Sachez que je me ferai « chrétienne à cause de ce cdrétien, » dit-elle. Thi- haut frémit de rage, et se hâta de faire célébrer son mariage. Clariel lui mit la main de sa sœur dans la main, et ce fut tout : ils furent mariés ^ La liturgie païenne est, comme on le voit, des plus expéditives. a Ah ! Guillaume,Guillaume,s'écriait la pauvre Orable, tf nos amours auront été de courte durée ^ ! » Les noces commencèrent aussitôt : vingt-sept rois y assistaient ^. Le festin fut splendide, m^, hélas ! la nuit s'approchait, et Orable voulait à tout prix se conserver toute à Guillaume. Comment parviendra-t- elle à éloigner Thibaut d'une couche qu'elle entend bien ne partager jamais qu'avec le fils d'Aimeri ? Orable n'est pas seulement une jeune fille de grande beauté: c'est encore, sachez-le bien, une magicienne de grande puissance. Elle va employer sa magie à pré- server sa beauté de toute atteinte, et c'est en cette extrémité qu'elle a enfin recours à ses sortilèges Dans la salle du banquet, au milieu de cette joie des noces, on voit tout à coup s'élancer un cerf. Il est poursuivi par soixante chasseurs et quatre cents » Enfances Guillaume, f» 9 i*-10 i^. — » F» 10 i*. — ^ IbiiL 280 ANALYSE DES ENFANCES GUILLAUME. m iiPAiT.uvB.il. chiens. Bruit terrible, cris, aboiements, tumulte. CHAP. XI. , . * Chasseurs et chiens, soudain, se jettent sur les païens qui assistaient au festin ; ils en tuent mille. Et déjà Thibaut pâlit, Thibaut tremble : a Cessez, dit-il, cessez tt ces enchantements '• » La chasse en effet s'éloigne : tout redevient natu- rel, tout s'efface, tout disparait... Mais, dans cette salle tout à l'heure si joyeuse et qui maintenant a quelque chose de désolé et d'effrayant, on entend alors un brait étrange h quatre cents moines noirs se montrent, horribles. Ils chantent. Merveille plus étonnante en- core : chacun de ces couronnés porte sur ses épaules un géant qui jette des flammes par sa gueule. Les païens poussept des cris terribles, mais les affreux géants les poursuivent, et brûlent les moustaches de cent d'entre eux. Thibaut lui-même est saisi par les che- veux, cent moines s'agitent autour de lui^ son sang se glace : « Pitié ! pitié ! » crie-t-il à Orable '. Elle a pitié de lui, en effet, mais c'est pour lui donner en- core d'autres preuves de sa puissance ; c'est surtout pour l'effrayer davantage et pour l'éloigner plus vivement. Elle pense à Guillaume, et devient de nouveau implacable. Pauvre Thibaut, il peut s'at- tendre à de nouveaux enchantements, à de nouvelles terreurs ! Après un silence qui lui-même était lugubre, oo voit soudain les murs de la salle s'entr'ouvrir : quatre-vingts lions et ours se précipitent sur les con- vives, et remplissent le palais de hurlements épouvan- tables. Près de mille païens sont étreints et renversés par ces monstres, qui sont moitié fantômes, moitié réalité ^. Mais voici bien un autre prodige. Un pilier » Enfances Guillaume, P 10 i*, vo. — i F» 10 ▼•. — * ihïd. ANALYSE DES EJVP.4i\C£S GUILLAUME. 281 s'ouvre, et il en sort tout un fleuve. Les eaux montent, " 't"* "J"* "• montent : elles inondent le palais. Au milieu de cette mer, les païens se débattent, crient, sont noyés : « Pitié! pitié! s'écrie Thibaut d'une voix plus lamen- a table encore. Oh! que je voudrais étreà Narbonne' ! » Comme il achevait ces mots, le jour parut. Souriante alors, railleuse, impitoyable, la belle Orable se tourna vers Thibaut : « J'espère, lui dit-elle, a que vous vous êtes assez deporie avec moi cette nuit. « Je ne vous ai rien refusé, et cependant vous avez été fc bien exigeant.» l^e mieux, c'est que, par un dernier et plus merveilleux sortilège, le malheureux Thibaut est soudain convaincu de la vérité des paroles d'Orable. Pauvre roi, il ne lui manquait plus que cela! Toute- fois, il a encore assez de bon sens pour s'éloigner d'Orange en toute hâte et pour dire rapidement adieu à sa prétendue femme'... Orable conserva de la sorte sa virginité à Guil- laume qu'elle aimait. IV. Pendant qu'Orable se gardait à son ami, Guil- Gauiiume laume de son côté ne songeait qu'à Orable. Il semble de Gharieniviie; même que le poète aurait dû nous transporter sur-le- atumbemmut champ auprès de notre héros ; mais non, il nous mène «ar'îJdïïSl^ àNarbonne, et nous fait assister à de nouveaux épiso- JïdSm des de ce siège qui paraît interminable. C'est qu'eu i»»' ««^oonc effet ce siège est le nœud de toute cette action. Tout dépend de la prise de Narbonne : l'avenir de Guil- laume et surtout son mariage.... Les trois plus jeunes enfants du vieil Àimeri défendent à l'envi leur mère et le • Enfances Guii/awke, f» lÔ t*-11 ro. — a F* h ro. CHAP. XI. 282 ANALYSE DES ENFAI^CES GUILLAUME. Il PABT. uvR. II. fief paternel. Leur détresse devienttoutà fait pitoyable; il ne leur reste plus que la suprême ressource des assié* gés : une sortie, lis se précipitent hors de leurs murs à la rencontre des païens. C'est alors, ô douleur! que Beuves est fait prisonnier, et condamné à être pendu dès le lendemain ' . Mais ses deux frères, Âimcri et Gui- belin, se lancent de nouveau dans la bataille, tuent le roi Malaquin, et s'emparent d'Espaulart, le fils de l'Amiral. On échange Beuves contre Espaulart, et les Français parviennent même à se faire donner par Thibaut les vivres dont ils allaient manquer*. HélasI le siège continue, et, malgré des avantages passagers, la résistance devient tout à fait impossible. La pauvre Hermengarde est en larmes... Guillaume, lui, ne songe guère à pleurer. Un jour, Âimeri de Narbonne et ses fils aperçurent enfin les murs de Paris; mais on leur dit que le grand empe- reur Charles était à Saint-Denis, et ils allèrent à Saint- Denis. Le vieux Roi ne se doutait guère en ce moment que le meilleur défenseur de l'Empire approchait de son palais, et que c'était ce tout jeune homme imberbe, ce fils d'Âimeri nommé Guillaume. l/arrivée de Guillaume à la cour de Charlemagoe est un des morceaux les plus connus de notre épopée chevaleresque. Guillaume, c'est le Cid français, tout à fait comparable au Campéador; mais ne nous atten- dons pas ici à la tournure élégante et civilisée du Cid de Corneille. Guillaume ne ressemble qu'au héros des Romances espagnols qui , lorsque Don Diègue lui serre la main brutalement, s'écrie : « Ah ! si vous n'e- tt tiez pas mou père! » Guillaume est d'une brutalité qui tourne au sublime. « Enfances Guillaume , f» 11 r«.12 r«. — » F» 12 i*. 12 ▼•. Après ce f*, il y li, dans If ms. 774, une lacune de trois feuilleti. ANALYSE DES ENFANCES GOiLLAUMB, 283 Il entre chez Charlemacne comme chez lui. Un roi " '*^*' "^■- "• portait l'épée nue devant Charlemagne; Guillaume bouscule ce roi, et lui dit : « C'est à moi de porter cette a épée, c'est mon fief, d Et, comme l'autre résiste, le rude enfant le fait tourner trois fois sur lui-même et le pousse contre un pilier : par un petit tic Va ecetvelc. Charles, stupéfait d'un tel début, s'écrie : a Ce n'est « pas un homme, c'est un diable. Qu'on le jette à la « porte de mon palais. » Mais alors on assista à un spec- tacle formidable. Guillaume se dressa de toute sa hauteur, tira son épée d'acier à la garde d'or, et, d'un ton de voix à faire trembler le palais : a Le pre^ « mier, dit-il, qui ose porter la main sur moi est un « homme mort ! >i On ne savait pas encore que c'était le fik d'Aimeri de Narbonne. Tout à coup, un chevalier s'écrie : « C'est Guil- « laume; voici son père Aimeri, et son frère fier- « nart. v On les reconnaît, on les entoure, on les fête : c Vos fils, dit Charlemagne tout joyeux à Aimeri , c vos fils seront chevaliers aujourd'hui. -» On oublie alors la mésaventure du pauvre roi que Guillaume a tué plus qu'à moitié, et on ne songe qu'à se ré- jouir. ^Ce ne sont que chants de ménestrels, diver- tissements d'ours et de jongleurs ^ Les barons sont en liesse; mais', dans nos vieux poèmes, cette joie n'e%t jamais de longue durée. Au milieu de ces rois et de ces chevaliers, se montre soudain une sorte de géant difforme et laid : c'est un Breton. « Qufl est ton métier ? lui demande l'Empereur. — Je « suis cliampion, sire, et je défie tous vos barons au a bâton et à l'écu. » On le regarde alors non sans « Enfances Guillaume^ B. I. fr. 1448, f* 81 ▼•-83 y*. 284 ANALYSE DES ENFANCES GUILLAUME. Il PABT CHAP .^ufB. II. quelque effroi : il avait les yeux rouges comme char- — ' bons embrases, des dents de sanglier, des poings énormes ; des grenons liés par des fils d'or tombaient sur sa poitrine ; il était affreux à voir. Trente baehe- tiers vont affronter ce rude lutteur ; il les abat tous les uns après les autres. Leur sang coule, la blancheur de leur hermine est horriblement ensanglantée; le Breton sourit, vainqueur '. Des rangs de cette foule consternée un jeune homme sort pour tenter de nouveau la lutte : c'est Guil- laume. Ah! comme les seigneurs des douzième et trei- zième siècles devaient prêter Toreille à ce passage de notre Chanson 1 Aux yeux d'une race militaire» la force matérielle est la plus poétique, la plus attachante de toutes les vertus. Les deux lutteurs s'insultent, se saisissent, s*é- treignent. Puis les coups de bâton tombent comme grêle sur leurs épaules. Le Breton sent enfin qu'il a affaire à un adversaire digne de lui. Il s'entête néanmoins dans ce combat fatal. Mais, d'un der- nier coup f le fils d'Aimeri lui crève les deux yeux et fait voler sa cervelle en l'air. Telle fut la première victoire que remporta Guillaume sous les yeux de Charlemagne : elle fut célèbre durant tout le moyen âge, et les Bretons seuls purent trouver cet épisode de mauvais goût. Autour du jeune vainqueur, les acclamations écla- tent. Vite, il faut l'adouber chevalier. Tel était le but principal de son voyage, telle est la récompense dont il vient de se montrer encore plus digne. Le jeune héros témoigne alors d'une modestie dont il ne nous avait pas encore donné beaucoup de preuves, il ne veut pas > Enfances Guillaume, B. I. fr. 1448, f* 82 ▼•, 83 r«. ANALYSE DES ENFANCES (iVILLAUUE. 286 être armé avant son frère aîné Bernart, ni même avant " p^"- "»■•"• ' CHAP. XI. Hernaut et Garin. A cette modestie succède une ma- gnanimité véritable : il fait adouber avant lui plus de soixante damoiseaux auxquels il jette, à mains pleines, la pourpre, le cendal et les bons marcs d'argent. Après le triomphe de la force brutale, ces prodiga- lités devaient achever de ravir tous les cœurs. On attendait avec impatience Tinstant solennel où Guil- laume allait devenir chevalier à son tour. En rusé politique, l'abbé de Saint-Denis voulut précipiter cet instant: « Ce damoiseau, dit-il tout bas à Charlemagne, « est capable de piller toutes nos abbayes. Hâtez- vous a de l'armer et de l'expédier en Espagne. » Bon abbé ! Quelle sollicitude ! On trouve enfin des armes dignes d'être portées par un tel chevalier, et c'est Tabbé de Saint-Denis qui les fournit... avec plus d'empressement qu'il ne con- viendrait. Sur un riche tapis, on a placé les pièces de cette célèbre armure qui furent, dit-on, conquises par Alexandre, en Arabie. L'Empereur les remet de ses propres mains à notre héros ; mais le fils d'Aimeri ne veut point les porter avant de les avoir pieusement déposées sur l'autel de Saint-Denis... avec un cortège de vingt archevêques et de cent abbés. Enfin notre héros se révèle un peu chrétien, et nous nous aper- cevons que ce Germain est baptisé ! Le voilà debout au milieu de la plus belle cour du monde, le voilà^ notre Guillaume... Souliers vermeils, éperons d'or, noble épée dont la garde est pleine de reliques et que la main de Charles lui ceint au côté gauche, pennon que vient de lui envoyer la pauvre Orable en lui annonçant son mariage avec Thibaut et en réclamant son secours, haubert « plus flamboyant que vingt cierges», rien ne manque au nouveau che<- 2S6 ANALYSE f)Ë8 ESF.4KCES GViLLAVME^ Il wun. uvi. IL valier ■; rien. . . si ce n'est une belle occasion de se OUP. XL ' vir pour la première fois de ces armes noinrcifes. L'occasion se présente tout aussitôt : < Naribomie ira « tomber au pouvoir des païens, Narbonneestpenliie,B s'écrie un messager quliermengarde en jJeors a en- voyé à son mari et à ses endsints '. On ai^ireod alors que la ville d'Aimeri est assiégée par trente rois et quatorze amiraux ; le poète va jusqu'à nous afifirraer que chacun d'eux avait cent mille Sarrasins sous ses ordres. H n'y a pas là de quoi effrayer le grand cœur de Guillaume, il rugit de colère : « A moi, dit4i, à Enfances Guillaume^ B. I. fr. 1448, f* 83 r<»-84 t«. — > B* 1. Ir. 7)4| fW 13 i«. — ^ F^ t3 r« et v«. — 4 F» 13» v*. ANALYSk: DES ENFANCES GUILLAUME. 287 U rABT. LlYl. II. CBAP. XI. V. ' On attendait Guillaume à Narbonue, on l'attendait Déumnce à Orange. 11 commence, en bon fils, par songer à la débite délivrance de sa mère. Sous les murs de la ville assiégée, m àJ\aunaf% , un terrible combat s'engage dès son arrivée, et son frère ^ Guuitamc. Bernart s'y montre digne de lui. « Si mon gonfanon « n'était pas rouge de sang païen, je n'oserais pas ce « soir me montrera Guillaume * . » Il se lance témérai- rement au milieu des rangs infidèles ; les Turcs le cer- nent, ils font pleuvoir sur lui une grêle de flèches; Bernart va périr *. Non, non : voici Guillaume qui fait son entrée dans la bataille sur le terrible Baucent^. Le combat recommence , sanglant , et les Sarrasins tombent par milliers. Mais, hélas! ils sont si nom- breux ! Jamais bataille n'eut de si diverses, de si émouvantes péripéties. Thibaut est blessé ^; le vieil Aimeri est désar- çonné ^, et, du haut des remparts de Narbonne, la pau- vre Hermengarde aperçoit avec angoisse la détresse de son mari ^; les trois plus jeunes enfants du comte de Narbonne se précipitent à son secours, et Beuves de G>mmarcis a la joie de délivrer son père; le jeune Aimer tue le roi Aarofle ; les païens fléchissent de toutes parts, et Thibaut essaye encore de les retenir : « O Mahomet, dit-il, je voudrais être mort ^. » Pour la vingtième fois, le combat recommence; ou plutôt cW une vingtième bataille...*. Ce soir-là, on vit se précipiter sur le bord de la mer des milliers de soldats en déroute^ Us se jetèrent à la hâte dans leurs vaisseaux, encore tout effarés et > Enfimcti Guillaume, f>» 14 r«. — > F<* 14 i*»ïh r*. — > F^ 16 f*. — 4 F» 15i* et ▼♦. — «?• 16 v< -- • F* 16 v», 17 r*. — ' F* 17 r* et t*. r*4 ANALYSK DtS EAF^yCES GUILLAUME. ^* tremblants. Puis les voiles s'enflèrent et les vaisseaux ~ partirent. C'était le roi Thibaut d'Arabie et ses païens qui. décidément vaincus^ quittaient enfin la* France et retournaient en Afrique ; Narbonne était délivrée, < «uillaume était triomphant, et, dans la ville d'Orange, i.Vable attendait avec impatience l'arrivée de ce vainqueur. Vimtfri et ses enfants se reposaient déjà, lorsqu'on Leur annonça Tarrivée d'un messager de l'Empereur : t Chairlema^iie est sur le point de mourir, et ses ba- t n^os^ menacent de trahir son fils Louis, il appelle i < Guillaume à soo aide. — C'est bien, dit Guillaume. 4 Le premier traître que je rencontre aura la tête • cuupee. ^ Le poème finit par ce vers brutal ', qui ioU2ï^ dfiaooce le$ êréoements importants dont nous jlloit«> bientôt entreprendre le récit. Le:> fifi/ùnctjf de i«uillaume sont finies ; sa chevale^ -e ira commencer. CHAPITRK XII. «HTOLAnU ET SES FUiRES SB SiPARENT. , Li IX>(w\rtemens des Enfans Aimeri '.) Aprt^ 1^ grande défaite des Sarrasins sous les murs \le Nurbonne, quand Aimeri fut triomphalement ren- % JTmImc^v Cmiiimime, f» 17 t«. » IWTICB BIBUOGBAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LE INSTAR- fiJWXT »CS EXrAKS AIMERI. I. BIBUOGRAPHIE. U Dr/mrtemems des ISJm Àmeri forme une branche i ptrt dan» le manuscrit 23 U Vall. de b MllSrltèliff i»p^Mde, et c'est pourquoi nous lui consacroos îd mK Notîee ANALYSE DU DKPARTEMEST DKS EAfJ.SS M3IEJU. 289 tré dans sa >ille et dans son palais, il éprouva une '*'^*^" joie très-vive en voyant enfin sa femme Hermengarde ffêcâk. U oooncQt d'aiUeitn de remarquer que certuns auteurs oot coofoodu à tort le Dtpartememt a^ec les EmfuHces, Nous croyons, pour nous, que le mot Àefmumems s'applique surtout à ce secood départ des enfints d'Aimeri qui a Bea après la délivrance de Narboone, alors qu'ils se dispersent sur tous les poinls de la duétienté ; qu'ils Toot occuper les fie£i dont ils. ^rderonl k**» ■OBs; que Bemart %a à Brebant, Garin à Anselme , Hemaut à Gironde, Benres à Commarcis, Aimer, Guibelin et Guillaume à la cour de Charlema- ^ar^qui va bientôt mourir et laisser à son fils Louis un trône chancelant.... I* Datv »e LA coMFOSino!(. Le DepartamcM des tmfant Almeri qui remplit les deux derniers folios des Enfances GuilUmme dans le ms. fr. 1448 de la B. L et qui j est d'ailleurs confondu avec cette dernière Chanson, est une «eum» dn trâôème siècle. Le Departemens des Enfams jéimeri du ms. 33 La Vall., qui un petit poème indépendant, nous parait d'une rédaction un peu |»osté- -!• ACTEUm. Les deux versions du Departemeni sont également anouTmes. — S* 50HBBB DE TBmS ET 71 ATTKB DBUI TEKSIFICATIO!!. Dans le mS. 33 La Val!., le Drpartemens contient environ SM vers qui sont des décasyllabes rîmes. Les cooplets n*y sont pas terminés par le petit vers final. Ce qui prouve bien, d'aiDeurSyque les Enfances et le Departemens soaldtux Chansons distinctes dans le maniwrrit précité, c'est que le premier de ces poèmes est assonance, et le second rimé. — 4* Maxuscrits co?(>xs. Lems.23 La Vall. est du quatordème siècle, et c'est le seul qui nous offre ce petit Roman sous une forme indépendante. Le ms . fr. 1448, du treizième siècle, nous le présente intimement confondu avec les Emfamcts. — S* Veesiox E5 peose. Le compilateur de la version en prose du msw 1497 a connu le l>epartem,) — Mais voici qu*uu messager arrive de la part de Chariemagne: l'Empereur mande à Guillaume de venir sur-le-champ à Paris pour une Cour plénière à laquelle assisteront les douze Pairs (f» 5 1 r^). — Guillaume se dispose à partir: « Mes il a moult le cuer triste et doutant, — Quaut lui souvient d'Orable la vaillant, — Et de Tiébaut, et d'Orange la grant — Qu'encore tien- nent Sarrazin ne Persant. » Hélas ! ajoute le poëte, quatorze ans se passeront avant que Guillaume épouse la femme de Thibaut. (F» 51 v».)— Le vieil Aimeri, cependant, a peur de rester seul dans sa ville de NarlK>uue : k Thibaut et Da- tant, dit-il, vont venir m'attaquer. » — •« Ne craignez rien, et comptez sur moi, •• dit Guillaume, qui part avec ses frères, ne laissant que le petit Guibelin près de son père. — « Li quens Guillaume — Moult durement pensoit àdame Orable. » (F» 51 \^.) —A peine les enfants sont-ils partis que leur mère fond en larmes: « Ahi ! Nerbonue, mal fussiez- vous fondée I —Mal feu gregois vouséustalumée ! — •' Pierre sus autre n'i fust orc trouvée! » Aimeri console sa femme; mais, en réa- lité, elle avait raison de craindre : car un an et demi ne s'était pas écoulé •« Que le rassistrent Païen et Arrabi, — Li Sarrazin et li Amouravi ». (F» 52 r*».) — Le poète, alors, nous transporte brusquement près de Charles. Les enfants d' Aimeri arrivent à la cour, et le Roi, tout d'abord, prend Guillaume par le menton. 11 lui donne le quart de la France à gouverner et le fait son gonfa- lonier. (Ce dernier trait est conforme à la vérité historique. L'Astronome limousin, en effet, donne à Guillaume le litre de primussigniftrj Pertz, Scriptores, II, pp. 611, 612.) — Mais Jusqu'ici, un seul des Enfants a reçu quelque satisfaction ; les autres sont là, qui réclament leur part. 11 est décidé que Beuves partira sur-lc- ANALYSK DU DEPARTEMENT DES KNFANS AIMERI. 291 sa famille. Toutefois ce bonheur ne fut pas de loncrue "'^w- uvr.ii. durée. Aimeri se prit à réfléchir, et vit qu'il était trop champ en Gascogne pour demander la fille du roi Yon, et le pays avec la fille (f« 52 r»). Garin succédera dans Pavie au roi Boiiiface, qui n*a pas d'héritier direct. Et Aîmer, que deviendra-t*il ? « Aimer sera mon sénéchal, » dit le Roi. — « Non, non, répond l'enfant, je veux conquérir l'Espagne ; l'Espagne est « ma part» (f> 52 v»). — C'est en vain, d'ailleurs, que les frères d'Aimer le supplient de rester au moins une année près de l'Empereur qui a besoin de ses services; c'est en vain que Charles lui propose Melun, le Saumurois et le Beauvoisis , avec Crespy en Valois : « Non , non , reprend obstinément « Aîmer, je veux l'Espagne, et je l'aurai. » Et il fait alors le vœu « de ne pas « se coucher » avant d'avoir chassé les païens de toute la chrétienté. Charles ne se console pas de perdre ce nouveau Roland : « II y a vingt-cinq ans, dit-il, « que l'autre est mort. » Et il pleure (fo* 52 vo, 53 r«). — Sur ces entrefaites, arrive à Paris (fort opportunément) le roi Yon qui marie très- volontiers sa fille avec Beuves. Ce mariage est couaIb avec une rapidité merveilleuse, et voilà Beuves héritier de la Gascogni» éoiit il fera hommage à Charlemagne après la mort de son lieau-père. (F® 53 r>.) — Boniface, roi de Pavie, arrive dans le même temps et, avec la même complaisance, donne sa terre à Garin. Le lendemain, Charles adoube Beuves, Aîmer et les quatre autres frères. Cette cérémonie, dans notre poëme, est plus religieuse que militaire. « En « Tonneur Dieu qui le mont estora, — Te doing ce brant, meilleur ne vi A pieça,— Par ■!* couvent que deviserai jà : — C'est que Dieu aimes qui le monde M fourma.» (F<> 53 vo.) — C'est alors que Beuves part décidément en Gascogne et Garin en Lombardie. Quant à Aîmer, il s'éloigne de la cour avec trois mille chevaliers et trois mille hommes à pied, et se dirige vers l'Espagne. 11 passe par Narbonne, afin d'y faire ses adieux à Aimeri et à Hermengarde. Mais, dans cette ville que les chrétiens venaient de reconquérir si heureusement, il y avait alors un espion sarrasin. Il apprend le départ d' Aîmer, il apprend que le vieil Aimeri ▼a rester seul, sans défense. Vite, il court avertir les rois Desramé et Esplandoine qui réunissent leur armée, et vont mettre de nouv^u le siège devant Narbonne. Les derniers vers du Département : « Ce fu en mai que ci m'orés conter,» se re^ lient aux premiers du Siège de Narbonne : « Ce f u en may que la rouse est flo- rie. » (F» 54 vo.) Ainsi se termine cette seconde version de notre poëme ; elle est, comme on le voit, bien inférieure à la première. 2<> VArabelens EntfiUirung^ en supposant •« qu' Aimeri déshérite ses fils au préjudice d*uu étranger «, se met en contradiction avec les deux versions de notre poëme. 3* La compilation en prose du ms. 1497 ne nous offre qu'une imitation FOBT LIBRE du Département. L'auteur inconnu de cette œuvre très-médiocre se permet d'envoyer, AVA^T soif résumé des Enfances, les fils d'Aimeri en Gascogne et en Lombardie. Mais ce qu'il y a de plus original dans son récit, ce sont les singulières aventures qu'il prête à Hemaul, frère de Guillaume, et que nngt pages sufGsent à peine à contenir... La scène se passe après que Beuves - est allé en Gascogne et y a épousé la fille du roi ; après que Garin a été à Pavie, a conquis Anséune et engendré le meilleur chevalier n qui à son costé portBst espée* (1497, {• ixxvr<>, v«). Hernaut, Guillaume, Bemart et Aîmer 202 ANALYSE DU DEPARTEMENT DES EN PAN S AIMER t. II PART. LIVR. II. CHAP. XII. Les enfants d*Ainieri quittent leur père : Beroart vaSi Brebant; pauvre pour faire la fortune de ses sept enfants. Aimeri était un jour entouré de ses sept fils. Tout- se décident à aller à Paris ; car Tempereur Charles a convoqué pour la Pen- tecôte une grande cour plénière. Une foule immense se presse déjà sur le che- min de la grande ville, et c'est à qui y arrivera le premier pour s'y procurer un logement. Hernaut est ctoimé de tout ce qu'il voit en route; mais, d'ail- leurs, il est plein d'espérance. Le vieil Aimeri lui a dit qu'il serait « le four- rier de l'Empereur », et il a pris tellement au sérieux les paroles de son père qu'il se regarde déjà comme investi de ces importantes fonctions. « Quels sont, » dit'il, ces inconnus si bizarrement accoutrés? — C'est l'évéque d'Avignoo n avec ses clercs. — Pourquoi se hâtent-ils ainsi? — Pour avoir un logement H dans Paris. — Dites-leur donc de ne pas prendre d'inquiétude à cet égard. Je « suis le grand fourrier de l'Empereur. » L'évéque intervient alors, tout effaré : « Puisque vous êtes au service de Charles , vous savez sans doute •« pour quelle raison il nous convoque > — Moi ? dit Hernaut, je n'ai jamais •< mis le pied à la Cour. — Cet homme se moque de nous,» dit l'Ëvèque, et il lui tourne le dos. Quelques heuret après, l'Évéque était bien installé dans un village voisin où les quatre fils d' Aimeri chercliaient en vain un gîte. Ils se présentent, et sont éconduits par le maitre d'hôtel du prélat irrité. Hernaut, dout le premier mouvement est toujours de porter la maiu à son épée, veut se jeter sur l'hôtelier : Guillaume le retient. Néanmoins, où loger? Par bonheur un abbé cliaritable aperçoit, de son fenesiraigCy les quatre damoi- seaux dans l'embarras, les appelle, les héberge et les fait souper avec lui : « Ce «c bienfait ne sera point perdu, dit Hernaut, et, comme grand fourrier du Roi, «I je vous promets un bon gîté à Paris. » C'est une promesse qu'il est plus facile de faire que de tenir (fo xxxvii vo-xxxix r*). — Enfin, voici Paris. La ville regorge d'étrangers; plus d'hôlel, plus de gite. « Nous courons grand « risque de coucher daus la rue. — Non, non, dit Hernaut, qui, en vrai per- « sonnage de comédie, ne manque jamais à faire la même réponse. Ne sui»-je « pas grand fourrier de Franre? » Le damoisel Hernaut •< se mit en chemin Jorz, et, en allant de rue en rue, véant viande cuire et appareillier, despecier moulons, copper gorges de ponllaille et faire rost et pasticerie, » se sentit appétit. 11 frappe à première auberge :« Nous n'avons plus où vous loger, « s'écrie l'hôtelier. — El qui donc est desrendu chez vous? -r- Le cardinal de •« Bologne avec une suite de quatre-vingts rhevaux. C'est lui qui prêche (i demain devant l'empereur Charlemagne ! » Hernaut entre bnitalement dans la maison, tire son épée, en frappe un coup terrible sur la table, met tout le monde eu fuite, jellc tous les bagages par les fenètrts : «« Et de quel droit i( agissez- vous ainsi? demande l'hôte, non sans quelque timidité. — Je suis n le fourrier de rEm|)ereur!»> Ses frères sont enfiu obligés de l'avertir que rette charge n'est qu'imaginaire, tant qu'il n'aura pas été nommé par Charles lui-même. Mais Hernaut a quelque peine à se mettre en tête cette idée; car il s'était naïvement persuadé qu'il n'y avait pas dans le morde entier un plus liant seigneur que son père Aimeri ff» xxxix, r» XL \«). — Sur ces entrefaites arrive Beuves, qui désormais portera dans notre Roman le nom de son châ- teau de Commarcis; son beau-père, le roi de Gascogne, est avec lui. Mais, hélas! à Paris, il n'y a plus de place, même... pour un roi, et c'est encore ANALYSE DU DEPARTEMENT DES ENPANS AIMERI. Î93 à-coup, il interpella brusquement son aîné,Bernart,qui " s'était si bien montré durant toute la guerre: « N'es- - « pérezpaSylui dit-il, posséder jamais quelque chose à « Narbonne. Partez,aIlezàBrebant,et demandez au Duc a la main de sa fille. » Bernart partit^et rencontra sa mère a Hemaut qui se charge de loger ces nouveaux arrivants. Dans un riche hôtel est le prince de Tarente avec des n Romains et Italiens ». Le fils d*Aimeri dessine, d'une main hardie, les armes de Gascogne sur la porte de cet hôtel dont il chasse tous ces nobles étrangers. « liais où irons-nous? — Laissez « m'en paix^ et si allés aux fourches si bon vous semble. » F* XL, v**-XLI v«.) — Peu de temps après, Hemaut a la joie de déloger de la même façon Tévèque d*ATignon contre lequel il avait des représailles à exercer, et d'installer, à la place du prélat ainsi expulsé, le bon roi Bouiface de Pavie. (F« XLiii r«-v«.) — Cependant Paris est plein des mécontents qu'a faits le fils d'Aimeri. Tous ceux (fo'il a délogés avec cette terrible formule : « Je suis le fourrier de TEmpe- reur, » vont se plaindre au fils de PépÎD. Or, le véritable fourrier de Charles était un bon et pacifique chevalier champenois qui n'avait jamais manqué i son devoir et n'avait fait de tort à personne. Il est bien étonné des reproches qu'on lui adresse. Tout se découvre. Gui, fib du comte Hue de Troyes, et Geoffroy d'Anjou sont envoyés avec cinq cents hommes à la poursuite du malheureux Hemaut qui résiste eu vain et est forcé de comparaître avec ses frères devant l'Empereur courroucé (fo XLiv-XLVi). — Mais là une péripétie très- inattendue attend le lecteur : Charlemagne est tellement charmé de la beauté des enfants d'Aimeri qu'il pardonne tous les méfaits d'Hemaut, et le reçoit en sa grâce avec tous ses frères (P xlvu-xlviu). — Les voilà tout à coup élevés au premier rang, et l'auteur du quinzième siècle, se moquant des propres Chansous qu'il traduit, dit avec une bonne ironie : « Et furent mors ceulx qui mors furent. Ceulx qui furent navrez se firent mediciner et garîr, se bon leur sembla. Car ainsy va de telles avantures. » II ajoute que Charlon, fils de Charlemagne, épousa plus t;ird une des filles d'Aimeri. — Tout ce récit est empmnté, suivant nous, à une version du Département plus complète et plos ancienne que celles que nous possédons aujourd'hui. Qu'il soit calqué aor nn poëme du douzième ou du treizième siècle, c'est ce qu'il est difficile de mettre en doute, si l'on veut bien réfléchir que cette version en prose du ma. 1497 a été tout entière composée d*après des poèmes de cette époque, plus ou moins défigurés et corrompus. Hemaut le Roux, d'ailleurs, est partout représenté, dans nos Chansons les plus anciennes, comme un personnage héroï- comique, et, dans l'épisode que nous venons de raconter, il conserve fidèle- ment cette physionomie primitive... 4* Nous consacrerons, dans notre quatrième volume, une note spéciale aux fib d*Aimeri, et c'est là que nous résumerons l'histoire de chacun d'eux depuis le Département. Notre Table générale, d'ailleurs, renfermera sept Notices chro- nologiques sur Bemart de Brebant (qui eut pour fils Bertrand); Guillaume; Garin d'Anséune, père de Vivien ; Hemaut de Gironde ; Beuves de Gommarcis, père de Gérart et de Gui; Aimer le Chétif, et enfin Guibert ou Guibelin, qui, suivant l'auteur du Siège de Barbaêtre, eut pour fils Navari de Toulouse. PART. UTB. II. CHAP. XII. 29^ CHAP. XII. ANALYSE OU DRPARTE^JENT DES ENFANS AlMERi, " ''^«Ap"!?; " ^" chemin : a Mon fils, mon fils, où allez-vous ? — Je « vais épouser la fille du duc de Brebant ; c'est mon père a qui m'y envoie, — Prenez ces trois sommiers chaînés « d'or. » Bernart les prit, se mit en route, arriva à Bre- bant, et se présenta au Duc : o Mon père Aimeri, lui a dit-il, vous prie de me donner votre fille. » Tout aus- sitôt les noces se célébrèrent, et, dès la première nuit, Bernart engendra le paladin Bertrand ^ Âimeri était un jour entouré de ses six fils. Tout-à- coup, il s'adressa à Garin, et lui dit : «c Allez de- ce mander au duc Naimes de vous donner sa fille Eus- a tace et la bonne cité d'Anséune. » Garin partit, vit le duc Naimes, demanda et obtint la belle Eustace ; puis conquit Anséune sur les païens et la garda. A peu de temps de là, naquit Vivien, qui devait moiurir à Alis- Garin ft Anséune ; Ilernaut à Gironde; cans Aimeri était un jour entouré de ses cinq fils. Il arrêta soudain son regard sur Hernaut le Roux : « Par- ce tez à Gironde, lui dit-il, et demandez au Comte de « vous donner sa fille Béatrix. » Hernaut obéit à son père, délivra la ville de Gironde qui était assiégée par les Sarrasins et épousa la belle Béatrix ^. Aimeri était un jour entouré de ses quatre fils. Il s'adressa aux trois aînés de ceux qui étaient ainsi de- ronr de Charles, mcurés près dc lui: « N'espérez-pas, leur cria-t-il, pos- « séder jamais quelque chose à Narbonne. Vite, vite, « allez en France. » Beuves, Aimer et Guillaume ne se le font pas dire deux fois ; ils partent, ils cheminent, ils arrivent près de Charles : « Qui êtes-vous ? leur « demande le grand Empereur. — Nous sommes les fils a d'Aimeri de Narbonne. » Or, aux pieds du roi de France était en ce moment prosternée une jeune fille Beuves, Aîiner et Guillaume retournent à la * Departemens des Enfans Aimeri^ IJ. I. ms. fr. 1448, f« 87 r* et \«. — ' F«» 87 >».88 r«. — 3 F« 88 r«» el v«. "ï ANALYSE DU SIÈGE DE flARBONNE. 295 qui demandait un mari au fils de Pépin : c'était Hélis- " "^^Ip xl^iî! '** sant, fille d' Yon de Gascogne : « Je vous donne à Beu- « ves,» dit le roi à cette vassale. Hélissant jeta les yeux sur Beuves, et ne fut pas mécontente du choix de Charles. Les deux nouveaux époux allèrent ensemble à Commarcis. Moins d'un an après naissait Gérart, et Gui deux qnsplus tard. Quant à Aïmer, il fut adoubé par l'Empereur, en attendant mieux. Et pour Guil- laume.... il fut Guillaume ^ Aimeri de Narbonne fit ainsi la fortune de ses fils. CHAPITRE XIII. CE QUI SE PASSA ENTRE LES ENFANCES DE GUILLAUME ET LA MORT DE CHARLEMAGNE. (Le Siège de Narbonne*.) l. Pour la troisième fois, depuis le commencement de ''^^J^J^^,^ ces récits, les païens ont mis le siège devant Nar- ' Département des En fans Mmeri^ fo 88 r". 3 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LE SIÈGE DE NARBONNE. I. BIBLIOGRAPHIE. 1» Date df la composition. Le Siège de Narbonne^ poëme dont pei'soDue encore n*a signalé Texistence, est une œuvre du treizième siècle. — 2<> Auteur. Le Siège de Narbonne est ano- nyme. — 3« NOMBBB DB VERS ET NATURE DE LA TBBSIFICATiON. Cette Chanson renferme environ 3500 vers ; ce sont des décasyllabes rimes. Chaque couplet est orné du petit vers hexas) lia bique. Cette dernière circonstance aurait dû éveiller l'attention des bibliographes sur Texistence indépendante de cette Chanson dont ils n'ont jamais parlé. 11 était facile de ne pas la con- fondre avec les Enfances qui sont assonancées et non rimées ; avec ce même pocme des En fonces tX avec le Département qui ne sont munis ni l'un ni Tautredu petit vers de six syllabes à la fin de leurs laisses. — 4<^ BfANUSCBiTS connus. 11 nous reste trois manuscrits du Siège de Narbonne. Deux sont en Angleterre : British Muséum, Bibl. du roi, 20 D, XI (treizième siècle) et 20 B, XIX (treizième Il PAHT. UVR CUAP. XUI 296 ANALYSE DO SIÈGE DE ^ARBONNE. •'"• bonne. Rien n'est plus historique, d'ailleurs, que cette obstination de la légende à ramener toujours les tûècle). Un troisième manuscrit est à Paris, B. I., 23 La Yall., f» &4 (<|ii»- toriième siècle). Nous donnons ici le commencement et la fin de ce dernier texte : « Ce fu en may que la rose est fleurie ; — L*oryol chante et le rou- signol crie. — Sarrazins furent issus de If ur navie — Et l'Amiraut a sa ^eot establie. — Puis, apela Malprin de Femenie : — «« Alez avant o ma gent paiénie, — «A 'XXX* mille en vostre compaignie, — Devant Noirbonne la fort cité u garnie; — Vous en alez en mi la praerie. — Par Mahomet à cui je me soii- a plie, — En cest esté iert la cité saisie, — L'or et Tavoir en iert en ma A baillie, — Bourgoigu»^ et France et toute Normendie, — Dont Challemaiue •« a la chief-seigneurie. — Mes, par Mahon, ne li remaindra mie — A Aymeri n à la barbe fleurie — N*à Ermenjart Noirbonne la garnie : — Ge la daim n d*eritage » (f« 54 r>). La Chanson se termine ainsi qu'il suit : « A Ner^ bonne fu li quens Aymeris,— Guibers li prruz, Guillaume le marchis. — Met n'i fu pas Bueves de Commarchis ; — Car essoine ot de garder son païs — Contre la gent de qui il fu haïs. — Ce fu el mois que yvers est faillis, — Que il fet chaut et le temps est jolis. — Séjourné orent quatre mois accomplb : — Guillaume fu enz el paies voultis, — Et Aymeri, Ermenjart la gentis. — Entr'eub paraient et dient leur avis — De dame Orable, de Tiébaut TArrabbis. — Aler sus euls veult Guillaume au fier vis. — Si com chescun en diioit ses plaisirs, — De par Challon leur fu *I' mes tramis — Que li Rois est sî forment afloibis — Qu'il est boisiez de trestouz ses subgis, — Et que, pour Dieu qui en la crais fu mis, — Li soit Guillaume à ce besoiog amis. — Lî quens en jure Jhesu de Paradis, — N'aura repos ne par nuit ne par dis« — Dusques à tant au Roy iert revertis. — Lors fait trousser et mules et roncts : — Isuelement s'est à la voie mis — Droit vers Ais-la- Chapelle. » (F® 75 r**.) — 5« Version bn prose. Le Siège de Narboiwe a été mis en prose dans la grande compilation du ms. 1497 de la B. L (f" XLViii v» — LXVil r«). Nous euavonsplus haut publié les rubriques (p. 257 et ss.).— 6» Diffusion A L'ÉrmAH- GER. Ce poëme, qui n'a joui en France que d'une popularité peu étendue, n'a pas été, à notre connaissance, imité dans les littératures étrangères. — 70 ÉDITION IMPRIMÉE. Le Siège de Narbonne est inédit. — 8« TrataVX DONT CE POEME A ÉTÉ l'objet. Comme nous venons de le dire, il n'a encore été connu d'aucun érudit, et M. Paulin Paris lui-même ne lui a pas donné place dans les Notices du tome XXII de VUistoire iutéraire, — 90 Valeur littéraire. Le Siège de Narôonne est une des œuvres de U décadence épique. Entre les péripéties des Enfances Guillaume et l'action du Couronnement Looys quelque trouvère inconnu remarqua qu'un long espace de temps avait dû s'écouler : « 11 y a là place pour un poëme nouveau, » se dit- il, et jl écrivit ce Roman. Son imagination, d'ailleurs, ne se mit pas en très- grands frais. Narbonne avait été déjà assiégée et prise plus d'une fois dans notre épopée nationale. Bah ! ce poëte la fera assiéger une fois de plus, et ses audi* leurs seront ravis. Cette nouvel le Chanson présente cependant plus d'un avantage. Ou y prépare, on y relie entre elles dix autres Chansons du même cycle, les Enfances yiv'un^ le Siège de Barbas tre, etc. On y renseigne le lecteur sur le sort de certains héros dont les aventures avaient été trop abaudonnécs, tels ANALYSE DU SIÈGE DE fiARBONNE. 297 Sarrasins SOUS les murs de cette ville qui doit laisser """iV'V!**"' *■ CBAP. XIII. son nom à toute la famille de notre fabuleux Aimeri. qu'Aïmer, Hernaut, Garin d'Anséune. Enfin, on y donne la première place à un frère de Guillaume, à Guibelin, qui n'a pas joué jusqu'ici un r6le suffisant dans la légende. Telle est la physionomie générale, telle est aussi Tutilité de re poème. Le héros le plus sympathique y est ce jeune Roumans, véritable créa- tion du poète, aimable et douce figure, qui n'apparaît dans notre Epopée <|iio pour y jeter cette petite lueur et mourir. II. ÉLÉMENTS HISTORIQUES. Tout est fabuleux daus le Siège de Nar^ honne, sauf les souvenii^ historiques des trois sièges de cette ville en 731, eu 793 et en 1018. III. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. Les seules modifications qu'ait subies notre légende sont celles que Ton peut constater dans la version en prose du ms. H 97. Le remanieur a complètement supprimé ce Roumans dont nous avons parlé plus haut, et c'est Guibert ou Guibelin qui, dans ce texte rajeuni, tient décidément la première place. Le bon mire Foun*é est remplacé dans la version du quinzième siècle, par •* Lucion, le bon méde- cin, » etc. — Si peu primitive d'ailleurs que fût la première Chanson, le rajeu- nisseiir a trouvé facilement le secret de la rendre mille fois moins héroïque. On en jugera par le passage suivant, où l'on raconte m Comment Gulbeiins^ le fils Aymery, fn pris des Sarrazins : Guibelins qui le sien père sieuvoit le plus près qu'il povoit, l'espée ou poing, entendoit à passer comme lui; et si vaillamment s'y prouvoit que moult louoient les nobles chevaliers crestiens •on vasseieige. 11 vist ung Sarrasiu nommé BauJaire, lequel luy présenta son corps en lui tendant son escu et, l'espée haulcée, l'assena sur son escu qu'il pourfendi legièrement. Mais en char ne l'entama ne tant ne quant. Sy ne s'en voulu mye Guybellin partir sans soy vengier ; ains haulca l'espée et en fery le Sarrasin amont sur le heaulme ung coup si pesant, que jus du cheval le porta par terre, sy estourdy que retenir ne se scéut. Or bien [véant] Fernagus Gui- belin que le Sarrasin avoit aiassy vercé, sy jura par sa loy que de luy seroit le vengement pris. Et baissa une lance, qu'il prist à ung de ses hommes, et si rude- ment le serqua que les arçons lui fist vuidier mal gré en éust-il. Mais tost se releva Guibelin, et de l'espée se combati ausques legièrement, longuement, en criant : •* Nerbonne ! *> sy haultement comme il péust. Mais ce fut peine pardue ; car nul ne Toy, qui secourre le péust ; et non mye Hugues de Berry, qui bien le vist vercer et énclorre, n'y osa aller ne tourner celle part : car« en ung vire- ment, vindrent sur son corps les rois Desramez, Fernagus qui l'avoit abatu, Josué, Clargis, Esrofle et Folcuidant. Sy le cognust Desramé aux armes qu'il portoit, et s'escria à ceulx qui à lui se combatoient : « Cestui-cy veil-je avoir « en vie, beaus seigneurs, fet-il, car il porte les armes Aymery. Si le me pre- « nés, comment qu'il soit, affin que je saiche s'il est du linaige Aymery, ou « non. » Et lors fut Guibelin assailli de toutes pars, sy asprement assailli que, mal gré en éust-il, il le convint rendre. Et, quant il vist que remède ne véoit en son fait, il baulça la main et à Fernagus qui l'avoit abatu se rendi. Il le fist lier lors moult fermement et emmener aux trefs, affin qu'il ne féust, par .> 298 ANALYSE DU SIÈGE DE .yjltDONyE, " '^ch^'pÎ'xii'i."' '^ ^^ ^^^P ^^^ ^^^' pendant plusieurs siècles, les Mu- • sulmans descendirent souvent sur les cotes de la Pro- Trolslèiw siège . «t ii'»«»i. de Narbonne vence et que ces Normands du Midi ravagèrent ces pai Mbarrtsins. J3ç^^J^ pays. Dès les premiers engagements entre les Chrétiens et les Infidèles , nous voyons cette fois briller le courage d'un héros que nous ne connais- sions pas encore. Il s'appelle Roumans^ il est le petit- fils d'Airaeri ; il jouera le premier rôle dans toute faction de ce Roman. Le poète Ta fait sortir de son obscurité pour en éclairer la scène de son drame; mais il le fera mourir à la fin de sa Chanson. Peu de nos héros épiques ont si bien et si peu vécu. Les Français combattent, avec une singulière énergie, ou plutôt, avec une véritable rage, ces envahisseurs de leurs terres, ces ennemis intimes de leur Dieu. La bataille se prolonge. Aux mains des Chrétiens tombent de nombreux prisonniers. 11 en est un parmi eux dont la capture excite chez les chevaliers d'Aimeri une véritable joie : c'est le fameux mé- decin Fourré, « sage des lofs, mire de tamirant ». Le poète, dans son portrait de ce bon mircy a rendu justice àlasciencedes Arabes. Les médecins denosépopées pos- sèdent, d'ailleurs, comme ceux de XllUide, une puis- sance merveilleuse et dont ils n'ont pas laissé le secret à leurs successeurs. On leur amène les chevaliers le plus profondément atteints, on leur montre les blessu- res les plus hideuses : ils ne s'émeuvent pas, sourient, prennent je ne sais quel baume, et en quelques mi- nutes, que dis-je? en un instant, rendent ces mori- bonds aussi frais, aussi sains qu'un enfant nouveau- né. (]e sont de véritables miracles... Par malheur, ces prodigieux médecins sont aussi avanture, par le^ cresliens rencontré ft secouni. Ainssi fut pris et retenu le jeune chevalier Guibclin. >.(B. I. fr. H97, f» 58 v°, 59 1*.) ANALYSE DL' SIÈGE DE NJRBONNE. 290 rares qu'ils sont puissants, et c'est pourquoi JesNar- "wbt. uvb. h. Donnais se réjouissent si vivement de posséder Fourré. Cependant Garin d'Anséune, qui est venu rapide- ment au secours de son père Aimeri, est renversé de son cheval au milieu de la mêlée. Qui le sauvera ? Ce sera son neveu Roumans, qui va droit aux Sarrasins, les met en fuite, relève son oncle et se jette de nou- veau dans la bataille. Les païens plient, les païens fuient. Leurs rois Thibaut et Baufumé sont impuis- sants à les retenir * . Dans Narbonne un seul des fils d'Aimeri, le plus ^îf";i*''"P'®*^ ' I de GuibeliD, jeune, est resté. C'est Guibelin, Et tandis que païens lepiiwjeane ^ . , 1 des fils d»Aiiiieri. et chrétiens se massacrent ; tandis que coulent ces torrents de sang; tandis que les clairons sonnent, que les destriers hennissent^ que les vaincus poussent des cris de douleur, l'enfant est prosaïquement occupé avec son maître qui a reçu l'ordre de ne point le laisser partir. Mais ce n'est pas en vain que le petit Guibelin a le sang d' Aimeri dans ses veines. Dans cette famille, les enfants sont des héros de bonne heure, et ne per- mettent pas qu'on se batte ainsi tout près d'eux sans prendre part au poignéis. Ainsi fait Guibelin qui as- somme son maître^ court se revêtir de ses armes, se présente sur le champ de bataille où il est, dès son arrivée, fait prisonnier par les Sarrasins -. Aimeri lui-même, hélas ! est fort malade. Couvert de blessu- res, perdant tout son sang, il est emporté, loin de la mêlée, dans sa bonne ville de Narbonne. Hermen- garde, sa femme, l'aperçoit et le croit mort.... Mais, au milieu de ces émotions, on a oublié le bon médecin Fourré. On le fait venir, on lui promet sa délivrance s'il guérit Ainteri, et, avec sa promptitude ordinaire, » Le Siège de Narbonne, B. I. 23 U Vall. , {• 55 v%56 f. — » ?• 56 \<»,57 r». 300 ANALYSR DU SIÈGE DE NARBONSE. Il PART. UVB. 11. CHAP. XIU. il le guéi:it '. Le vieux duc de Marbonne, nous dit le poète, eût volontiers embrassé ce Fourré, s'il avait été chrétien * ! « Où est Guibelin? » Telle est la première parole d'Aimeri lorsqu'il revient à lui. C'est alors, mais alors seulement, qu'il appnmd la belle équipée, la fuite et la captivité de son fils ; Hermengarde éclata en sanglots : « Fmssc \ dit-elle^ perdu ai mon enfant. — Tant mar i*ous « vi\ Nerùonne ^ ! » Elle n'aura plus de joie avant d'avoir revu son fils. C'est en vain qu'elle voit Aimeri rapidement guéri ; c'est en vain qu'Aimerî lui-même sent la vie frémir de nouveau dans ses membres ra- jeunis. Guibelin n'est pas ià : ils pleurent. 11. Délivrance de Guibelin par le vieil Aimeri, son père. Prouesses de Rouroans. Détresse de Narbonne, qui est perdue si Charlemagne ne vient à son secours. « Délivrer l'enfant Guibelin, » tel sera désormais le principal but des Français, et c'est Rouraaos qui va le plus courageusement s'employer à cette déli- vrance. Cette tâche est digne de lui ; mais elle est rude ! De toutes parts les païens se sont repliés, et leur grand nombre, cette fois encore, est venu à bout des obstacles dont n'aurait pas triomphé leur courage. Narbonne est cernée, Narbonne peut-être ne pourra pas résister plus longtemps. Puis les Sarrasins sont maîtres d'un des fils d'Aimeri ; Guibelin est là, dans leur camp, et le poète nous fait de cet enfant un por- trait tout gracieux. Frais et souriant, le jeune prison- nier semble ne rien craindre, et répond très-fièrement aux Sarrasins qui l'interrogent : « Je m'appelle Guibe* « lin et suis fils d'Aimeri ^! » » Le Siège de Narhonne, f" 67 r«, >•, 4 ?• 58 r«, V. — 2 F» s; 3 F« S8 r«. - CHAP. XIll. ANALYSE DU SIKGE DE NARBONNE, 301 Les Infidèles cependant voudraient terminer cette " pa»^. uv». n. guerre par un combat singulier, et c'est le vieil Aimeri qu'ils provoquent. Mais Hermengarde en larmes ne veut pas laisser son seigneur courir les chances d'une lutte trop inégale. Personne, hélas! ne se présente pour répondre au défi des païens, et le duc de Narbonne soupire: «J'ai bien peu d'amis, » dit-il, — « C'est « moi qui me battrai, » répond alors une voix fraîche, celle de Koumaiis. Il s'arme, il part, il lutte avec Gadi- fer, il est vainqueur '. Mais les Sarrasins sont des traî- tres: ils ont préparé d'avance une embuscade et se jettent contre le jeune chrétien, qui, tout à coup, s<' voit entouré de mille ennemis. Il leur résiste en lion, en Roland. Puis, désespérant de sa délivrance, il sonnr du cor comme le neveu de Charles à Roncevaux, comme Vivien à Âliscans. Ce jeune homme, cet enfant devient un instant le centre de la grande bataille ^. Guibelin est toujours prisonnier. Notre poète, ici, a eu l'heureuse idée de réserver au père la délivrance de son fils, (^e n'est pas à Rou- mans, c'est à Aimeri que reviendra, en dernier lieu, l'honneur de cet incomparable exploit Ce vieux chevalier, cet Aimeri à la barbe fleurie, on le croit désor^iais sans force, sans adresse, sans puis- sance: il va bien prouver que l'on se trompe. Du haut de ses murs crénelés, il vise avec son arc un païen qui est fort éloigné, et le tue roide. Mais soudain il s'ar- rête : il vient d'apercevoir son fils que les bourreaux sarrasins ont crucifié à l'imitation de notre Dieu. Son sang frémit, son cœur bondit; il sort comme un fou de sa ville ; il a la sublime imprudence d'un père qui veut sauver son enfant. Seul, il tombe au miheu d'une « Le Siège de Narbonne, f* 69 r*-60 v*. — » F^ 60 v", 61 i*. 302 ANALYSE DU SIÈGE DE NARBONNE. ^'^7; ''i«*.* "• armée, arrive devant la croix où Guibelin est paute- CoAP* JUIl* 1 lant, court sur lui, arrache en un instant les clous qui le tenaient attaché au bois de son supplice, le saisit avec un air de triomphe, le prend dans ses bras, le couche doucement sur son écu, et le ramène victorieusement dans Narbonne. Cet épisode nous semble un des plus beaux de toute notre épopée ' . Le lendemain, Guibelin, guéri par le bon mire Fourré, prenait part a la joie des Français. Mais la guerre n'était pas finie, et les Sarrasins entouraient toujours la ville d'Aimeri. On ne pouvait enfin compter que sur une chance de salut : l'arrivée de Charlemagne '. lil. Aiubassatic (:iuibelin et Roumans sont chargés par Âimeri d'aller Guibelin à Paris, réclamer a Pans les secours du grand Empereur qui sont devenus nécessaires au salut de INarbonne. Le ré- cit de cette ambassade est assez vulgaire. Les jeunes messagers se laissent surprendre par des espions païens, et sont sur le point de tomber, durant leur sommeil, aux mains de ces misérables '. Par bonheur, ils ont près d'eux un prisonnier sarrasin qui leur est tout dévoué et qui joue dans tout ce drame un noble rôle : c'est Clargis. H se fait le guide des deux ambas- sadeurs, et traverse toute la France avec eux. Enfin, les Narbonnais arrivent à Paris et sont admis en pré- sence du roi Charles *. Le petit Guibelin, qui a déjà témoigné tant de courage à Narbonne, ne fait pas preuve d'une moindre fierté devant l'Empereur. a C'est moi qui ai donné Narbonne à votre père » Le Siège de Narbonne, P Cl v«».62 \". — a P 63 r". — » F* 63 t»* 64 v«. — * F*» 64 vo-60 r«. ANALYSE DU SIÈGE DE AJRBON/VE. 303 •*• CBAP. XIII. a Aimeriy lui répond le fils de Pépin; il est trop juste " '*^J;'*i^f "• « que je la lui conserve. » En ce moment, paraissent aussi, aux pieds du roi de France, les trois fils d'Ai- meri qui étaient depuis longtemps à sa cour et dont la pauvre Hermengarde avait tant regretté l'ab- sence, Bernart, Hernaut et surtout Guillaume, celui dont on disait sans cesse dans INarbonne assiégée : t( Ah ! si Guillaume était ici ' ! » Les espions sarrasins, qui avaient voulu perdre (luibelin et Roumans, sont devenus leurs prisonniers, et font devant le Roi les plus complets aveux. L'un d'eux, Danebrun, plus fier que les autres et qui refuse d'abandonner le culte de Mahon *, est sur le point d'être tué par Guillaume, quand ilest sauvé par Guibelin. D'ailleurs, il est décidé qu'une armée française partira sur-le-champ à Nar- bonne. L'Empereur en aumt volontiers pris le com- mandement, mais il vient d'apprendre que les Saisnes se sont révoltés et queGuitequin s'apprête à mettre le siège devant Cologne. Il veut comprimer lui-même cette révolte, et envoie sans plus tarder à Aimeri toute l'armée des barons Hérupois , le vieux Salomon de Bretagne , Richard de Normandie , Geoffroy d'Anjou, avec Hue de Floriville, Guillaume, Ber- nart et Hernaut ^ Cette belle armée partit aussitôt de Paris, et marcha droit sur le Rhône. Et un jour qu'Hermengarde et Aimeri étaient aux créneaux de ' Le Siège de ISarboiuiCy f» «5 i". — » F*» «5 \o. Guibelin, il est vrai, a fait devant l'Empereur et devant Danebnin une singulière exposition de la foi musulmane. En parlant de Mahomet, il dit : •• Vérité est Nostrc Sire Tôt cUflr; — 0 les Prophètes Tenvoia préeschier, — Et par lui dut notre loi essaucier. — Mais il but bien de fort vin *l- sostier; — Puis se coucha dormir en •!• fumier. — Là, li convint ii gourpill escorchier — Tant que pourciaus li alerent mengier — Tout le visage, à celer ncl te quier. *. — 3, Ce dernier est appelé dans le poème : Hernaut h Roux qui volontiers argue. Or il est encore représenté sous ces traits dans le Roman du quinzième siècle: « Hemault qui tousjours avoit reU aux champs <^à et là plus que les aultres, c*est-à*dire que iUustplus tostpris et quiz argu et nojrse que ses/rcreê, etc. •» (B. I., fr. 1497, f» XXX vn, r*é) CHAP. XIII. 304 ANALYSE DU SiÉGE DE N.^RBONAE. " ^1l "I"' "* ^^"^ ville, tout en proie à leur angoisse, ils aperçurent de loin de nombreux bataillons qui s'avançaient dans un nuage de poussière : « Si c'étaient encore des « Sarrasins? disait Hermengarde, — Non, non, s*écria « Âimeri. Je vois la croix étinceler sur leurs armes. « Ce sont nos fils, c'est Guillaume M » IV. Dernière bataille soas les mun» Quelque temps après, Guillaume révélait sa pré- dcNarbonnc; seuce aux Sarrasins en introduisant dans Narbonne, victoire ' de Guillaume ; aorès uuc sanfi;lante et longrue bataille, les vivres dont fuite des païens. *^ .,, ^ .^ ' les assièges avaient depuis si longtemps besoin *. Un rude combat se livrait aux portes de la ville, et Rou- mans parvenait aisément à y conquérir plus de gloire que Guillaume lui-même. L'un et l'autre forçaient l'entrée de la place et y rejoignaient le vieil Aimeri qui déjà ne désespérait plus ^. Le duc de Nar- bonne retrouva alors toute la sauvagerie de sa nature : il fit comparaître devant lui les espions sarrasins et leur arracha Lui-Mi^ME une main, un œil, la baulèvre et le nez. Puis il les chassa de ses mui^ et envoya ce présent san<;lant à l'Amirant de Pcrsie*. C'est alors qu'altérés de vengeance et fous de rage, les païens livrèrent aux Français la bataille suprême qui allait décider du sort de Narbonne. Les rois Esplandoine, Thibaut et Tursier rivalisèrent de courage avec Salo- mpn de Bretagne, Geoffroy d'Anjou, Guillaume, Aïmer-le-Chétif, (>uibelin et Roumans. Trois mille Angevins et Bretons, corps d'élite, restèrent étendus » Le Sîége de Narbonne, f' 05 \"-G0 i". — « P CC v*», 67 r> el v*. Deux cents jomm/Vrj, chargés de viiailîe et accompagnés de dix mille Français, sont introduits dans la ville, grâce à un vieux stratagème qu*emploient Guillaume et Roumans. Ils font passer les sommiers comme appartenant aux rois païens Afanonicr et Alinfarin —3 F*» 67 r^ — 4 F» 68 r". ANALYSE DU SIEGE DE NARBONNE. 305 sur le champ de bataille : Geoffroy et Salomon pieu- " pa«t- uih. n. raient a grosses larmes en contemplant ces morts ' . ~ Quelle bataille, grand Dieu 1 Aimeri faillit y périr, et Guillaume, une fois de plus, le sauva. Les rois Tursier et Binart meurent du côté des païens ; du nôtre, Ybert de Montdidier et Gautier de Normandie (de la lignée du comte d'Eu) *. Bernart de Brebant dégage son frère Guillaume qui, bien im- prudemment, s'est laissé cerner par les Sarrasins. Qua- torze échelles païennes se mettent à la fois en mouve- ment : // uns glati et li autres hua ^, Puis, au mo- ment où la bataille est le plus ardente, trente mille nègres cornus, velus comme des chèvres, armés de crocs, se jettent dans la mêlée que leur présence rend plus horrible encore. Par bonheur Bernart tue le chef de ces sauvages, Ysenbart le Chenu; Boumans abat Galafre; Hernaut donne un coup mortel à Brandonas. Et c^est en vain que TAmirant de Persie rallie les païens. Au milieu d'un bruit terrible, un dernier en- gagement se livre sur cette terre rouge de sang et sur ces cadavres amoncelés. C'en est fait : les Sarrasins sont vaincus ; ils s'enfuient. Butor, Uesramé et Thi- baut lâchent pied : nous les retrouverons bientôt à Candie. L'Amirant lui-même tourne le dos en mena- çant encore les chrétiens : nous le retrouverons au siège de Barbastre ^. V. '• Peu de temps après, dans Narbonne délivrécy au l» fib d*Airaeri milieu des cris de joie, on baptisa le bon Clargiset taîSS^Etel'^ le médecin Fourré. La fête fut brillante. et Gaititoine retourne à la cour de > Le Siégt de Narbonne^ f" 60 v**, 70 i*. — » F» 72 v». — 3 po 7 1 ,/» __ 4 1^ Ourtrinagiie. rédt un peu long de toute cette bataille est contenu dans les f'* 68 ^-Ik \'*. UI. 30 CHAP. XIU. 306 ANALYSE DU SiÉGE DE NARBONNE. " 'r«!i "m* "■ ^^» quelques jours plus tard, les fils d' Aimeri qui n'a- vaient plus rien à faire et s'ennuyaient déjà dans une ville redevenue aussi pacifique, se présentèrent de- vant leur mère Hermengarde, devant leur père Ai- meri, et leur dirent une seconde fois adieu. Ce fut comme un autre departemens des enfatis Aimeri ' . Aimer retourna à Venise, où il guerroya toute sa vie contre les païens. Hemaut le Roux revint à Gironde; plus tard il tint Orléans * . Quant à Garin d'Anséune, ce fut alors, suivant une légende suivie par l'auteur du Siège de Narbonne^ ce fut au sortir de Narbonne qu'il tomba aux mains du Sarrasin Marados. Puis fut délivres j coin orrés ci avant ' . Restait Guillaume. Il apprit soudain que Charle- magne se sentait vraiment près de sa fin, et que le petit Louis allait décidément avoir besoin de secours. Sans plus de retard, Guillaume partit.. •• Il y avait encore ce, héros de tout notre poème, ce Roumans auquel le trouvère n'avait pas craint, tout d'abord, de donner la première place dans son ac- tion . O vanité de la gloire humaine ! Ce même poète, par une distraction étrange, oublie complètement de nous renseigner, à la fin de sa Chanson, sur le sort de cet autre Roland. Par bonheur, il se ravise et fait mourir, en un vers, celui dont les exploits avaient presque rempli tout ce Roman. Il suppose qu'au mo- ment où Garîn d'Anséune fut fait prisonnier, notre jeune héros périt en le défendant : « Mors fu Rou* mans et avec lui auquant. » Pauvre Roumans 1 avoir I Le Siège de Narbonne^ f» 75 r°. — * V. plus bas, pp. 314, 318 et 319. -^ 3 L'auteur de la Clianson des Saunes fait mourir Garin dans la dernière ba« taille contre Guilequin (vid. supr. II, p. 512). ANALYSE DU COVRONNEMENT LOÛYS. S07 donné de si beaux coups d'épée, avoir été si gêné- n part, uf b. n. reux et si vaillant! Et obtenir un tel éloge funèbre ' ! ' — — CHAPITRE XIV. GUILLAUME, LIBÉRATEUR DE LA CHRÉTIENTÉ ET DE LA FRANCE. (Couronnement Looys ■.) I. Charlemagne, l'Empereur à la barbe fleurie, allait co^l^l^^it mourir. Avec sa clairvoyance que les ans n'avaient ^^^*' ■ Le Siège de fiarbonne. Encore, dans le manuscrit 23 La Vallière, est-ce la main d*un autre scribe qui parait avoir ajouté ce Yers si plat à Tépisode de Gtrin d*Anséune (^ 75 r«). > NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LE GOURON- NEHENT LOOTS. Pour plus de clarté nous divisons, avec M. Jonckbloet, le Couronnement Looys en quatre parties. La première (vers 1-274) contient le récit de la Cour plénière tenue par Gharlemagne, de la félonie et de la mort d*Hemaut. Dans la seconde (vers 275-1419) le poëte raconte Texpédition de Guillaume en Italie et sa victoire sur le géant Gorsolt La scène de la troisième partie (vers 1420-2211) se passe de nouveau en France, et on y assiste a la révolte des grands vassaux, et notamment du duc de Normandie, contre le jeune Empereur. La quatrième partie renferme le récit d'une nouvelle expédition de Guillaume en Italie pour délivrer le Pape de Gui d'Allemagne (vers 2212-2679). Cette division en quatre parties est nécessaire pour l'intel- * ligenoe de cette Notice, I. BIBLIOGRAPHIE. V Datb db la GOKPOSiTloif. Le Couronnement Loojrs, dans sa forme actuelle, est un poëme de la seconde moitié du douxième siècle. = Nous ignorons absolument sur quels arguments peut s*appuyer M. Gaston Paris pour affirmer que •• c'est une œuvre soudée m. postérieurement au reste », {Uîsloire poétique de Charlemagne, p. 80.) Ce qu'il y a de certain, c'est que, dans toutes les versions d'Mucans que nous possédons aujourd'hui, il est fait des allusions très-claires à la premièrç partie du Couronnement, On lit, dans le manuscrit de TArsenal (vers 2754 et suiv.), ces mots que le poëte place dans la bouche de Guillaume, lorsque, après le grand désastre d'Aliscans, il vient en vain réclamer les secours de l'empereur Louis : a Loéi, sire, chi a maie saudée. — Quant à Paris fu la cours asamblée, m Ke Charlemaine ot vie trespassée, — U il tenoient tôt chll de la contrée, — » De toi ftist France toute desiretée ; — Jà la corone ne fust à toi donée, — «• Quant je soffri por vos si grant mellée — Ke, maugré aus, fu en ton cief « posée — La grans corone ki d'or est esmeréci etc. « (Gfé l'édition de Jonck-» 308 ANALYSE DU COURONNEkJENT LOOYS. 11 PABT. u?B. 11. pu altérer, il jeta les yeux autour de lui, et se de- '^""""^ manda ce qu'allait devenir cette couronne d'or du bloet, vers 2999 et suiv.). II est permis de conclure que le début de notre poème remonte tout au moins aux premières années du treizième siècle, date présumée du manuscrit 185 de l'Arsenal. = Quant aux traditions sur le»- (luelles sont fondées la première et la troisième partie de la Chanson (rela- tives toutes deux à refficace appui que prête Guillaume au pauvre rt)i Louis contre ses vassaux révoltés), elles remontent sans doute au dixième siècle, si Ton admet comme nous la fusion de la légende de saint Guillaume de Gelloue avec l'histoire de Guillaume Tête d etoupe, duc d'Aquitaine en 950 cl défenseur obstiné des droits de Louis IV. (V. plus haut, p. 85.) = Reste la seconde partie du Roman, où Ton raconte Texpédition de notre héros en Italie, Rome délivrée des Sarrasins, la victoire de Guillaume sur le géant Corsdt, etc. Ce long épisode est sans doute une intercalation assez postérieure; c*éit un lieu commun épique qu'on avait déjà mis sur le compte d'Ogier et de Gharlemagne lui-même, avant de Tattribuer à Guillaume. La quatrième et dernière partie de la Chanson (victoire de Guillaume sur Gui d'Allemagne qui attaque Rome) n'est qu'un dédoublement dt; cette même légende : mais l'entreprise de Gui «d'Allemagne représente ici, suivant nous, les efforts des empereurs Henri IV, contre Gré- goire VII, Henri V contre Pascal II, et surtout Frédéric I contre Alexandre Ul. («tte péri])étie du Roman repose, par conséquent, sur des souvenirs historiques des onzième et douzième siècles. = En résumé, le texte actuel du Cmironntmtnt Loojs appartient à la fin du douzième siècle; la première et la seconde partie sont fondées sur des traditions du dixième siècle; la dernière sur des souvenirs historiques des onzième et douzième siècles; la seconde enfin ne doit être eon- sidérée que comme un lieu commun épique. — T* Avtrur. Le Couronnemtmt Ixwys est anonyme. — 3° Nombrk 1)k vers et nature de la versification. Dans le manuscrit 7 74, qui est, suivant nous, le meilleur des manuscrits français, le Couronnement Looys renferme 2 4 GO vers (mais il y manque un feuillet de 160 vers) ; dans le manuscrit 1 449, 2G00 vers ; dans le manuscrit 23 La Vallière, 2810 vers (mais il y a une lacune de 70 vers à la fin). Nous aurons lieu de faire %oir tout'à riieure que la version du ms. 1448 est un abrégé des autres textes. Dans tous ces manuscrits, nous n'avons affaire qu'à des décasyllabes assonances : aucun ne nous offre le petit vers de six syllabes à la fin de chaque laisse. — V* Manuscrits connus. 11 nous reste sept manuscrits du Couronnement ïjooys. a, B. 1. fr. 1448, f 89 r^-OO v'* (treizième siècle). — b. British Muséum, Bibliothèque du roi, 20 D, XI, V 103 vo.n2 vo, (treizième siècle). — c. B. I. 1449, P* 23 r''-38 r° (treizième siècle). — (treizième siècle). — e. Manuscrit de Boulogne, f» 21 r°-38 r** (treizième siècle). — /. B. I. La Vallière 23, f» 75 r»-90 v« (quatorzième siècle). — ^. B. 1. fr. 368, f» 161, 162 (quatorzième siècle). Ce dernier manuscrit ne contient qu'un fragment de six cents vers. = Ces sept manuscrits peuvent se diviser en deux familles. Dans Tune on ne doit classer que le manuscrit français 1448. Ce texte renienae 316 vers, et il n'y faut voir qu'un abrAgA de la version contenue dans les six autres manuscrits. Une étude attentive de ces trois cents vers convaincra aisément le lecteur de cette vérité. Le Couronnement Looys du manuscrit t448 ne renferme que la première partie du poëme avec des variantes ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. 309 royaume de France qui est la plus belle de toutes les " **^Jp^J* "" couronnes. Certes , en ce moment suprême , le spec- importantes ; après la mort du traître Hemaut, le poëte y raconte comment Guillaume, Garin J'Anséune et Bertrand adoubèrent le jeune Louis ; puis il iait un beau récit de la mort et de la sépulture de l'Empereur, récit qui manque complètement dans les autres textes. Alors, et sans transition, le poëte résume en vingt-huit vers la troisième partie de Tancienne Chanson, c*est-JM3ire la révolte des grands vassaux contre Louis et les exploits de Guillaume. Le Charroi de Nîmes commence aussitôt après , et les deux expéditions de Guillaume eu Italie sont entièrement passées sous silence. Toute- fois, d*après ce résumé, on pourrait croire encore que le texte du manuscrit 1 i48, au lieu d*étre Tabrégé d'un vieux poème, est une rédaction plus an- cienne : mais, dans le texte du Charroi de Nîmes du même manuscrit , il est fait longuement allusion au combat de Guillaume avec le géant païen qui lui coupe le nez, à la guerre de notre héros contre les Normands révoltés, etc. Or ce sont autant de faits qui ne sont pas racontés dans le Couronnement de ce manuscrit 1448, et qui se trouvent tout au long dans les autres textes. La uonduSfon est facile à tirer. En général on a surfait l'importance du manuscrit 1448. Les versions les plus courtes ne sont pas toujours les plus anciennes; c'est ce qui est évident pour le Couronnement Looys. = Quant aux six autres manuscrits, ils ne présentent entre eux que des variantes sans importance. — 5* Édition imprimer. Le Couronnement Looys a été publié en 1854 par M. Jonckbloet {Guillaume etOrange, l,p. 1-71). Le même savant vient d'en donner une traduction complète {Guillaume d*Orange^ le Marquis an Court Net, 1867, pp. 91-133). — 6'' Vrrsion RN PROSR. Le Couronnement iMoys a été mis deux fois en prose : a. en abrégé, dans le manuscrit 226 de l'Ar- senal que nous citons plus loin ; b, dans la vaste compilation du manuscrit 1497 de la Bibliothèque impériale. Les deux versions sont du quinzième siècle. Nous donnons ici les rubriques du second remaniement : Comment te Pere^Saint qui pour lors tenait le saint Sieige apostolique envoya en France quérir secours par ung légat et ung cardinal^ f* CXLIX \<>. — Comment Guillaume, tefilz Aymery^ eomhati et conquis t le jaiant Corbautt devmnt Rome, ia grant cile\ par sa Tait' lance, f>» CLII v*. — Comment tabbé de Saint-Denis fut envoyé à Bomme, devers le Pere-^aint, pour remédier au débat que les princes de France avaient ems" sambU pour faire ung roy nouvel, f» CLVII r**. — Comment Guillaume, le fitz Aymery de Narbonne, envoya quérir Laouys, le filz CharUmeine, a Melun, et le fist couronner à Rrims et espouser sa sueur Blanche/tour, f« CLX r^. Nous citerons plus loin de lougs extraits de ces deux refazimenti que nos lecteurs pourront comparer entre eux et qu'ils pourront surtout comparer au poënie du douzième siècle. — > Diffusion a l'êtrangrr. Quelle que soit l'antiquité de notre Chanson et des traditions sur lesquelles elle repose, elle n'a pas cmi, en dehors de la France, la popularité dont elle était digne . a. Dans les Nerbonesi, le Couronnement a été défiguré comme toutes les autres parties de ce cycle. Au seizième siècle, parut un petit poëme de Michel-Angelo da Volaterra : //iro/ o- naziona del re Aloysi, figUuolo di Carlo Magno imperadore di Frauda, — b. C'est à tort que M. G. Paris {Histoire poétique de ^Cluirtemagne, p. 127) dit que le Couronnement •> a été rimé en 1260 par un poëte allemand du nom d'I'U 310 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOY8. iiPABT. un. M. tacle qu'offrait le grand Empire était consolant , était spiendide. Le monde entier paraissait agenouillé de- rich du Thurlin ». VArabelens Entfûhrung ne contient rien ifui te rapporte à U légende du Couronnement, — 8** TRAVAUX BOUT GBTTI CBAlCBON A Ért L*OBJiT. a. En 1851, M. Paulin Paris consacra au Couronnement Looyt une des Notices de V Histoire ///^«m/re (XXll, pp. 481 488). h, Mai^ aucun savant ne devait élucider les nombreuses difficultés de cette légende complexe avec autant de soin et de subtilité que M. Jonckbloet. On lui doit, tout d'abord, la première publication du texte de notre Cbanson {GuUiaume ttOrange^ 1, pp. 1 et suit.). C^est à lui qu*il faut rapporter Thonneur d'avoir mis en lumière, d'après Théo* dulfe el TAstronome limousin, la véritable conspiration contre Louis, dont la famille de Wala aurait été coupable, et que le poète a attribuée à Hemaut d*Orléans (1. 1., II ; p. 84). Rien de plus juste encore que Tassimilation qu'il a établie entre Guillaume de Gellone et Guillaume Caput stup» (1. 1., p. 9& et suiv.). On peut n*ètre pas d'accord avec lui sur les origines historiques des deux expéditions légendaires de Guillaume en Italie (pp. 100 et 106) ; on peut lui reprocher une tendance trop vive à expliquer toutes les péripéties de nos poèmes par les événements les plus lointains et les plus obscurs de notre histoire; on peut trouver, enfin, qu'il a' singulièrement exagéré le nombre des Guillaume» qui ont été fondus en un seul par nos épiques. Mais toutes ces critiques n'al- tèrent en rien l'utilité de ce beau travail : c'est avec V Histoire f>oéti4/»e de Charlemagne, par M. G. Paris, l'ouvrage le plus profond sur les origines de notre Épopée. — c.En 1860, dans la seconde édition de ses Recherches sur r Histoire de la littérature de l'Espagne (II, 370 et suiv.), M. Doay a arfirmé l'origine normande du Couronnement Looys : nous avons longuement discuté son système (voir plus haut, p. 80 el suiv.). — eauté du caractère du héros qui se montre si éuergiquement le libérateur de la France et de l'Eglise, tous ces nobles éléments font de ce poème une épopée véritablement digue de ce nom. Par malheur» la version que nous possédons n'est pas la plus ancienne, et il s'y est déjà mêlé un trop grand nombre de lieux communs et de banalités épiques.... 11. ÉLIMENTS HISTORIQUES DE LA CHANSON. On peut scientifique- ment établir les propositions suivantes : !<> I^e début du Couronnement Looys, qui contient le récit des derniers conseils el des adieux de Charles à sonfilsy parait KN PARTIR calqué sur deux textes d'K^inhard (Vita Karoli Magni, rap. XXX, Perl/., Il, 459) et de TItegan (Vita Hhidowici, cap. vi, Pertï, 11, 591). Nous allons donner ce ilernier texte, et le placer eu regard dw passages correspoiul.ints de noire poëme : ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. 811 vant le trône de Charles, qui était ainsi devenu Je " '^■»' "▼"• "• centre de la terre. La France était la première et la [Karohu] tmperaior, eumjam UiteUexit Qoant la diapele fa bénéoite à Et ailpropbuiyare $iti dUm oMtus gui.., vo- Et U mosUers Ai dédiez et fes, €Wrii /Uhân tuum Hlwtowieum ad $e ewn Gori i ot bone, tele ne Terroix mes onmiexereUtL,ept»eapi*,abbaHbui,dueibut, XIIII. coote gardèrent le palet.... eowdtiàus, loeopotitii : habuU générale eùlloquium eum eU Aquisgrani paUUto, padflce et honette ammonens ut fidem erga llUani tanm ottenderent, interrogant omnet Gel Jor i oC bien, -xyiiii* evesqne a maxirao aiqae ad minimum ti eU pla- Et ti i ot *xyiiii* arceveaqae.... euigaet ut nomen guum, id est imperatorie, . • /Ufo mo Hludowieo tradidiiêet. Quod • Peu de temps après Tavénement de Louis, toute la famille de Wala tomba dans la disgrâce (Y. plus haut, p. 74, et surtout Jonckbloet, Guillaume d^Orange, II, 80 et suiv.). — Z^ La seconde partie du Couronnement, oii Pon assiste à l'expédition de Guillaume en Italie et h ton combat avec le gÙMt Corsolt, iCett qu'un lieu commun épique qu'on retrouve dans la légende tTOgier et dans celle de Charlemagne, Les nombreuses invasions des Sarrasins en Italie ^ durant le neuvième sikcle^ ont pu d4inner naissance à cette légende. En f 13 les païens s'emparaient de Centocelle (Civita-Vecchia) ; en 816, ils se rendaient maîtres de la Sicile ; eu 846, ils pillaient les églises de Saint-Pierre et de Saint- Paul aux portes mêmes de Rome (vid. sup., II, p. 47). Nous avons tu déjà ment le roi d'Italie , Louis 11 dit le Jeune» leur fit une courageuse comment, battu par eux à Gaëte eu 844, il les battit en 848 à Bén^ent (vid. snp», p. 74). Ces faits suffisent à expliquer l'affabulation de notre poëme, et il n'est aucunement besoin d'avoir recours, comme M. Jonckbloet, à l'hypothèse d'une fusion entre la légende de saint Guillaume .de Gellone et l'histoire de Guil- laume 1"*, Bras-de-Fer, comte de Pouille en 1043. Nous avons réfuté plus haut Topinion de Jonckbloet ( pp. 78, 79). — 4<> La troisième partie de la Cliansonf qui nous montre la lutte de Guillaume en faveur de Louis contre ses grands vas- saux révoltés , est empruntée à des traditions historiques du dixième siècle : Guillaume Tête détoupe^ duc d Aquitaine de 050 à 963, défenseur obstiné de Louis IV contre Héribert^ Hugues et Guitlaume-Longue''Épée, duc de Norman» die, est le type réel du Guillaume de notre vieux poème y qui est constamment occupé à défendre le roi Louis contre la révolte de ses liants feudataires, et sur» tout des Normands, (Y. plus haut la discussion de ce point, pp. 85, 86.) — 5« La dernière partie du Couronnement Looys, qui est consacrée au récit d'urne expédition de Guillaume en Italie contre Gui d'Allemagne^ se rapporte aux luttes si fréquentes des empereurs d* Allemagne contre la Papauté temporelle^ et au secours que les Papes ont souvent reçu de la France, Il est tout-à-fiût impossible d'admettre sur ce point l'opinion trop subtile de M. Jonckbloet, qui voit dans les dernières péripéties de notre Chanson une allusion à des événements du neuvième sieole, à la lutte entre Gui, duc de Spolète, et Bérenger, duc de Frioul, petit-fils de Louis le Débonnaire. L'auteur de Guillaume d'Orange est obligé d'admettiv que l'imagination populaire « a interverti les rôles de ces deux prétendants à Tempire, et qu'elle a placé Gui à la tète des Allemands », lorsqu'il fut en réa- lité à la tète des Italiens. (V. tous les arguments de Jonckbloet, II, pp. 101 et ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. 3t3 s'inclinait en murmurant, Tltalie s'abaissait, l'Orient « pawjIjtii. n. Clfl^v XIw* adorait. Suivant l'énergique parole de notre vieux suiv.) De telles ÎDtenrenioDS, est-il besoin de le dire ? n'ont rien de légendaire. Un passage précieux du Charroi de Nimes, dans le texte du manuscrit IIS, serait PKur-ftrmK de nature à jeter quelque lumière sur cette obscurité. 11 y est vaguement question d'une ancienne lutte de Guillaume contre rempemir Othoii (vers 214). N'y aurait-il pas là'un souvenir d'Othon \", le Grand, qui, eu 963, expulsa Jean XII de Rome et fit un antipape. Léon VIII; qui, l'année suivante, exila Benoit V à Hambourg et rétablit son antipape, etc..' De tels évé- nements durent avoir un retentissement considérable dans toute la chrétienté et purent fort bien donner lieu à des chants où l'on fit bientôt une place à Guil- laume, héros de tant d'autres légendes orales. Ce n'est d'ailleurs qu'une hypothèse. m. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. U légende du Couronnement Looys n'a pas subi dans son fond de modifications impor- taotes ; mais la forme que lui avait donnée le poète du douzième siècle a été successivement altérée par les remanieurs des siècles suivants. Nous allons essayer^ de fsire assister nos lecteurs, d'une fa<;on vivante, à ces altérations suc- cemves : !« Le texte du manuscrit français 1448 n'est, suivant nous, qu'un abrégé £ait après coup et déplorablement écourté. Toutefois il convient de remarquer que ce résumé renferme un récit de la mort et de la sépulture de l'empereur Charles qui ne se trouve nulle |>art ailleurs . « L'anperere est confés et commeniez... — L'ame s'an vait, que n'i volt plus targier. — Florent soaivei pocelles et moilliers, — Et clerc et lai, sergent et chevaliers. — Sonent ces clo- ches par anples ces mostiers ; — Tout de lor greJt sonoient volautiers. — Lou cors enportent, ne l'i volent laissier — En la chapelle, enens mi lou mostier. = Quant mors fu Karles à la chenue teste, — En l'enportet à Aiez en la cha- pelle. — Tetl sepolture n'aura mais rois en terre. — Il ne gist mie, ançois i siet acertes — Sus ses geuolz, s'espée an son poin destre : — Ancor menace la pute gent averse. » (Ms. 1448, f» 90 v».) On rapprochera avec intérêt les vers précédents du récit d'Eginhard sur la mort du grand empereur (cap. xxxill) ; de U fameuse f'Uion du moine Wettin (D. Bouquet, V, 339) et enfin de la Chroni. C*est lui qiii a tué le fils d'Ogier, Bauduinet, et il ne mérite pti It couronne que son père voudrait, avant de mourir, voir posée sur sa tète. « Et ne « porquant, pour Diu je vous requier — Quel faciès roi, je vous en veul proier ; « ~Gar c*est li oirs de France, chesaciés. » (Vers 192-104.) Sur ces entrefaites arrive Chariot lui-même : « Sur son puiug tint -l* mult \yt\ esprevier. — Il est monté sus el palais plenier; — Moult par fu biaus .. » Le vieil Empereur est tout lier de son fils, et se met alors à lui donner les mêmes conseils que dans le Couroniiemrnl Looys : x Fiex, vien avant, n*aies soing d'atargier, — Et si « retien (a terre et Tiretier, — Com Damedix, qui tôt puet justicier, — Tient « Paradis, le règne droiturier... — Fiex, n*aies cure de traltor lanier... — Portes « honnor et amor au clergé... — Donnés du vostre as povres volentiers. • Et Penfant répond fort humblement : « Sire, dit Tenfes, à vostre |>laisir iert. » (Vers 186-188 et 199-217.) d« On pourrait accuser Tauteur du Siège de Narhonne (treizième sièele) d*avoir involontairement donné lieu à une déplorable confusion entre Hemaut le Roux ou Hernaut de Gironde, frère de Guillaume, et le traître Hemaul, oelui-là même qui veuhit mettre la main sur la couronne du petit Louis. « Et si tint ]'uis Orliens en son conmanl. » (B. I. 23 La Vali , f» 75 f.) Rien ii*eât été plus étrange qu'une (elle erreur. Les plus anciennes Chansons de notre geste nous représentent au contraire tous les fils d*Aimeri comme unis par les liens de la pliu tendre affection, et ce n'est certes pas son frère que Guillanme eàt assommé d*uu coup de poing dans la chapelle d'Aix. Mais Tauteur du Siège de Narbonne a simplement voulu dire qu'après la mort du traître Hemaut, Gnih latime donna le fief d'Orléans à son frère Hemaut. Et c'est une légende que nous retrouverons en effet dans Albéric de Trois-Fontaines, dans le ms. 5008, etc. 4« C'est en quelque sorte par hasard que les premières pôrii)éties du Cwi- ronnemeni Looys sont rapidement rcsumée^ à la fin du Maiiusciit de l'Arsenal (B. L. F. 22G). Apres avoir raconté longuement les aventures de la reine Sibille. le prosateur du quinzième siècle, travaillant sur des poèmes antérieurs, nous montre le fi!» de Charlemagne entouré de traîtres dès son avènement an trône et réclamant le secours de Guillaume. Or Guillaume, en ce moment, était à Rome où il venait précisément de délivrer la chrétienté des Sarrasins envahis- seurs en triomphant du géant Corbaut. Nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs le texte inédit du manuscrit 22G, où ils verront comment le troji ingénieux remanieur a conibiiu* entre elles la première et la troisième par- tie du Couronnement Looys : u [Bien fu Guillaume] dotant, quant il scéust la mort de l'empereur mme emporter en poure/, « et ce pendant vous querray compagnie qui s*en ^ra en France comme vous. « — De ce vous rend-je grâces, sire, ce respondi Guillaume ; je sui pour vous « aîdier cy venu voirement, et voulentiers Tay £sit, car il en estoit uecessîié; « sy sui tenu par obligacion d'ainsy daire ailleurs, véu l'aage que Dieu m*a « donné, que je considère, et vous mesme le povez considérer ; car, quand je m seray ataint de viellesse, lors ne pouray-je ùûre ce que je puis et pouroie de « présent. Sy ne me doy doncques reposer ne dormir en oisiveté, comme le me « aprent le Sage en ung sien diltée fait en deux vers rimez, là où il dit- : a Par souvenir, par soing, par diligence, « Est le Jeune lionune tost monté en clievance. « Il m*est souvenu, sire, fatt-ii, d*un cas merveilleux et extresme, lequel est, « comme Ton m*a recité, survenu en France, dont je sui dolant, car on dit, et « bien l'avez scéo, comme raison est et que mieux et plus brief y povez remédier « qoe homsie vivant, que Charlemaine, qui tant fut noble, riche, conquérant, « puissant et doubté, est aie de cestui siècle en l'autre, a delaissié ses eufans « Louys et Lohier, légitimes et vrais successeurs de son empire, de son royaulme « et de sa seigneurie, et Louys, en especial, premier et ainsné, lequel, sauf « tous droits, a esté refusé, delx»uté de la couronne, et fugitif. Pour quoy, « eomme j'ai entendu, vous a envoyé ses messages ]K>ur ]*equerir vostre aide, « puisque point n'a de puissance ou de main forte. Je sui demeuré en ce soing « jour «t nuit, escoutant se vous envoieriés par delà ou non, dont je me sui « povrement apperqéus. Pourquoy j'ay considéré qu'il est mon vray seigneur, « qu'il est vray et naturel fdz de Charlemaine, comme par sa mère Sebille de « Greee vous a autrefois esté vérifié, et vous mesnies passasies les mous, alastes t en France et paciGastes la dame avecq l'Empereur, lequel advoua et congnut « Louys son filz et vray héritier. Or est aiusy que, mort le père, ne puet l'eufaut « hériter par Tostacle que les princes de France y mettent, lesquelz sont « tons contre l'enfant qu'ilz desa|)ointront de son bien, et lui toldrout son « honneur, se vostre grâce et Dieu premier n'y pour\oient, laquelle il requiert « hnmblemeut. Mais je voi que nulle provision n'y est \wc vous donnée, et « pour ce me convient diligenter et chevauchier à Paris le plus hastivement « que faire le pouray, pour mon signeur droitturier secourir et aydier à son * droit soustenir contre les trahitours qui ainsy s'efTorcent de le déshériter. » Rt quand l'Aposlole enlendi Guillaume au r.ourt ^ei, qui ainsi paila, il fut moult joieux, et bien dist à soy mesmes que, puisque mort estoit Charlemaine, Guilhiume devoit estre nommé et tenu pour crestienne espée, pour pillier ca- tholique, soustcuant la loi Jesus-Crist, et pour gardien, bras et conservateur de TËglise. Si lui respondi moult doulcement : « Je envoyerai par delà, sire 31 C ANALYSE DU COURONNEMENT WOYS. II PABT. uTi. lu Mais l'avenir était peut-être aussi menaçant que le présent était radieux. Quel héritage que celui <( Guillaume, fait- il, et y trausmettray uog légal acompagnié notableaieoty le- w quel portera ung excommeniemeiit sur ceuU qui ainsy Tuelleot Loayt, k filz « Cbarlemaine, deffaire et débouter de son heridité, et, te à ce ne mdiciit M obéir, lors y pouneray-je par telle voye que, en Faance, ne sera [lenrioe] (( chanté ne église desservie, et vivront comme bestes ou gens non creablet ne u dignes de nulle bonne recommandacion. » Mais ad ce ne se voulut Guillaume accorder, ains respondi au Pere-saint : « Bien vous ay entendu, sire, fiùt-il, mais « trop seroit la besogne longue et doubteuse de atendre tant que Tot leganx M féussent U endroit arrivez. Ce soot gens qui ne requièrent mie paine, ne tra- •« >eil, ains apettent tous leurs aises, courte messe, long disner, couchier de n haulte heure et lever tart, petites journées et grant despens; et nom autres « requérons tout le contraire, par especial tandis que jeunesse nous denaine. Sy u n'en povons pis valoir, car comme racompte ung sage en deux mos de rime : « Prottffitable est le travail en Jeunesse « Que eschever fidt souffralle en vieillesse. « Je m*en parliray devant, sire, fait-il, pour ce qu'en peu de temps seray là « venu, et porteray par delà vostre commission : en alendant vos légaux, sy la « meltray moy mesmes à eiecucion telle qu'il ne sera jamais que mémoire n*en « soit perpétuellement faitte. Et, se vous demandiés quelle commission je requier « avoir de vous, s'est que, pour les services que j'ay fais à vous et à cretiennelé, H vous me oyés en confession, jà soit ce que jà me confessissiés quant je voulus «( combatre Corbault, et me donnez absoludon plainière de mes |>ecliiés. Sy m*cn « retoumeray. h Et quant le Pere-saint Téust ouy et qu*il lui éust set pediiés pardonnez, lors s'en party Guillaume, et, en peu de temps,, vint en Paris, où sy bien arriva à point que deux ou trois jours après se tint le Parlement pour constituer le filz du duc de Normandie roy de France, auquel consistoire arriva Guillaume de telle heure qu'il rompi la presse, où tant avoit de peuple, que c'estoit grand confusion. Et lui, armé soubz son mantel, pour toutes seuretez, sans soy estre descouvert à parent, à amy, à ung ne à autre, tira une lettre que le Saint-Pere lui avait à son partement l>ailliée, scellée d'un graut scel de plomb, qu'il monstra si haut que la plus grant parti<% la povoit bien véoir ; et, en disant: •• Le Pape vous salue tous, beaulx signeurs, »mist la main à l'espée, haulçasoo mantel, sy que on vist le haulbert menu-maillié, luisant et cler, s'adrt^ vers le ûlsdu ducRichart et lui donna du taillant dont x\ avoit Corbault occis devant Rome, sy qu'il le pourfendiendeux pars, et cria : « Nerbonne! » si haultemcnt que tout fut le demourant esbahy , et se absentèrent les pluiseurs et plus grans ni eulx eslonguanlet mussaut derrière le menu commun. Et quant Guillaume éust ainsy exploitié, et il vist que nul ne se mettoit à deffense, ains s'en aloit^cbacun qui se sentoit coulpable du meffait, il se monta amont, l'espée nue, rouge et sanglante en son poing, se mist au Aiége royal, nou mie eu soy séant, mais de- bout, comme uug siéger ou greffier qui veult une sentence prononcer, et là, m; monstra plainemeut, eu disant qu'il veuoit de Rome de par le Pere-taint, qui luy avoit sa burle bailliéepour tous ceux, presli-es, nobles, clercs et lais excou- menier, qui contre leur prince et droittiirier seigneur avoient metpriset ofleosé en malfait, en maldit, en pensée inique et autrement !... *> On pourra, au sujet du ANALYSE DU COURONNEMEST LOOYS, 317 de Charlemagne! Pour maintenir le grand empire n paw. tnr«. u. dans celle étonnante prospérité, il fallait un roi tel - — '- — — tOLle précédent, faire quelques remarques : a, Gharlemafoe est mort, d*après le manuscrit du quinzième siècle, au moment où Guillaume tue l'usurpateur de la couronne de Louis : le poète du douzième siècle, au contraire, avait fait assister le TÎeil Empereur à cette juste et cruelle exécution. — ^. Le Pape joue dans le rtfmzimentoiiïk r6le bien plus important que dans la Chanson originale. — c. Le traitre est représenté par le remanieur comme fils du duc de Normandie.... &* Il y a également plusieurs observations à formuler au sujet de la version en prose du manuscrit 1497 de la Bibliothèque impériale: a, La scène du cou- ronnement de Louis a lieu après la mort, et non point du vivant de Charlemagne ifr 160 et suiv.). — b. Comme dans le manuscrit 326 de l'Arsenal, le drame se passe à Melun, et non pas à Aix. — c. C'est à Reims que Louis est sacré « ainssi qu'il est accoustumé >• (f« 162 v«). — d. Après la mort du traitre Hemais, duc d'Orléans, qui est encore ici représenté comme le ûls de Richard de Normandie, l'empereur Louis accorde le duché d'Orléans à Hemaiz {sic) « qui ainsné estoit des fi!z Ai- mery» ((* 164 r») : « Hemaiz lui requist le duché d'Orléans, dont le seigneur avoit par le sien frère Guillaume esté occis, et il le luy accorda moult volen- Ikrs. *» Et le frère du meurtrier d'Hemaiz va jusqu'à épouser la veuve de la victime : • Par ce traitté, le frere de Guillaume fut conte et sire d'Orléans » (^ 164 v«). Nous voyons par là conunent on peut combiner entre elles les deux données du Couronnement et du Siège de Narbonne. — «. Il y a des corrélation» évidentes entre la version de l'Arsenal et celle du ms. 1497.= Nous donnons ici un fragment de ce dernier texte qui suffira sans doute à faire saisir la physiono- mie générale de tout ce remaniement : « Comment GuUlaume, le fUz Aymery de Narbonncy envoya tfuerir Laanytj ie filz Charlemaine, à Me/un, et le fist eouronner à Paris et espouser sa sueur Blanclieflonr, Quant Guillaume fut emmy le pare entré, si que plus ne povoit passer sans excéder le terme des aultre;» grani seigneurs, et qu'il vist les nobles princes, ducs et contes assis par ordre comme en ung Parlement, et le duc Richart de Normandie debout à costé d'un haut dois, richement ordonné par grant magnificence ou millieu du quel estoit Hemais, son fils, assis comme en magesté, atendant l'onneur qu'on lui devoit par la délibération des ducs, contes et barons illeques assistens présenter, se aulcuns n'y avoit coutredisans, se aparut ileq Guillaume, le fiU Aymery, lequel getta par terre le mautel endossé et demoura en sou haraaiz tout cler ou vemy de roeil ainsi et tel comme il avoit aporté de Homme, et monta sur le faulx- detteil, si que bien péust ataindre à Hemaiz, qui, comme vous avez ouy, estoit plus hault que nul aultre, et, de l'espée qu'il tenoit nue, lui donna un coup si grant que le chief lui fist plus de dix piez voiler emmy le parc, voire en criant : « Nerbonne! » si haultement que de toutes pars péust bien estre ouy et entendu. Mais mye ne se tint à itant, ains assena le duc d'Orl^ns et le mit mort comme Tautre, car c'estoit celluy que plus près de luy estoit et qui son fait avoit le plus suporté à son advis. Lambert, le conte de Montfort, estoit d'aultre part assizqui autant en reccut par sa main, et quant le duc Richart vist l'execucion que Guil- laume faisoit, il fut sy esbahy que il se mist en fuite et se bouta parmi les gens qui là estoient, les queulx, ou la plus grant partie, furent si esperdus que chascun s'cscarta l'un çà l'autre là, ne oncques n'y éust homme qui à deffense scéul le 318 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. II PART. LiTB. H. q^Q ChaHcs. On entendait déjà certains murmures CHAP. XIV. ^ J — menaçants; les barons de France eux-mêmes , trop sien corps mettre par U grâce de Dieu, ainsi comme il poYoit TÎsibleBiCQt bler. Moult fu joyeux Guillaume, quant il se trouva ainssy obey, et que il ii*y éust celuy qui lui contredist en rieng, mais apercent le monde qui se detempa- roit et s*en alloit à Tuyz. Il s^escria haultement, disant : « Holla, beaus seîgneun, « fet-il, holla ! » Mais il estoit monté sur le hault dois où il avoit Hemaix oods : « Il nous convient présentement uug aultre roy eslire que Hernais, car jà ne « le sera. Ce n*est mye raison pourtant que à luy n*apartient mye la Meeasioo du « rojraulme. Sy suy cy transmis de par le Pape, lequel a son sœl ataîd^ an « tranchant de mon espée, de laquelle il m*a chargié escommenier et mmildire « tous oeulx qui s*entremetront d*aller contre droittare, et qui raisen et loyanlté « ne \ouldront par bonne foy soustenir. Et, par la foy que je doy à Dieude lhu«- •t dis, je ne saiche homme en ce monde se je le voy meaervir, faillir oa mes- • prandre, à qui je ne face Tame du corps [partir]; car ainsi me fut, n*a pas •* *I1I' sepmaines, commandé à faire à Romme de U bouche du Pape, en la pre- « sence de Tabbé de Saint-Denis et des messaigiers de France qui ven [lui] es- « toient allés pour ceste cause. >• Sy n*y éust cellui qui le couraige n'éost desmén, et cpii n'éust si grant paour que le plus hardi ne féust gueres asiénré. Et lois s*emparti qui de là péust eschapper. Et ceulx qui ne péurent et qui par aTantnre fidsoient plus par force et par craindre comme par droit ou que par amour raî- sonnable, et qui les grans entrepreneurs de la besoigne virent eolx mocîcr et fuir, se retournèrent vers Guillaume lors, qui n*espargnoit grant ne petit qoaat il véoit contredisant, et lui dirent haultement comme saiges et bien « A vous voulons d'umble vouloir obéir, sire Guillaume, font-ils, et, m <* avons aulcunement, venir à amandement là où et ainssi qu*il appartiendra, car « de nous méesmes ne cuidasmes oncques mesprendre, quelque assamblée que cy • avés trouvée. » Sy fut Guillaume ausques contempté de ceux-là et les reoéut à mercy dont il fut ausques fortifié comme il luy sembla. Les aultres qui s'en par- tirent du palaiXf lesquieulx ne po voient mye estre trop asséurés, s*en allèrent parmy les rues de la cité, faisans grans clameurs et gratis cris, comme joyens les aulcuiis de Tavanture qui ainsi estoit advenue, pour Tamour qu*ilz avoient à leur droitturier seigneur, et racomptereut comment Guillaume, le filz Ajmerj de Nerbonne, estoit venu au Parlement et comment il avoit occis Hemaix, le doc d'Orléans, le conte deMontfort, et aultres 'V* ou 'VI* des plus fors trahitoors. Sy se esméut le peuple commun et les bourgois méesmes adonq, et crièrent : « Aux armes ! » aval Paris, pour aller en Taide du bon chevalier Guillaume, lequel fut en peu de temps si bien acompagnié que il fut le plus fort en Paris, et n'y éust homme qui contre lui osast Teil lever ni le visaige. Aius fut comme régent, gouverneur, dominateur et capitaine de Paris, w (B. I. fr. 1497, f» 161 r"-162 f.) 6* L'auteur anonyme des Chroniques françaises contenues dans le manuscrit 5003 de la B. I. (quatorzième-quinzième siècle) résume ainsi ((■» 101) la légende du Cotironnrment : « Et si raconte Tistoire ou rommant de la vie de Guillaume d'Orange que cestui Arneis, après la mort de l'empereur Karlemaine, se volt faire roy de France et débouter Loys, le fils de l'Empereur, dont Ameis fiit occis de Tentreprise Guillaume d'Orange et donna l'empereur Loys Amatdt^ le fils jéimery de Narbonne^ frère di Guillaume d'Orange, le duché d^Orliens ANALYSE DU COURONNEMEI^T LOOYS. 319 humiliés par le fils de Pépin, relevaient la tète et at- n pabt. un. u. * * CBAP. xnr. tendaient la mort de l'Empereur centenaire. Il y avait de mauvais frémissements au-delà des Alpes et au-de- là du Rhin. Sur les bords de la Gironde on pensait à toutinstant voir paraître les Sarrasins. Qu'allait-il ar- river, quand les anges auraient emporté l'âme de Char- lemagne dans les fleurs du Paradis ? Charles, après avoir promené ses grands regards Gnniioiiic . 1 I • 1 «^ .1 place la eourooDc autour de lui, les arrêta sur un pauvre jeune homme, nir la lête ou phitôtsur un enfant frêle, pâle, tremblant, honteux. '"JJSte^JÏÏSî' Et cet enfant était celui qui allait avoir à soutenir sur "•^JSh'ÏS."* ses bras débiles tout le poids de Timmense empire : ^q^^JJ^ c'était le fils de l'Empereur, c'était son héritier, Louis, «i»* »•'*«« «» ^ *■ sous la garde Il voulut le présenter lui-même à tous ses barons,à tous ^ Guiiaimic. ses évêques qu'il avait solennellement convoqués à la dernière de ses cours plénières; il voulut peut-être ex- citer par un grand spectacle la nature endormie de ce fils qu'il aimait malgré tout, mais dans lequel il n'osait espérer. Au dernier appel de l'Empereur, quarante évêques et quatre rois couronnés répondirent , et le Pape lui-même vint ennoblir cette solennité en y assis- tant. L'assemblée se tint comme un véritable concile, dans la fameuse chapelle d'Aix qui venait à peine d'être dédiée. Comme dans un concile aussi, la messe fut cé- lébrée dès le matin devai)t les évêques et les comtes prosternés, et ce fut le Pape qui la chanta. Sur l'autel f et ta duchesse, (F* 101, Y. Histoire poétique de Charlemagne^ p. 403.) Comme on le voit, les Chroniques du maniucrit 5003 prévienneot et expliquent de la mèBie façon que le manuscrit 1497 la confusion possible entre Hernais et Her- naut, dont le premier fut la victime, dont le second est le frère de Guillaume. M. Gaston Paris (1. 1.) fait remonter cette curieuse explication à Albéric de Trois-Fontaines, qui a écrit d'ailleurs ces quelques mots sur notre légende : « Co- rnes Aurelianensis Arnaisvoluit re^oare et esse tutor Ludovici, sed Giiitlelmils Arausicensis foniter restitit, etc. » (B. I. 4896 A, f" 44**); mais Albéric sans doute avait puisé son récit dans les vers du Siég^e de ffarbonne que nous avons cités plus baut, ou dans quelque antre cbanson de^te plus développée. ■vm- CHAP. IIY. 320 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS, iiPABT. Livi.il. étincelait un crand joyau d*or massif : c'était la cou- ronne de Charles % qu'on ne regardait pas sans quel- que tremblement. Mais nu] ne tremblait plus que Louis. Alors le vieil Empereur mourant éleva sa voix, qui n'avait jamais paru si vibrante, ni si terrible : a Beau fils , dit-il, si tu me promets de haïr à tout a jamais le péché, d'éviter la luxure, de ne commettre « aucune trahison et de ne pas dépouiller les orphelins, « si tu te sens de force à tenir toutes ces promesses, a étends la main et prends cette couronne. Sinon, je te « défends d'y toucher. » Louis, en entendant le ton- nerre de cette voix, avait peur et chancelait *. a Te sens-tu capable de te mettre à la tète de cent (c mille hommes, de mener une guerre en véritable « empereur de Rome, de passer les eaux de la Gironde « et d'aller exterminer chez eux les Sarrasins? Si tu te ff crois capable de ces choses, étends la main et prends « cette couronne. Sinon, je te défends d'y toucher'. » Louis était devenu immobile d'effroi. a Veux-tu être bon, juste, pur? Veux-tu faire du « bien à la sainte Eglise, respecter la faiblesse des en- « fants et des femmes, et abaisser tout orgueil qui s'é- « lève? Alors, étends la main et prends cette couronne. « Sinon, je te défends d'y toucher ^. » Louis, tout hébété , écoutait ces paroles sans paraître les com- prendre et ressemblait à un homme mort ^. Charles le regarda,et fut saisi d'indignation : «c Lui! « cet enfant-là, dit- il, être mon fils! Non, ma femme a aura couché avec quelque gueux qui a engendré « ce lâche. Je ne le reconnais pas. Qu on le tonde bien I Le Couronnement lA>oys^ éd. de JoockMoit (diaprés le nis. T74 de laB. I. et avec des variantes du ms. 23 La Vallière) vers 28-49. — * Vers 50-71. — 3 Vers 72-79. — 4 Vers 80-86. — 5 Vers 86-91. CHAP. XIV. ANALYSE Dl COURONNEMENT LOOYS, 321 « vite, et qu'on en fasse un moine. Ce sera, je pense, " ^jiH'^^^^j "• « un excellent marguillier. S'il lui faut une prébende, « on lalui donnera pour qu'il nemendiepoint. Allez' ! d Les Évêques et les Comtes n'osaient respirer en en- tendant les éclats de celte colère; ils étaient tout tremblants et pleuraient comme Louis, qui se sentait mourir. . . Un personnage oblique s'approcha alors de l'Empe- reur et lui dit : c< Confiez-moi votre empire pendant trois « ans. Votre fils aura tout le temps, d'ici là, de devenir « un preux, et je lui rendrai son royaume prospère et « agrandi. » Le vieuxCharles, chose étrange, consentait déjà à cette singulière régence', et Hernaut d'Orléans, le traître Hernaut allait s'installer sur le trône du grand empereur, lorsque soudain, à la porte de cette basilique où régnait un silence lugubre, parut une sorte de géant, un homme immense, en costume de chasse, grossier, formidable, lançant des regards dont Hernaut ne put soutenir les éclairs. C'était notre héros, c'était Guillaume ^... En ce moment le fils d'Aimeri se revêt à nos yeux de cette magistrature de libérateur de la royauté et de la France qu'il exercera désormais jusqu'à la fin de sa très-noble vie. Cette heure est, en vérité, très-solennelle et tout à fait décisive. La royauté , comme vous le voyez, est mourante, elle agonise. Un petit traître, un Orléanais n'a qu'à souffler dessus pour la renverser. Le véritable héritier va être jeté dans je ne sais quelles oubliettes, et, après avoir dompté le monde, Charles ne trouvera à donner à son fils légitime qu'une place de marguillier et de son- neur de cloches. Mais il y a une famille en France qui > Le Couronnement Looys^ vers 92-100. — * Yen 101-112. — > Vers 113- 124. m. 21 322 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. iiPART. LiTR. II. n'a été créée et dont Dieu n'a favorisé le développe- CUAP. XI?. ^ *^* ment que pour venir en aide à la royauté française , pour la soutenir, pour la relever; et cette famille est celle de Garin, d'Hernaut de Beaulande, d'Aimeri et de Guillaume. Elle va sauver, oui, elle va sauver l'Empereur et l'Empire. Mais combien de fois, hélas! ne reprochera-t-elle pas ce bienfait à ceux qui l'auront reçu 1 Combien de fois ne dictera-t-elle pas ses volontés au successeur de Charlemagne, combien de fois ne rhumiliera-t-elle point en prenant plaisir à lui répé- ter : (c Tu ne serais rien sans nous, et nous t'avons ce mis la couronne sur la tête ! » Race trop fière après tout, et faisant payer trop cher les grands services ({u'elle a pu rendre! Guillaume apprend, en un instant, tout ce qui vient de se passer devant le saint autel où la cou- ronne d'or resplendit toujours ; il est rapidement mis au courant de la trahison de l'Orléanais. Il oublie, dans sa rage, qu'il a l'honneur d'être dans une église : il tombe sur Hernaut et le tue d'un seul coup de son épouvantable poing \ Puis il monte les degrés de l'autel, saisit la couronne et l'enfonce sur la tête de Louis. Charles fut ravi d'assister à ce double spec- tacle; il se releva, il fut joyeux à cause de son enfant, et c'est alors qu'il lui donna ces admirables conseils que nous avons traduits ailleurs et qui semblent avoir servi de modèle aux dernières paroles de Louis IX ^ : «c Sois ce pieux et aime l'Église; sois juste et ne fais tort à per- 'i sonne; ne permets pas qu'un vassal se révolte contre « toi ; sois humble avec les pauvres, et d'une fierté « de lion avec les orgueilleux. Enfin , ne t'entoure ic que de bons conseillers et fie-toi pleinement en Guil- 1 Le Couronnement Looysy vers 126-143. — ' Vers 144-2&1. ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. 323 « laume ' . » Cinq ans après, le vieux roi répéta encore " ""^"t. livr. h. ^ V "* r ^ CHAP. XIV. ces conseils à son héritier tout en pleurs ; puis il ' rendit sa grande âme à Dieu. « < Lb CoUROIflfEMSirr dr Louis. {Traduction littêraie,) Quand la chapellr d*Aix fut bénite, — Quand le moutier y fut achevé et qu'on en fit la dédicace, — Il ae tint une belle cour plénière, telle que vous n'en verrez pins. — Qua- torze comtes gardèrent le palais. — Les pauvres gens allèrent s*y faire rendre justice : — Pas de plainte à laquelle on ne fit droit! — Car, en ce temps-là/ on donnait la justice : ce n'était pas comme aujourd'hui : — Les mauvais juges se la font payer eu beaux présents, — Et les bonnes causes en restent la, par suite de ces dons coupables! — Mais Dieu, qui nous gouverne et nous soutient, Dieu est juste. — Et ils tomberont dans la puanteur de l'enfer, — Les mauvais princes, pour n'en plus sortir jamais ! Ce jour-là, il y eut bien dix-neuf évèques — Et dix-neuf archevêques pré- sents. — Le pape de Rome, l'Apôtre, chanta la messe. — L'offrande, ce jour- là, fut si belle — Que, depuis lors, il n'y en a pas eu de pareille eu France. Qui fut là dut être généreux Ce jour-là, il y eut bien vingt-six abbés, — > Et quatre rois couronnés, — C*crt alors que l'on éleva Louis. — La couronne était placée sur l'autel, — Et le roi son père la lui a remise... — Un archevêque est monté au lutrin — Et a fait un sermon au peuple chrétien : — « Barons, dit-il, écoutez-moi : « — L*empereur Charles a usé le temps de sa vie, — Et ne peut plus la pro- « longer. — Mais il a un fils à qui il voudrait donner sa couronne, w — A ces mots, ce fut une grande joie; — Tous les barons présents tendirent leurs mains vers Dieu : — « Père de gloire, béni sois-tu — De ne point nous faire tomber « sous un roi étranger. » — Alors notre Empereur a appelé son fib : — « Beau K fils, dit-il, écoute-moi bien. — Vois cette couronne qui est sur l'autel ; — « — Je te la veux donner, mais à de certaines conditions : — Pas d'injustice, « pas de luxure, pas de péché ; — Ne sois traître envers personne; — Ne vole « pas son fief à Torphelin. — Si tu veux te montrer tel, j'en louerai le Seigneur « Dieu. — Prends la couronne, et tu vas être couronné. — Sinon, mon fib, « kisse-la, — Je te défends d'y poiier la main ! >* a Fils Louis, vois cette couronne : — Si tu la prends , te voilà empereur de M Rome. — Tu peux dès lors mener cent mille hommes en ton ose, — Passer « par force les eaux de la Gironde, — Écraser et confondre les païens, — « Jmndre enfin leur terre à la tienne. — Veux-tu agir de la sorte? voici la H couronne. <— Sinon, n'aie jamais l'audace de la prendre ! >• «Beau fils , si tu dois accepter mauvaU présents; — Si tu dois abaisser m. le service 4e Dieu, — Relever le péché et faire luxure; — Si tu dois ravir ^ « son fief à Teiifant qui en est le véritable héritier, — Et arracher ses quatn* « deniers à la veuve, — Au nom de Jé^us, je te défends, — Fils Loms, de toucher <« à cette couronne ! » — L'enfant Louis, à ces paroles de son père, n'ose faire un seul pas, — Tant il est ébahi de ce qu'il vient d'entendre. — Non, il u*ose pas porter la main à la couronne, — Et maint vaillant chevalier se mit à en pleurer. <— Et rEmpereur d'entrer en une grande tristesse et colère : — - «> Hélas ! dit-il, n comme je suis trompé ! — Quelque gueux aura couché avec ma femme — Et I» aura engendré ce couard héritier* — Jamais, jamais je ne l'avancerai : — II PART. LIVR. II. CHAP. XIT. 324 ANALYSK DU COUJiOyA£MENT LOOYS, \\ mourut tranquille, eu pensant que Louis aurait à son service Tépée de Guillaume. Le (ils d'Aimeri eut une de ses dernières pensées. •• Ce serait péché d*eu faii'e ud roi. — Qu'on lui coupe le^ cheveux. — Il •« moine à Aix, en ce mouUer ; — 11 sonnera les cloches et sera marguiUier ! — <« Pour qu'il ne mendie point, il aura sa prébende. *• — Près du roi s'était assis Hemaut d'Orléans, — Qui fut orgueilleux et félon — Et qui, très-perfidement, 'dit à Cbarl**.s : — « Droit Empereur, faites silence et m'écoutez. — Mon leigneiir « Louis est jeune, il n'a que quinze ans. — En faire un bon chevalier, c'est «• chose peu facile. — Mais confiez-moi celte besogne, si c'est votre bon plaisir : — « Dans trois ans, nous verrous ce que Louis sera devenu. — S'il est preux, s'il «• est le digne héritier de son père, — Je lui rendrai de moi-même et très-TO' <« lontiers — Ses terres et ses fiefs que j'aurai accrus, w — « J'y consens, dit « l'Empereur. •• — « Merci, sire, merci, «s'écrient alors lestraitres — Qui étaient parents du duc Hemaut d'Orléans. — Hemaut allait être roi, quand arrive Guillaume. — 11 sort d'un bois, où il vient de chasser ; — Son neveu Bertrand court à lui, et lui prend l'étrier. — n D'où venez-vous, beau neveu.' dit Guilr Le Couronnement Looys, vers 165. Le manuscrit 144B donne, comme nous l'avons dityquelques détails sur cette mort' de Charles. — > Vers 2&?-274. 326 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. Il PART. Lif R. II. au roi de France. Libérateur de la patrie, il devenait CIIAP. XI?. , 1/1 là-bas le libérateur de l'Eglise. Dans toute sa légende il nous apparaît sous ce double aspect et le front ceint de cette double auréole ! Sa luue contre le géant II. Premier voyage Dans son pèlerinage de Rome, le comte Guillaume ^^Rome"'' était accompagné de Guielin et de Bertrand. Si paci- fiques d'ailleurs que fussent les intentions de ces corsou pieux voyageurs, ils avaient néanmoins jugé prudent Kome délivrée d'emporter leurs bonnes épées qu'ils cachaient sous leurs manteaux. Ils arrivèrent ainsi dans la ville sainte et y furent bien accueillis ^ Cependant un songe lu- gubre avait mis Guillaume en garde, et il s'attendait à je ne sais quels événements sinistres^. En effet, voici venir deux messagers tout couverts de poussière : a Les Sarrasins Iles Sarrasins! » s'écrient-ils, éperdus de terreur. Puis, introduits en présence du Pape : « Les rois païens Galafre et Ténèbre ont envahi l'Ita- « lie. Le bon roi Gaifier de Pouille est allé à leur ren- tt contre; mais il a été fait prisonnier avec sa femme, « sa fille et trente mille chrétiens qui vont avoir c( la tète tranchée. Ils approchent, ils sont aux portes Couronnement Looys^ vers 61&-636. — * Vers 552-S88. II PART. LIVE CHAP. XIV .130 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. • "• triste expérience *. C'est ainsi que Tbétis^ en plongeant Achille dans le Styx, n'avait point trempé le talon de son fils dans l'eau préservatrice. Les deux légendes se ressemblent étrangement : elles sont, du reste, aussi profondément épiques l'une que l'autre. Bientôt^ les deux représentants du paganisme et de la chrétienté sont en présence et, superbes, se défient. I^e païen est monté sur un cheval merveilleux, Alion ; le Français lève au ciel des yeux pleins d'espérance et adresse à Dieu une des plusferventes et des plus longues prières que l'on rencontre dans nos Chansons de geste^. Noussommes vraimentau cœur de notreépopée. Avant de se jeler l'un sur rautre,les deux adversaires s'adres- sent encore de belles harangues, toutes pleines d'in- jures^. Toutefois ces outrages n'atteignent pas les personnes des combattants , mais leurs religions, a Le* c( quel triomphera de Mahomet ou de Jésus? «Toute la question est là , et, en vérité, il n'est pas de plus grande question. La lutte commence ^ : celles de Ro- land contre Ferragus et d'Olivier contre Fierabras n'ont pas aussi vivement fixé notre attention, ne nous ont pas jeté dans une situation aussi haletante. Guillaume, plein de rage, se précipite sur le géant et, sans trop savoir ce qu'il fait, lui porte successive- ment trois coups terribles^. Corsolt, dès ce premier assaut, est mortellement blessé. Mais le monstre, pour avoir perdu de ses forces , n'en demeure guère moins redoutable. Guillaume attend, non sans quel- que crainte, le choc du païen, et, plus pieux cjue jamais , fait monter au ciel une nouvelle prière où il prend le temps de résumer une seconde fois toute l'histoire do l'Ancien et du Nouveau Testament. « Le Couronnement Looys, vers 589-608. — > Vers C09-787. — ^ Vcli 788-892. — 4 Vew 803-903. — ^ Ver» 904-944. ANALYSE DU COURONNEMENT IX)OYS. %Z\ C'est alors que Corsolt lui porte ce coup si célèbre " '^"- "^■- "• dans notre épopée nationale, et qui mérita à notre héros son nom de Guillaume au Court Nez. Ufiert Guil- laume — Et de sonnés abat le someron. Et notre poète ajoute, avec quelque naïveté : Maint reprovier en ot puis Ufrans hons. Or, c'était précisément cette partie de son visage qui n'avait pas été touchée par le bras de saint Pierre; c'était la seule qui ne fut pas invul- nérable ' . Du haut de leurs murailles, les Romains suivaient avec angoisse cette lutte à laquelle étaient attachées les destinées de leur ville ; le Pape était au premier rang. Lorsqu'il aperçut Guillaume chancelant, blessé, le visage inondé de sang ; lorsqu'il vit que le cham- pion de l'Eglise avait perdu son bon cheval et était forcé de combattre à pied contre un si puissant en- nemi, \Apostole fut saisi d*une profonde douleur : « Saint Pierre! saint Pierre! s'écria-t-il, que fais-tu « dans le cieP ?» Les chrétiens commençaient à déses* pérer. Mais ils avaient tort de témoigner une telle impa- tience, ou pour mieux dire une telle incrédulité. Quelques minutes après, Guillaume leur apparaissait radieux, vainqueur, tenant à la main la tète énorme de Corsolt. Et il disait avec une fierté railleuse : « J'ai « bien vengé mon nez ^ » Le Pape , presque aussi joyeux que le Comte, se hâta, et ouvrit ses bras au triomphateur.... Tomber dans les bras d'un Pape, cela vaut bien le triomphe antique. « Ètes-vous entier? dit le Pontife. — J'ai le nez a un peu entamé, répond Guillaume, et ne sais trop « comment on me l'allongera. Ce qu'il y a de cer- • U Couronnement Ixtoys, vers 045-1052. — » Vers 10S3-10&8. — ^ Ver» 10S9-1141. nt ANALYSE DL' COURONNEMENT LOOYS. Il PABT. uvR. II. or tai», c'est que tous les Français me vont désormais CHAP. XI?. ' * * « surnommer Guillaume au Court Nez '. » Ainsi se mêlent, dans cette épopée primitive, le gros rire -sans atiicisme et les vraies larmes sorties du cœur. Une fois Corsolt vaincu, il restait encore à battre toute Tarmée païenne ; mais déjà une terreur panique s'était emparée des soldats de Galafre. Ils s'enfuyaient éperdùment. Guillaume se jette à leur poursuite, les atteint, les renverse, les massacre. Sous sa terrible épée, il tient le roi Galafi*e lui-même, qui va mourir et pousse d'affreux cris : « Je vous rendrai mes trente a mille prisonniers, dit le Sarrasin, je vous rendrai le « roi Gaifier. » Puis, tout suppliant : « Je me ferai bap- « tiser*. » Le vainqueur alors retire son épée et envoie le vaincu au baptistère^. Pendant ce temps, les païens s'embarquaient, et, furieux de leur défaite, ivres de rage, se voyant forcés de délivrer les captifs chrétiens, se donnaient l'âpre joie de battre ces misérables désar- més, et de les rendre à Guillaume rouges de leur sang, dépouillés et nus. Guillaume pleura de grosses larmes à la vue de ces chrétiens déshonorés, et le Pape, non moins ému, fit jeter des manteaux sur leurs épaules tremblantes, leur distribua de l'or, et dit devant eux cette grande parole : «  hennor fere doit chascuns estre larges *. » Quant à Gaifier, il ne savait plus comment témoigner sa reconnaissance à son libérateur : r< J'ai une fille qui est la plus belle du a monde, disait-il au fils d'Âimeri. Épousez-la et pre- « nez la moitié de mon royaume, » Guillaume re- garda la jeune fille, et, la trouvant belle, consentit à la prendre pour femme \ Alors on fit dans la ville sainte les plus magnifiques, » Le Couronnement Looy s, s tx% tH2-ll56. -- » Ver» 1157-1270. — ^ Ver* I27M281. — 4 Vers 1282-1441. — ^ Ven 1342-1371. ANALYSIi; DU COUBOSNEMEyT LOOYS. 333 les plus joyeux préparatifs pour le mariage de celui " >*aw. ur». n. qui venait de sauver Rome et la chrétienté. Vers Té- glise tapissée de feuillages et de fleurs, Guillaume s'a- vança, avec la fille de Gaifier, qui était toute resplen- dissante de jeunesse et de grâce. L'Apôtre les atten- dait à l'autel, a tôt revestu por la messe chanter ». Et le comte d'Orange prit un anneau et le tendit à sa fiancée *, quand tout à coup... Ici nous rencontrons un véritable coup de théâtre, comme on en pourrait noter fort peu dans toute la suite de nos épopées nationales. Au moment même où Guillaume tendait l'anneau nuptial à la fille du roi Gaifier, au moment où le sii- crement allait descendre sur lui, un bruit se fit dans la basilique. Deux messagers venaient d'y entrer, d'un pas rapide, «c Nous voulons parler à Guillaume, » di- saient-ils. Le Comte était en habits de fête, au pied du grand autel. Ils arrivent devant lui: « Charlemagne a est mort, et son fils Louis court les plus grands dan - *« gers. Si vous ne venez à son aide, il est perdu. » Le Comte aussitôt jeta les yeux sur le Pape : l'anneau tremblait encore dans sa main. « Il vous faut partir, « dit \ Aposlole^ et secourir le fils de Charles. » Alors, prenant une décision héroïque et la prenant en un instant, disant adieu à toute cette joie qui l'attendait, au sourire de cette jeune femme,au repos, à la richesse^ à la possession d'un vaste royaume, et n^ayant en tête qu'une seule idée : « Le fils de mon seigneur a « besoin de moi, » Guillaume se tourna vers la fille de Gaifier et, le cœur navré, lui demanda chas- tement son congé, a Guillaume bese la dame o le vis cler. — Et ele lui ; ne cesse de plorer. — Par tel co- > X> Couronnement LooySf vert 1372-1382. 334 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. II PART. UT». II. vent einssi sont dessevré : — Puis ne se virent en CHAp. xnr. , trestot lor aè * . » Ces quatre vers sont d une simplicité presque sublime, et tout cet épisode est digne des chefs* d'œuvre de l'antiquité. C'est ainsi que Guillaume quitta cette Rome où il ne devait point tarder a revenir; c'est ainsi qu^il alla en France se faire le libérateur de son pays, après avoir été à Rome le libérateur de l'Église. Dans tout ce poème que nous analysons, notre héros ne cesse d'aller de Paris à Rome et de Rome à Paris, et rien n'est plus beau que ce va-et-vient ; rien ne met dans une plus belle lumière cette geste de Garin qui décidément prend la première [)lace après celle du Roi. .. En réalité, Guillaume va tout-à-l'heure arriver au sommet de sa gloire. 111. tte retour En Fraucc, les traîtres, les rebelles triomphent. Ils GaiDamne apaise out saisi le pauvre petit roi Louis et l'ont jeté dans detoasîes^raLds uuc prisou de la fameuse abbaye Saint-Martin de « en*pi!rucaiicr Tours. En Sortira- 1- il jamais? Un nouvel empereur va ^nireïfite' lïïonter sur ce trône audacieusement usurpé : ce sera le deunrieiiiagne. fils de Richard de Rouen. Toujours habiles, ces Nor- mands! Mais le vengeur approche. Déjà Guillaume est en Brie, où il apprend d'un pè- lerin l'emprisonnement du fils de Charlemagne*. Vite il marche sur Tours, réunit autour de lui jusqu'à douze cents chevaliers, voit grossir sa petite troupe, ne déses- père pas de la victoire, hâte le pas et arrive tout hale- tant aux portes de la ville de Saint-Martin. Sur son chemin, il crie à haute voix : « Malheur à celui qui > Le Couronnement Looys^ vert 1383-t435é — * Vêts 1436*1474. CBAP. XI?. ANALYSE DU COURONNEMENT WOYS. 335 a prétendrait être roi de France. Je lui mettrais une np4«T.u?i. n. « étrange couronne sur la tète en lui faisant descendre « sa cervelle jusqu^aux pieds ' . » Par bonheur le baron qui garde l'entrée de Tours est un noble cœur qui dé- teste les traîtres; mais il ne reconnaît pas tout d abord les chevaliers de Guillaume : a Ah ! dit-il, pourquoi le K lignage d'Aimeri n'est-il point ici ? Quant à vous, je « vous défends d'entrer. — Si tu savais qui je suis, lui « répond doucement notre héros, tu m'ouvrirais cette « porte sur-le-champ. — Quel est votre nom? — Je «m'appelle Guillaume de Narbonne. » Ils entrent^. Un grand pas vient d'être fait; Guillaume est dans la place. Il s'agenouille sur le marbre du moutier, et réclame le secours de Dieu pour son pauvre et faible protégé , pour le roi Louis ^. Puis il se re- lève et se change soudain en un impitoyable justicier que rien ne pourra plus attendrir. Les quatre-vingts moines de Saint-Martin se sont rangés au parti des traîtres, ils ont conspiré contre leur seigneur légitime: il importe qu'ils soient punis, et punis avant tous les autres. « Les moines ne sont-ils pas faits pour lire en Couronnement Looys^ Ters 1476-1503. — * Vers 1505-1665. -- ^ Yen 1666^1672. s 336 ANALYSE DU COVRONNEMENT LOOYS, Il FABT. u%». II. les envoyant aux diables '. \joms était là, spectateur CHAP. XIT. 111 .11 tremblant de cette terrible scène. Il s'était trainé aux genoux de son libérateuryetlui avait très-humblement baisé les pieds. Même le Comte avait du le relever et lui donner une leçon de dignité. Mais justice n'était pas faite encore Le fils de Richard, celui dont on voulait faire un roi, s'appelait Âcelin: Guillaume le somme fièrement de venir défendre avec lui l'empereur Louis, « qui est leur vi'ai seigneur ». Mais Acelin ne répond à cette sommation que par le plus insolent de tous les défis. Le défenseur de la justice, à cette réponse, pense de- venir fou de colère, et, sur-le-champ, va trouver ce vantard, ce félon... qui n'ose pas soutenir le choc des Français et bat en retraite. Mais Guillaume est sur les traces de ce lâche : il ne le perd pas de vue, il le poursuit, il l'atteint. £mploiera-t-il Pépée, arme si noble, pour en finir avec le traître? Non, un pieu sera assez bon, et le comte passe cette arme roturière à tra- vers la tète d'.\celin * : « Montjoie! Montjoie! l^ouisest « vengé! » Reste Richard . Guillaume, sans prendre une heure pour se repo- ser, court à ce chef de la conspiration et le cherche partout avec rage : Le Couronnement Looj-s, ven 1673-1763. — * Vf» 1764-1931. ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS, 38Î lui coupe les cheveux, lui déchire ses braies, et brutale- " '^"t. utr. u. .... CHAP, XIT, ment l'assied nu à nu sur le marbre: «Voici, dit-il, — ce comme on traite les félons. » Richard n'était pas mort, et se hâta de faire la paix avec son terrible ennemi : « Je vous pardonne la mort de mon fils, » dit-il en tremblant. Et ils s'embrassèrent '. Mais, à mesure que notre héros triomphait d'un obs- tacle, vingt autres surgissaient devant lui. I.e pays était tout couvert de révoltés. Autant de conspirateurs que de puissants barons. Guillaume se mit, en quel- que sorte, à faire son tour de France, terrassant par- tout l'injustice et la félonie, rétablissant partout l'au- torité du vrai roi. Le seul Poitou, pépinière de traîtres, l'occupa pendant trois ans. Il combattait tous les jours, même le jour de Noël, même le jour de Pâques; pasde trêve*. Ensuite, il alla dans Bordeaux triompher du roi Àmaronde^, et, dans le pays de Pierrelatte, vaincre le roi Dagobert de Carthage^. A Saint-Gilles, il soumit Ju- lien qui avait soulevé cette contrée contre le fils de Charles^. A la tête de deux cents chevaliers, il côtoya le littoral de la Bretagne jusqu'au mont Saint- \ Michel, et entra dans la Normandie par le Cotentin. On le vit à Rouen, à Lyon, à Orléans ^ ; on le vit par- tout où Louis n'était pas publiquement salué comme l'empereur de France et le droit héritier de Charle- magne. U ressemblait à Hercule, il délivrait la terre de tous les monstres qui l'infestaient. U était le grand et souverain justicier. , Cependant la réconciliation de Richard avec Guil- laume n'avait été, de la part du Normand, qu'une tra- hison de plus et une fourberie nouvelle. Un jour ce vieux rebelle se jeta sur le fils d'Aimeri, qu'il avait « Le Couronnement Looj s, vers 1932-1966. — » Vers 1967-2011. — 3 y^rs 2012-2016. — 4 Ver» 2017-2021.— 5 Ver» 2022-2032.— • Vers 2033 et suiv. m. 22 338 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. II PABT.UTK. II. CHAP. XIT. odieusement surpris dans une embuscade ignoble '• Quinze misérables essayèrent de tuer à coups de cou- teaux le libérateur de la chrétienté et de la France. Mais le couteau ne leur réussit pas mieux que la lance : ils furent mis en fuite et Richard tomba aux mains de Guillaume ^. Alors le défenseur du roi Louis promena lente- ment son regard sur toutes les parties de la France. Et il vit qu'elles étaient toutes heureusement pacifiées, qu'aucun traître n'y levait plus la tète, et que vers le trône de Louis montait Thommage d'une obéis- sance universelle : « Ah ! se dit Guillaume , je vais « donc enfin me reposer un peu ! » IV. Seconde expédition deGaillrame ft Rome; n lotte contre Gai d'AlIeniagoe; son retour en France. Ingratitude deLoois. Les Sarrasins ont été éloignésde Rome etde l'Empire ; c'est bien. I^ rébellion des grands vassaux a étééner- giquementcomprimée ; c'est mieux encore. Mais il reste à l'Église romaine et à la France une ennemie redou* table : l'Allemagne. Tu n'as pas droit au repos, comte Guillaume , car ta mission n'est pas encore toute remplie.... A Rome, les plus graves événements se précipitent. Le Pape est mort ; le roi Gaifier vient de mourir aussi ; sa fille est demandée en mariage par les plus puissants chevaliers; mais elle les repousse, et se garde toute à Guillaume. Et, un jour , la ville • de saint-Pierre est soudain envahie par une immense armée. Seraient-ce encore les Sarrasins? Non, c'est Gui d'Allemagne qui s'est jeté sur Rome comme sur une proie, et qui prétend en rester toujours le maître ^ Un cri s'élève < Le Couronnement LooySf éd. lonckbloet, ters 2044-313?. — > Vers 2133* 2204. — 3 Vers 2210^2235. ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS. 339 " vers Guillaume : n'est-il pas le champion de l'Église? "paet.livr. h. , ^ '■ ^ ^ CHAP. XIV. n est- il pas ne pour être partout le soutien de la jus- tice et le défenseur des droits de Dieu ? « J'irai, » dit- il. Et il va trouver sur-le-champ l'empereur Louis qui 9 à la seule annonce de la guerre où l'on veut l'en- traîner , se met grotesquement à fondre en larmes : « Uél povres rois lasches et assolez », dit le Comte, haussant les épaules*. H injurie le fils dégénéré de Charles ; il le couvre déboute ; puis, il le prend par la main et le force brusquement d'aller à Rome à la tête de cinquante mille pauvres chevaliers et sergents '. A peine arrivés, ils tombent dans les rangs de l'armée alle- mande, et le premier combat s'engage au milieu d'un brouillard épais. Ces ténèbres cachent heureusement à l'armée française la pusillanimité et la fuite de son roi : Louis, en effet, est descendu de cheval et erre miséra- blement sur le champ de bataille, appelant comme un enfant Guillaume à son secours. Le fils d'Aimeri, par bonheur, ne perd pas la tête, et excite le courage des Français. Grâce à lui, ils sont vainqueurs \ Gui fait alors appel au jugement de Dieu, et pro-* voque le roi de France à un combat singulier dont Rome sera l'enjeu ^. Louis se met à geindre , à sangloter : tendrement plore desous les piax de mar- tre. Or Guillaume entrait en ce moment tout armé dans la tente impériale , et il aperçoit cet enfant qui pleure : « Dites à Gui que c'est moi qui me battrai c avec lui ; moi, Guillaume! » C'est en vain que son neveu Bertrand lui dispute l'honneur de ce duel au-* quel semble lié de nouveau le sort de toute la chré- tienté t Guillaume n'entend pas que l'on touche à sa k \A Cotuwmement Looys, vers 2336-2209. — * Yen 3260-2294. ~ ^ Vert l^29S-2349. -^ 4 Vers 2350-2497. CHAP. XIV. 340 ANALYSE DU COURONNEMENT LOOYS, " ""rnlo^Iiv*' gloire j ^^ s'apprête à la grande lutte avec la fierté d'un lion*. Le lendemain, après les péripéties d'un combat qui ressemble trop à celui dontCorsolta été la victime, notre héros avait la joie de triompher de Gui , et devant ce cadavre encore chaud , criait : « Mont- joie! » à pleins poumons'. Puis, au milieu de la joie, de l'enthousiasme , de l'ivresse des Romains , ce vainqueur, qui n'oubliait jamais son seigneur et son ' roi, associait Louis à son triomphe et le faisait solen- nellement couronner empereur^. A son retour en France, une nouvelle révolte atten- dait le fils de Charlemagne. Les Français se soulevaient de toutes parts, brûlaient les villes, ravageaient les campagnes : « N'entreprenez plus de défendre ce a triste roi, disait Bertrand à son oncle Guillaume, a — Non pas , répondit notre héros. Je veux , je (( veux user toute ma jeunesse à son service. » Et, en un an, il dompta cette nouvelle rébellion. C'est alors seulement qu'il consentit à donner sa sœur Blanche- fleur à ce faible empereur qu'il avait tant de fois sauvé, et qui lui devait tout^. Tel est le dénouement de notre poème. H finit sur le tableau de cet accord. Rome et TÉglise respirent en paix, le grand Empire obéit placidement au fils du grand Empereur, et l'auteur de toute cette félicité, c'est Guillaume. Mais tant de bonheur, hélas ! ne sera pas de longue durée. Déjà les Sarrasins s'agitent et deviennent menaçants au midi de la France. Puis , chose plus difficile à croire , le roi Louis perd de plus en plus lesouvenir des services que lui a rendus le fils d'Aimeri ; il en vient presque à s'imaginer qu'il se « Le Couronnement Looys, vers 2408-2495. — » Vers 2497-2600.— î Vers 2601-2632. — 4 Vers 2633-2679. CHAP. XY. ANALYSE DU CHJRROJ DE NIMES. 841 doit l'empire à lui-même. Après nous avoir étonnés " pabt. untn. par sa poltronnerie, il va bientôt nou9 scandaliser par son ingratitude... Guillaume n'en demeure pas moins le héros de toute la France et de toute la chrétienté, dont il vient d'être plusieurs fois l'incontestable et glorieux libérateur. Et c'est lui qui est le véritable successeur de Charlemagne. CHAPITRE XV. GUILLAUME AU MIDI DE LA FRANCE; IL PREND NIMES. {lue Charroi de Nîmes».) Le mois de mai est de retour ; les prés sont verts, les Anairie bois sont beaux. Guillaume revient de la chasse. Il est ISe^x^! > HOTIGB HISTORIQUE ET BIBLI06EAPHIQUB SUE LA CHAHSCH DU CHARROI DE MIMES. I. BIBLIOGRAPHIE. !• Date db la COMPO- SITION. Le Charroi de Nùnês est un poëme qui, dans sa rédaction actuelle, ne punit pas rqnonter plus haut que la seconde moitié du douzième siècle. D'a- près le début du manuscrit de Boulogne : « Plusor vus ont de Guillaume canté — De Renouart et de sa grant fierté; — Biais orendroit en ont'il oublié — De ses enfances j etc. », il parait probable que le Charroi n*a été rédigé qu'un cer- tain temps après ARscans, — 2* AuTBum. Cette Chanson est anonyme. Nous avons relevé plus haut (pp. 19,30) Terreur étrange de M. Jonckbloet qui, s'appuyant sur deux vers du manuscrit 23 La Vallière « Et-dit Geraitmes, or est droit con awise — Comfaitement la cité soit conquise, » n'a pas craint d'écrire : « Ce passage est extrêmement curieux : il nous apprend probablement le nom du jongleur du quatorzième siècle, Geraume, qui arrangea le texte de ce manus- crit. » {Guillaume d'Orange^ II, 204.) Or Gerauroe est tout simplement le nom de ce chevalier, nommé Gamier par d'autres manuscrits , qui donna à Guil- laume le conseil de prendre la ville par le stratagème des tonneaux. — 3° Nombre DB TBBS BT KATCRB DB LA VBRSIFICATION. Dans le manuscrit 774 Je Charroi de Nimes renferme 1330 vers, mais il faut y signaler une lacune d'un feuillet (160 vers). Dans le manuscrit 1448, le Charroi contient 1475 vers; dans le manuscrit 368, 1220 vers (mais un feuillet de 270 vers manque au début) ; dans le manuscrit 342 ANALYSE DU CHARROI DE NIMES. Il piar. uvi. II. accompagné de quarante fils de princes ou de ducs, es- 5 — corte vraiment royale. Les meutes de chiens font 1449, 1490 vers, et dans le 23 La Vallière 1510 vers (mais 70 fers font débutan commencement). Ces vers du Charroi sont des décasyllabes assonances : les tirades n*y sont pas munies du petit vers final. — ioMAHVSCJiiTSCOliifUS. Il nous reste sept manuscrits du Charroi de Nûnes : a. B. I. fr. 1448 (du P91 t« au T 99 v*), trei- zième siècle, b. Manuscrit du British M useum,Bibl. daRoi,20 D,X1 (dn f* 1 12 t* au f« 1 18 r*"}, treizième siècle, c B. I. fr. 774 (du P> 33 v* au f» 41 v«), treizième siède. d. Manuscrit de Boulogne (du f» 38 r« au f* 47 v«}, treizième siècle, e, B. I. fr. 1449 (du f* 38 vo au f> 47 v*}, treizième siècle. /. B. I. 23 La Vallière (du f» 91 r*an f* 99 vo), quatorzième siècle, g, B. I. fr. 368 (du f> 163 r® au f* 166 ▼•)» qua- torzième siècle. Quant au manuscrit que cite Catel en son Histoire des Comtes de Toiose (p. 50), et qui contenait aussi les En fonces ^ le Counmnemeni et le Moniage^ il doit être perdu depuis longtemps; car, au commencement du dix- septième siècle, il était déjà en fort mauvais état. = Ces manuscrits se divisent en deux familles. Dans la première, on ne peut classer que le manuscrit 1448 (anc. 7535); i la seconde appartiennent les autres manuscrits, ou, tout au moins, ceux de France. = Daus le manuscrit 1448,1e Cftarroide JVâw^i est inti- mement soudé avec Je singulier abrégé du Couronnement Looys dont nous avons précédemment parlé. Le début du Cfuirroi, dans ce même texte, offre avec le début de tous les autres manuscrits des différences assez considérables et qn*il convient de relever. Elles se montrent surtout dans cette longue énumération de ses services passés que fait Guillaume devant TEmpereur trenyblant Dans le nu. 1448, lions les autrtM moHuseritSf fiuillauine se vante : i" d*avoir conquis à l'Empe- Guillaume êiiuiiière aussi tous rewr Sabat-GUU^ • Toute Valterre, Toscane et Ao- sea services : 1* /I a rom^offii menie »... (D* 9t r«). lespaienstousiesmwrsdeBonke 2» D'avoir vaincu Raimbaud de Frise. (Ibid.) et a eu le nez coupé parle géant V D'avoir combattu à Aspremont les rois Gorsaut, Gorsolt (vers iM-15S de Têd., de Giboé et Erofle. Cest ce dernier, dit-il, qui lui a Jonckbioet). coupé le nez, (Ibid.) 2* Ha livré bataiUe contre W D'avoir livré une grande bataUle sur la Gi- DoQObert à Pierrelatte^ et fa rondeaux Basques, aux PaSens et à ceux de Pierre- fait prisonnier (tM-102). large; de s'être emparé de Dagobert «quiestoit l" H a couronné Louis, tl s»' de Beaucairc • (f* 92 r«). Le trouvère a répété deux sommé le traître Ilemaut (103- fois cet é|HSode sous une forme un peu différente. 182). Dans la seconde laisse, noire héros se vante d'avoir t\^ llatué •VorgueiUeuxSor' en entre tué les onze fils de Borel. mand • qui avait défié l'Empe- 5" D'avoir fait couronner le petit Louis malgré rettr , et s*est emparé plus lard la résistance et les railleries des Français, et d'avoir de Richard le Vieux (183-203). presque assommé un archevêque «qui dut faire lou 5* Il a fait à Rome une se* signacle — [EtJ s'cntarga qu*il n'en volt mie faire » conde expédition contre Gui (r 92 r». Il n*est aucunement question d'Hcrnaut d'Allemagne (204-213). d'Orléans). 6* Il y a fait (7) une troisième t'* D'avoir lue, en présence du Roi f le « \ormaud et dernière expédition, contre orgueilleitx ■ qui était venu le défier ; ri d'avoir Oihon {??). C'est là qu'il a sattrc fait prisonnier le vieux ïlicknrd le nou.r, père du dclamortlefUsdeCharlemagne Sormand, ( f" 92 r*.) surpris par les Homains et qu'il '^ ANALYSE DU CHARROI DE NIMES, 343 firaod bruit autour des chasseurs, les faucons demeu- " pabt.li?r.ii. *> ^ CHAP. XV. rent immobiles sur leurs poings, les bacheliers sont • 7* D^avoir engagé de iMNiveau on grand combat a définitivement conquis Rome à « de?en la mer salée ■ (le poète ne dit rien de plus l*Empereor (2ttourrait fournir, ce serait peut-être cette guerre prétendue de notre Guillaume coutrc Raimbaut de Frise ; mais encore la chose est-elle douteuse. — 5° Édition imprimée. Le Charroi de 3Y/nrj, dont Catel avait donné quelques extraits dans son Histoire des Comtes de Totose (1623, p. 51), a été publié eu 1854 |>ar M. Jouckbloet {Guillaume (t Orange, I, pp. 73-111), qui vient en outre d'en donner une traduction com- plète (Guillaume d'Orange, le Marquis au Court iWz, pp. 133-165). Nous regrettons que, dans celte traductiou, M. Jouckbloet ait jugé bon de supprimer toutes les répétitions épiques, — ce qui enlève toute couleur à sou interprétation, — et de passer un certain nombre de vers qui sont ceux en général dont l'intelli- gence est le plus difficile. — 6» Travaux dont gr poème a été l'objet. a. Nous avons nommé Catel. Dans son Histoire des Comtes de Tolose (p. 50), il cite le Charroi sans ce malheureux dédain qui était propre à son temps. — b. En 1750, dans sa belle Histoire deNismes (I, p. 110), Monard emprunte à Catel la connaissance de notre Chanson, et dit, avec l>eaucoup de bon sens : « Certains Romans faits à l'occasion des exploits militaires de Guillaume au Court Nez, l'un desquels est intitulé le Charroi de Nismes^ ont avancé que les Infidèles s'epiparèrent des villes de Nismes el d'Orange. Ils ajoutent que Guillaume reprit la ville de Nismes sur les Sarrasins par un stratagème qui paroit avoir été ima- X ^ !>• >^ 344 ANALYSE DU CHARROI DJZJ9IMMS. Il PART. u?R. II. en ioie. Quant à Guillaume, il est satisfait de sa ioor* née : il a tué deux cerfs ! giné d'après celui du cheval de Troyes. Cette circonstance n*a pas plus de fondement que le fait principal. » — c M. P. Paris, dans le tome XXII de VHUtoi^ littéraire (1852, pp. 488-495), a analysé le Cltarroi et cherché le premier dans un fragment de Justin la source du stratagème employé par Gfdl- laïune. — d. En 1854, M. Jonckbloet, au tome II de son Guillaume ^Oramge (pp. 63-79), s'est particulièrement attaché i étudier la légende qui sert de dénouement à notre Chanson, et a rapproché avec raison, du fragment de Justin, un passage de la ^ie dé Saint Meinwere, évéque de Paderbom. (V. plus haut, p. 86-87). — e. M. Dozy {Recftercftes sur f histoire et la littérature de V Espagne pendant le moyen âge, V éd. 1860, Appendices du t. Il, p. XCTl) a cherché à établir Torigine normande du Charroi, Nous avons plus haut (p. 81) essayé de réfuter son système. — /*. g, Ludwig Clarus (Herzog Witkem von Jqui' tanien, pp. 216-230) a donné, en 1865, un résumé de cette même Chanson que M. Jonckbloet, deux ans après, a traduite « en langage moderne ». — 7* VsisiOH RN PROSE. Le Charroi de Nimes est un des éléments de la grande compîUtion en prose du manuscrit français 1 497 de la Bibliothèque impériale (f« 16S v*-168 f), — 8* Diffusion a l'étrahger. Il est ceruin que Wolfram d'Eschenbach connaissait notre vieux poëme : il y fait dans son fVilhehalm une allusion évi- dente : * chevaulx recepvoir. Et lors appella Guillaume ung escuier nommé Bertran auquel il conseilla tout bas et ïi%X si{;ne des tonneaulx deflbncer. Si fist son commandement, et quant les tonneaulx furent deironci's,lors s'en issirent les nobles hommes qui dedans estoient, si que bien apercéurent les Sarrasins que en ce fait avoit trahison et mauvaislié. Grant fut le bruit que meurent les Sarrasins quant ils a|)ercéui*ent saillir des tonneaulx gens armés et prests pour combatre. Ils s'en retournèrent vers la porte lors, crians et braians, comme gens courouciés et espardus pour leur cité qu'ils véoient en dangier et voie de paixlittion. Et quant Guitran les ouy et vist, il vint vers le pont |)Our le cuidier refermer à ce que plus n'y entrast rien qui leur scéut nuire. Mais, Guillaume qui de son fait estoit tout avisé et qui jà avoit l'espée sachiée du fourrel, l'as- sena amont sur le chief tellement que jusques en la poittrîne lui conduisy le taillant. Puis, saisi ung cor qu'il avoit avec(|ues luy dont il avoit donnée la cog- noissance à ses bomnieit, et le sonna si liaultenient que bien le pcurent ouir de l'embuschenient ouquel il les avoit mis. Sy dèvt's croire que, en peu d'eurp, « saillirent hors et vindrent vers la cité asprement cbcvaulebans. Mais tandis ne dormoient mie Guillaume ne ceulx qui es tonneaulx avoient e^té mûries, ainoois s'esvertuoieiit de tout leur |H)voir aux Sarrasins combatre, detranchier et oc* cire, en criant à hault ton : « Montjnye, Saint-Denis! » Kt les païens fuioient devant eul\, criant par les rues de la cité : « Traby! trahy! aux armes! aux armes , qui aura le loisir ! » Sy se armèrent lors ceulx qui rien ne savoient de au Roi tout se* anciens serricet. ANALYSE DU CHARROI DE NIMES, 347 « fiefs à ses barons. Deux, deux seulement ont été " paat. uyi. h. GBAP XT « tout-à-fait oubliés : vous et moi ! » — C'est fort — — '• — ^ — « bien, répond Guillaume avec un rire étrange ; je a vais parler à Louis. » U y va. Dans la salle rovale, on entend tout à coup un i-ouuoowie ' ^ Guiltonme dans bruit formidable et qui fait trembler tout le palais, la diatribaiion C'est Guillaume qui , de plus en plus colère à la coière t t !»• •! 111» «11 ^** ûls d*Alnierf, pensée de tant d ingratitude, escalade d un pied bru- quiranieue tal les degrés de marbre. A sa vue, tous les barons pâlissent. Jamais aspect n'a été plus terrible, et il y a encore là un beau sujet de tableau que nous osons recommander à nos peintres. Ce géant, cette sorte d'Hercule français et chrétien , qui s'arrête sur le seuil, rouge de colère, indigné, terrible ; ce jeune roi épouvanté qui essaye de désarmer une fureur aussi légitime; ces courtisans qui pensent voir entrer leur châtiment vivant et sont près de s'enfuir, cet ensemble nous parait essentieIlement/;/c///reuple venir; ains se mirent à garant en leurs maisons |iour leurs vies avoir saulves. Et de fait se rendirent à mercy ceulx qui mort ne voulurent repcevoir. Sy u*y éust si hanli lors qui plus osast son mandement contredire. Ainçois se loga qui péust,el fut le peuple conferti, baptisié el remis en son lieu, excepté que le gaing fut aux souldoiers et gens de guerre départi, car Guillaume n*en voulu sinon Tonneur et le non. Comme vous oies fut la cité de Nismes conquise par Guillaume, le fiUAymerydeNerbonne,qui tant en fut joyeux que merveill«>s. » (R. I. fr. I i97, 165 v-168 r».) 348 ANALYSE DU CHJRBOi DE NIMES. Il PAIT. UT«. II. fnes^ il se serait trouvé parmi eux des Cornélius ou des Kaulback pour les faire vivre sur la toile ! Guillaume élève la voix : a Sire Louis, s'écrie-t-il, « as-tu oublié tant de services que je t'ai rendus, la c( lance au poing'? » Louis balbutie une excuse : o Prenez quelque patience, sire Guillaume; après « riiiver viendra Tété. Un de mes pairs mourra « quelque jour, et je vous donnerai sa terre... avec « sa femme, si vous la voulez *. — Triste chose, ré- « pond Guillaume, que d'avoir à espérer la mort ic d'autrui ! En attendant, je n'ai pas seulement de a grain à donner à mon cheval. Que n'ai-je accepté les « propositions du roi Gaifier qui me voulait donner sa (c fille avec la moitié de son royaume ? Avec une pareille (c terre, je serais aujourd'hui de force à faire la guerre « au roideJFrance. — La guerre contre moi, s'écrie le « roi Louis, qui rougît enfin et sent s'éveiller sa fierté, ff 11 n'y a pas un seul homme qui aurait la témérité de « me la faire. Et, en tout cas, avant un an, celui-là «c serait mort ou *exilé ^. » Comme on le voit, cette scène est d'un grand effet, et le poète nous montre un admirable crescendo dans la colère de ses deux héros... Guillaume monte alors sur un foyer^ et s'accoude sur son arc d'aubier. L'arc ne peut soutenir un tel poids, et éclate par le milieu ; les tronçons en volent jus- qu'aux poutres du plafond et tombent aux piedsdu Roi. Cependant le terrible vassal n'est pas encore apaisé, et . no se sent pas disposé à épargner le fils de Charles. C'est alors qu'il entreprend la belle et longue énumération de tous les services qu'il a rendus à Louis. Il faut se « Le Cliarrot de Nîmes, éd. Jonckbloet, d'après le ms. 774 de U B. I., avec les varianles des ms. 23 La Vallièie et 3C8, vers 1-72. — > Vers 73-79. 3 Vers 80 112. ANALYSE DU CHARROI DE NIMES. 349 le représenter, en costume de chasse, adressant ce " •'a"- "*■ "« long discours au pauvre roi qui est tout tremblant et se fait tout petit devant lui : « C'est .moi, dit-il, c'est « moi qui ai combattu pour toi le géant Corsolt, sous « les murs de Rome, et c'est dans cette lutte que j'ai ff conquis, hélas ! mon surnom de Guillaume au Court « Nez. Tu ne t'en souviens pas? C'est moi qui, pour toi, a ai livré la bataille au gué de Pierrelatte,et qui me suis (c emparé de Dagobert de Carthage, de ce redoutable « ennemi. Tu ne t*en souviens pas ? C'est moi qui me « suis proclamé ton défenseur quand les Français « voulaient faire de toi un clerc ou un abbé ; c'est «« moi qui ai abattu le traître Hernaut ; c'est moi qui « t'ai mis la couronne sur la téte^ Tu ne t'en sou- ci viens pas? C'est moi qui t'ai encore débarrassé du a fils de Richard le Normand, et qui t'ai livré Richard « lui-même. Tu ne t'en souviens pas? C'est moi qui n ai lutté contre Gui d'Allemagne et qui ai jeté dans « le Tibre le corps de cet insulteur de ta couronne, (c Tu ne t'en souviens pas ? C'est moi enfin qui ff t'ai défendu avec sept mille Français contre plus « de quinze mille Romains; c'est moi qui t'ai re- a mis leur chef entre les mains , et c'est à moi a que tu dois le maître-fief de Rome. "Tu ne t'en ce souviens pas ' ? » A chacun de ces reproches sanglants que la grande voix de Guillaume adresse au pusilla- nime héritier de Charlemagne, celui-ci baisse la tète et rougit. Jamais peut-être, dans tous nos poèmes, on ne voit un vassal tenir à son seigneur un langage plus fier. Jamais la féodalité n'eut plus légitime, plus su- blime insolence ! ■ Le roi de France n'est vraiment pas de force à tenir > U charroi de Nîmes, vers 114-278. II rABT. Uf R. II. CBAP. xr. 350 ANALYSE DU CHARROI DE MMES. tête au premier, au plus redoutable de tous ses vas- saux. Son ingratitude alors lui apparaît, entière, et il se sent d^autant plus coupable qu'il est plus effrayé : Ils sont rentrés dans Paris par le Petit-Pont. =3 Le comte Guillaume fut bien noble et baron ; — Quand il eut à son hdtel feit porter sa venaison, — Sur sa route a rencontré Bertrand : — « D*oà venez-vous, R sire neveu? dit<41. » — « Vous saurex la vérité, répond Bertrand, — Je viens « du pahûsderEmpereur où longtemps suis resté. — Py ai assez écouté et entendu. « — Notre Empereur donne fiefs à tous ses barons. — A celui-ci une terre, à « celui-là un château, à cet autre une ville, — A cet autre une ville encore... — « Pour vous et moi, mon oncle, nous j sommes oubliés. — Quant à moi, je ne « suis qa*un bachelier, et je comprends que le Roi ne s*en soude guère ; — Mais « vous , seigneur , qui êtes si baron, — Vous qui vou^ êtes pour lui tant • « Sire Louis, dit Guillaume le fier — (Et mes pairs ne m'auraient pas alors « méprisé comme ils font), — Il y a bien un an que je t'aurais dû quitter, — « Quand me sont venues des lettres de Pouille — Que m'adressa le riche roi Gai- « fier. -- 11 voulait, disait-il, me donner une partie de sa terre, — Toute la a moitié de sou royaume avec sa fille. — J'aurais pu faire alors la guerre au « roi de France ! — » Le Roi l'entend, et pense en perdre le sens. — Il dit alors telles paroles qu'il aurait dû ne pas dire. — Par là le mal commence à empirer — Et la haine mutuelle à grandir. *• Sire Guillaume, dit le roi Louis, — Il n'est pas un seul homme dans tout « ce pays, — Ni Gaifier, ni un autre [fut-il roi de Paris]^, — Qui osât retenir un « seul de mes hommes — Sans le payer, avant uu au, de sa tête ou de sa li- « berté, — Ou sans être chassé et exilé de sa terre. » — « Dieu, dit le Comte, M comme je suis traité ! — [Voilà le prix qiyî je reçois de mes services ! j'^ — Ah ! n que je sois déshonoré si je vous sers plus longtemps I » M Ma noble maison, dit le baron Guillaume, — Allez rapidement à mon hôtel, n — Faites-vous bellement équiper, — Faites charger vos harnais sur les che- « vaux de somme. — Il me faut quitter cette cour, plein de colère. = Quand « nous sommes restés près de ce roi pour en recevoir seulement la nourriture, « — n peut dire avec raison qu'il a fait une bonne affaire. » — « 11 en sera « comme vous voudrez, disent les gens de Guillaume. » = Guillaume est alon monté sur le foyer, — S'est accoudé sur son arc d'aubier — Qu'il avait rapporté ANALYSE DU CUJRROI DR NtMES. 353 a traiter ainsi l'Empereur, lui dit librement ce jeune n pabt. utm. u « homme. — Non, non, répond Guillaume fou de rage; — jÇ^ < ■ *^ * de la chasse, — Avec tant de force, que Tare s*est brisé par le milieu; — Les deux troDçoDS en ont volé jusqu^aux poutres du plafond, — Et sont tombés devant le nez du roi. — Puis, avec un orgueil démesuré, Guillaume a inter- pellé — L'Empereur qu'il a si bien servi : — « Ainsi, dit-il, on ira jusqu'à me « reprocher mes grands services, — Les batailles rangées et les rudes combats I f * « — Sire Louis, ajouta Guillaume le baron, — Ne te souvient-il plus de la » grande et mortelle bataille — Que j'ai livrée pour toi dans les prés sous les • murs de Rome? — C'est là que j*ai combattu avec l'émir Corsolt, — L'homme ■ le plus fort que l'on eût pu trouver — Aussi bien chez les païens que dans la «• chrétienté. — 11 donna un tel coup de son épée nue sur mon heaume d'or M semé de pierreries — Qu'il les fit tomber à terre, — Et qu'il coupa mou «• natal sur mes narines. — Oui, son épée me glissa jusque sur le nez, — Et, •« pour le redresser, je dus employer mes deux mains. — Grande fut la cicatrice •< qu'il fallut rattacher. — Maudit soit le médecin qui dut me panser ! ^s Et " voilà pourquoi on m'appelle Guillaume au Court Nez, -r- Ce dont j'ai grande « honte quand je suis entre mes pairs. = Je fis alors prisonnier le roi païen et le (* mb en notre pouvoir — Mais maudit«soit qui reçut alors une lance, — Un >« heaume, un écu, un palefroi ferré, — Quant à moi [je n'eus rien que le « cheval de Corsolt, dont je m*étais emparé]^ . '« Sire Louis, dit le sage Guillaume, — Droit Empereur, tu es le fils de Charles, M — Le meilleur roi qui ait jamais porté les armes, — Le plus fier et le plus «« équitable. — Ne te souvient-il pas 6 roi, d'un rude comliat — Que j'ai livré « pour toi au gué de Pierrelatte. — C'est là que je fis prisonnier Dagobert •« [qui était si fier à la bataille]^. — Je le vois là-bas, couvert de peaux de « martre. — Il ne niera pas le fait : sinon, que le blâme en retombe sur moi. = •• Et, après ce service, je t'en rendis encore un autre. — Ce fut, quand Char- « lemagne voulut te faire roi. — La couronne était placée sur Tautel : — Toi, M tu restas longtemps à ta place, et n'osas te lover. — Les Françab virent bien •* qu'il y avait en toi peu de valeur : — Et l'on voulait faire de toi un clerc, un •( abbé, un prêtre — Ou bien un chanoine dans quelque église. — Alors* dans •> le moutier de Sainte Marie-Madeleine, — Le comte Hemaut, bien appuyé par ** son riche lignage, — Voulut prendre la couronne et la tirer à lui. — Je le «• vis, je m'iridignai, -* J'abattis ma main largement sur son cou, — Si bien •• que je le fis tomber à b renverse sur la dalle. — Tout son riche Ugnage me prit « alors en haine. — Pour moi, je m'avançai [sur le perron de marbre]^ — Sous « les yeux de tous, — Sous les yeux du Pape et des Patriarches. — Je saisis la «« couronne, et tu l'emportas sur ta tête. — 11 ne te souvient guère de ce ^r- •• vice — Quand tu partages toutes les terres, et que tu m'oublies! « Sire Louis, dit Guillaume le preux, — Ne te souvient-il plus de cet ur- « gueillenx Normand — Qui vint te jeter ici même un défi pendant que tu « tenais ta cour? — <« Tu n'as pas de droit sur la France, » te disait-il devant « tous les chevaliers. — Or, dans tout ton empire, tu ne trouvas pas un seul n baron, — Droit Em|)ereur, qui osât lui répondre ont ou non» — Mais, moi, je K pensai alors à mon légitime seigneur; — Je m'avançai, et, en véritable en- « ragé y — [Je l'assommai comme un ours, avec un bâton.^ — C'est ce . III. 33 llPABT.UYB.il. aup. xr. 364 ANALYSE DU CBAHROi DR NIMES, a je lui ai donné sa couronne, je la lui ôterai. — Ce « n'est point parler en baron. Votre devoir est de ne (t qui, plus tard, me donna lieu d'avoir grand* peur. — Je revenais du mont « Saint-Michel, — Et je rencontrai le vieux Richard le Roux, — Le père de H Torgueilleux Normand. — Il avait vingt hommes avec lui , et je n*en avais i< que deux. — Je tirai Fépée en vrai chevalier, — Et, de cette épée nue, je lui •< tuai six des siens. — Puis, sous leurs yeux, j'abattis leur seigneur — Et le le n remis entre les mains, à Paris, dans ta cour. — Il est mort, depuis, dans ta « grand* tour. — Tu te souviens bien peu de ce service, — Quand tu distribues « toutes tes terres, et que tu m'oublies I » « Roi, souviens-toi de Gui d'Allemagne. — Quand tu allais [a Roniejchei le « baron saint Pierre, — Gui te disputait la France et la Bourgogne, — La dtc A de Laon et ta couronne. — Je joutai contre lui sous les regards de maint baron ; « — Je lui plantai dans le corps ma lance avec mon gonfanon, — Puis je le jetai « dans le Tibre où les poissons le mangèrent. — C'était une témérité insensée, « et je le reconnaissais tout le premier, — Lorsque je vins vers mon hôte Guyon a — Qui put m*embarquer dans un dromon sur mer [et me sauva]. u Roi, te souvient-il de la grande armée d'Othon 7 — Tu avais avec toi Français « et Bourguignons, — Lorrains, Flamands et Frisons, — Et tu traversas les dé- « filés de Montjeu, près de Montborcon^.') — Pour arriver à Borne, ou, coouie « on dit, aux près de Néron. — Je voulus moi-même tendre ton pavillon — « Et te servir riche venaison. « Lorsque tu eus mangé, — Je vins te demander congé , — Et tu me l'accor- n das volontiers et de bon gré. — Tu t'imaginais que j'allais m'éteodre — Bans a ma teute, et mettre [enfin] mon corps à Taise.;— Non; je fis monter achevai • deux mille chevaliers — Et je vins faire le guet derrière ta propre tente, — • Dans un petit bois planté de pins et de lauriers. — Tu n'avais pas voulu prendre n la peine de faire bonne garde contre ceux de Rome. — Or, ils étaient précisé- n ment arrivés au nombre de plus de quinze mille, — Tout près de ton pavillon, m pour y jouter de la lance; — Ils avaient coupé les cordes de la tente, et Ta- « vaient Jetée à terre. — Ils avaient tiré les nappes de ta table, et renversé ton '( dîner. — Je les vis s'emparer de ton portier et de ton sénéchal. — Et toi, tu M fuyais misérablement à pied, de pavillon en pavillon , — Tu fuyais à travers « la grande foule comme un pauvre chien effrayé. — Et tu poussais des cris, disant « à haute voix : — ar •( chemin. — Bfaudit soit celui qui fut mieux traité que moi, — Et qui y gagna et seulement un clou pour son écu ! — Quant à moi, je n'ai reçu que de mé- « chants coups de lance. = J'ai tué à moi seul plus de vingt mille Turcs mé- n créants. — Mais par Celui dont la demeure est là haut dans le ciel, — ce Je me tournerai contre toi, — [Et tu verras alors si je t'étais bon a « quelque chose]*. •— Tu pourras faire ce que tu voudras : je ne serai plu< « ton ami ! « Dieu, dit Guillaume, Dieu qui êtes né de la Vierge si belle, — A quoi m'a- Le Roi l'entend, s'incline devant lui, — Puis se redresse, et lui dit : 356 ANALYSE DU CHARROI DE NWES. II PART. LiTR. II. (r laume qui se convertit tout d'uoe pièce. Il faut aimer CHAP. XT. .11 » 1 « toujours la loyauté. » Et alors, conduit par son neveu • . (« terre, — Puisque vous ne voulez pas Tenlever à des enfants, — Prenez la « terre d'Aubri le Bourguignon ; — Prenez aussi sa belle-mère Hermensant de «1 Thuringe, — La meilleure femme qui ait jamais bu de vin; — Trois mille che- n valiers feront pour vous le service du fief. » — « Non pas, sire, a répondu Guil- « laume. — Le gentil comte a laissé un fils; — Il a nom Robert, il est encore «( tout petit, — Et ne peut se chausser ni se vêtir seul. — Si Dieu permet qu*il H devienne grand et fort, — 11 saura bien gouverner cette terre. «t Sire Guillaume, dit Louis le fier; — Puisque vous ne voulez pas déshé- « riter cet enfant, — Prenez donc la terre du marquis Déranger. — Le comte elit Bc- « ranger , — Qui n'y perde sa tète, avec l'épée que voici ! » — (( Merci, seigueur, merci, » disent alors les clievaliers — Qui appartiennent à l'enfant Déranger. — 11 y en avail cent, qui tous inclinent leurs têtes devant Guillaume, ^- Qui tous vont lui embrasser la jambe et le pied. — " Sire Guillaume, dit Louis, écoutez-moi. — Puisque ce fief ne vous «< convient pas, — Par la grâce de Dieu, je vous donnerai une autre terre — c( Qui, si vous êtes sage, vous mettra en très-haut rang. — Je vous donnerai le u quart de la France, — Le quart des abbayes et des marchés, — Des arche- ANALYSE DU CUAHROI DE NIMES. ' 357 Bertrand, il retourne au palais. Le roi, tout pâle en- " part. livb. n, core, lui offre la moitié de son royaume : « Non, ■ « répond Guillaume apaisé et souriant, je vous de^ n mande seulement le royaume d'Espagne avec Tourte- ci louse, Porpaillart, Orange et Nîmes. J'y serai votre a vassal, et mes chevaliers vous y serviront. — Mais, c( observe le roi, l'Espagne et Nimes sont au pouvoir « des Sarrasins. — Je les conquerrai sur ces païens, » Ber- trand se précipite sans trop de hâte au-devant de cette gloire, au-devant de ces dangers; mais Guielin ne se laisse même pas si facilement séduire : « Je n'ai que « vingt ans, dit-il, et ne puis encore souffrir si grand « labeur, d Son père, Bernart de Brebant, entend ces paroles peu généreuses; il se jette sur Guielin, et pense le tuer d'un coup de son épée^. Puis , Guillaume monte sur une table et fait à toute la jeunesse pré- sente un solennel appel : ce Bons bacheliers, dit-il, ... I* I 1 la ville païenne billeUe sur un gros tonneau tout rempli de sel que qni tombeucntdc 1 .1 . .1 -r 1 ^ aopouToIrdes le vilam rapporte dans son pays. Ja vue de ce ton- Français. neau inspire soudain à Garnier, l'un des chevaliers français, une idée qui frappe vivement Guillaume : « Si on avait mille tonneaux comme celui-ci , tout « remplis de chevaliers^ et que l'on pût les conduire a dans Nimes, la ville serait prise aisément. — Vite, a dit Guillaume ; procurons-nous les tonneaux et tout « le charroi qui est nécessaire ^. » L'armée chrétienne recule alors de quatorze lieues, arrive à Ricordane et s'empare de tous les bœufs, de tous les chars, de tous les tonneaux qu'elle peut trouver sur son chemin. C'est le système des réquisitions. Tous les vilains de cette terre sont en outre contraints de se mettre rapidement à l'ouvrage et de raccommoder les vieux fûts. Ceux qui > U Charroi de Mmes, vers 636^74. ~ > Vers 876-9&â. ( 36%* ANALYSE DU CHABROi DE NIMES. m ' Il PAIT. uv«. II. résistent 9 ceux qui murmurent seulement, on leur f*i crève les yeux et on les pend par la gueule *. Puis, les chevaliers entrent dans les tonneaux, et le vieux poète ajoute , non sans quelque naïveté : a Qui dont véist. , , — IJedenz les tonnes les chevaliers entrer^ — De grant barnage li péusi remenbrer'^. » Espérons que ce dernier vers est tout simplement une formule, ou comme nous le dirions aujourd'hui, un cKché. Car la ruse de Guillaume n'est certes pas ce qui nous donne l'idée la plus élevée de l'héroïsme chevaleresque. Grâce à Dieu, nos chevaliers ont fait mieux que cela. Cependant les tonneaux sont hissés sur les chars, les bœufs sont attelés, les lourds chariots s'ébranlent, on se met en marche. Le conducteur de ce train de marchandises, c'est Bertrand^ qui s'est travesti en charretier. Il porte d'énormes souliers et se plaint qu'ils lui froissent les pieds : éclat de rire de Guil- laume qui, comme tous nos héros, rit pour fort peu de chose. « Comment vais-je m'y prendre? dit Ber- (( trand ; je ne sais pas conduire les bœufs, je ne sais « ne poindre ne bouter. » Nouvel éclat de rire de Guil- laume qui s'attife de son côté et s'habille en mar- chand igonnellede gros drap, chausses bleues, chapeau de bonet, souliers en cuir de bœuf, ceinture où pend un couteau dans sa gaine. Il monte une vieille jument, et attache a ses souliers de vieux éperons qui datent de plus de trente ans. Dans ce bel équipage, ils s'a- vancent vers Nîmes ^. Les voilà déjà à I^vardin <« oii la pierre fu tiete — Dont les toreles de Nîmes furent fetes^ »; les voilà sous les murs de Nîmes ^. « Eh! « marchands, que vendez- vous ? » leur crient les Sar- * Le Charroi de Nîmes, vers 956-964. — » Vers 965-988. — 3 Vcn 989- 1055. — * Vers 1056-1058 et 1059-1070. — } Vers 1071-1073. t V < / • H^ • ANALYSE DU CHARROI DE NiMES. fei rasins. — « Du sj-glatoUy répondent Guillaume et ses "faut. utr. h. a compagnons; nous avons aussi du drap pourpre, du — « — ' ^r y a drap brun, du drap écarlate. ^ous avons des hau- • v ff berts et des heaumes, nous avons des épées et des « écus... — Entrez, entrez, répondent les païens allé- <€ chés par tant de richesses. » Les Français entrent. Quand ils entendirent, du fond de leurs tonneaux, le bruit sourd des chariots roulant enfin sous les portes de la ville, ils durent éprouver quelque émotion et sentir que le moment solennel était arrivé ^ Quant à Guillaume, il ne s'émeut guère. Il va gra« vement payer les droits de guionage et réclamer la pro- tection due aux marcliands : « 13*où étes-vous?lui de- « mandent les deux roisOtrant et Herpin. — D'Angle- cc terre, répondGuillaumequi sait mentir avec une mer- ce veilleuse assurance. Nous sommes de Cantorbéry. — « Êtes- vous marié? — Je le crois bien : j'ai dix-huit en- (( fants. — Et vous vous appelez?. . — Tiacre*. » Puis, tranquillement, il fait Téloge de sa marchandise, a J'ai a de l'encens, du vif-argent, de l'alun, du poivre, du « safran, de la pelleterie, du cuir^. » Avec le même sang-froid imperturbable, il raconte ses voyages en An- gleterre,'en Espagne, en Italie, en France *. Cependant le roi Otrant considère avec curiosité la figure du pré- tendu marchand. « D'où vous vient cette grande bosse (t sur le nez? Elle me rappelle Guillaume au Court « Nez, le fils d'Aimeri deNarbonne. Si je le tenais! » ^ Pendant que Guillaume explique tant bien que mal cette conformation de son nez , une dispute s'élève entre ses gens et les païens. Le roi Herpin prend pàr- li pour les siens ; il va jusqu'à tirer la barbe de Guil- laume, et lui en arracher une poignée^. Le comte fran- *I# Charroi de Nimes, vers 1074-1085. — » Ver» 1080-1121. — 3 Yen 1122-1186. - 4Verfll37-1189. — svers 1190-1214. —* Yen 1215-1318. CUAP. X?l. 309 ANALYSE DU CHARROI DE MàtES. ji PAIT. LivB. 11. çais ne saurait suppoiter en paix une telle injure: peu sans faut que, terrible, il ne relève la tête, et ne s'écrie à haute voix : « Je suis Guillaume Fièrebrace, c( fils d'Aimeri de Narbonne. )> Mais il sait encore se taire, et, sans dévoiler son nom, renverse à terre et tue d'un coup de poing le malheureux Herpin '. Puis, sans retard, il embouche son cor et en sonne trois fois. C'était le signal convenu ^. Les barons français sortent soudain de leurs tonneaux, Tépée au poing , criant : « Montjoie 1 Montjoie ! ^ » Les païens sont sur- pris , sont atteints , sont massacrés ; toute la terre est couverte de leur sang, f ^e roi Otrant, qui ne se veut point convertir au vrai Dieu, est jeté du haut d'une maison avec cent de ses païens. Les Français vain- queurs envoient à l'Empereur la nouvelle de leur triomphe Nos lecteurs savent maintenant comment Nimes tomba au pouvoir du comte Guillaume ^. CHAPITRE XVI. GUILLAUME AU MIDI DE LA FRANCE (SUITE). — IL VeMPAHE DE LA MLLE d'ORANGE DONT LE NOM DOIT LUI RESTER. 1 Prise d'Orange^.) Analyse Guillaume est à ^imes et jouit de sa conquête. Il se Prise d'Orange, met aux feuétres du palais d'Otrant, voit la rose en fleurs et entend le chant de Talouetle. • Le Charroi de Nimes, ven 1319.-1363. — » Vers 1364-1379. — 3 Ym 1380-1387. — 4 Vers 1308-1471. ^ NOTICE BIBUO€RAPHIQUE ET HISTORIQUE SUR LA (JIABSSO!! DE LA PRISE D^ORANCE. I. BIBLIOGRAPHIE, l* Date kt use d'ori- CHAP. xri. ANALYSE DE LA PRISE I^ORàNGE. 36S Cependant Guillaume s^eaauie. »• «^^^t. uvi. h. Que manque-t-il à ce vainqueur ? 11 a de beaux des* GINB DE LA COMPOSITION, a, La Prise it Orange, daus sa rédaction actuelle, ne parait pai antérieure au treizième siècle. — ù. Comme nous Pavons prouvé dans notre Notice des Enfances Guillaume, il a certainement existé une rédac- tion plus ancienne de la Prise d'Orange, — c. Cette ancienne rédaction de la Prise tT Orange était intimement liée avec une ancienne rédaction des En- fances; les deux poèmes n*eu faisaient qu^uu. — d. Il est probable que cette première Chanson fut Toriginal de YArabelens Ent/ii/trung dTlrich du Thurlin. Seulement le poème allemand est incomplet par la Gn, et Toriginal fnuM^ais de- vait se terminer, au contraire, par le récit rapide d*une conquête d*Orange. — e. C'est sans aucun fondement que M. Dozj fait honneur à la Picardie de cette seconde rédaction de la Prise d'Orange qui est parvenue jusqu^à nous. On y invoque, il est vrai, « saint Riquier » et « saint Morise quîon quiert en Amiénoû » ; mais ces expressions se retrouvent aussi dans Jimeri de Nar» bonne et dans vingt autres poèmes qui n*ont rien de picard. Ces formules (car ce ne sont que des formules) sont presque toujours nécessitées par la rime, et on aurait tort d'y attacher trop d*importance. — /. On a dit, avec beaucoup plus de justesse, que le Charroi est une tradition du nord et la Prise ttOrange une tradition du midi : les troubadours, en effet, font plus d'une fois allusion au dernier de ces poèmes, et paraissent ignorer tout à &it le premier. Toutefois il conviendrait de ne rien exagérer. Raconté par l'auteur de la Fita soHcti fFilielmi d'après des légendes populaires, répété par Orderic Vital, le récit de la prise d'Orange dut conquérir partout une popularité ficile. Mais il n'est nullement prouvé que la première partie du Charroi notamment n*ait pas été, au midi comme au nord, l'objet de chants lyriques et de traditions orales. — 2« Actbor. La Prise d'Orange est anonyme. — 3« NOMBBB iMt VEBB BT ifATCEB DB LA VBBSIFIGATION. Dans le manuscrit françab 1448 de la B. L, la Prise et Orange renferme 1548 vers; dans les trois manuscrits français 774, 1449 et 3G8, 1880 vers; dans le manuscrit 23 La Vallière, 1696 vers. La version du manuscrit de Boulogne est plus développée que toutes celles des manuscrits de Paris. = Dans tous les manuscrits (sauf celui de Boulogne où il y a quelques laisses rimées), cette Chanson est en décasyllabes as- sonances; aucun texte ne présente le petit vers à la fin des tirades. — 4oMa- !II78CBITS CONNUS. Il nous est resté huit manuscrits de la Prise d^ Orange : a. B. L fr. 1448 (du f» 100 r« au f« 109 i**), treizième siècle, h, British Mu- séum, Bibliothèque du roi, 20 D,XI (du f« 118 r« au f« 124 V), treizième siècle, r. B. L fr. 1449 (du f» 48 r« au f« 60 r«}, treizième siècle, d. B. L fr. 774 (du f* 41 v« au f^ ^2 v»},- treizième siècle), e. Manuscrit de Boulogne (du f* 47 v« au f« 62 r»), treizièia;e siècle /*. Manuscrit de Berne, n* 296, treizième siècle, g, B. 1. La Vallière. 23 (du f« 100 r« au f<> 1 10 v*), qua- torzième siècle, h, B. I. fr. 368 (du f« 167 r^ au f« 173 r«). = Dans les manuscrits 1449, 774, 368 et 23 La Yallièré, la Prise d^ Orange n'est pas matériellement séparée du Charroi, = Daus le manuscrit 1448, au con* traire, cette séparation existe, et cependant le copiste de ce manuscrit a jugé bon de supprimer les deux annonces du trouvère : « Oyez, seignor, que Dex vos benéie» et : n Oyez, seignor, franc chevalier honeste. m = Dans CHAP. XVI, 364 ANALYSE DE LA PRISE D'ORANGE. n PAIT. uvB. II. trîers , des hauberts , des heaumes , des épées à la garde dorée, du froment et de bons vins. Mais il est le manuftcrh de Boulogne (qui contient d'ailleurs la version la plus longue), le jongleur a imaginé, pour relier la Prise d'Orange aux pôëmes qui Tont suivre, une transition qui ne se trouve point dans les autres textes : « Pris aOroige dant Guillame li ber — Et dame Orable a fait crestiéner. --Teus'LX* ans Toot aidié à garder — C*aiuc sans calenge ne menga *I- disner. — Or li covient grans peines endurer : — Que rois Tibaus repaire d*outremer. — Forment manedie Guillame à desmenbrer , — Mais ne porra vers Guillame durer — Por la ba- taille en Alessans sur mer. » — Ce manuscrit de Boulogne, que nous aTons étudié avec soin, présente une version qui, en certaines parties du poème, diffère des autres pour la forme, tout en étant la même pour le fond. Toute la fio, notam- ment, offre lyie rédaction spéciale depuis ce couplet : LI cuens Bertrans fu dc^ Innz et pleins d'ire. Nous avons dit déjà qu'au milieu des couplets asso- nances, on a intercalé quelques tirades rimées. Ce texte est véritablement infé- rieur à celui dums, 774 que nous préférons,d*ailIeurs,à tous les autres. =Le ma- nuscrit 33 LaVallière se contente d'ajouter quelques vers à la dernière tirade des manuscrits 774 et 368. Ceux-ci disaient en terminant . « Li queus Guillaumes ot espouséla dame. — Puis estut-il tiex *XX\' anz en Orenge — Mes aine un jor n'i estttt sans chalenge,» et on lit dans le manuscrit La Vallière : « Souvent estoit en mellée et en tence — Et comliatoit vers la gent mescréande. — Des ores mes ses granz paines commencent. — Vers moi se traie qui les voudra eotendre — Q'en chanterai qui reson en sai rendre » (fo 110 v»]. — S« Yersion bn pbmb. II n'existe, à notre connaissance, qu'une version en prose de la Prise dtOrmngt : c'est celle dont nous publierons plus loin un extrait d'après le manuscrit français 1497 de la B. I. (f« 169 ro-189 r»). En voici les Rubriques : « Comment Gud» iaiime et ses compai gnons conquirent le palaix d'Orange que on nommait Glo' riete par l'enrÙMment, consseil et aide du chamhellain j4atis et de Onthle, la fille Desramé (l* CLXXIII r<»). — Comment Guielinje nepveu Guillaume le marehis, amena de Nismes le secours par lequel Orange fut conquesiée (f» CLXXXIll v»). Comment Taillemogt le Sarrasin passa mer pour aller devers le roi Desramé fere savoir la perdit tion de Nismes^ d^ Orange et de sa fille Orable (f* CLXXXvn r»).— 6« Diffusion a l'êtraivgbr. Wolfram d'Eschenbach connaissait évidemment la Prise d'Orange ; mais la version qu'il en connaissait n'est pas celle qui nous est restée. C'est probablement celle dont Ulrich du Thurlin a imité la première partie dans son Arahelens EntfUhrung ; on ne peut du moins expliquer autre- ment ces paroles du WHlehalm : « Vous avez entendu et ou n'a pas besoin de vous raconter une seconde fois comment Guillaume consentit à servir^ comment il conquit Arabelleet comment beaucoup d'hommes y périrent..,, » (Ed. Lach« mann, p. 426.)— "^^^ Édition imprimer. M.Jonckbloet a publié en 1854 le texte de la Prise d'Orange ( Guillaume d'Orange^ I, pp. 1 1 3-1 62). La base de cette édi- tion est le manuscrit '774 de la B. I.; les variantes sont tirées du manuscrit 368. Tout récemment (décembre 1867) le même savant a traduit la Prise dOrange {Guillaume d Orange^ le Marquis au Court Nez, pp. 165-203). — B<» Tbataux DONT CE PofeMR A ÊTÊ l'objbt. a, Daus un livre des plus médiocres, dans son Histoire nouvel le de la ville et principauté d'Orange,\e P. Bonaventure de Sistcron, crédule historien, ne nunque pas d'admettre le récit fabuleux de U f^ita sancti ,* *^< ANALYSE DE LA PRISE D'ORANGE, 365 loin de la France, et il a oublié d'amener avec lui des " i*abt. uvr.h. jougleurs et des damoiselles . Puis les Sarrasins le '- — ^ WiUeimi touchant la prise d^OraDge par Guillaume au Court Nez. Il cite et tra- duit toute cette vie de notre héros et n'hésite pas à voir en lui « le fondateur de la principauté d*Orange » (p. 18 et suiv.)* — ^* En 1852 parut dans la Revuê ai^ citéoiogiquë une Notice lùstoriqut el archéoiogitfiie sur Orange^ {lar M. J. Gourtet (p. 336). La pensée dominante, dans tout ce travail, c^est que la légende a fondu, en un seul et même personnage, Guillaume I, comte de Provence, et saint Guillaume de Gellone. — c. Dans le tome XXII de V Histoire littéraire (pp. 496- 498), M. Paulin Paris a donné, en 1852 , une brève analyse de ki Prise tP Orange. — d. Deux ans plus tard,lf . Jonckbloet publiait le texte de la Chanson, en étudiait avec soin les éléments historiques {Guillaume tt Orange^ II , 67-79), et s'attachait à démontrer Texistence d'une ancienne rédaction du vieux poème. — e, EnAn L. Glarus, dan» son Hertog îFithelm von Aquitanien (1865, pp. 220-228), a résumé la Prise d'Orange d*après V histoire littéraire et Jonck- bloet. Partisan exagéré de l'authenticité complète de la Vita sancti Willelmi, L. Clams serait assez tenté d*en croire le pieux biographe sur sa parole, lorsqu'il racontela conquête d'Orange par Guillaume. — /.Jonckbloet, enfin, par sa tra- duction de notre Chanson, a essayé de lui donner une popularité qui lui man- quait depuis longtemps. — 9^ Valeur litt^eaibb. C'est avec raison que L. Clams el Dozy considèrent la Prise tT Orange comme une des parties les plus faibles de tout le cycle de Guillaume. 11 est véritablement regrettable que l'an- cienne rédaction ait disparu : l'idée que nous en donne VArabelens Entjuhrung est de nature à augmenter ces regrets. Quant au texte actuel, placé entre deux Chansons aussi remarquables que le C/tarroi et le Covenans Vivien^ il perd étran- gement à une comparaison qui est inévitable : c'est un plat recueil de lieux communs épiques qui relie deux chefs-d'œuvre et leur sert de repoussoir. II. ÉLÉMENTS HISTORIQUES DE LA CHANSON. Ou ne^it éubUr que les propositions suivantes : {^ Le seul texte quasi historiqu^^r lequel puisse s'appuyer notre Chanson est le fameux passage de la Vita sancti Willelmi : « Àdurlfem Àratuicam aginina disponit [fFillelmus] el castra, quam illi Hispaui cum suo Theobaido jnmpridem occupaveraut : ipsam facile ac brevi ciesis atque fugatis eripit invasoribus. Erepta aulem urbe, ((lacet omnibus ut sibi eam de- tineat faciatque primam su» proprietatis sedem : unde et civiias illa ad tanti dncis gloriam famosissima ntultumque crleùris magnique nominis per totuni kodieque mundum commemoratur, » (Acta Sanctoruro Maii, Vf, p. 812.) — 2* Or- deric Vital a répété à peu près la Fita dans les mêmes termes : « A Carolo [Willelmus] dux Aquitauiie coustituitur eique legalio contra Theobaldum regeni et Hispanos atque Agarenos injungitur. Alacriter Septimaniam ingressus, Rho- danum transivit, Ârausicam urbem oùsedit et fugatis invasoribus eripuit, » {Hisioria ecclesiastica, éd. de la Société de l'histoire de France, III, 6, 7.) 3» Le témoignage de la Vita et celui dOrderic ne sont confirmés par aucun texte historique^ et le fait de la prise d'Orange par Guillaume est absolument fa» buleux, «1 Jamais, dit M. Aiig. Leprévost, résumant ici les données de la science, jamais, sous le gouvernement de Guillaume*, les invasions musulmanes n'atteignirent les bords du Rhône et encore moins le territoire d'Orange. 11 faut remonter jusqu'à l'époque d'Ambissa et d'Eudes pour trouver quelque événement dont la f. ':'K CBâP. ZVl. 366 ANALYSE DE LA PUISE D'ORANGE. " 'iïîi"7i* "' ^^îssent trop longtemps dans le repos : « Je m'ennuie , « dit-il sans cesse, et me figure être ici eu prison. » Il a tradition ait pu senrir de base aux fictions du biographe. » (Éd. d*Onlcric Vilal* I • 1, p. 7 .) — 4« Le personnage de Thibaut est aussifabuleux que la ean^iÊete iTO- range : « Parmi les rois et les généraux musa]mans|contre lesqueb Gnillanme eut à lutter pendant uni* carrière militaire assez longue (789*806), nousn*eo voyons aucun dont le nom puisse se rapprocher de celui-ci. Ce furent Ahd-d-Vahîd- Ren-Mougeith, et Abdallah-Ben-Abd^il-Mélik jusqu'en 796 ; puis le rai El Ha- kem; puis les chefs Bahloul, Aboutahir, Foleis-Ben -Soliman et Zaidoun. m (Aug. Lépreirost, 1. 1, p. 6.) — S^ (Test sans aucune preuve sérieuse que L, Clanu a prétendu que le plus ancien biographe de Guillaume {fauteur de la Vita saoeti Willclmi) POUTAIT bien avoir raison ; que les Maurts sont souvent déhatqmtâ sur les cotes de Provence et de Seplimanie, et qu'ils ONT PtJ pénétrer jusqu'à Orange, etc. — 6* On peut ^ de tout ce qui précède, conclure que V auteur de la Vita a réellement puisé dans certains Chants populaires de son tentps, et non dans t histoire, le récit de la prise d'Orange et le nom de Thibaut, etc. En d*anitfes termes, c'est la poésie qui, ici» a servi de base à Thistoire» et non l'histoire à la poésie. Du reste, un tel fait n'inculpe en rien la sincérité de l'antenr de la rita ; il a prêté l'oreille aux Chants populaires qui célébraient son héras et leur a trouvé un accent profondément historique , confirmé par des traditions orales qu'il ne pouvait récuser. Nous avons déjà fiit observer qne la première partie de son œuvre, consacrée a la gloire militaire de son liéraa, est pleine d'inexactitudes involontaires, et qu'on doit surtout ajouter foi à la der- nière partie où il raconte les vertus monastiques de Guillaume. — 7* Guibomrc est un personnage historique ; on en trouve le nom dans la charte de fou* dation de Gellone, ou. Guillaume parle de ses deux femmes Cunégonde et Guid" burge (Acta Sanctorum Maii, VI, 810). — 8<^ Mais la légende épique dOrable n*a, dai Heurs, aucun fondement historique. Trop préoccupé de retrouver des héros réels dans tous les héros de la geste de Guillaume, M. Jonckbloet a rapproché de notre poème le récit d*un miracle opéré par les reliques de Guillaume : ce récit, tiré des Miracula sancti fVi/Irlmi, pourrait bien être du même temps et de la même main que la Fila elle-même, c'est-à-dire du onzième siècle. Le légendaire raconte qu'une énergumène du uom de «• Gitburgts, » d'un pays voinn de Gellone, fut amenée par ses amis au tombeau de notre saint. Elle poussait des cris horribles, aboyant comme un chieu, rugissant comme un lion, etc. « Quid plura PBeatus Willelmuspro illa intercedit, et illa statim beati Willelmi pred- bus et meritis plene ac perfecte sauata fuit. » En reconnaissance de ce bien- fait, « elle quitta son mari et prit l'habit religieux. » (V. les Jeta Sanctorum Maii, VI, p. 824 b.) Après avoir cité ce miracle, M. Jonckbloet ajoute: « Qui « ne voit là un remaniement monacal de la conversion et du mariage de Gui- II l>ourc. {Guillaume d'Orange, 11, 69). Nous avouons volontiers être de ces aveugles qui ne voient absolumeut rien de commun entre les deux légendes ? Dans nos poèmes, Guibourc est une jeune femme qui se prend pour Guillaume d'au amour adultère et ne se fait chrétienne que pour l'épouser ; dans le miracle latin, Gitburge est une possédée qui, guérie par la prière de saint Guillaume, a désormais horreur du lien conjugal et se fait nonne. La comparaison n'est pas soutenable. — 9^ Le seul élément véritablement historique de la Prise d'Orai^f CIUP. XT1. ANALYSE DE LA PRISE D'OR/IXGE, 367 vraiment bien tort de se plaindre : le jour ne s'écoulera " '*a"t- "'^ " point avant qu'il n'ait reçu de terribles nouvelles. ceit la conquête de la Septimanie et des pays voisins au commencement du huitième siècle^ par ^Isamali £ abord ^ par Ambissa ensuite; ce sont, pour mieux dire, les invasions succès %ivcs des Musulmans dans cette partie de la France , invasions dont le souvenir est demeuré si vivant parmi ces /topulatious, 111. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. 1" Nous avons Mgualé plus haut les difloi-euces considérables ratre la Prise d'Orange telle qtit* nous la possédons aujourd'hui, et rancienne rédaction de cette Chanson qui com- prenait les Enfances, et a été sans doute imitée dans ^ Arahelens Entfiihrung, 2*L*auteurde la Tersiou en prose du manuscrit 140T a fait subir k la Prist tCOrange les plus singulières modifications, qui en ont d'ailleurs altéré la forme plutôt que le fond. Le fragment suivant en donnera quelque idée : rf Comment Guillaume et ses campai gnons conquirent le palaix d'Orange que on nommait Gloriete par Cenditement, consseil et aide du citnmhellain Àatis et de OrablCf la fille Desramé. La damoy selle.... s'esbatoit privéement, sans mal penoer, avecques Guillaume qui, par graut amitié, lui prestoit moult souveut sa bouche. Et elle, d'aultre part» ne lui refTiisoit mye la sienne. Ain^is Fauprunt- toient Tun de l'autre et rendoient sur la place les liaisiers amoureux, en devi- sant emssamble, cuidans estre séurement et à leur privé, et attendans l'eure que ils s'en dévoient le lendemain aller par une )M>rte saillant au\ champs du costé de Nismes, sans entrer dedans la ville, et sans eulx miettre en dangier des Sarra- sins. Mais ainssy ne le voulut Fortune consentir ne acorder que Guillaume éiist si paisible joyansce de ses amours ; car,tout eu ung virement, leur chéy le het, et ebétrent comme de joye en grant tristesse quant ils ouyrent .\atis qui leur escria non mye à voix haultaine, ne si elTroiemeut qu'ils en pardissent leurs seu- temensy mais à voix modérée et acertes : •« Trop mal nous est advenu, madam^, « fet-i],et de maie heure mandastes les pellerins eu vostre chambre ])our parler « à eux; car ils sont en dangier de mort,se Dieux,par son doulx plaisir ,n'y reme- • die de sa grâce. •• — La damoyselle Orable, esbahye déprime face et non sans cause, respondi lors : • Hellas ! Aatis, doulx amis, fet-elle, et qu'i a-il, que or le « me dittes, pourquoy et comment les Crestieus sont en mortel dangier de mort, • seDieox, par son doulx plaisir, n'y remédie de sa grâce.' Car je ne vouidroie, M pour tout l'avoir d'uu royaulme, l'annuy ne le destourbier du myen amy Guil- « laarae,par especial,ne de sa compaignie, qui à nul mal n'y pense, ainssy come « je le sçay et croy certainnement. v — « Bien vous en croy, damoyselle, fet-il; • mais il est ainssy que par une faulceespiée ont esté cognéus,el Guillaume ravisé : •• je le vous certiffie pour tout vrai, car ainssy l'ay entendu en ce palaix ou quel «• j'cstoie allé guettier et savoir se nul se aparcevoit de ceste besongne. Mais je « voy bien que nul remède n'y a,et que à Coriel a esté ceste chose notiffie. » Lors leor racompta comment il avoit Goreaulx, le gouverneur d'Orange, trouvé ou palaix, armé et acompaignié de gens d'armes à grant nombre; comment il avoit véo le pont fermer : et tout ce qu'il savoit et avoit véu et ouy leur racompta. Et pub, il leur dist comment il estoit par gracieuses parolles par deters eulx léans venu pour savoir en quel habillement ils estoîent ; et que ÏU n'atendoient sinon sa venue pour la chambre venir efforcer et rompre, •ffin d'avoir les pellerins à leur commandement* Si se prist Orable à couronoier < '^^. 3G8 ^ g^NALYSE DE LA PUISE D'ORANGE. CHAF. XVI. " rtV.Tvi*'"' Noir, maigre, velu, décharné, quel est ce misé- rable là-bas, qui passe le Rhône, gravit la mon- moult asprement, à froter ses mains les unes aux aulires, et soy vouloir es- crier, n*éust esté Guillaume qui parla comme homme asséuré, vaillant et hardi. = Guillaume de Nerbonne oyant le noble Chamliellain ainssy parler respondi lors, comme pour essoier le bon vouloir de lui : « A nous prendre auront peu << à faire, sire vassal, fet-il, se vouloir avés de nous livrer; car nous sonunes jâ ft enclos et enserrés, si que à grant peine se poumnt nul de nous saulver. Mais ce «• seroit à vous trop grant desloyaullé de nous avoir ainss^ trahis soubz umbre de M bonne fiance et de séureté en quoy nous cuidions estre cy en droit.» Sy fut faut dollant Aatis que plus ne péust, quant il ouy Guillautne qui de trahison se doubla, et lui respondi : «« Se de moy vous doubtés, c^est à grant tort, sire, fet-il ; car les cent '• Sarrassins qui sont en cestui palaix en aguet. Se lesquelx y vieiuient, aiussy « corne nous en faisons double, je ne puisse jamais jouir d'amour alors, se je n'y « faings et se je n'emploie ma force, tellement que cetlui sera moult eureux qui a en pourra sain et sauf eschapper. Et tel y est par l'u^zentréà son loisir qui à Vers 406-417. — 3 Vers418-449. — 4 Vers 450-614. — 5 Vers 615-644. 372 ANALYSE DE LA PRISE D'ORANGE. If PART. LIT». II. CHIP. XTl. Guillaume est attaqué par les Païens et, près de succomber, s*enrerme dans la tour de Glorieltc oli il subit UD siège* cieux jardins, à l'ombre de cette fameuse tour de marbre qu'on nomme Gloriette. Parmi les parfums et les fleurs, Orable lui apparaît, blanche et rose, éblouissante de beauté ' : a Ah 1 dit Guillaume, c'est « ici le Paradis! » Rien de plus charmant, rien de plus vif que toute cette Introduction. La joie de Guil- laume, hélas! ne sera point de longue durée. Jusqu'ici tout va bien pour Guillaume, et l'excès de son imprudence ne lui a encore procuré qu'un ex- cès de joie à la vue d'Orable, Il semble même qu'il va pouvoir se livrer en paix à cet amour qui compro- met le sort de l'armée chrétienne. Mais, en un instant, tout change. Dans la ville d'Orange vit un païen, du nom de Salatré, qui jadis habitait Nîmes et en a été chassé par les Français. Il reconnaît Guil- laume, et s'empresse d'aller le dénoncer au roi Arra- gon ; (c Celui-là, dit-il en le montrant, c'est le Marquis « au court nez ; cet autre est son neveu ; le troisième (c est notre ancien prisonnier, celui-là même qui nous a a échappé^, p Cependant Arragon doute encore; mais Salatré lui réserve une démonstration qu'il croit sans réplique : il passe vivement sur le front de Guil- laume une « cotte d'or fin esmeré »; la teinture dont s'était couvert le Comte français disparaît aussitôt et laisse voir la blancheur native de sa peau ^. Guillaume comprend tout, et se sent perdu. Il ne songe plus guère à son Orable, et, dans cet instant de détresse suprême, se tourne enfin vers Dieu, a On sait qui ' Prise éC Orange^ vers 645-679. En parlant de sa belle-sœur, le roi Arragon a reproché plus haut a son frère Thibaut d'avoir épousé une si jeune femme : « Dist Aragons : « Il fet moult grant folie; — Quar il est vielz, « s*a la barbe florie, — Et ceste est bêle et juenete meschine... — Mielz « ameroit Soribant de Venise, — Un baceler juene et de barbe prime... — Trop « par est fox vielz homs qu'aime meschine, » etc. — > Vers 080-771. — 3 Vers 772-779. ANALYSE DE LA PRISE D' ORANGE. 373 Prise d'Orange, vers 780-823. — » Vers 824-862. — 3 Vers 863-902. Il PART. LIirK. II. CBAP. XYl. CHAP. XTl. 374 ANALYSE DE LA PRISE D'ORANGE. II PAIT. ufB.n. a C'est lUnstant de la caresser, de lui passer un bras Vers 1173-1220. - 3 Vers 1221- 1264. — 4 Vers 1255-1296. — ^ Vers 1297-1323. 376 ANALYSE DE LA PRISE D'ORANGE. M PABT. uTB. u. mcnt dc sa beauté la tristesse de ce cachot. La seule vertu CHAP. XTI. , , . ,. de cette femme étrange, c est jusqu à ce moment son ex- trême franchise qui va jusqu'àTeffronterieJusqu 'au cy- nisme. Brutalement, sans préparation, cédant unique- ment à un mouvement sanguin : n oncle. ^ j^^ sccours aux chrétiens de Nîmes. » Gilbert est chargé de cette mission difficile que ne veut pas accepter la fierté de Guielin. Il part, inquiet et rési- gné^.Mais,en bonne conscience, notre poète abuse trop des machines de mélodrame, et nous en sommes déjà au second souterrain .... Un païen se présente alors, tout effaré, au roi Arra- gon : a J'ai vu, dit-il, j'ai vu la reine Orable aux bras « de son prisonnier. — Mon père est déshonoré , « s'écrie le roi, et- je suis déshonoré moi-même. — a Décidément il faut en finir, dit le roi de Bénévenl. « Brûlons Orable, et coupons ces Français en mor- « ceaux. — Contentez-vous, dit Esquanor, de les gar- ce der tous en prison jusqu'au retour de Thibaut. »» Ainsi fait-on'^... La malheureuse Orable comprend soudainement toute la portée de ce malheur, et fond en larmes : *€ Si, « du moins, j'avais reçu le baptême ^. O malheureux « amour! — Allons, allons, dit Guielin, qui ne sau- ce rait s'empêcher de plaisanter, même devant la mort; « Prise d'Orangey vers 1324-1390. — « Vers 1391-1411. — 3 Vers 1412- 1459. — 4 Vers 14C0-1542. — 5 Vers 1543-1556. ANALYSE DE LA PRISE D'ORANGE. 377 « on ne dira plus désormais Guillaume Fièrebrace, on "p^". uti. h. a dira Guillaume l'amoureux ' . O malheureux amour! » Mais un autre malheur vient frapper Guillaume ; on le sépare brusquement de cette Orable auprès de la- quelle sa captivité pouvait encore lui sembler douce. On le traîne^ avec Guielin^ devant le roi païen : et là ^ qui pourrait peindre leur colère*? Le neveu de Guillaume, qui se voit perdu et n'a rien à ménager, laisse tomber la formidable lourdeur de son poing sur la tète de Pha- raon, et le tue roide^. Puis il s'arme de je ne sais quelle hache grossière et se précipite, furieux, à travers les Sarrasins. Son oncle entre avec lui dans la bataille, un tinel à la main : autre massacre^. Et les Fran- çais de s'enfermer alors dans la tour de Gloriette, un troisième fois reconquise. En vérité , la mono- tonie de tous ces récits n'a d'égale que leur invrai- semblance.... Or, un jour, tandis que Guillaume, Orable et Guie- lin cherchaient les moyens de prolonger leur résis- tance dans ce palais qui ressemblait étrangement à une prison, ils entendirent tout à coup un grand bruit, un cliquetis d'armes, un murmure d'hommes. C'était leur délivrance qui approchait ; c'était Bertrand qui arrivait de Nîmes où Gilbert l'avait instruit de la détresse de Guillaume. Bertrand , à la tête de treize mille hommes, s'était aussitôt mis en route; il s'était engagé dans ce fameux souterraip percé entre le Rhône et Gloriette. Et le voilà qui, tout joyeux, revoyait enfin la lumière du jour dans ce château où il arrivait à temps pour se faire le libéra- teur de son oncle ^. Guillaume fut le premier qui « Prise tt Orange, vtnASeO-lbGS. — « Vers 1566-1589. — 3 Vers 1590- 1607. — 4 Ver» 1608-1648. — 5 Ver» 1649-1796. 878 ANALYSE DE LA PRISE D'ORANGE, II PAIT. uTB.li. l'aperçut : Toncle et le neveu tombèrent dans les bras 1 un de 1 autre, pleurant de joie '. Prise (POrangc Ce n'était pas encore l'heure des longs attendris- par les Francs, sements; avant tout il fallait s'emparer d'Orange, et s'en emparer vivement. Les treize mille Français se réunissent et poussent un grand cri : « Montjoie ! » puis, se jettent sur les païens qui ne s'attendaient guère à cette invasion : « Montjoie! Montjoie^! » Ils les pressent, les tuent, les taillent en pièces dans les rues de celte ville épouvahtablement ensanglantées. Le roi Arragon cherche en vain à se défendre contre ces victorieux,et Bertrand lui donne le coup de mort^. Pas un Sarrasin n'échappa à ce massacre^ et de grands ruisseaux de sang coulèrent dans Orange Cepen- dant, calme, souriant, ayant à peine essuyé le sang de son armure, Guillaume alla prendre par la main la reine Orabledont tous les sujets venaient d'être égor- gés, mais qui les regrettait fort peu. Il la montra, toute belle et toute souriante aussi, à son neveu Bertrand : « Voici celle qui m'a sauvé de la mort et que j'aipro- « mis d'épouser. — Épousez-la sur-le-champ, répondit « Bertrand ^, » Orable était dans l'ivresse de la joie. Bapiéme d'Orabie On commence par la baptiser; Tévêque de Nîmes "^Wlurcr ^^^'^"^^ ^^ '^ plonge dans l'eau libératrice. Elle change ^"cumaume*^*^ de uom : désormais, elle ne s'appellera plus Orable, mais Guibourc ^ Ajoutons qu'elle change aussi de cœur et d*âme : jusqu'ici elle a été sensuelle, égoïsle, odieuse; elle va rapidement s'élever aux plus hautes vertus de la femme chrétienne. Ce baptême est pour elle une véritable transformation. Les noces suivirent immédiatement le baptême. Elles durèrent huit jours. Dieu ! que de beaux présents I Prise (TOrange, vers 1697-1808. — > Vers 1809-1816. — 3 Vers 1817- 1844. - 4 Vers 1845.1861. — 5 Vers 1862-1878. ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN. 379 reçurent les jongleurs! Il semble avéré qu'on leur n pabt, u? b. u. donna de Thermine, de la soie et jusqu'à des des- ■ ■ triers ' . Quant à Guillaume, il séjourna trente ans à Orange depuis son mariage. Mais on ne peut pas dire qu'il y connût un seul jour de repos'. CHAPITRE XVII. LE NEVEU DE GUILLAUME, VIVIEN; SON ENFANCE. (Les Sxifaxioes Vivien ^.) Depuis longtemps déjà Guillaume joue sur la ^^È^SI^ctê scène de notre épopée le premier rôle, ou, plutôt^ vMtn, < Prise tt Orange ^ vers 1879-1885 ' Vers 1886-1888. 3KOTIGE BIBUOGRAPHIQUE RT HISTORIQUE SUR LES ENFANCES VIVIEN. I. BIBLIOGRAPHIE. 1«datb db la composition. Nous ne croyons pas les Enfances Vivien antérieures au treizième siècle. Le héros y demande quelque part (ms. 1448, f* 187 ▼*) des nouvelles « des grans batailles derers Constantinoble ». Il ne peut guère être question dans ce vers que des der- nières péripéties de la quatrième croisade, de l'arrivée des croisés devant Gonstantinople, de la fuite de l'usurpateur Alexis, du rétablissement dlsaac l'Ange, de la trahison d'Alexis et de la prise de la ville par les Français et les Vénitiens le 12 avril 1204. Cela précise singulièrement la date de notre poème. = Il faut remarquer, en second lieu, que l'auteur des Enfances n'a pas connu le Covenans Vivien^ et que son récit est plus d'une fois en contradic- tion frappante avec le récit de cette dernière Chanson. ^ C'est ainsi que, dans les Enfances, Vivien est élevé par une marchande qu'il regardera désormais comme sa mère, sans jamais dire un seul mot de Guibourc ; tandis que, dans le Copenons, Guibourc est représentée comme U seconde mère du jeune héros, comme l'ayant élevé pendant sept ans. C'est cette dernière tradition qui est la vraie; du moins c'est celle qui se retrouve dans Aliscans, Lorsque Vivien va mourir, il se rappelle * encore, avec des yeux trempés de larmes, m la bonne dame Guibourc qui l'a nourri ». De la fameuse marchande pas un moty ni dans le Covenans, ni dans Aliscans^ ni dans les anciennes branches du Cycle : cet épisode est évidemment une addition postérieure. 380 ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN. II PAIT. Lnri. u. le seul. Autour de lui s'agitent quelques compara ses qui ne semblent s'offrir à nos yeux que pour = Suivant Tauteur du Covenans, Garin d'Anséune est mort à Roncevaux; d*après les Enfaneu^ il a survécu à ce désastre; c*est encore une diiTérenoe cousidérable. L'auteur des Enfances a écrit en dehors de toute la tradition; son œuvre est tout individuelle. =: G*est en vain, d'ailleurs, qu'on alléguerait contre notre opinion la versification de ce poëme, qui nous présente des asso- nances et non des rimes : un tel fait ne détruit en rien les raisons précédem- ment alléguées, et prouve seulement que le poète a voulu faire un pastiche de nos vieux poèmes. De même que quelques peintres s'amusent aujourd'hui à imiter servilement les fresques ou les miniatures du quinzième siècle, de même il y a eu au treizième siècle des versificateurs qui se sont plu à imiter d'aussi près les Chansons assonancées des onzième et douzième siècles. Les Enfances Vivien sont un pastiche archaïque. -^ 2*^ Autbur. Elles sont anonymes. — 3*" Nombre de vers et nature de la versification. Dans le ms. fr. 1448 de la B. L, ce poëme renferme 3550 vers; dans le ms. fr. 774, 3013 vers; dans le ms. 368, 3130 vers; dans lems. 1449, environ 3200 vers; dans le ms. 23 La Yallière, 3060 vers. Ce sont des décuyllabes assonances. La versification, d'ailleurs, est assez négligée, et l'on rencontre assez souvent des alexandrins mêlés à ces décasyllabes. Dans le ms. de Boulogne, les Enfances sont munies du petit vers hexasyllabique ; dans les mss. fr. de la B. L 1448, 1449, 23 La Yallière, 774, 368, ce petit vers est absent à U fin des laissas. — 4<; Manuscrits connus. U nous est resté sept manuscrits des Enfances : a. B. L fr. 1448 (du f> 183 r» au f> 280 v»), treizième siècle, b, British Muséum, Bibl.duroi, 20D,XI (du f>]24 v^auM34 v»), treizième siècle, c. B. I.fir. 1449 (du P» 60 r" aur79r»), treizième siècle, d, B. L fr. 774 (du P» 58 i^ au f» 71 O, treizième siècle, e. Manuscrit de Boulogne (du f^ 62 r* au f* 81 v»), treizième siè- cle, f. B. 1. 23 La Yallière (du f 110 v*» au f» 114 v» et du f» 169 r» au f» 184 r«), quatorzième siècle, g, B. I. fr. 368 (du f> 173 r° au f> 183 v«), quatorzième siècle. = U convient de formuler ici quelques observations au sujet de ces différents manuscrits : a. Le manuscrit 1448, qui présente id, par extraordinaire, la version la plus développée, ne s'arrête pas, conmie les autres textes, au retour de chacun des héros dans leur fief, Guillaume à Orange, Guibert à Andrenas, Naimes en Bavière, Garin à Anséune, etc. (P* 200 v^, 2* colonne). Il contient toute une partie supplémentaire. Le lecteur est transporté par le poète auprès du roi Desramé et de ses quinze fils, à Cordres. Piccolet, pré- cepteur du jeuue Benouart, veut l'empêcher de croire en Dieu et en la Yieige ; Benouart le bat et n'est pas loin de le tuer. Mais Piccolet se venge en faisant boire au fils de Desramé un philtre magique et en le vendant à des marchands. C'est l'empereur Louis qui l'achète : il le met à la cuisine, et c'est là que Benouart commence à jouer de ses tours, à manger le diner du Boi, etc., etc. (ms. 1448, f" 201 vo-203 r°). Le trouvère alors nous conduit près de Guil- laume et nous fait assister eu détail à \ adoubement de Yivien qui est raconté plus brièvement en tête du Covenans (fo* 20*^ r°-204 v°). Ces derniers épiso- des, ajoutés au texte ordinaire des Enfances^ ne composent pas moins de 490 vers. Si on défalque ces 490 vers des 3550 dont se compose la Chanson, on verra que, pour tout le reste, le ms. 1448 n'est pas plus développé que les ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN. 381 donner la réplique au fils d'Aimeri et pour mieux faire ressortir la puissante originalité de ses traits par autres textes. — h, \jt manuscrit de Boulogne nous offre un début différent des autres manuscrits. D* après cette version, Garin d*Anséune aurait été fiiit prisonnier par les Sarrasins, non pas à Roucevaux, mais pendant une partie de chasse avec ses cbeTaliers : « Rnsi comme Garins tTAnséune et si chevalier suni en */* hos et cachent */* cerfy» (P* 62). Le début du poëme est entièrement différent : « Or escoutés, seignor, por Dieu et por son nom, — Li glorieus qui soffri passion — En sainte crois por no salvation, — De fière jeste dirai bone canchon, « etc. (f> 62). Ensuite, au lieu de nous transporter sur le champ de bataille de Ronceraux et de nous montrer, avec Tauteur du ms. 1 448, Garin d'An- séune tombant aux mains du. païen Cadort, l'auteur de ce texte nous fait assister à une partie de chasse : « *I* jor estoit Garins en sa maison. — Talent li prist de manger Tcnison. — A sa mainie commanda li baron — Qu'il vell aler cacher ou bos parfont... — 'I* cerf aquellent li cien qui furent bon... » C'est en revenant de cette chasse que Garin est surpris par les païens : « Leis la ma- « rine s'en vint li Dus gentis. — Issent païen des nés plus de *XX* mil. » Le père de Vivien tombe alors au pouvoir du roi Mirados qui ne consent k lui rendre la liberté que si son fils vient prendre sa place. Le reste de la Chanson est conforme aux autres textes. == Toute cette rédaction, en outre, présente à la fin des tirades le petit vers de six syllabes qui est en général un signe d'antiquité. Quand on publiera les Enfances Vivien^ c'est le manuscrit de Boulogne que Ton devra, suivant nous, prendre pour base de la publication. — c. Dans le ms. 23 La Yallière, les Enfances ont été coupées en deux parties, entre lesquelles on a intercalé le Siège de Barbastre, Quelques couplets ont été nécessaires pour mettre les lecteurs au courant de cette singulière intercalation (f" tt4 v*^ et 169 r«)—i/.Les autres manuscrits ne présentent rien de particulier. — 5« VRRSiOPf ■H PR08B. Les Enfances Vivien ont été mises en prose dans la grande compi- lation du ms. fr. 1497 de la B. L Nous en publierons plus loin un extrait; en voici les rubriques: icy comenee h parler de Vivien, iejils Garin d'AnssêunCf/i/s du comte Aimery et frère de Guillaume , d'Ernaii, de Bernart , de Beufves, de Ajrmer et de Guibert (T 270 v*^). — Comment la femme Garin d'Anuéune et ses amis eurent nouvelles du duc Garin qui estait en LuLsarne en la prison du roy Archillant (f* 275 r**). — Comment Garin d^ Ansséune fat délivré de la prison ArclûUant de Luisarne,et Vivien, le sien enfant, baillié en son lieu {{• 280 r*). — Icf commence de Vivien, le fils Garin d'Ansséune, nepveu de Guillaume et Orange, et parU de luy et de ses jounesses et dist : Comment Vivien, le filz Garin, fut, par avanture fortunée, saulvé de mort et garanti des mains du roy Archil- lant qui sa mort avait jurée ( P 284 r*, v*). — Comment Garin d'Ansséune et Guillaume d'Orange ^vindrent pour Luisarne asseigier et cuidier Vivien ravoir par force (f* 287 v**). — Comment la bourgoise, qui Vivien avait du Sarrassin acheté, le tint pour son fils quant son mary retourna de marchandise {^ 290 v"). — Comment Archillant de Luisante fut pourchacié par Taillefer, son frère, le roy d^Arragonne, qui vint Pampelutu asseigier (& 295 v*). — Comment Vi* vien resqnéy de mort et de prison le roy Gourmont que Taillefer faisait mener en son tref par ses hommes (i^ 298 i^),— Comment Vivien, le filz Godefroy, occist en mer Donas, le roy d'Esgipte, et sauva Gerart de Barbastre, EAbanor, Clar- II PART. LIVB. II. CHAP. XVII. 382 ANALYSE DES EyP^NCES FiriEN. Il PART. Li?B. II. Ja banalité de leurs actions et les lieux communs de CHAP. lYII. ' leurs discours. Les Enfances Guillaume, le Couron- gis et cent de leurs chevalliers, qu'il avait pris en Barbastre (f* 303 ▼•). — Comment jérctùlant fut occis par Vivien^ lequel fut asseigié en Luisarne par U roy Gourmont de Navarre et de Sarragoce {f9 309 v"). — Comment Garim (tAnsséune et ses frères eurent nouvelle certainne de Vivien par la bowrgoise de Pampelune laquelle V avait acheté et nourry (f* 314 y«). — Comment Gour» mont scéut que Carmée de France venoit par ses messaiges qu'il y envoya segretement (P* 322 V*). — Comment Raymon de Valprée rencontra toost de France qui allait secourir Vivien, Girart de CommarchiSf Clargis et lÀhanar (fo 327 r«). — Comment Guillaume tt Orange reeongnut le sien nepveu Vivien qui sailli de Diisarne pour savoir quelx gens venaient devant eulst (f* 329 O* — Comment Gourmont, Taillefer et Archilion scéurent qui estait Vivien et de quelle U g niée, et comment ils s'en cuidièrent fuir segretement sans comiairt les Cres tiens français (P* 331 y^). — Comment les Sarrasins furent eombatus^ occis , descunfils et chaciés , Luisarne le fort chastel ahatu , Pampelune cof»- questée, et le roy Gourmont mort dedans, et Siglale baptisée et espousée a Brokarl^ par le consentement des princes et barons crestiens (f> 335 i^). C*est à àemém que nous avons donné ici le texte intégral de ces rubriques : il montrera qud étrange parti le compilateur a tiré de l'ancienne Chanson. 11 avait sans doute sous les yeux quelque manuscrit semblable au ms. 23 La Vallière, dans lequel on avait eu Tidée singulière d'intercaler le Siège de Barbetstre au milieu des Enfances, Il a été plus hardi : il a placé bravement toute Faction du Siège de Barbastre AYAlf T celle des Enfances, et a fait figurer du» ce dernier 'poëme les personnages du premier. — 6« Diffusion a L*6TmAiffin« La magnifique légende de la captivité de Garin d*Anséune, qui sert de début à nos Enfances et en est certainement le plus ancien élément, a passé en Es- pagne où elle a été misérablement défigurée. Le fameux romance : Mala la visteis, FranceseSy que nous avons cité plus haut (p. 46), nVst que la combi- naison de cette légende avec une histoire moins antique que nous avons déjà trouvée dans .S/mo/t de Fouille, — T** ÉDiTIOPf IMPRIMÉE. I-es Enfances Vi» vien sont inédites. >- 8^ Tbataux DONT cbttb Chanson a été l'objet. Ce poëme est un de ceux qui ont le moins fixé Tattention des savants. Nous n'avons guère à signaler ici que la Notice de M. P. Paris, au tome XXII de V Histoire littéraire (pp. 503-507), et l'analyse rapide de L. Clarus {Herzog Wdhelm von Aquitanien,ip^, 232-234).— S** ValkublITTÉbaibe. Il importede considérer les Enfances comme l'œuvre absolument individuelle d'un homme de talent qui a voulu pasticher une vieille Chanson de geste. U a trouvé sous sa main une lé> gende fort ancienne et qui, sans doute, avait été l'objet de cantilènes on de chants populaires : celle de la captivité de Garin. Mais c*esl dans son imagination qu'il a pris tout le reste. Les érudits en général, et M. Jonckbloet en particulier, ne nous paraissent pas avoir assez tenu compte de ce rôle de l'imagination in- dividuelle dans la composition de nos vieux poèmes* Dans les Enfances ce rôle est incontestable, et souvent heureux. Le récit du dévouement de Vivien (^ 184 du ms. 1448); les touchants adieux d'Heutace à son fils (f* 184 V); les aventures héroï-comiques de Vivien chez le bon marchand Godefroi et les es* capades de cet enfant noble condamné au métier de forain (f* 186 r®«189 v") ; CHAP. XYII. ANALYSE DES ENPAIff,M83v<».— » P 184 r«. — 3 po 134 ,0. CHAP. XVII. 388 ANALYSE DES ENFANCES VIFIEN. iiPAM. uvR. IL chants, les plus maternels adieux '. « Du moins, dit- « elle, je veux le mener à son père. » Bernart de Brebant et Guillaume lui-même s*ofTrirent à les con- duire avec cent chevaliers. Ils partirent, et rien ne fut plus triste que ce voyage. Or, ce fut précisément à cette époque que Ton ensevelit Charlemagne à Âjx: Tel sépulture ains not mais rois en terre. Mais la mère de Vivien ne songeait guère au grand Empereur, et toute sa pensée était en son fils^ A Luiserne, Garin était partagé entre le désir de 1 Adieux d*Hbutace a Vitien {Traduction littérale). Lorsque la dame en. tend Guillaume décider — Que son fils Vivien doit être livré au martyre, — Elle eu eut une grande tristesse et en fut tout éperdue, — Et rien n*égala l'excès de sa douleur : — « 0 Vivien, mon fils, douce chair, tendre consolation, — Beau « visage ouvert, fier regard, — Vous m'aurez bien peu de temps protégée et « gardée ! » — Alors tous les barons s*émurent, — Et l'un dit à Tautre : — «< Voilà vraiment une rude épreuve. — Non , il n*y a jamais eu dans le •• monde une seule femme — Qui ait dû conduire de la sorte son enfant à sa » perte, — Et le mener là où on le tuera et où on lui coupera la tête ! » H Fils Vivien, dit la noble dame, — Je ne t*envoie pas, hélas ! prendre tes « armes, — Haubert , écu et lance ; — Non, mais je t'envoie à une mort qui R n*est que trop certaine. — Voilà pourquoi, fils Vivien, tu t*en vas en Espagne « — Où les Sarrasins se vengeront sur toi. — Fils Vivien, adieu vos belles en- « fances — Qui étaient si gentilles et avenantes I « Fils Vivien, je prendrai de tes cheveux, — Et aux ongles de tes doigts on « peu de ta chair — Plus blanche que Thermine, plus blanche que la neige. • — Je les attacherai tout près, tout près de mon cœur, — Et, les jours de « fête, je les regarderai. — Beau fils, doux et courtois, il me souvieut encore « — De ce que vous me dites il n'y a pas un mois. — J'étais dans ma chambre « et vous étiez assis près de moi, — Et je pleurais mon seigneur Gariu le cour- .* tois; — Et vous me dîtes : — « Belle mère, tais-toi; — Je te vois sans cesse « avoir en l'esprit la mort de mou père : — Eh bien ! si je pub vivre assez Il pour être adoubé chevalier, — Rien ne pourra me retenir d'aller en Espagne « — Et de tirer vengeance de cette mort !» — Ce jour-là, fils, tu me fis grande « joie. (( Fils Vivien, dit la noble dame, — Tu fais comme le petit agnelet — Qui « laisse sa mère dès qu'il voit venir le loup, — Et il en est bien puni, hélas! — <( Car le loup l'emmène et le tue. — Voici bientôt Pâques, la fête d'avril : « — I..es autres damoiseaux auront beaux vêtements et belles chaussures; — Ils « iront en rivière chasser le gibier, — Faucons et éperviers au poing. — Mais « toi, Virien, je ne te verrai plus aller et venir. — 0 mort, viens donc, et en- <( lève-moi; — Car ma vie n'est plus que deuil et malheur. «* (B. I., fr. 1448, f* 184 vet 185 r«.) » Us Enfancei Vmen, B. 1., fr. U48,T' 181 v° et 186 f. ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN. 389 revoir son enfant et la crainte de l'avenir. Un ma- " »*^«t- "^"- '" CHAP. XYII. tin, les geôliers le firent sortir de sa prison : il était pâle, amaigri, mourant. Où le conduisait-on ainsi? il n'osait le demander. Tout à coup il se trouva devant sa femme, devant son fils. Cette émotion était trop forte : il se pâma. « Ils vont tuer Vivien, s'écria- (( t-il en se relevant; ou, plutôt, c'est moi qui serai « l'auteur de cette mort. Je n'aurais jamais dû écrire a ce message, et mon devoir était de mourir ici, ou- « blié. Mon fils, mon Vivien, c'est comme si je t'égor- Enfances Vivien, ^ 185 i*. — » P 185 r*> et v*». — 3 F» 185 v*». 390 ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN, II PART. LivB. II. cher, on Tattise. La flamme s'élève*, elle va l'en ve- CHAF. X?II. .1 • lopper, il crie.... Soudain, on entend un bruit affreux, le bruit que font soixante mille hommes armés. C'est Gormond, le fameux roi Gormond, qui vient de s'emparer de MerTeiiieuscmeni Luiserne à la tête de ses pirates *. L'un deux entre aumomeotméme dans la salle où Yivieu allait mourir. Vite, il coupie mourir, les lieus : l'enfant est sauvé. Tenw^acc jj^.^ Gormond, embarrassé de son butin, dut le "quiT/p!^°nf mettre en vente : il vendit chevaux , mulets , belles ** '^'S^lîli" étoffes, riches joyaux, et, de plus, ses prisonniers. Une et relève comme marchande passait par là, et aperçut Vivien qu'on avait exposé comme une marchandise vivante. Elle lui trouva bonne mine et l'acheta cent marcs ^. L'enfant était tout joyeux de se sentir en liberté ; il chantait, (c Quel est ton nom? lui demanda la mar- « chande. — Je suis Vivien, fils de Garin d'Anséune. » Et il se remit à chanter. « Je te trouve très-beau, ajouta la marchande. H y 18G r*». — 3 fo jgG r«». ANALYSE DES ENPjiNCES FinEN. 391 tement tracée: il ne rêve que chevalerie, coups de » part. uvr. n. lance et d'épée, batailles contre les Sarrasins, tandis . '■ que sa maîtresse songe à en faire un bon marchand forain très-actif, très-intelligent, très-âpre au gain. Il est impossible qu'il ne résulte pas quelque gros conflit d'une vocation qui est si déterminée chez Vi- vien... et si contraire à la volonté de ses maîtres. Sur ce, arrive Godefroi lui-même, excellent type de marchand, d'autant plus amoureux de son métier qu'il y a fait fortune. « Quel est cet enfant? dit-il en »rciiand. a drap et le blé, comment on les vend ; je t'apprendrai « ensuite les poids et mesures et le change des mon- « naies. » La seule annonce de ces leçons induit en bâillement le fils de Garin : a Je voudrais bien, fait-il, a avoir un cheval, deux chiens et un épervier. — Je «vais, mon ami, t'acheter sur-le-champ de bonnes « grosses bottes et de bon gros drap pour t'habiller « chaudement. — Ah ! s'écriait Vivien les yeux dans le a vide et pensant à autre chose, si les païens étaient là, a là devant moi, comme je les taillerais en pièces ! » Et lé marchand de rire*. « Enfances Vivien, f« 186 T^ el v*». » VlviRN CHKZ LK BON MARCHAND GoDEFROl. ( Traduction Uuéraie,) CHAP. XVII. 392 ANALYSE DES ENFANCES ViriEN. Il PART. LivR. II. Il ne rira pas longtemps. Dans «lotre poème il re- présente la prose, et Vivien la poésie ; le réel , et (t Le marchand crut que sa femme lui disait la vérité [et que Vivien était vrai- ment son enfant]. — Il le prends le tient entre ses bras ; — Sept fois le baise au nez et au menton. — Puis, tout bellement Ta^sied à son côté : — « Beau fils, n fait-il, heureuse l'heure de ta naissance ! — J'ai toujours désiré un GU de ma (I femme, — Et, depuis que je suis né, je n*ai jamais éprouvé telle joie. — Quel « est ton nom ? ne me le cache point. » — a Je vous dirai la vérité , répond « l'enfant, — Et ne veux pas vous cacher comment je m'appelle. — Vivien : « tel est le nom qu*on m'a donné aux fonts. » — Le marchand Tentend et en a grande joie. « Fils Vivien, dit le brave Godefroi, — Si tu grandis en force et en sagesse, — « Si tu veux courir les marchés , — Acheter et vendre mes bons draps, T*y « connaître en poivre et en blé , — Etre au courant des mesures, — T'en- « tendre au change et aux monnaies, — Tu seras riche pour toute ta vie — « Et je te laisserai tous mes trésors. » ~ a Vous parlez follement , répond « Vivien. — Donnez-moi plutôt un bon destrier — Et faites-moi présent de deux « bons chiens de chasse. — Apportez-moi enGn un épervier. — J'irai me di- « vertir là-haut dans ces montagnes. •» — « Beau fils, heureuse l'heure de ta « naissance ! — Mais il te faut apprendre à connaître l'avoine et le blé, — Et «* les mesures ; — Tu iras au change pour garder les monnaies. — Je te vais « faire faire une cotte en bon bureau d'outremer, — Avec de bonnes heuses que R tu mettras par-dessus tes souliers , — Afin que le vent ne te fasse pas de « mal. » — « Vous parlez follement, reprend Vivien ; — Je serai un jour Cl adoubé chevalier, — Et je prendrai villes, fertés et chAteaux. — Si je ren- « contre les païens, ils sont morts. » — Godefroi l'entend et sourit. — C'était un noble et brave homme que ce marchand : — Il fil gentiment habiller Vivien. — Il eut braies et chemises en bonne étoffe d'outremer, — Chausses en drap de soie, souliers en bon cuir de Cordoue. — Il i*evét une robe d'outre-mer Qui est toute brodée d'or ; — Puis, on lui attache au cou un petit manteau — Bien fait et bien taillé à sa mesure. — Vivien avait la tète blonde, les cheveux courts et frises, — Les yeux bleus comme ceux d'im faucon, — La chair blanche comme fleur en été. — Tel était cet enfant qui, depuis, eut tant à souffrir, — Qui conquit l'Archant sur la mer, — Bradeluques, les tours de Ba- lesgués. — Il y frappa si bien de Tépée — Qu'il en fut tout ensanglanté jusqu'à la poitrine. — Il était très-beau, gracieux et bien paré, — El tout son corps était fait à souhait. — La marchande se prit à le regarder — Et le vit beau, courtois et bien paré... — Elle le montra du doigt à sou mari : — « Re- « gardez-le, au nom de Dieu, regardez-le. — Quel bel enfant Jésus nous a n donné! — Non, il n*y en a pas de plus beau dans toute la chrétienté. » — « C'est vrai, » dit Godefroi. — Cependant Vivien n'a pas perdu de temps. — Sur son poing il porte un épervier dressé — Et s'en va jouer à la fontaine. — Là, il se mit doucement à chanter, — Et, regardant les prés au-dessous de lui, — Il vil courir l'eau et aperçut les rosiers plantés sur les lK>rds. — Il entendit le chant de l'alouette et de la calandre, — Et alors le souvenir de son fier lignage lui revint en l'esprit. — Il se prit alors à se rappeler son grand- pere, — Puis Girart et le sage Hernaut, — Et Garin, et l'illustre Guichart, — ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN. 39S Vivien Tidéal. C'est Sancho Pança près d'un jeune " paw. u?». n. Don Quichotte qui n a rien de ridicule. Le contraste est vivant. Quant à la femme de Godefroi, elle est ravie : « Voyez-le, dit-elle tout bas à son mari, voyez-le « donc. N'est-ce pas le plus bel enfant de la chré- « tienté?Oh! le beau fils que Dieu nous a donné' ! » Et elle se rengorge. Je crois bien qu'elle s'imagine elle-même, à la fin, être vraiment la mère de Vivien. L'enfant, lui, n'oublie point sa vraie mère, ni Guil- laume son oncle, ni tous les siens. A leur seule pen- sée, son cœur se fond en eau. Mais, chez les enfants, la douleur glisse, et ne tient pas. Vivien essuie ses larmes; il prend son épei*vier et se rend à la fon- taine, en chantant. J'ose recommander à nos peintres ce joli tableau de genre Le marchand un beau jour lui donne cent francs et lui dit : « TenéSy biax filzy de gagnier pensés '. » Vraie parole de marchand, digne de ceux qui encore aujourd'hui confient à des enfants de cinq ans quel- ques sous ce pour les négocier ». Et il ajoute, avec un naturel parfait : « Quand j'ai commencé, j'étais « pauvre, mon fils. J'ai débuté avec six deniers. » Il parait que les marchands n'ont pas beaucoup changé . Et le marquis Guillaume au Court Nez, — Et sa mère, dame Heutace au clair ▼isage. — Du fond de son cœur Vivien commence à soupirer. — Et des yeux de sa tête il commence à pleurer... Godefroi et sa femme furent en grande joie. — Ils ne cessent de louer et re- mercier Dieu à cause de Vivien. — Mais l'enfant n*a cure de foires ni de mar- chés. — Il leur demande nouvelles... — Des grandes batailles qui se livrent à Constantinople, — Et ne cesse de vanter les soudoyers qui se battent là- bas : — «Tu deviens fou, mon lils, lui dit Godefroi. — Va plutôt au marché « acheter cottes et peaux. » — « Oui, s'écrie Vivien, oui, par saint Georges, — .-^fss ionmirB litarfrecienses, et attire aimilôt sozr JXL 1 stifasTàOL àt tout le marché. Il en résulte 3D±aDf imf itfcm émeute, où Vivien rosse gailiard^ sien: ?r«u» ?«s aiversaînes et laisse cinq cadafm fŒr jf cbrrrsoi. Pm«<. il aborde un chevalier, et loi ^fôf c ..-««Dr tronasieaizx > pour avoir des chiem cl un ere-rv^KT i>ne fois. Godefiroi est atteint jusqu m ictiiii if r uDf. L £rB|^ Tenfiinl, il le veut mettre *, zD:«r: . c Moc xrsaitl mon aident! » dit-il. < Tai ( ioï^l: z^ri*^. i ^xwte-t-d en sanglotant. — « Noo i pa5^ m;X3 peïv. repood Vivien qui trouve encore le ft cxxiTJtpf àf ji^ùanter: il nous reste ces lévriersqn c 5CDt ejL«wiief>t& jwar prendre les cailles. » — « J'ai «^ tout j^?âu. ;'jLi tout perdu, b répète l'infortuné Go- demx. Pour le consoler. Vivien lui montre un liéne qu^un de se^ chiens vient de lui apporter : « Voilà, « dit-îL qui vint mieux que toutes vos marchaih « dis^s ' ! » riiia à C^est alors que le pauvre marchand envoie k h rtmmm grande foire de Luiseme-sur-mer notre Vivien ac- deqwifw» conipague de quatre cents hommes. Pour un petit Ium^ marchand, ce corte£:e est singulier, n'est-il pas vrû? sorta^n!l P 190 r«, v«v ^^n*r* ■« « •^^ 398 ANALYSE DES ENFANCES P'IVIEN. Il FABT. LiTB. n. leurs grandes chapes, sous leurs manteaux, ils sont 6BAP. X¥I1. O , , . fortement armés, et attendent les événements. Quant ^ à Vivien, on le conduit devant Vaumaçor qui com- mence à se défier de ces belliqueux marchands, et dont la défiance est trop fondée : « Qui êtes- vous ? de- i< mande le roi païen à notre jeune héros. — Je m'ap- « pelle Vivien , répond-il d'une voix de tonnerre. « C'est moi qui suis le fils de Garin d'Anséune, c'est a moi que vous avez voulu brûler. C'est moi , moi, « Vivien. » Puis, sans plus tarder, il se jette sur Vau- maçor y et le coupe en deux. Le bruit de cette mort se répand très-rapidement dans la ville alarmée ; les marchands avertis rejettent leurs manteaux, appa- raissent tout en armes, montent à cheval et se préci- pitent, farouches, dans les rues de Luiserne. A leur tète, Vivien taille et tue. Ils prennent les tours, ils s'emparent des manoirs, ils pillent les trésors, ils sont maîtres enfin de toute cette vaste cité '. Pour des marchands, c'était bien débuter : ils méritaient d'être chevaliers ! siège de Luiserne j^^îs tout Ce pavs était aux Sarrasius : laisseront-ils ptir les païens ; ^ «^ Vivien, leur ville au pouvoirde ces quelques Français ? Non, ils de succomber, s'indiguent, ils s'asscmblcut, ils sont bientôt cent mille est délivré ^ , , . . , , . i^ t par une armée autour de Icur aucicnnc capitale qu us ont si lâche- ment perdue. « S'il faut rester trente ans à l'assiéger, a disent-ils, nous resterons trente ans*. » Rien n'é-r gale leur rage. Ces monstres aux larges oreilles, aux bouches énormes, aux yeux rouges, dirigent contre les chrétiens assaut sur assaut ; mais Vivien ne s'in- quiète guère de ces efforts qu'il espère toujours re- pousser victorieusement. Cependant une ennemie for- midable, la faim, s'allie aux païens contre les Français « Enfances fivien, f» 190 vo-102 r*. — * F*» 192 r». française. *?. ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN, 399 CHAP. ITU. qui ont trop rapidement épuisé tous leurs vivres. Ils " pa»t. uvb. n. en sont réduits à manger leurs chevaux. Ils pâlissent déjà, ils perdent leurs forces, ils vont mourir enfin, si la chrétienté et la France ne viennent à leur se- cours'. Vivien attend... C'est à cette bonne marchande qui lui a déjà si ten- drement servi de mère, c'est à la femme de Godefroi que le fils de Garin sera cette fois encore redevable de son salut. Elle apprend la détresse de son enfant adoptif ; elle voit que Luiserne va tomber aux mains des païens, que son Vivien est perdu, et elle se ré- sout alors à faire un aveu complet : « Vivien n'est pas ce notre enfant, dit-elle à son mari; je l'ai jadis acheté « aux gens du roi Gormond. Il est de la plus noble « origine. Son père est Garin, son grand-père est le duc « Naimes, son oncle est le comte Guillaume. — Qu'al- « lons-nous faire? demande Godefroi. — Nous allons ce parlir en France, et réclamer à l'Empereur le secours « dont Vivien ne peut plus se passer*. » Notre poète ici commet une faute grave. Il croit nous causer une agréa- ble surprise en nous apprenant que cette marchande était en réalité « la fille d'un marquis ». Nous eussions préféré, quant à nous, croire toujours à la roture d'une femme qui se conduit si noblement et voir en elle le type, ou tout au moins l'idéal de la bonne bourgeoisie du moyen âge. C'est vraiment une désil- lusion. Quoi qu'il en soit, Godefroi et sa femme se rendent toutaussitôt à la cour de l'Empereur, accompagnés de trois cents bacheliers. Garin d'Anséune était alors à Pa- vie, et apprend à la fois l'existence, la gloire et le danger présent de son cher Vivien ; mais l'Empereur ne par- » Enfances Vivien, f» 192 ro-193 r«. — > F» 193 r«. # I CHAP. XTfl. 400 ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN. .1 PABT. uva. II. tage, hélas ! ni l'enthousiasme ni Tanxiété de ce père qui vient de retrouver son (ils et craint de le perdre une seconde fois. Il hésite à secourir Vivien , il bal- butie. Cependant Garin n'appartient pas en vain à cette geste d'Aimeri, où les injures contre le roi sont de tradition : a C'est Guillaume, dit-il^ qui vous a donné « votre couronne, et vous ne viendriez pas au se- « cours de son neveu qui est mon fils ' ! » Mais Ber- nart de Brebant se montre encore plus insolent : a Si demain, dit-il à Louis, tu ne t'es point décidé à a secourir Vivien, je viendrai avec dix mille hommes a abattre ton palais. » Bertrand, fils de Bernart, joint l'action à la parole, et, devant le pauvre roi, tranche la tête d'Helinant de Semur, qui avait osé se pronon- cer contre l'expédition de Luiserne ^. Le sang rejaillit jusque sur l'Empereur qui, à ce dernier outrage, sent enfin l'énergie de son père lui rentrer au cœur, et dé- clare qu'il n'ira point en Espagne. Cette scène est vraiment terrible, et ne manque pas d'unecertaine beauté. DevantLouis se tiennent,debout, frémissants de colère, orgueilleux, menaçants, les sept fils d'Aimeri; ils prennent tour à tour la parole, et in- jurient la royauté avec le roi. A tout instant, d'ail- leurs, ils rappellent à ce pauvre héritier de Charle- magne les immenses bienfaits dont ils Tout comblé; à tout instant ils répètent leur mot favori : /4ins rois de France nefupar noiis boisié. Les terribles protecteurs que ces chevaliers de la geste d'Aimeri ! De bons enne- mis vaudraient mieux. Ils n'ont sauvé l'Empereur qu'à la condition que TEmpereur satisfit au moindre de leurs désirs et allât au-devant de toutes leurs fantai- sies. L'un d'eux a un enfant qui s'est follement aven- « Enfaïues Vivien, fo 193 r>-l04 V*. — > F» 194 i*. ANALYSE DES EfiFAUCES riVIEN. 401 turé en Esparae. Vite, il faut que toute la France se « p^"- u?».ii. CBAP. XTII. mette en campagne pour délivrer ce téméraire : cent '■ mille hommes n'y seront pas de trop. Si lx>uis hé- site un instant, un seul instant, on le traitera comme le dernier de tous les serfs, et l'on égorgera sous ses yeux ses plus fidèles serviteurs. Et encore faudra-t-il qu'il se montre soumis et radieux. Voilà le dévoue- ment de Guillaume et de ses frères ! Cette fois, ils ont vraiment dépassé toutes les bornes , et Louis s'est révolté contre eux : AfouU mal me moine ceste geste Aimeri^ dit ce fantôme de prince ^ « Je ne suis plus le maître dans mon propre palais, » ajoute- t-il avec une tristesse indignée. Il ne peut se consoler de la mort d'Hélinant; mais il réfléchit et se dit que son royaume est perdu, s'il ne va pas en Espagne. Et alors, en vrai roi de comédie, il se décide à contenter Garin, Guillaume et toute leur geste. Soudain les sept frères changent de ton. Ils de- viennent tout de miel, et se confondent en protesta- tions affectueuses dont l'Empereur n'est point dupe. Le fils de Charles a l'esprit traversé de je ne sais quel éclair : il se lève, il se tourne vers tous ses chevaliers qui jouent là un rôle assez piteux et ne s'occupent guère de le défendre : « Allemands, Poitevins, Bour- « guignons , s'écrie-t-il, voyez, voyez ma honte. Il me a faut aller en Espagne pour ces gens qui viennent de a tuer mon sénéchal. » Et, changeant d'avis comme une femme ; « Non, décidément, je n'irai pas, » dit-il, et il retombe épuisé sur son trône ^. a J'ai envie de le « tuer, » s'écrie alors la grosse voix de Guillaume. — a Armons-nous, dit Bernart, et renversons ce palais. » Dix mille hommes étaient là tout près ; ils arrivent, • Enfances rivien, {• 194 r<»-195 r«. — » F» 196 r» el v°. CHÂP. XVII. 402 ANALYSE DES Eli PAN CES VIVIEN. II PART. Livi. II. et se préparent à démolir le palais jadis sacré de - l'empereur de Rome, du roi de France. Et cela en pleine France , en plein jour, sous les yeux de mille barons français qui tremblent et sont blêmes de peur ! Il faut que Naimes intervienne et réconcilie ces fu- rieux avec le Roi. Le meurtrier d'Hélinant, Ber- trand, consent enfin à baiser le pied de Louis... et l'expédition est décidée ^ Quelques jours après, l'immense armée se réunissait à Montmartre et prenait le chemin de l'Espagne'. Était-il encore temps de sauver Vivien ? Cette expédition, d'ailleurs, ressemble à beaucoup d'autresy ou, pour mieux dire, à toutes les autres. Les Lombards en font partie, comme on s'y pouvait attendre, et on leur donne le rôle comique. Ce sont les poltrons de notre drame épique, et, sur la scène, nos pères, qui avaient le rire facile, ne pouvaient s'empêcher d'être tout-à-fait joyeux en voyant leur mine effrayée aux approches d'une bataille. Ici encore ces peureux se mettent à fondre en larmes, et l'Em- pereur les couvre de honte : « Qu'on leur fasse garder « les chevaux, dit-il, en attendant qu'on les brûle vifs « dans un fumier. » Ils pleurent de nouveau : alors Louis se jette sur eux et en tue dix. Il les aurait tous massacrés sur place, ce très-débonnaire empereur, si on n'avait enfin arrêté son bras généreux*. Il est, du reste, interrompu dans cette noble occupation par Tarrivée des Sarrasins. La grande bataille commence. On était encore assez loin de Luiserne où Vivien se mourait. Le héros de cette première journée fut Bertrand qui avait à se laver du meurtre d'Hélinanl. Il se ra- » Enfances Vivien, f 196 r» et v«». — » F' 196 v». — 3 F» 197 i* cl v». ANALYSE DES ENFANCES rtVlEN. 403 chète alors, il se transfigure à nos yeux. ^ Mon père, a faites-moi chevalier, » dit-il à Bernart de Brebant qui, pour toute réponse , le frappe rudement au visage : « Tu ne sais pas seulement comment on se sert d'une c lance. » L'enfant se précipite au milieu des Sarra- sins, après avoir égorgé à moitié un pacifique che- valier du Berry dont il vole les armes. Mais bientôt il est cerné par les païens, et, malgré une défense héroïque, se sent perdu et va mourir. Son père se bâte de venir à son secours, et est lui-même cri- blé de blessures mortelles. On les délivre. « Je vou- c drais me confesser, » dit Bernart. Et il ajoute : « Vivien, mon cher neveu Vivien, vous me coûterez a bien cher. » Plein de justice à cette heure su- prême, il ne veut pas mourir avant que son fils ait serré dans ses bras le pauvre Berrichon qui a été si iniquement dépouillé et battu. Bertrand y consent et devient l'ami de Tinnocent Estormi'. Puis la ba- taille continue. Vivien sera-t-il sauvé? Peu de temps après, les Français vainqueurs aper- cevaient enfin les murs tant désirés de Luiserne. Est-il besoin d'ajouter que les Sarrasins furent aisément mis en déroute et massacrés par les chrétiens ' ? Ce dénouement n'était que trop prévu. Mais que de scè- nes touchantes suivirent cette victoire banale ! Guil- laume prit par la main ce jeune, cet éclatant Vivien qui avait singulièrement grandi dans ses périls et dans son triomphe. Le comte d'Orange le conduisit silencieusement à Garin d'Anséune, et tout à coup : « Mon frère, dit-il, voilà votre fils^. » Le père et le fils, également émus, délacèrent leurs heaumes, se regardèrent, se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Il PAkT. UTC. 11. OUP. XTII. Entrée Tictoriense det Français à Lniaerne; Garin KToit enfin son fils qa*il croyait mort; fin des enCinoei de Vif ien. « Enfances rivien, fo 197 v<»-199 v». — a fo 199 v»-200 ▼**. — 3 F« 200 v». CRAP. XVII. 404 ANALYSE DES ENFANCES VIVIEN. 11 PART. UTR. II. Maïs Vivien ne pouvait pas oublier son père nour- ricier, ce pauvre Godefroi qui était venu à Luiserne avec Tarmée française et qui avait été, lui aussi, mo- destement héroïque. Le jeune et beau vainqueur s'in- clina devant lui, et lui dit d'une voix très-douce : a Je ce vous ai jadis causé beaucoup de peine. Je vous en de- ce mande pardon et vous fais présent de toute une a ville ^ » C'est alors que l'armée française acheva ses préparatifs de départ. Guibert retourna à Andrenas, Beuves à Commarcis, Bernart (qui s'était presque mi- raculeusement guéri) à Brebanty Naimes en Bavière, Guillaume et Bertrand à Orange, Garin et Vivien à An- séune*. Faut-il cherchera peindre la joie profonde, dé- licieuse, de la pauvre Heutace en revoyant son fils et en le serrant dans ses bras? Une belle procession sor- tit d'Anséune au-devant de Vivien qui avait été perdu et qui était retrouvé. Les prêtres chantaient, les châsses étincelaient, les jongleurs dansaient. Tout le monde riait et pleurait en même temps. Vivien parut alors, et l'enthousiasme fut à son comble^ Et c'est ainsi que finirent ses enfances. « Enfances Vivien, f» 200 v«. — » F» 200 vo. — F» 201 i*. C'est à U suite du tableau de ces fêtes que se trouve, dans le teite du manuscrit 1448, le curieux récit des enfances de Renouart, fils du roi Desramé, de sa lutte avec son maître Piccolet, du philtre qu'on lui fait boire, de son arrivée en France où il est acbeté par Tempereur Louis, et de ses premiers exploits dans les cuisines impériales (f» 201 r>-203 r<*). Nous analyserons ces Enfances Renouart dans un de nos prochains chapitres (chap. XXI). Le trouvère com- mence ensuite à raconter Tadoubement de Vivien avec un luxe de détails que nous aurons lieu de reproduire ailleurs (f» 203 r«-204 r?). Cet adoubement se compose en résumé de quatre cérémonies : l» Le bain. 2** La remise de Tépée. 3* La coUe accompagnée des mots : « Sois preux, » k° La quintaine. ANALYSE DU COVENJNS VIFIEN. ¥ih CHAPITRE XVIII. LE NEYIU DE GUILLAUME (SUITE). — EXPLOITS, VOBU FATAL ET DÉTEESSE DE YIYIEN. (Li Covenans Vivien ".) Il FAHT. UTB. II. CBAP. Xf III. I. C'est Pâques, c'est la plus joyeuse des fêtes. A Thi- Anaiy» ver succède l'été. L'Église célébrait autrefois ce grand Vivien. > NOTICE BIBUOCSRAPBIQUE ET HISTORIQUE SUR LE COVENANS VIVIEN. ~ 1. BIBLIOGRAPHIE. 1» Date db la composition. Le Coce/ia/ri Vivierif qui fait corps avec jilucans^ nous parait remonter aussi haut que ce dernier poème avec lequel il a dû être primitivement confondu. La rédaction que nous en possédons aujourd'hui jieut remonter à la fin du douzième siècle ; mais il y a certainement eu une rédaction antérieure. — 2* Auteub. Le Covenans Fivien est anonyme.— 3» Nombbb de vkbs et nature de LA versification. Dans le manuscrit français 1448, le Covenam a 1954 vers; dans le manuscrit français 774, 1570 vers (mais la fin manque); dans le manuscrit 1449, 1760 vers (il y manque le premier et le dernier feuillet) ; dans le manuscrit 368, 1920 vers; dans le manuscrit 23 La Vallière, 1820 vers. = Ce sont des déca- syllabes. == Sur douze laisses féminines trois sont rimées (les deuxième, troisième et septième, ainsi que la dernière partie de la onzième, et nous prenons ici les manuscrits 1448 et 774 pour type); les autres sont assonancées. = Dans le manuscrit de Boulogne, les laisses sont terminées par Thexasyllabe qui ne se rencontre point dans les autres manuscrits. = C'est le texte de Bou- logne que Ton devrait, suivant nous, prendre comme base de la publication de cette Chanson. — 4» Manuscbits cofcnus. Le Covenans nous est resté dans sept manuscriu : a. B. I. fr. 1448 (du f« 203 r« au f^ 216 r«), treizième siècle, h. British Muséum, Biblothèque du roi, 20 D. XI (du f« 134 v^ au (• 140 v»), treizième siècle, c, B. L fr. 1449 (du f» 79 r« au f» 93 r«), trei- zième siècle, d. B. I. fr. 774 (du f^ 71 r» au f» 81 r«), treizième siècle, e. Ma- nuscrit de Boulogne (du f« 81 vo au f« 93 r°), treizième siècle, f, B. L ma- nuscrit 23 La Vallière (du P 194 r« au f» 195), quatorzième siècle. ^. B. I. fr. 368 (du fo 183 v« au f» 189 v°), quatorzième siècle. ~ 5» Version en prose. Le Covenans n*a été mis en prose, à notre connaissance, que dans la grande com- pilation du manuscrit 1497. Nous en donnerons tout à l'heure un extrait ; en voici les rubriques : /cj commence à parler de Vivien^ le fils Carin, com- mun/ il /tut fait chevatUer par la main du sien oncle Guillaume au Court Net (fi 340 v"), — Comment les Crestiens noyèrent la nafvire des Sarrasins quant Erofte et ses hommes en furent partis pour aller courir et fourrer le pais (f» 843 r*). — Comment Girart de Commarchis et ses homes eurent nouvelle CHAP. xvin. 406 ANALYSE DU COFENANS VIVIEN, II PAkT. uvR. IL jour par le baptême en masse de tous ses catéchu- mènes qui, après avoir assisté à la longue veille du de Vivien, et comment Clargis fut occis par le roy Clarrant (f» 347 r»), _ Com- ment Vivien conquesta Morignial^ le bon cheval^ et comment Esrofie U Grani occist le bon roy Libanor {Î9 349 vo). — Comment Desramé vint asseigier à 'XVIII* rois sarrasins le cheutel cTArle, là oit estaient retrais Vivien, Girarl, Hunault de Sainctes et leurs compaignons (fo 351 \'^). — Comment Gnillaame d^Orange 'vint au secours de son nepveu Vivien gui estoit assiegié en Arle le Chastel (f» 354 r«). — Comment Desramé et ceulx de sa compaignie scéurent Im venue de Guillaume d'Orange et du secours qu'il amenait à Vivien son nepveu (P* 357 r°).— 6*^ Diffusion a l'étranger. Nous ne séparerons pas ici le Co- venons à^ Aliscans, et renvoyons nos lecteurs à notre Notice de ce dernier poëone, — V Édition imprimée. M. Jonckbloet a publié le Covenans au tome I de soq Guillaume d'Orange (pp. 162-213). Il Ta traduit sous ce titre : Le Vœu de Vivian [Guillaume d! Orange^ le Marquis au Court Nez,pp. ^03-239). Par mal- heur, presque toute la couleur de l'ancienne Chanson a disparu dans cette tra* duction trop prosaïque. — 8** TRAVAUX DONT CE POÈME A ÉTÉ L^OBIBT. a. M. P. Paris Ta analysé en 1852 dans le tome XXII de V Histoire Uttérmre (pp. 507-511). 11 lui a donné le nom de Chevalerie Vivien, b. Dans son Guil» laume d'Orange , M. Jonckbloet a éclairé les origines historiques du Covenans eo même temps que celles d^Aliscans (II, p. 41-59). c. L. Clarus, d'après des ouvrages de seconde main, a donné une nouvelle analyse du Covenans (^Henog Willielm von Aquitariien, p. 234-243). —9** VALEUR LITTÉRAIRB. Le Copemuu est, suivant nous, le plus beau poëme de tout le cycle de Guillaume : il en est le plus beau parce qu*il est le plus primitif. Il faudrait le traduire tout entier ; les beautés les plus \Taies y abondent. Aliscans présente certaines inégalités qu'on ne rencontre point dans la trop brève Chanson qui lui sert d*introduc> tion. Rien de plus fier que le déi)ut du Coveuons , rien de plus héroïque que tout le personnage de Vivien. Je veux bien qu'il soit copié sur Roland; mais, il faut l'avouer, jamais copie d'un grand maître n'a été si près de l'original ! II. ÉLÉMENTS HISTORIQUES. Le Covenans est tellement lié à Aliscans que nous ne pourrions que répéter ici, par anticipation, tout ce que nous dirons un peu plus bas dans notre Notice d' Aliscans. La grande bataille où succomba Vivieu et où Guillaume fut mis en fuite est racontée presque tout au long dans le Covenans; les deux poèmes ont donc identiquement les mêmes éléments historiques et légendaires.... III. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. Nous les indi- querons également dans notre Notice d' Aliscans : nous n'avons à signaler ici que la version, singulièrement déformée, du manuscrit 1497 : n Or dit l'istoire (|ue vaillamment et par belle ordonnance se rengiérent les nobles Crestiens de- vaut les Sarrasins qui plus estoieiit de cinq contre ung. Et moult faisoientles Rois qui les conduisoient à douter, car la plupart estoient jaians qui pour avoir chascun .XX. chevallierz devant eulx ne s'en fcnssent jà fouis. Et lorsque leurs establissemens furent fais, environ reiirede tierce, sonnèrent plus de .XXX. mile cors les Sarrasins. Sy convint les Crestiens esmouvoir ad ce que cnclox elseur- pris ne fi'ussent par avanturc : car jà se avanr> ealraenl de* S*mDinienclox,elpourcecrioienl sou- doien et laaaulx encouraigier, cbeviukba Fourque* de Heltaiu lequel avoit le commandement et la charge de par Guillaume du jeune chevallier Girardinl. El moult vaillamment le prouva eu l'eitonr, et si faisoil (iirardin d'ADMeune... Aiinl que, en brochanl le baulcbaiil, il (Guillaume) aparcéul Vivien qui aux gen* du roj Auuibier s'rsioit mellé el avoit autquet i betongner : car choicuii de> pajciu delirail ta mort pour le damaige qu'il leur faiMil. Si le anùenl comme atironné cl enclox. El qiiaiil Guillaume l'apercéiil il cria : » Orange '. ■ Inri, ijr biuttcmenl que bien l'oujr Ciranlin, ne mîil guiere* à le lieiivir et ù atinl H boula i dextre et t seneitre de l'etpée qu'il leooit en ton poing qu'il rumpir U prene, véant Guillaume qui moult le plaignjr, pour tant qu'il luj tambU qu'il H Ixnilail trop avant, tl. detanl Vivien le tien frère, fer}> le ro; Haiidion *'7 airiemeni que heanlme qu'il fuit ne coiiïelte ne 1» »crur*nt garantir que mort ne le portatt pannf >a bomma. Hai* i celle heure lujr turent bon m»- lier Vivien, le tien frère, el Guillaume d'Orange; ctr til»l comme ils ont HiiHlioiia iirrii, te* hnmmrt Ir auaillireDl li CêremPOt que jamais du clump ne féual lif parlj tant leun lecAin, ne povoir ne ivM de lo; mangier quant ils curenl ton rhrvul soubi luy onAt, *c Vivien, qui ja l'atoil bien apatcéu, ne l'éuil congnêu. Vivien vèani Cirardin le tien (rereabalu,.. en lu pieue w lanra par une tortv... le ht remonter... et du^a le* geni du roy Hendion comme bon du champ... Or («toit par U Iwlaille le rojr Vtlrgrappr qui à hs jeilU avoit tèu Vivien le chevallirr Caire meneilles d'anue* ri tr» hommes délran- cliier, occire el abilre et laul taire que cWiCun le biiiiil. !>y en jura lea dieux que il en auroit lengemenl. Il lenint ung graiil biitarl d'acier large et Inn- chanl ri bien runoulii si vînt im Vitirn que il avait paiirgrlli- de longue 408 ANALYSE DU COFRNANS VIVIEN. II PART. Liviuii. robes blanches. Mais, à l'époque féodale, on soleiinisait aussi les fêtes pascales par une cérémonie plus militaire. main et bien le cuida payer morlellement d*icellui coup, ouquel n^avoit re- mède nul y se grâce Dieu n*y éust ouvré. Car il dévala son fauzart sur son heaulme qui moult fut fîu, quant dedans ne péiist le taillant embatre; si chéy le coup à costé en glissant vers la destre, et lui coupa la maille, le haucqueton, et la char méesmes lui entama tellement que par fine angoisse le convint chéoir... U ne géust guières longuement au fort : car force lui estoit qu^il se relevait s'il ne vouloit honteusement mourir. Et, quant il fut remis sur ses pieds et il se senty de son espée gamy, il cria : « Orange et Ansséune ! » si clerement que bien eolendi Guillaume sa voix... Et lors picquerent Bertran, Guillaume et Girardin d*Ans- séune..., ne jà ne Téussent véu ne trouvé, synon au cri qu*il faisoit souvent en marchant et cheminant tousjours avant sur les payens, car ainssy Tavoit-il prommis et voué. Et tant firent en pourssieuvaot par force vive que ils le trou- vèrent voire couchié emmy le champ ; car de frès Tavoit .1. Sarrasin féru et percié tout oultre le corps d*un glesve tranchant.. . Et estoit son lieu et sa place toute tainte de sang environ luy,... et Guillaume... le vist ainssy assolé et concilié ou miUîeu de ses ennemys qui tous frapoient sur luy et occire ne le povoient... Et entre les aultres en y avoit ung qui plus malmenoit le che» vallier Vivien que nul aultre. Et qui son nom demanderoit, dit Thistoire qu'il estoit appelle Dannebus d'Aoquillée, oncle du roy Bauldus. Cçluy avisa Guil- laume le premier et, de Tespée qu'il tenoit, lui donna un coup si grant entre le le col et chapel que le'chief à tout le heaulme lui emporta emmy le champ... Vivien... par terre ne séjourna, quelque blessure qu'il éust; ains se leva legiè- rement et... monta ou cheval Danebus que Guillaume lui présenta. Mais grant pitié fut de le voir... car tout son harnais estoit descoppé,... son corps méesmes navré et sanglant, si qu'en son fait n'avoit que povre espoir... Guillaume s'a- proucha de luy, disant : « Temps est de vous reposer, nieps Vivien, fet-il, car n à voiistre semblant estes de vos membres travaillié et de voustre [corps] m u mal sain que bon féust de vous rctralre en quelque destour : si vous aiderai « à conduire. ^ Et lors respondi Vivien en le regardant ausques par despit : n De ce ne parlés, beaux oncles, fet-il ; car je ne me seut de rien empiré. Mais H pences de cheminer devant, et je vous sieuveray sans reculler, à mon povoir; «( ou me sieuvés à toutes avantures et je chevaulcheray devant. » Et à ces pa- rolles s'est Vivien rebouté en la bataille... Et tiint fist d'armes que par avant n'en avoit point tant fait; car la mort qui le conduisoit lui faisoit copper bras, jambes, testes... et fendoit Sarrassinsjusques es poittriues... Si que bien l'avisa Aussibier, le jaiant, qui trop s'en merveilla, et bien le i*ecognust à ce que l'avoit Valegrappe combattu... Il poigny son cheval des espérons adonq et tant traverça qu'il aproucha Vivien,... haulça l'espée qui longue estoit et lai-ge avoit le taillant... et lui convoya l'alemelle en droit le bras et le costé si rustement que mortellemenl le nafvra avecques ce que jà l'avoit esté en plus do dix lieui. Mais rien n'en sentoit, ains frapoil tousjours avant au myeulx qu'il povoit... Comme Aussibier éust Vivien liabandonné ou pardu dans la bataille. Vivien s'en alloit par Arleschant et vers la mer, chassant à l'espée les Sarrasins devant luy comme ung bonis desvés et hors du sens qui ne sa voit quelle part la mort le menoit. >. (B. I. fr. 1497, p. 363 ro.366 r*.) ANALYSE DU COFENJNS ViFIEN. 409 C'était le jour où Y on adoubait les nouveaux cheva- hfabt. litb.ii. lîers. La chevalerie, d'ailleurs, peut être considérée comme un second baptême.... Guillaume Fiérebrace est depuis longtemps dans les murs d'Orange, où il cherche en vain le repos. Au nord, au midi, partout surgissent de nouveaux enne- mis. Les Sarrasins semblent ne quitter la France que pour y rentrer avec plus de rage. Ce sont d'éternels combats, et la pauvre Guibourc passe ses jours à armer et à désarmer Guillaume. Mais enfin, voici un jour de calme. Ces Pâques vœu 1111/ 1 ^ ViTicn. doivent être aujourd'hui célébrées avec une plus vive ii jure 1. /•,!,.. Il étint Jamais solennité. Il ne s agit rien moins que de donner reculer d'on paa l'épée et le baudrier chevaleresques à Vivien, le neveu lea sarrmtina. de Guillaume, le (ils aîné de Garin d'Anséune. Et comme on veut lui faire honneur, on adoubera cent autres damoiseaux avec lui. 11 faut que ce jour soit tout-à-fait illustre et glorieux ^ Hélas! il sera plus mémorable qu'on ne pouvait s'y attendre. C'est à ce jour, en effet, qu'il convient de faire remonter l'origine première de la grande défaite d'Aliscans. A peine est-il couvert du haubert et du heaume, à peine peut-il brandir sa nouvelle épée, que Vivien se sent comme enivré d'orgueil et de courage. Vivien, comme nous l'avons dit, c'est Roland. Il se dresse tout à coup au milieu de la cour de son oncle, et élève la voix en présence de tous les vieux che- valiers, en présence de tous les nouveaux adoubés : a Je fais un vœu, dit-il ; oui , je le fais devant le « Seigneur Dieu, devant vous, mon oncle, qui venez « de me donner cette épée ; devant Guibourc qui m'a * Covenans Fmen^ texte de TéditioD Jonckbloet , d'après le ms. de la B. I.fr. 774» arec des variantes tirées du ms. 368, vers 1-11. II PART. LITR CBAP. XTIIX. 410 ANALYSE DU COVENANS VIVIEN. .„. « si tendrement nourri; devant tous]vos pairs, devant a vous tous. Je jure, entendez-le bien, de ne jaueais « REGULER d'un SEUL PAS devant les Sarrasins. » Vœu téméraire, vœu insensé, vœu qui va bientôt faire cou- ler des torrents de sang français ^ . I Le Vqbu de Vivien. (Traduction littérale.) C* était à Pâques- que Pod dit en élé: » — Guillaume avait adoubé Vivien, — Le fils aîné de Garin d*Aiiséune. — Pour Tamour de Vivien il avait armé cent chevaliers avec lui, -r- Et Vivien dit : a Bel oncle, entendez-moi. — Vous me donnez cette épée, mais je la reçois à une (c condition seulement : — G*est que je fais la promesse, en votre présence, à mon a seigneur Dieu, — A ce Glorieux 'plein de majesté sainte, — En présence de « Guibourc qui m'a si tendrement nourri, — Devant vous, devant tous vos « pairs, — Que, durant toute ma vie, je ne reculerai jamais d'un seul pas — n Devant Sarrasins, Esclavons et Turcs, — Dès que j'aurai endossé le haubert, n — Dès que j'aurai lacé le heaume en mon chef. — Non, quel que soit le n nombre des 1 urcs acharnés après moi ; — Non, pour qui que ce soit au « monde , je ne fuirai pas !» — « Mon neveu , dit Guillaume, vous vivrez peu ce si vous voulez tenir envers Dieu un tel serment. — Il n'y a pas d'homme, « quelque preux , quelque baron qu'il soit, — Qui ne soit forcé de fuir quand « il est serré de près par de trop nombreux ennemis, — Sur le champ 4ie bt* « taille. — G'en est fait de lui, s'il ne se retire devant eux. — Beau neveu, ce « n'est vraiment pas là un vœu à tenir. — Vous êtes jeune, laissez cette folie, « — Et, s'il arrive que vous entriez jamais en bataille, — Ne craignez pas de Ainsi ce jour, si joyeusement commencé, se ter- mina au milieu des plus tristes pressentiments, et presque dans les larmes. II. Tout aussitôt, Vivien songe à lever une armée de NoÙTcaux . ' c • ' rr * *. j> exploits croises. Son unique pensée^ en ellet, est d essaucier de viTien la loi Deu^ et il ne comprendrait point qu'on servît la ^"ïrcrnauiT*' cause de la Vérité autrement qu'avec l'épée rouge de sang. Dix mille chevaliers et damoiseaux vien- nent se ranger autour de lui. Ils sont tous jeunes et ardents : avec eux Vivien conquerrait le monde, avec eux il conquiert l'Espagne. Une fois les païens dé- busqués de ce beau pays, on peut espérer que tout l'Occident en sera bientôt délivré. Par malheur une vertu manque à ce trop jeune chevalier : la générosité. Il a contre les Sarrasins une ans. — Pendant sept ans il ne s'est pas reposé un seul jonr, — Et n*a cessé de tuer Persans et Sarrasins... » (B. I. fr. 774, vers 8-71.) I Covenant Viplen^ vers 12-46. 412 ANALYSE DU COVENANS VIVIEN, " cHAP.' xvni "' ^^"^ haine qu'il devient prématurément féroce. A^ec les infidèles, pas de quartier. Vivien appartient à celte race de soldats sans entrailles qui ne font pas de pri- sonniers et tuent tout. Jamais, jamais Roland n'a été jusque-là, et c'est pourquoi il est supérieur à Vivien, c'est pourquoi il est plus Français que lui. Vivien, hélas! va encore plus loin. Les femmes, les enfants, n'ont aucun droit à sa miséricorde, à sa pitié : « Tuez-les, tuez-les, » dit-il. Il ne prend de joie qu'à voir toutes ces tètes coupées, tout ce sang répandu. Cette geste de Guillaume, en vérité, est parfois primi- tive au point de devenir infâme. Qui le croirait? Vivien va encore plus loin. Oui, il fait pis que de couper les têtes des enfants et des femmes. Un jour (quelle douleur de trouver de tels épisodes au milieu de nos plus beaux poèmes !), il se rend maître de cinq cents païens. Il pourrait les massacrer sur l'heure, et ce serait déjà horrible. Mais il préfère les assassiner avec une lenteur très-cruelle. Il leur fait couper le nez et les lèvres^ trancher les pieds et les poings, crever les yeux. Puis, il expédie les cinq cents masses sanglantes au roi Desramé qui est alors à Cordres'. Quelle joie pour lui de penser à l'étonnement et à la rage qu'éprouvera le roi païen à la vue de ces horribles mutilés! Vivien en rit d'avance. Et telles sont les cruautés qui vont tout à l'heure provoquer en effet la colère de Desramé, son départ j>our la France , ses représailles à Aliscans , et la grande défaite des Français par les infidèles. Il faut avouer que les Français auront bien mérité leur sort. Et, quelque surhumain que soit l'héroïsme de Vivien, I Co¥€nan» Fivien, vert 47-88. •»•■• éC ANALYSE DU COFENANS F IF! EN, 413 Quelque iDvnûsemblables que soient ses exploits, "i*aiit.utb. n. qaelque éclatante que soit sa beauté au milieu de la '■ — ^~ mêlée d'Aliscans , nous ne pourrons plus désormais lui accorder une admiration sans mélange. Il faudra, devant tant de courage, nous représenter sans cesse les cinq cents mutilés, les cinq cents victimes de Vi- vien, et nous dire que tant de cruauté ne méritait même pas une défaite si glorieuse m. Le roi Desramé est loin de s'attendre à tant de dou- leurs; il se repose joyeux dans les délices de Cordres : c Je suis en paix avec Guillaume, » dit-il. Et voici qu'il profite aujourd'hui de cette trêve pour célébrer son dieu Mahomet ^ Tout n'est que joie autour de son palais. Les Sarrasins sont en liesse, ils chantent. Tout à coup, arrive un vaisseau sous les murs de la ville. On y entend d'horribles cris, on se précipite, on regarde. Ce sont les cinq cents païens que Vivien en- voie à Desramé, aveugles et mutilés ; ce sont ces cinq cents cadavres. Quatre Turcs ont été chargés de diri* ger cet envoi fatal : « Voici ce que vous adresse le a neveu de Guillaume, disent-ils au roi épouvanté. « Oui , c'est Tœuvre de Vivien qui vous a enlevé (c Luiserne, qui a tué votre neveu Marados et tous vos a parents, qui a briiIé, pillé et dévasté toutes vos « terres et, qui, en ce moment, ravage votre pays de « l'Archant. » Et les messagers ajoutent, en tombant aux pieds de Désramé. « Pitié, pitié, seigneur ! Si A vous ne venez point à notre secours, nous sommes c morts ^! » Desramé, d'abord confondu et épou- vanté, jette un grand cri : « Maudite soit la geste > Covenans Vivien^ vers 89-104. — * Vers 105-149. Dépirt dePémir Desramé, et de la grande armée pileime pour reipédiikm qui doit ae lerminer à Aliscaos. 414 ANALYSE DU COVENANS VIVIEN. iiPART.LivR.il. « dWimeri et de Guillaume! » Puis : a A moi leS CHAP, XVIII. « païens de toute ma terre, à moi tous mes barons 1 ce Puisque Vivien est à TArchant, marchons droit à cf TArchant'. » Alors se prépare contre la chrétienté et contre la France la plus formidable expédition qu'aient jamais entrepris les Sarrasins. La guerre de Roncevaux, oui, cette guerre de géants ne saurait elle-même être com- parée à celle qui va commencer. Desramé envoie ses brefs dans tous les royaumes païens*. Trente rois ar- rivent, fous de rage, et pensant déjà tenir Vivien et le tuer, tenir la France et la garder. Dans les rangs de cette armée immense, frémissent certains peuples primitifs qu'on n'avait jamais vus jus- que-là. Ils aboient, ils hurlent, ils poussent des cris de sauvages , et c'est par cent milliers qu'on les compte. Les païens d'Espagne et ceux d'Orient sont là. Voici le roi de Saragosse, et voilà les Assassins, les Sama- ritains, les Syriens. C'est l'Islam tout entier à sa proie attaché, et cette proie, c'est l'Occident chrétien , c'est TÉglise. Enfin, tout ce grand rassemblement est terminé, et l'armée païenne est complète. Le jour se lève clair et beau, les oiseaux chantent, les bocages sont en fleurs : c'est le printemps. Le moment est venu de mettre à la voile vers l'Archant. Quel tumulte que celui de cet embarquement! La mer en tremble. Cette flotte sans pareille , cette armada païenne cingle à toutes voiles vers la France ; « Si nous trouvons Vivien à (( Aliscans , disent les Sarrasins , c'en est fait de rc lui. — Nous assiégerons Guillaume dans Orange, * Covenani Vmen, vers 150-176. — «Vers 176^204« ANALYSE DU COVENANS f'IVIEN, 415 a disent les autres. — Et nous lui reprendrons sa "tart. u?b.u. « femme Guibourc pour la rendre au roi Thibaut. » Ainsi parlent les Païens, et ils s'approchent du théâtre de la grande bataille '. Pendant ce temps Vivien était tranquille, et ne s'at- tendait à rien. Pauvre Vivien !... IV. bauille; cnarage bérobiae de Vivien. Vivien était dans l'Archant avec ses dix mille Déiiarqucment bacheliers, lorsque tout-à-coup il entendit un grand commencements tumulte sur la mer : « Qu'est-ce que cela ?» se dit-il, ^"*'* et il se précipite sur le rivage. Soudain, à l'horizon, vers la gauche, se détache toute la flotte arabe avec ses voiles blanches , étincelantes d'or , couvrant une lieue de mer... « Ali! ce sont les Sarrasins, » s'écrie le neveu de Guillaume. « Nous allons avoir une fière « bataille. » Alors on vit ces soldats , élite de la France, pâlir et trembler comme des enfants. Pour la première fois, ils connaissaient la peur ! Le seul Vivien ne s'effraye point, et reste fièrement debout : « Ne crai- • — Quant on l'entendit parler si fièrement, — Le plus hardi se mit à trembler, — Sembla perdre de son sang et changea de couleur. — Les dix mille Français voient la flotte — De cette gent infâme et mécréante; — Ils voient toutes ces voiles tendues sur la mer, — Ces vaisseaux qui couvrent nue étendue d'une lieue. — Parmi les païens, les uns crient et poussent des huées, les autres aboient, — Et les chrétiens entendent le tapage de leurs trompettes. — Tous changent de visage : — « Que la sainte Vierge nous vienne en aide, • «t se disent-ils l'un à l'autre.— L'heure de notre mort est venue, la chose est cer- u laine. « — Vivien l'entend, Vivien au front terrible ; — Il secoue la tète, il roule les yeux : — « Bonne gent qui avez reçu l'absolution, dit-il à ses hommes, — ANALYSE DU COFENANS FIVIEN. 417 Vivien engage la lutte très-vivement etne donne même " p^". litr. h. I J J '1 ' 11 CHAP. XVllI. pas aux païens le temps de débarquer. Eperdu de rage, « N*ayez aucune peur de ces mécréants, — Que vous voyez en si grand rassem- « blement devant nous. — lis ne reçoivent de Dieu aucune aide, aucune force. « — Ne perdez point la tète, et venez ici, près de moi : — Que chacun de vous « tienne au poing Tépée nue. — Ceux qui mourront ici, leur âme [sera bien « venue là-haut avec les Anges]* — Et sera reçue dans le haut Paradis. — ■ Dieu nous aidera, — Si nous ne* fuyons pas devant ces mécréants !» — Et Garin, qui a vu les païens, dit alors : — « Mon neveu, vous parlez follement ; « — La gent païenne est vraiment trop nombreuse ! — Envoyez un message à « Guillaume, — Et vous en recevrez aide et renfort. — Mais, sans tarder et A bride abattue, faites-lui demander ce secours. » Girart de Commarcis, le preux, dit alors : — « Neveu Vivien, ce n'est pas « là un jeu pour rire. — il y a devant nous tant de Sarrasins et de Persans — « Qu'ils sont soixante et dix contre un. — Tout notre effort aboutira à peu « de chose. — Nous ferions mieux de battre en retraite, si c'est votre bon « plaisir. » — « Mes amis, dit Vivien, ne vous troublez point : — Ne sommes-nous « pas jeunes et bacheliers de prix? — N'avous-nous pas des armes à volonté, « — Et de bons chevaux arabes qui courent bien ? — Puis , ne croyons-nous «( pas au roi du Paradis — Qui est mort et ressuscité P — Ces païens, au con- « traire, [ne croient qu'à T Antéchrist]'. — Tous leurs Dieux sont misérables et ché- «* tifs, — Le nôtre en vaut cent dix comme les leurs. — Pour moi, j'ai fait le Ver» 587-610. — 3 Vers 611-672. PAKT.ufm.n. caiAP. xnxL caiAP. xviii. 420 ANALYSE DU COVENANS VIVIEN. iiPABT.uvB.li. forbi d acier. Or me swez. et s' irai tout premier! » Et il y va*. Alors on vit une chose extraordinaire. Quelques milliers de Français (de tout jeunes hommes, des enfants ) se lancèrent à corps perdu à travers quel- ques cent milliers de païens. Ils avaient devant eux le château que Vivien leur avait montré; c'était le but qu'il leur fallait atteindre malgré tout. Ils le virent.... et l'atteignirent ; mais ils durent passer, sanglants, sur le ventre de leurs innombrables ennemis. A droite, à gauche, ils coupaient des bras, des jambes, des poings; ils tranchaient des tètes, ils perçaient des cœurs: ce fut une gigantesque boucherie. Quinze mille Sarrasins périrent dans ce combat, et la légende assure que le seul bras de Vivien en massacra mille. C'est ainsi qu'ils pénétrèrent dans le Château des géants, comme une flèche arrivée à son but =*. Desramé pleura en appre- nant ce premier triomphe : « L'assaut! s'écria-t-il , «( l'assaut ! » et il se décida à le donner dès le len- demain matin. Quanta nos Français, ils se reposaient enfin et comptaient leurs blessures. Vivien en avait déjà quatre, horribles ; mais il exultait de joie : « Oui, ce disait-il, je suis rudement blessé ; mais, grâce à Dieu, « je me suis bien vengé. Quand Guillaume et Guibourc « trouveront ici nos corps martyrisés , ils n'auront a pour nous que des louanges. C'est pour Dieu, sa- cc chez-le bien, que vous supportez tant de peines; « vous êtes les hommes de Dieu et votre récompense « est au Paradis^. » Les malheureux, en effet, n'étaient pas au bout de leur rude épreuve. Ils n'avaient rien à boire, rien à manger; ils en étaient réduits à tuer leurs chevaux. Vous pouvez penser si celte nuit fut affreuse. » Covcnans l'ivlen, vers 673-754. — > Vers 765-770. — 3 Vers 771-801. ANALYSE DU COFENANS VIVIEN. 421 Dès le premier rayon du jour, ils entendirent un " pabt. uvb. n. grand bruit au dehors : c'étaient Desramé et ses trente rois qui mettaient le siège devant ce château, ou plu- tôt devant cet hôpital fortifié '. Les Français se regar- < COMMBICCBMBNTS DB LA GHAIVDB DÊFAITB. ( Traduction littérale. ) Grande fut la bataille en TArchant sur la mer, — Mais en vérité les Escla- vons et les Sarrasins étaient trop en force — Et Vivien ne put soutenir leur choc plus longtemps. ^ Et, quand il vit ses hommes tomber à terre, — 11 en ressentit une telle douleur qu'il ne put dire un mot. — C'est en vain qu'il frappe et frappe encore de grands coups de son épée : — Il ne peut parvenir [à percer ni à entamer les païens]^. — Voyez- vous Girart ? il interpelle son neveu et lui dit : — « II serait temps de penser, sire Vivien, — A la façon dont nous « pourrons sortir d'ici vivants — Et échapper à la mort. — Car ce serait grande « douleur de mourir! » — Et Vivien lui dit : « Je voudrais vous voir consentir « — Au bon conseil que je vous veux donner. — Moi, je n'ai nul désir de re- « tourner en arriére ; — Car je veux avant tout [garder le vœu que j'ai fait à « Dieu ! y. — Mais j'aperçois là-bas un château — Que les géants ont fait n. fortifier (il y a bien longtemps de cela). — Si nous pouvions si bien frapper a de nos épées — Et rester maîtres contre les païens de tout cet espace qui est « là devant nous, — Si nous les pouvions repousser jusque-là, — [Si nouspou- n vions enfin nous enfermer dans le château] **, — Nous sauverions peut-être « notre vie, — Et demanderions du secours à Guillaume. » — « 11 est fou, disent « alors les Français. — Comment peut-il espérer traverser cette foule de païens « — Et les repousser jusqu'à celte roche? — Quant à retourner en arrière, il « n'y pense guère. » (c 0 belle chevalerie ! dit Vivien, — Si nous pouvions si bien frapper avec le « tranchant de nos épées, — Si nous pouvions percer cette armée de païens — « Et pénétrer jusqu'à [ce grand tertre là-bas] **, — Jusqu'à ce vieux château n sauvage ! — Les murs et les créneaux y sont encore — Ainsi que les fossés qui n sont anciens et formidables. — Francs chevaliers, la nuit tombe déjà. — Si (t nous pouvions aujourd'hui y prendre nos logements, — Nous nous y défen- « drions [assez de temps]** — Pour que Guillaume vint nous secourir, — M Avec le comte Bertrand et monseigneur Gautier de Termes , — Avec Gaudin n le Brun qui a fait tant de belles joutes, — Avec tous ces barons qui ont re- « fourbi leurs heaumes à Orange. » — « Comment cela se pourrait-il? » ré- pondent les Français. (c Sire Vivien, lui disent les chevaliers : — Comment pourrons-nous nous y « prendre — Pour arriver à ce château, ou seulement pour en approcher? — « Ne voyez-vous donc pas l'obstacle qui nous en sépare ? — Ne voyez-vous pas H ces milliers de Sarrasins? — Il n'est pas un homme qui pût seulement en « compter la moitié ; — Us sont plus épais qu'un bois non taillé. — Comment, « comment les pourrions- nous percer? » — «t Avec nos épées d'acier, répond « Vivien. — Je marcherai le premier, suivez-moi ! » — Alors Vivien sonne de son cor... — Et voici que ses plaies commencent à saigner. — Qu'importe! pour si peu l'Enfant n'abandonne pas son dessein , — Mais il tire son épée et broche son d^trier; — H rejette son écu par derrière sur son dos, — Et 422 ANALYSE DU COVENANS FtVIEN. iiFAiT.uvB.il. dèrent: ils étaient presque tous pantelants et demi- '- '— morts ; des quatre plaies de Vivien coulait un sang que rien ne pouvait arrêter. . . Enfin , cette âme obstinée est vaincue : « Gérart, dit-il, va trouver (c mon oncle Guillaume, et demande-lui de nous a venir aider ' . » Hélas ! comme à Roncevaux , ne sera-t-il pas trop tard ? V. ViTieo, ptr le nombre et demi mort, le décide enfin à demander du aecoors âsonoDcle Guillanoie. . Gérart était, sans aucun doute, le meilleur ambas- prend à deux maiiis son épée d^acier. — Le baron était fort de ses mains et léger de son corps. — 11 faisait l>eau le Toir manier son épée, — Trancher et tuer les Païens, — Et cette vue donnait de lui une merveilleuse idée ! — De tous ses hommes, à ses c6tés ou derrière lui, — (Ils étaient dix mille ce matin), — Il ne reste plus que la moitié. — Et les autres? lis sont morts, martjrrs : — Que Dieu ait leurs âmes devant lui dans le ciel ! — Les survivants sont tous couverts de plaies. — Mais, malgré tout, ils font si grand et si bel effort — [Qu'ils parviennent à traverser les Sarrasins]^, — Et qu'ils sont enfin, tous en- semble, installés dans le château. — Ils lèvent le pont-levis et le redressent. =s Hauts sont les murs de beau marbre taillé, — Et les Français n*ont derrière eux rien à craindre durant un mois entier. — Mais une seule chose les in- quiète : — C'est que, dans ce château, ils n'ont ni à boire ni a manger, — Rien, rien; pas d'autres provisions que leurs chevaux. — Et Vivien dit : « Ne « vous attristez pas, — [Hommes de Dieu]** , et soyez calmes. — C'est unique- « ment pour Dieu que vous vous travaillez ainsi : — Eh bien ! la récompense en « sera dans le Paradis — En attendant, preuons quelques-uns de nos chevaux. « — Avec vos cpées, taillez et coupez-en, — Où vous voudrez, derrière ou de- « vaut, ou sur les flancs, — Suivant que Jésus vous saura conseiller. — Mais sur- « tout, je vous en prie, faites bien le guet dans le château... — Quant à moi, j'ai « quatre grandes plaies au corps. — Mais, Dieu merci, je me suis bien vengé — « De ces païens misérables et félons. — De mes deux mains j'en ai coupé plus de n mille en pièces. — Je n'ai pas fui d'un seul pas, mais, au contraire, j'ai marché n en avant, — Et j'ai pris logement au milieu d'eux. — Jamais, jamais mon li- • gnage n'aura à rougir de ce reproche — Que j'ai reculé d'un seul pied devant « les Païens. —[Mais quand Âimeri au fier visage l'apprendra, — Ainsi queGuil- « laume et sa femme Guibourc]' — Et tout mou puissant lignage, — Quand ils « trouveront ici nos corps martyrisés, — Ils ne pourront pas dire que nous nous « soyons mal conduits! » — Alors tous ceux qui étaient blessés et couverts de plaies s'étendirent à terre. — Ceux qui étaient encore en santé moutèrent sur les murs... — [Le lendemain matin, au point du jour, — Le château était de toutes parts entouré par l'assaut des païens] * . (Manuscrit 1448, f» 208 v* et 209 r®, avec quelques variantes tirées du manuscrit 774.) « Covenans T/V/V//, vers 802-847. ANALYSE DU COFENJNS ririEN. 428 sadeur que les Français pussent choisir : mais quel " '*^"''- ^^■^ "• * » r '^ n cHAp. xTiii. message difficile! Il fallait passer à travers toute Tar- mée païenne. Puis, on ne savait pas où se trouvait Guil- laume. Était-il à Orange, ou à Bordeaux ? Pendant qu'il se pose cette question, le malheureux messager tombe au milieu d'une embuscade de dix mille païens : a Qui a êtes-vous ? — Je m'appelle Quinart de Nubie et suis a le sénéchal de Desramé, répond bravement Gérart « qui excelle à mentir. — Nous n'en croyons rien, a répliquent les païens. Quinart est mort sous les Vers 992-1108. — 3 Vers 1109-1125. — 4 Vers 1120-1137. ANALYSE DU COVEN^NS VIFIRN, 425 pousse son cri de ffuerre, fait un appel suprême à " part. uvr. h. * o / r r I CHAP. xviii. tous ses hommes. . . . Quelques jours après , il av^it derrière lui dix mille chevaliers, et hâtait son départ'. Pendant que cette belle et vaillante petite armée défilait sous les murs d'Orange et prenait le chemin d'Aliscans, un enfant de quinze ans se précipitait en larmes aux pieds de Guillaume : « Je suis le frère de a Vivien, et prétends aller à son secours. Donnez- (( moi des armes. — Tu es trop petit, lui répond ^ a Guillaume, et tes yeux ne pourraient même passup- « porter le spectacle de Tarmée païenne. Reste avec « Guibourc,et, à mon retour, je songerai à t'adouber.» Guichardet ne peut supporter ce langage : il court dans un bois voisin et choisit un gros pieu qu'il taille à sa fantaisie ; puis, il s'empare d'un cheval , malgré la surveillance de son maître Gautier. Il s'échappe enfin, et ne se laisse saisir qu'à la condition d'être im- médiatement fait chevalier par Guibourc. La bonne dame est mise en demeure de lui ceindre l'épée et de lui vêtir le haubert : c'est la première fois que nous voyons ce rite chevaleresque accompli par une femme. Gui- chardet, libre et joyeux, s'élance dans la campagne où il veut rejoindre l'armée de son oncle. Il rencontre d'abord quinze larrons sarrasins et en tue plusieurs ; puis, il poursuit sa route avec quatre javelots dans le corps et rejoint Guillaume : « Je suis , dit-il , je « suis adoubé par Guibourc. » Ravi de cette fierté, le comte l'embrasse et lui permet de rester près de lui. C'est ainsi que le petit Roland, qu'on voulait rete- nir à Laon, avait autrefois rejoint la grande armée de Charlemagne, avant la fameuse bataille d'Aspre- mont*.... ' Covenans Fmen, vers 1138-1154. — » Vers llôS-1327. II PABT. UVR. II. CHAP. XVUI. 426 ANALYSE DU COFENANS FIVtEN. Lors de leur séparation, Guillaume et sa femme Gui - bourc s'étaient fait les plus nobles adieux : « Aidez 0 Vivien et gardez bien. vos hommes », avait dit cette femme héroïque. Dans quel état, hélas! était-elle ap- pelée à revoir son mari ! VL Détresse de Vivien. Bataille! bataille! Vivien a regardé ses plaies rouges et béantes : « Je ne veux pas, a-t-il dit, que mon oncle, w s'il doit venir, me trouve au repos comme un blessé. « Courons aux Sarrasins. » Il y court, et laisse après lui les traces de son sang*. Desramé sent bien que l'éner- gie de l'armée chrétienne n'est due qu'à l'énergie de son chef, et met à prix la tète de Vivien*. En vé- rité, Vivien mérite bien cet honneur. H s'attaque à Desramé lui-même et a la joie de lejeteràterre. Mais, tout aussitôt, il est assailli et enveloppé par les païens qui veulent sauver leur roi. Ainsi qu'un sanglier ac- culé contre un roc , Vivien se défend avec une rage farouche. Il lance son cheval contre ses innombrables aggresseurs ; abattu quatre fois, il se relève quatre fois; une pluie de dards tombe sur ce corps qui perd déjà tant de sang; quatre javelots s'enfoncent encore dans cette pauvre chair pantelante^. Il regarde à droite, à gauche : « Où sont ses libérateurs ? où sont-ils? » Per- sonne. « Ah! vous m'avez oublié, Gérart ; ou bien vous « êtes mort. Je crois bien que je ne reverrai plus ni « Guillaume, ni Guibourc. » Personne, personne! Sur son visage s'étend alors un ruisseau de sang, un voile qui l'aveugle : comme Roland à Roncevaux, Vivien se jette sur un ami qu'il ne reconnaît pas. Il rencontre ' Covenans f ivien^ vers i:j28-13f>0. 1412. » Vers 13.M-13(;4.— 3 Vers 1364- CHAP. XTIIl. ANALYSE DU COVENANS VIVIEN. 427 et frappe Gautier ; puis , lui demande pardon et re- " p^bt. utb. h. garde de nouveau à l'horizon . Personne encore * ! Tout à coup, du côté d'Orange, en entend un grand bruit. Est-ce Guillaume? Est-ce Tarrière-garde des païens? Vivien et ses hommes éprouvent cette in- certitude que l'armée française connut à Waterloo. Sentant qu'ils allaient mourir , ils se jetèrent dans le bras les uns des autres , et se donnèrent un dernier baiser. C'est l'un des instants les plus solennels et les plus beaux de toute notre épopée nationale.... Le jour est beau, le soleil est brillant ; Vivien mou- rant approche son cor ds ses lèvres blanchies • et en sonne une première fois : « C'est le cor de mon neveu, » dit Guillaume. Et il se hâte d'envoyer devant lui son neveu Bertrand au secours de ceux qui vont mourir. Le jour est beau, et la bataille est rude. Vivien, pour la seconde, pour la troisième fois, embouche son cor dont le son va si loin. Granz fu l'alarme et li bondi rs fu fors : ce suprême effort crève la maî- tresse veine de Vivien : Vers 1769-1839. CHAP. XVIII. 430 ANALYSE DU COVENANS VIVIEN. PART. uvR. 11. a que ce soir , après vêpres. — Ce serait plutôt à r.uAD. TV1II. »- 'FF * « moi, beau neveu, de me jeter ainsi sur les Sarra- « sins. — Taisez-vous, mon oncle. Ne voyez-vous pas « la couronne qui m'attend là-haut? » Et il menace de se donner la mort si Guillaume ne consent à le lancer ainsi sur les ennemis de Jésus-Christ. Le comte obéit et le suit des yeux dans la mêlée* ; puis, il tombe lui-même sur les Païens et en massacre plus de deux cents ^. » Covenans Vivien^ vers 1840-1889. * Vivien rejoitst Guillaume au milieu de la bataille {Traduction /iife- ra/e).nVivien va par la bataille^tout du et aveuglé I —Ceux qu*il atteint sont morts. — Comme un véritable forcené, ^ II dispute la terre aux Sarrasins; — Mais il est bien las, il semble à moitié mort — A cause des grandes plaies dont il est si travaillé, — Et des grands coups qu'il a donnés. — Il a quatre blessures aux flancs, qu'on lui a bandées ; — I^e soleil passe au travers. — Tous ses vête- ments sont en pièces — Et traînent après lui dans Içs prés. — Il sait bien qu*il est perdu, — Et que jamais plus il ne recouvrera la santé. — Ses boyaux traînent après lui : — Alors il les rapproche et les tranche avec son épée. — Pendant qu'il mène une telle douleur, — Il a rencontré Guillaume sur son chemin. — Mais, comme il est aveugle, il ne le reconnaît pas.^U lève son épée et lui en donne un tel coup — Sur le sonmiet doré de son heaume, — Que, si le comte ne s'était pas jeté de c6té, — Il lui eût fendu la tête jusqu*aux dents. — L'cpée glisse à gauche, — Coupe en deux Tépée de Guillaume, — Enlève cent mailles du haubert, — Tranche l'éperon, — Et va s'enfoncer en terre. — Guillaume le vit, et frémit : — II crut qu'il avait à faire à un Esclavon ou à un Sarrasin, — A cause des vètemenls que Vivien avait pris. — Il tire alors la rêne de son cheval et s'écrie : — k Païen, dit-il, maudite soit l'heure de ta « naissance ! — Maudit soit celui qui t'a engendré ! — Maudite la mère qui t'a « enfanté ! — Depuis le jour où je fus adoubé — Et où Cbarlemagne lui- « même me donna mes armes, — Je n'ai jamais reçu un coup si rude. — Mais, « s'il plaît à Dieu, je te le paierai bien. » — Vivien dit : « An-êtez, vassal. — u Je ne vous vois point : que le Seigneur Dieu vous garde, — Le Glorieux, plein u de majesté sainte. — Mais puisque vous avez prononcé le nom de Charle- « magne, — Je sens bien que vous êtes de Fi*ance. — Eh bien ! je vous con- «t jure, au nom de la chrétienté, — Par le baptême et le saint chrême que vous €1 avez reçus, — Dites, dites-moi votre nom. »> — « Je ne vous le cacherai pas, '( dit l'autre. — Je m'appelle Guillaume, le marquis au Court-Nez. — Mon père « e^l Aimeri-à-la-barbe. — J'ai sept frères qui tous sont chevaliers — Et mon « neveu est le glorieux Vivien : — C'est pour lui que je suis entré dans la ba- « taille, u — A ces mots, Vivien s'est pâmé, _ Dès qu'il a entendu nommer Guillaume au Court Nez — Qu'il a frappé de son épée d'acier. — Guillaume le Voit, et en est tout étonné dans son cœur. -^ Il s'émerveille de le voir tomber ainsi en pâmoison. — Il a pitié de lui, et le relève : — « Qu'avez- vous , païen? ANALYSE DU COVENANS VIVIEN, 431 Vivien , attaché sur son cheval , erre sur le champ " '*^^* de bataille 9 abattant les têtes et tranchant les corps. Avait-il lu notre Roman, ce roi de Bohême, ce vieillard aveugle, qui, à la bataille de Crécy, combattait dans nos rangs et qui se fit, lui aussi, attacher sur son cheval « dites-le-moi, par Dieu. — Qui êles-vous? et de quel pays? »• — Vivien l'en- tend, mais ne peut dire un mot : — n Seigneur, dit-il, enfin vous ne merecon- *• naissez pas? — Je suis Vivien, né à Anscune. — En vérité je suis votre ne- u veu. v — Guillaume Tentend, et le sang lui tourne. — Depuis Theure de sa naissance, il n*a jamais ressenti telle souffrance. — Lorsqu'il voit ainsi les boyaux de Vivien traîner, — Il pense devenir fou de douleur. — Non, il ne con- naîtra plus la joie en toute sa vie. Guillaume fut merveilleusement courroucé — Quand il vit son neveu étendu à terre — Avec ses eolrailles autour de lui. — 11 u'eut jamais pareille douleur, — Et voilà qu'il chancelle et tombe lui-même à terre. — 11 se relève, mais c'est pour renouveler sa douleur : — « Neveu, dit Guillaume, combien je perds « en vous perdant ! — Car vous êtes le plus hardi de ma race. >• — Et Vivien dit ; « Laissez cela, — Ce n'est pas le lieu de pleurer comme font les V\d, sup,, II, p. 309. > NOTICE BWLIOGRAPUIQUE ET HISTORIQUE SUR LA CHANSOK CHAP. XX. ANALYSE H'ALtSCANS. 435 a y souffrit grande peine. » Ainsi commence la plus "paht. uvb.ii, ancienne et la meilleure Chanson de notre geste • • B'ALISCANS. I. BIBLIOGRAPHIE. 1<> Date de la composition, a. Le texte à^Miscans qui nous est parvenu ne remonte pas, suivant nous, plus haut que la fin du douzième siècle. — b, D^un autre côté, Orderic Vital parle de poèmes « chantés par des jongleurs » et dont Guillaume était le héros. {Uis' toria ecclesiastica, lib. VI , édit. de la Société de THistoire de France.l II, pp. 5 et 6.) — c. Parmi ces poèmes, qui remonteraient ainsi à la fin du onzième siècle, et peut-être plus haut encore, il n'est pas douteux que la légende d*AIiscans ne tint la première place ; car elle est, comme nous Tavons fait voir, le centre réel de tout le cycle. — d. Donc, il y a eu une rédaction A*AUscans antérieure d'environ cent ans à celle que nous possédons aujourd'hui. — e. Ce vieux texte était évidemment assonance ; il devait être beaucoup plus bref; la pensée (surtout dans la seconde partie) y était sans doute beaucoup plus primitive. Ce devait être tout à fait l'analogue de notre Roland d'Ox- ford. ^ — y. La seconde rédaction, celle que nous possédons aujourd'hui, est à peu près comparable à nos Romans de Roncevaux du treizième siècle, bien que plus ancienne. — g. Ce second texte est rimé; il contient (notamment dans la seconde partie du Roman) des longueurs presque insupportables; entre sa langue et celle de la Chanson de Roland, il faut placer tout au moins l'espace d'un siècle, et c'est ce dont on se convaincra aisément par la comparaison philologique d'un certain nombre de mots pris dans notre Chanson avec les mêmes vocables reproduits d'après les documents les plus sûrement datés des onzième et douzième siècles. Dans les Appendices de notre dernier volume, nous soumettrons nous-méme cette comparaison à nos lecteurs. — h, 11 n'y a donc pas, en résumé, de témérité scientifique à regarder ce second texte comme un refazimento des dernières années du douzième siècle, ou des pre- mières du treizième, (f^id, supr,, III, pp. 5-8.) C'est notre conclusion. — 2^ AUTEUB. Aliscans est anonyme, et nous avons signalé plus haut l'erreur de Wolfram d'Eschenbach qui, sans aucune preuve et contrairement à toute probabilité, a jugé bon de l'attribuer à Chrestien de Troyes. (f^id. supr., p. 19.) On peut s'étonner que San-Marte ait partagé cette opinion. -^ 3» Nombre de TERS ET NATITRE DE LA TERSIFICATION. Aliscans renferme, dans le manuscrit 185 de l'Arsenal, 7045 vers ; mais on y constate d'assez nombreuses lacunes. Entre les f* 8 et 9, il manque un feuillet, c'est-à-dire 60 vers ;e ntre les f"* 1 4 et 1 5, deux feuillets, 120 vers ; entre les f** 25 et 26, deux feuillets, 120 vers; entre les f°* 59 et 60) un feuillet, 60 vers ; et enfin entre les f^ 91 et 92, deux cahiers entiers, c'est-à-dire 960 vers. Si ce manuscrit était complet^ le texte de l'Ar- senal nous offrirait donc un ensemble de 8365 vers. = V Aliscans du ms. 2494 de la B. I. (ancien 8202) contient 9224 vers ; le même poëme contient 9200 ters dans le ms. 1448 ; 8000 vers dans le ms. 1449 (mais cent vers environ manquent au commencement); 8500 vers dans le ms. 368 ; 7096 vers dans le ms. 23 La Vall., qui consacre 200 vers au lieu de 700 au combat de Renouart contre les géants Agrapart, Crucados, etc.; 7840 vers dans le manuscrit de Boulogne. = L'excellent manuscrit 774 est malheureu^ment incomplet par le début. 11 commence par le couplet : Li quens Bertran* voit venir maint vachier (c'est une lacune d'un feuillet ), et il se termine par le couplet : Quatft 43C ANALYSE lyALlSCANS, Il pàBT. uvR. II. il n'est pas de plus simple ni de plus fier début. — Dante lui-même n est pas mieux entre en matière, et Looys ot Aymeri parler, au vers 3092 du poëme (c^est une lacune d'environ 4350 vers). = Dans tous ces manuscrits, Aliscans est écrit en décasyllabes rimes; dans le seul manuscrit de l'Arsenal, le petit vers hexasyllabique se trouve placé à la fin de chaque laisse. C'est cette particularité qui a surtout décidé MM. Guessard et de Montaiglon à prendre le ms. de l'Arsenal comme base de leur publication d'Aiifcans dans le Recueil des anciens poètes de la France. — \^ BIanuscrits connus. Aliscans nous a été conservé dans onze manuscrits : a. Bibliothèque de l'Arsenal, B. L. F. 185 (fin du douzième siècle ou commencement du treizième), du f» 1 r» an f» 118 ro (ou 119 vo, si l'on r^rde le couplet En Orenge est Guillaumes au Corl Nés comme le dernier d! Aliscans et non comme le premier de la Bataille Iu>quifer), — b. B. I. fr. 2494 (commencement du treizième siècle), du f> 1 r« au fo 65 v«. — c, B. 1. fr. 1448 (treizième siècle), du fo 21C r° au P 272 r°. — d. British Muséum, Bibl. du Roi, 20 D,XI (treizième siècle), du f» 134 au fM 84. — e. B. I. fr. 1449 (treizième siècle), du f» 92 ro au f» 1 42 v».— /*. B. 1. fr. 774 (treizième siècle), duf 81 r° auf» 98 v». — g. Manuscrit de Boulogne-sur-mer (treizième siècle), du P 93 r^ au f* 1 4 1 vo. — h. Manuscrit de Berne, n" 296 (treizième siècle). — i.B. 1. La Vallière, 23A,du (ol95 au 240 vo.— /. B.I.fr. 368,duf« 189 v«aa 217 vo.— A:. Manuscrit de la Bibliothèque Saint-Marc, à Venise, français YIIl, texte italianisé du quatorzième siècle. = Parmi ces manuscrits, le plus ancien, le meil- leur est certainement celui de l'Arsenal. = Ceux qui méritent ensuite le plus d'attention sont lesmss. de la B. I. 2494 (ms. de jongleur), 774, 1449, 1448 et le ms. de Boulogne. = Le ms. 2494 sera de notre part l'objet d'une étude par- ticulière dans les Additions et rectifications que nous placerons à la fin de notre dernier volume àes Épopées françaises. Nous montrerons notamment comment l'auteur de ce manuscrit a souvent mêlé et confondu, dans le même couplet, les assonances en er et celles en ier. = Les moindres variantes que nous offrent les différents manuscrits d'Aliscans ont été relevées avec un soin méticuleux par M. Jonckbloet, et MM. Guessard et de Montaiglon. Nous ne les relèverons pas après eux, d'autant plus qu'elles sont en général de peu d'im- portance. = Nous devons à Tobligeance de M. Valenlinelli, une description mi- nutieuse du manuscrit de Venise ; nous donnons ici le commencement et la fin de ce texte précieux : « A cel jom qe la dolor fu granç — E la bataile fu faite eu Alisscanç, — Lli cons Guielme soffri molt grant hanç. — Bien i feri le palatin Bietranç — Gandin li brun e Guiçard lo vailanç, — Girard de Biais, Gautier le Tolosanç, — Hemauç de Sautes, Heues de Meelanç. — Sor toc les autres i feri Vivianç. — En trente leus fu roç se jaceranç, — Ses escus frait et se aimes (?) lusauç. — Set plages ot parmi endos les flanz ; — De la menor fust mort un Elemanz. — Molt ha occis des Turs c des Persauij, — Mais no li vait la moite de dos ganç ; — Qar tenl en est des neç et des ca- lanç — E des drumons e des escois coranç, — Une tant non vit nus hom qi soit vivanc. — Des scuz e d'armes est covert li Artanç. — Grand fu la noise des félons seduauç, — E fiers li caples, e li estors pesanz. — De sor la terre corut au ru li sanç. — Li cons Guielme vait corant par l'estor ; — Ses brant fu teint de sanc et de suor, » etc. = Le texte de Venise renferme environ 7,800 vers. ANALYSE \yALISCANS. 437 le pâle vmtàXexxr à^ Âliscans^ Wolfram d'Eschenbach, n part. utr. lu est resté bien loin de son modèle. Il a été théologien, '- — '—. quand il ne fallait être que soldat. Il se termine par le récit du baptême de Baiidus (vers 8132 de Tédition Gues- sard et Montaiglon) : « Granç fu la joie soç Orençe en la prée. — Rainoart a la chière en aut levée ; — Baudin esgarde, qi fu de sa contrée : — « Cosin, dit-il, « ci a belle ascenblée. — Cest sont de France, de la terre loée. » — Dame Gibor a li ber reclamée : — a A Tonor Deu et la Yirge honorée — (Moment « sera ceste ovre achevée, — Qe mes cosins Baudin de Valfoudée — Fiist crcs- « tien<; por la vertuz nomée — Et sa compagne q*il a ci amenée.... » etc., etc. (Pour ce ms. de Venise, cf. Romwart^ d'Ad. Keller, p. 29.) — 6® Vbbsion bn PROSE. Il n'existe, à notre connaissance, qu'une version en prose d^AUseans : cVst celle qui est conservée dans la grande compilation du mx. fr. 1497 de la Bibl. impériale. Nous allons en donner ici toutes les rubriques ; nous au- rons lieu d'en citer plus loin des extraits importants : Icy parle de la grant 6a» taille (CAlesclumt dont nul neschappa sînom Guillaume d^Orange^ et dit : Comment Vivien^ le nepveu Guillaume^ fut occis, et ses nepveux aultres mort et menés prisonniers ou nafvire du roy Desramés (f® 363 r«), — Comment Guil» laume au Court Nés occist Esrofle le grant et conquist son cheval Follatisse sur lequel il fut chacié jusques aux portes dOran^ (f* 373 r°.) — Comment Guil» laume ala en France requérir secours pour lever le grant sieige d'Orange et pour combat re le roy Desramé et ceulx quil avoit aveques lui amenés (f* 379 V®). — Icy parle t histoire de Renouart le fils Desramés, frère de Guibour la femme Guillaume d'Orange y et dit : Comment Guillaume au Court Nez demanda au roy Louys de France Renouart-au-tinel que nul ne cognoissoit véritablement (P* 387 r°). — Comment Desramé prist la 'ville ). — Comment Bauldus le grant fut conquis par Renouart, et Desramés et 'Xllll' rois Sarrasins des- confils (sic) et chassés jusques en mer oii ils se saulverent à quelque peine (fo 416 r>). — Comment Renouart laissa Guillaume tf Orange et la compaignie crestienne pour foy vouloir rendre Sarrasin par despit (f*420 r*»). — Comment AaliXy la fille du roi Louys de France, fut donnée en mariage à Renouart-au' tinel, fils du roy Desramés de Cordres (fo 425 v"). — 6« DIFFUSION A L'ÉTRAN- GER a. En Italie, Le manuscrit de la Bibliothèque Saint-Marc (fr. VIII), dont nous avons parlé plus haut, nous atteste que la légende d^Aliscans avait conquis au-delà des Alpes une véritable popularité. Après avoir circulé dans l'Italie 438 ANALYSE HrjUSCANS. II PiBT. LITB. II. CHAP. XX. L La grande débite de GaiUamiie I Aliscans. Au moment où commence notre poème, la bataille est dans toute sa force j ou plutôt dans toute son du Nord sous la forme d'une Chanson française légèrement italianisée , jéru" caru fut exploité et défiguré par le compilateur des Nerbonesi (y. les mss. de Florence, Bibl. nationale, classe VI, n" 7, 8, 9, et classe XXIV, n« 160, et le ros. de la Bibliothèque Laurentienne). Au seizième siècle , notre poëme était encore célèbre eu Italie, témoin la Schiatta d^ Reali di Franeia publiée à Florence en 1557, et où il est parlé des Narbonnais, de Tibaut et de ViTiea comme de héros profondément populaires . ( Vid, sup. , pp. 30-35 . ) — h. En AU Umagne. Le fVillehalm de Wolfram d'Escbenbach n*est qu*UKB copie sbrtilb de notre Aliscans. C'est ce que nous a%'ons longuement démontré (pp. 35 et suiv.}; c'est ce que prouvera jusqu'à l'évidence Tanalyse détaillée que nous of&irons tout à l'heure à nos lecteurs. M. Jonckbloet, d'ailleurs, a fait longtemps avant nous cette démonstration scientifique ; mais son zèle l'a parfois entraîné trop loin. Il constale fort judicieusement que Wolfram a copié la Chanson française ; il fait voir que le minnesinger « qui ne savait ni lire ni écrire » a commis des méprises grossières et qu'il n'a pas toujours bien compris son modèle. Le fait est vrai. Mais le savant hollandais en donne tout au moins une preuve mal- heureuse, quand il reproche à Wolfram d'avoir pris le mot termes pour un nom propre, et non pour un nom commun, et d'avoir écrit : Hej! Termes min palas. Selon M. Jonckbloet le vers français qui a donné lieu à cette prétendue erreur est le suivant . Quant je h termes vos ai armes donè (vers 840 de Téd. Jonckbloet), et termes selon lui a le même sens que terminus et doit s'écrire sans majuscule. Si M. Jonckbloet avait consulté le ms. de l'Arsenal, il y aurait lu ce vers : QUAifT t'adoubai oaivs mon palais a Tbriibs qui donne parfaitement raison à l'auteur du WiUehalm. (Y. l'éd. de MM. Guessard et de Montaiglon, p. ^k^ V. 678.)— L. Clams est ici tombé dans la même erreur que Jonckbloet {Herzog fVilhelm von Aquitanien,^, 349). La thèse, qui nous montre dans Wolfram un tra- ducteur de notre Aliscans, est trop solide pour qu'on l'appuie sur de méchants arguments. — T« Édition impriméb et tbaduction fraivçaisb. a. En 1854, M. Jouckbloet a donné la première édition de la Bataille d'AliscanSy d'après les mss. de la B. 1. fr. 774 et 368, avec des variantes du ms. 23 La Vallière et du ms. de l'Arsenal (6i////ai/mtf d'Orange^ I, pp. 215-427). — b. MM. Guessard et de Mon- taiglon nous offriront prochainement une nouvelle édition de ce beau poëme dans le Recueil des anciens poètes de la France, Ils ont pris le manuscrit de l'Ar- senal pour base de cette publication dont ils ont bien voulu mettre les bonnes feuilles à notre disposition. On peut dire que ce sera un texte définitif. — c. Tout récemment, M. Jonckbloet a publié une traduction « en nouveau langage » de cette Chanson dont il avait jadis eu le mérite d'élucider le premier toutes les difficultés {Guillaume poëme, soit k l'œuvre de Wolfram. Dans ses leçons sur V Origine de l'Épopée chevaleresque du moyen dge^ (1832) Fauriel sut ressusciter tout le cycle de Guillaume/dont l'origine provençale ne lui parut jamab contestable. Au tome III de son Histoire de la poésie pro~ peneale (184()-1847, pp. 66 et suiv.), il donna une analyse et des extraits (TAliscans, — e, /. Lachmann, en 1833, édita le fVilUhalm que Gervinus, deux ans plus tard, appréciait trop sévèrement dans son Histoire de la Ikté" rature poétique nationale des Allemands, — g, Mone, dans son Anzeiger de 1836, affirmait Toriginalité de Wolfram, et niait qu'il eût imité un poëme fran- çais.— h. En 1838, M. Fr. Michel analysait avec soin le manuscrit à^Àliscans (20 D,XI) conservé à la Bibl. du Roi, du Britbh Muséum {Rapports à M, le ministre de rinslruction publique, etc.). — h, M. Ad. Keller décrivit avec dé- tail le manuscrit de Venise dans son Bomwart (Mannheim, 1844, pp, 29-38). — î. Dans le tome III de ses Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi (1840), M. Paulin Paris avait étudié tout le cycle de Guillaume en général et en pai^ ticulier le ms. 368 ; dans le tome VI de ce même livre, qui est trop oublié aujour- d'hui, il étudia en 1845 le ms. 774, qui contient un des meilleurs textes d'^- liscans, — y. San-Marte donna en 1841 une analyse du ÏFilleludm dans son Wolfram 'von Eschenbach. — k. l. Nous avons dit ailleurs oombien sont insuf- fisants, relativement à notre geste et à la Chanson itAliscans, les deux Recueib bibliographiques de Graesse (Die grossen Sagenkreise des Mittelalters, 1842, pp. 357-36 1 ) et d'Ideler et Nolte (Geschichte der Altfrahzosischen national Literatur, 1842, pp. 97 et 100). — m. Dans le tome XXII de VHistoire littéraire (tSb2)^ M. Paulin Paris a consacré une de ses Notices à notre Chanson qu'il divise (fort arbitrairement, suivant nous) en deux poëmes distincts auxquels il donne pour titres : la Chevalerie Vivien et Renouart. Cette division n'est justifiée par aucun manuscrit. — n. L'édition d*Àliscans par Jonckbloet est de 1854. Dans le second volume de son Guillaume d'Orange {pip. 41-56), le savant éditeur détermine, avec une subtile et prudente érudition, quels sont les éléments sincèrement historiques de la Chanson que nous étudions : nous avons eu lieu déjà de pro- fiter plus d'une fois de cet excellent travail. Après avoir interrogé l'histoire, M. Jonckbloet élucide la question ^ographique. k AUscans^ Aleschant , Aleschans'Sor'mer, dit-il après M. P. Paris, n'est autre que I'empla- CEMKNT DB l' ANCIEN GiHBTiiRB d'Ablbs, célèbre dans l'histoire par les tombes des glorieuses victimes qui succombèrent en 730, lors de l'attaque d'Arles ; célèbre dans la légende par la sépulture qu'y reçurent, d'après Turpin, quelques-uns des morts de Roncevaux. » Le célèbre énidit ajoute avec beaucoup de justesse que « sous le nom d'Aliscans on entendait une plaine assez vaste, et que V Archonte dont il est si souvent question dans notse poëme, ne peut être que le tebritoibb d'Ables situé sur la rive droite du Rhônb et connu sous le nom d'Argence ou de terre (TArgenee » (pp, 56*59). Toutes ces démonstrations sont si claires, si pcremptoires, que nous n'avons pas eu à les refaire. — o, L. Clarus est, après MM. Jonckbloet et Paulin Paris, II pabt. LITR. II. CHAP. xz. 440 ANALYSE XfAUSCANS. II PABT. uvB. II. pent, se tuent. Pêle-mêle effroyable de heaumes, de hauberts, de lances, de corps ensanglantés , de che- le savant de nos jours qui s'est le plus occupé de notre poëme. Il a trop scrupuleusement copié ses deux prédécesseurs, et notamment le premier. On peut lui reprocher encore de n*être pas remonté aux sources originales ; mais il convient de lui savoir gré de cette analyse de notre Chanson <{u*il a donnée dans la troisième partie de son œuvre (Herzog Wilhelm von Aqui' ionien ^ 1865, pp. 243-284) et de son excellent résumé du Willehalm (pp. 309- 344). — ^. Nous avons déjà mentionné la traduction à^Âùscans par Jonckbloet (Guillaume étOrange, le Marquis au Court Nez^ Chanson de geste du douzième siècle mise en nouveau langage, 1867) et la future édition de MM. Guessard et de Montaiglon que le monde savant attend avec tant d'impatience. — 9« Valkur LITTÉRAIRE. Au point de vue scientifique, il nous parait impossible, josqu^i plus ample informé, de scinder Aliscans en deux parties, dont la première s'ar- rêterait au moment où Guillaume obtient les secours de Tempereur Louis et les conduit à Orange ; dont la deuxième renfermerait le long récit des prouesses de Renouart et de la seconde bataille d'Aliscans. Telle qu'elle nous est offerte par TOUS nos manuscrits, cette œuvre est essentiellement uif b. Elle commence par une défaite, contient une péripétie qui est la découverte de Renouart par Guillaume, et nous offre un dénouement merveilleusement amené et très-néces- saire au drame, qui est la victoire des Français sur le même champ de bataille où ils ont été vaincus quatre mois auparavant. Supprimez ce dénouement : il n'y a plus aucune unité dans notre Chanson ; ou, pour mieux dire, le poëme n'a plus de raison d'être. Aliscans est un drame en trois actes, comme la Chanson de Roland. Voulez-vous, comme M. Paulin Paris a prétendu le faire, baisser le rideau sur le premier acte? L'œuvre ainsi écourtée ne sera plus comprise et laissera les auditeurs dans l'anxiété, ou tout au moins dans l'attente.... = Mais si, au point de vue scientifique, les différentes parties à' Aliscans vC en font qu'une et sont vérita- blement inséparables, il n'en est pas de même au point de vue littéraire. Le début de la Chanson qui comprend les 3145 premiers vers et s'arrête à l'ins- tant où le poëte nous met en présence de Renouart, ce premier acte est, à beau- coup près, le plus remarquable de toute celte œuvre si profondément drama- tique. On ne peut même pas, selon nous, le comparer au reste du poëme. Les trois mille premiers vers à^ Aliscans sont, à nos yeux, un véritable chef-d'œuvre, auquel on ne peut comparer que Roland ou Girars de Roussillon, L'entrée en matière, à force d'être brusque, est sublime ; le récit de la première communion de l'enfant Vivien, le tableau si touchant du retour de Guillaume à Orange, les vi- cissitudes de son voyage jusqu'à Laon et cette magnifique scène de sa colère à la cour de l'Empereur, tous ces épisodes sont d'une beauté qui met les larmes aux yeux et fait battre le cœur. A cette beauté du fond ne correspond point, par malheur, la beauté de la forme ; le style est flasque, long, i*edondant, et nous sommes bien loin, hélas! de la simplicité du Roland d'Oxford. Quant à la se- conde partie, je sais tout ce qu'on peut alléguer pour la défendre : je con\ieus que le ton héroï-coraique est naturel chez les peuples primitifs, et qu'ils aiment réellement le gros rire ; j'avoue que Renouart devait provoquer chez nos pères cette hilarité brutale, et satisfaire cette gaieté plus que naïve. C'est, à vrai dire, une demi-caricature de la chevalerie, qui est vraiment plaisante et fort réunie. ANALYSE h' J Lise ANS, 441 vaux éventrés, de mourants et de morts. L'un des " pabt. utr. h, combattants dépasse de la tête tous les autres ; il • liais enfin je ne suis pas channé de ce type, et le récit des onze dueb de Renouait estd*une longueur qui assoupira plus d'un lecteur avec moi. Trop de géants, de nains et de monstres de tous genres; trop de coups de tinel y de marteau, de faulx, de croc, d'épée et de lance. L'intérêt n'est plus excité et le récit semble interminable. Par bonbeur, les derniers vers relèvent un peu celte œuvre qui ne s*est pas maintenue à la hauteur de son début : Aliscans finit bieu parle tableau de la douleur de Guillaume qui se plaint de sa solitude dans Orange et pense à ceux qui sont morts. =.En résumé, cette Chanson est, malgré ses défauts, une de celles qu'il faut placer le plus près de la Chanson de Roland, Si on en relrou* vait le texte primitif, peut-être serait-elle aussi belle.... II. ÉLÉMENTS HISTORIQUES. On peut scientifiquement établir les pro- positions suivantes : a. Le Covenans Vivien et Aliscans sont tes poèmes de toute la geste de Guillaume qui reposent sur les fondements les plus historiques, — b, Cest la défense du duc d* Aquitaine Guillaume, en 793, à Villedaigne-sur- rOrbieux, qui a donne naissance à ces deux Chansons, Nous avons accumulé plus haut tous les textes historiques relatifs à cette fameuse défense qui arrêta victorieusement les Sarrasins et les força de repasser les Pyrénées {Vid, sup,, p. $4), — c. Il est probable que les souvenirs de la bataille de Poitiers^ gagnée par Charles Martel en 732 sur les Sarrasins envahisseurs ^ se confondirent avec ceux de Villedaigne pour produire Aliscans. — d. Il est également probable et presque certain que la victoire remportée sur les Musulmans en 975, par Guil" laume Z**", comte de Provence, se confondit dans les souvenirs populaires avec la bataille de Villedaigne, — e. Si la première bataille d* Aliscans dérive .de la défaite de saint Guillaume sur tOrbieux, la seconde bataille d* Aliscans dérive peut-être de la victoire de Guillaume de Provence à Fraxinet, Les deux Guil- laumes se sont fondus en un (Vid. sup., pp. 74. et surtout 85). Nous avons déjà montré plus haut (contrairement à l'opinion de la plupart de nos prédécesseurs) que Guillaume I**" de Provence est, avec Guillaume Tête-d'éloupe, le seul héros dont l'histoire se soit réellement confondue avec celle de saint Guillaume de Gellone. De tous les autres Guillaumes, celui qui paraissait offrir le plus de ressemblance avec le vaincu de Villedaigne, avec le héros d'Aliscans, était, aux yeux de MM. Dozy et Jonckbloet, ce fameux Guillaume de Motïtebuil dont Orderic Vital a tant parlé, et M. Dozy alléguait en faveur de son opinion un vers du Couronnement Looys qui représente en effet le Guillaume de la légende allant se reposer « à Mon treuil -sur-mer •. Par malheur pour l'auteur de cette thèse ingénieuse, le vrai Guillaume de Montreuil n'est pas né à Montreuil-sur- mer, mais à Montreuil en Normandie, près de Saint-Évroul. Cette observation» que nous devons à M. Léopold Delisle, renverse parla base toute l'argumenta- tion du savant belge {Vid, supr., pp. 79-83). — /. // «'f a réellement d* autre élément historique dnns Xlisc&ns que le récit de la lutte contre les Sarrasins, Tout te reste est œuvre d* imagination y et la légende de Renouart^ notamment, est ab- solument fabuleuse, III. VARIANTES ET MODIFICATIONS DE LA LÉGENDE. La légende d'Aliscans est bien loin d'avoir conquis au moyen âge une popularité aussi 442 ANALYSE h'AUSOANS. II PABT. uvB. II. semble d'ailleurs qu'il soit à la fois sur tous les points de la bataille, et les bonds de son cheval vainqueur durable, aussi étendue que la Chanson de Roland, Cette popularité restrante n'a certes pas été proportiennée au mérite de notre poème qui , d'ailleurs, a subi peu de modifications importantes : 1° C'est Wolfram d'Eschenbach qui, dans son fFiilehalm, a donné de notre Jtiscans l'imitation la plus importante. Mais, en résumé, le Minnesinger suit lr texte français vers pas tevs, et n'en modifie que la forme. Nous renvoyons ici la lecteur k notre résumé du Willehalm ( pp. 36-38 ). = L'œuvre de Wolfram est divisée en neuf chants. Dans le premier, le poète allemand, après une Introduction théologique» esquisse à grands traits les antécédents de son héros . Il nous montre Heimrich envoyant ses fils a leurs aventures et ne leur voulant rien laisser de son héritage; il nous peint l'amour de Willehalm Ehkumeis pour Arabelle, fille du roi païen Terra- mer et femme du roi Tibalt, qui est baptisée sous le nom de Gyburg; il chante l'expédition terrible de Terrame r , qui envahit la France avec Tibalt pour se venger du fils d'Heimrich ; il nous fait assister enfin aux commence- ments de la grande bataille d'Aleschans et à la détresse de Vivien. Dans le deuxième chant, Vivien se confesse à Willehalm , reçoit la éommunion de la main de son oncle, et meurt en martyr. Willehalm essaie en vain de soustraire ce corps précieux à la rage des païens ; mais il a le bonheur de tuer Arofel, de s'emparer de son cheval Volatin et de revêtir les armes de ce roi païen, sous les- quelles il peut traverser librement les rangs des Sarrasins et arriver aux portes d'Orange. Gyburg le reçoit enfin dans cette ville dont elle lui a d'abord fermé l'entrée. Puis, dans une longue prière, elle expose à Dieu toutes ses douleurs , et comment pour suivre Willehalm , et surtout pour être chrétienne , elle a quitté l'Arabie, Tibalt et SON ETfFAifT. Le poëte allemand, comme on le voit, adopte, plus clairement encore que notre lrouvère,rancienne légende des Enfances Guillaume. Dans son troisième chantjl raconte le voyage de Willehalm en France, sa querelle avec les Orléanais, son arrivée à la cour de Ludwig et la terrible scène où il insulte Tlmpératrice sa sœur. C'est dans le chant suivant qu'on assiste à la réconciliation de Ludwig et de Willehalm, et que Renneuart fait sa première apparition. Au chant V, nous sommes brusquement transportés au pied des murs d'Orange : le Minnesinger décrit le siège de cette ville bien plus longuement que le poëte français , et nous fait entendre , durant un armistice , un dialogue théologique des plus singuliers entre Gyburg et Terramer. Parmi les rois païens qui entourent celui-ci, le fils de Tibalt et de Gyburg est le seul qui cherche à excuser sa mère, et Tibalt, de colère, veut l'étrangler. Rien de i>areil ne se trouve dans le Roman original. Le chant sixième nous raconte les premiers exploits de Rennewart qui jette « le maitre de la cuisine » dans le feu du foyer; il contient une longue allocution de Gyburg à Tannée chré- tienne. « Pensez au Paradis et écoutez les paroles d'une simple femme, etc. ■ Elle leur fait toute une dissertation théologique pour leur prouver que a tous les païens ne sont pas condamnés au feu de l'enfer «. Bref, les Français partent pour l'Archant. Au chant Vil, nous voyons coramencer la seconde et décisive bataille d'Aliscans ; l'épisode des couards est singulièrement interprété par Wolfram. Ce sont, suivant lui,» les troupes auxiliaires romaines » qui chancellent et que Rennewart ramène à l'obéissance. Le récit de la bataille occupe tout le # ANALYSE h'ALlSejNS. 44S sont véritablement prodigieux. C'est Guillaume : il se " '^J;/^;"" fait aisément reconnaître. Entre deux coups d'épée, ^"""""^ chant huitième, mais ici c*est un combat général sans épisodes saillants ; les admirateurs les plus déterminés de Wolfram sont bien forcés de convenir que leur poète est ici quelque peu monotone et ennuyeux. Le combat se continue au chant IX : Rennewart délivre les huit princes chrétiens qui étaient prisonniers ; il tue le géant Halzebier. Terramer lui-même est blessé à mort, et les païens vaincus se rembarquent. Quant à Rennewart, on le cherche partout sur le champ de bataille, et on ne peut retrouver ce vainqueur. Willehalm Ehkumeis se montre très-affligé de cette absence, et le poëme finit par Texpression de sa douleur. = Nous avons déjà discuté la question de savoir si le fFîUehalm de Wolfram est un pocme complet ou inachevé, et nous avons adopté sur ce point l'opinion de Ludwig Clarus. = Mais c'est dans la forme, avons-nous dit, que l'œuvre de Wolfram diffère surtout de la Chanson française. Notre poëme est essentielle- ment militaire ; celui du Minnesinger est avant tout théologique. C'est ce dont on a déjà pu se convaincre d'après l'analyse que nous en avons précédemment donnée, d'après V Introduction que nous en avons traduite. C'est ce que l'on saisira mieux encore après avoir lu l'épisode suivant {la Mort de Vivien) que l'on pourra comparer au texte français dont nous offrons plus loin la traduc- tion. « Après quelque temps [Vivien] s'aperçut — Que tous s'étaient éloignés. — Le fils de la sœur du marquis — Vit devant lui un cheval blessé : — Tout faible, il se mit à marcher, — Avec peine il s'assit dessus. — Il n'oublia pas son écu, — Et l'emporta avec lui. — Si cela pouvait être [ici] de quelque utilité, je devrais maintenant pleurer — Sur le fils de la fille d'Heimrich, — Mais je veux rendre justice à la fidélité — Et à la vertu chevaleresque. — Et si ma bouche en est capable, — Je raconterai Thistoire clairement, — Com- ment Vivien, qui fit tant à louer, — S'est sacrifié lui-même pour notre bien, — Et comment fut étendue morte sa main, — : [Cette main] qui avait défendu la foi, — Jusqu'à ce qu'il eût consommé sa vie. — [Le nom] qui nous fut donné au baptême — Et que Jésus lors de son immersion (qui fut pour nous une source de grâces) — Reçut lui-même au Jourdain, le nom de Christ. — Ce Nom est encore précieux — A tous ceux qui ont été baptisés. — Un homme sage ne se lasse jamais — De penser à sa dignité de chrétien. — C'est pour cela, aussi, que Vivien combattit — Jusqu'à ce que la mort lui prit sa jeunesse. — Dans sa vie était la source de ses vertus : — Si elle avait plané aussi haut que son courage, — Alors, peut-être, elle n'aurait en aucune façon — Été atteinte par les armes. — J'en ai pitié au-dedans de moi, ^- Et pourtant je me réjouis de la manière dont il mourut — Et dont il gagna le salut de son âme. — Le jeune héros, choisi de Dieu, '-' Chevaucha vers le cours du Larkant. — Et son âme certes n'était pas ' épuisée [comme son corps]. — Il se dirige, suivant la trace d'un ange,.* Sans force, loin du champ de bataille, — Vers une fontaine. — Des arbres, des peu- • pliers, — Un tilleul y frappèrent ses yeux, — A cause de l'ombre il prit ce chemin. — Celui qui garda son âme du diable, — [Ce fut] l'archange Chérubin. — 0 Vivien ! que tes souffrances — Rappellent Dieu à tout chevalier, — Quand il se voit lui-même en détresse. — Le jeune homme parla avec une douce voix : — « 0 Dieu puissant, que mon extrême douleur — Soit remise aux mains de ta « toute-puissance.— Mais du moins laisse-moi viyre assez longtemps — Pour voir 444 ANALYSE H'ALISCANS. II PABT. LivB. u. il s'arrête de temps en temps, et cherche quelqu'un "~""— — — des yeux dans la mêlée : or Vivien, où est Vivien? ■ s pars. Car Ausibier avoit Guillaume véu;... si le sieuvi comme cellui qui sa mort avoit jurée.. .= Moult vaillamment se deflendi Guillaume, le noble prince, et tani tua de Sarrasins que nul ne les nombreroit. Si le doubtoient tant que nul ne ANALYSE \yjLlSCANS. 445 En attendant qu'il retrouve son neveu, il attaque et "pabt. uvb.ii. *■ * CHAP. XX, renverse Pinel, fils de Cador. Cependant le tumulte Tosoit aprouchier, ains le fuioient... et tant les mena, et eulx luy, que il esloi- gna le lieu où Vivien estoit plus d*un grant trait d^arc. Mais ce pendant vint au secours de Vivien Bertran le sien cousin.. . et trouva Vivien qui de pasmoison estoit ausques revenu et qui entour luy regardoit que Guillaume estoit desvenu. Si lui dist : n Haa ! Vivien, beaux doulx cousins, fet-il, comme est celle journée « contraire aux nobles crestiens!... Mye n^est chose possible que eschapper en n puissiés, et certainnement de moy n'est rien ne de tous ceulx qui huy matin M se partirent de noustre compaignie... Car tant voy ce» champs... plains de « Sarrasins que, se à chacun horion en povions dix mettre à mort, si ne les « saurions-nous ne pourrions-nous descuufire en ce jour. Mais moult suy joieux « quant trouvé vous ay; car aveques vous ayme plus chier mourir que vivre, « tant que le mien cueur crevast de deil et de desplaisir... » Vivien... lui dist : K Bien voy que mourir nous convient, voirement, sire, fet-il; mais puis que « ainssy est destiné , je suy ausques réconforté de voustre compaignie , et me «t samble que nous mourrions plus aiséement Tun pour Tamour de l'autre. Et, n puis que mourir nous fault, donc nous convient-il vendre noustre mort et com- (I batre nos mortelx ennemys. » Et à ces parolles s'est Vivien lancé es Sarrasins... et... Bertran ne se faignoit mye, ains se faisoit par force de horions donner... si que... de loings lui tuèrent son cheval soubz luy les Sarrasins; el... vif le pri- rent, et jà Ten eussent mené quant Vivien se fery emmy eulx... el le rescouy et remist sur un aultre cheval... et il lui dist : « De ma vie n'est plus riengs, sire K cousins, fet-il; si me convient mourir comme bien le sçay, car tant suy par- « fondement nafvré que eschapper n'en puis par nulle voie. Et... vous... estes « sain et sauf, la mercy Dieu : si conseille que vous retraiés et voisiés à saul- « veté, puis que le loisir et le povoir en avés. Mais, comment qu'il soit, querés et Guillaume, le mien oncle, qui n'a guères s'est d'icy partis, mal gré eu ait-il « eu. Et à mes cousins, se ils eschappent de cestuy dangier, vous plaise moy n recommander:.. Car, en tant qu'il me touche, j'aime myeulx mourir que de « fouir ne que d'en desmarchier ung tout seul pas, puis que je l'ay promis et n voué à Dieu de Paradis » 11 regarda l'arbre que Guillaume luy avoit eusseigué et tira celle part au myeux qu'il péust et ainssy nafvTé comme il estoit.= Moult fut joyeux Vivien quant il se vist soubz l'arbre couchié, etil vist le vivier qui près de lui estoit. 11 se commença à refroidier lors et pardi toute chaleur par la vuidauge du sang qui de son corps estoit de toutes pars pardu et fdlé. Se joigni les mains vers le ciel adonq et piteusement cria mercy à nostre Seigneur Dieu, en luy requérant que avant sa mort il lui donnast telle grâce que il péust encores voir Guillaume, le sien oncle. Et lors, comme racompte l'istoire, dessendi une voix du ciel, laquelle, pour le reconforter, luy dist : il. « 11 est tant doulx, tant humble, tant miscricors, que il aura de moy mercy, s'il « lui plaist, et jà pour ce ne me reiTusera en sa compaignie. Si lui prie que « quant ma char aura pourry en terre et mon corps rexucitera au grant jour n du Jugement, qu'il me doint grâce de le véoir en la gloire où il colloque et K mettra ses benoists martirs. » Et lors cercha Guillaume soubz son hauoquetou et prist en son aulmosnière du pain benéist; car il en portoit voulen tiers sur luy quant il alloit en bataille, pour toutes doubtes, et lui dist : « J'ay du benéist « pain aporté, beaux nieps, fet-il ; se veil que vous en usiés ou nom du Père, « du Fils et du Saint-Esperit, par vertu desquieulx et ou nom d'un seul DieU il « est ffiit et sacré, » Sy ouvry les yeulx le noble chevallier Vivien, et, en regar- dant le pain à véue trouble et pi*esque estainte, lui respondi : a Donnés m'en u doncques, beaux doulx oncle, fet-il, et soies à ce dehiier mien jour mon tt chapelain; car tant sent le mien cueur vain, lasche et affebli, que aidier ne 4( me poUrrois plus. Si me soit celui pain le saùlvement démon ame. » Et lors lui aministra Guillaume, en souspirant dti cueur parfont, car puis ne ouy parler Vivien. Et quant il vist ses yeulx, sa bouche et sa face du tout palis, ternis et changiés, il lui Sovint de ses autres neveux, parans et chevalliers qu'il cuidoit tous mors pareillemeht. Si se doulousa plus fort que par devant, et dist à soy inéesmes : « Vraix Dieux, fet-il, qui croias iionune à ta fourme et semblance, (t veilles les Sitmes dont les corps gisent en ce champ, et lesquyeulx je amenay M gnons. » Et, en ce disant, ont la guette entendue, qui, au son de son cor , ^.v * k • CUAP. XX. 448 ANALYSE DfALISCAJVS, 11 PABT.LiTR.li. ses boiaus issir. Il est presque mort, mais son cou- rage est énergiquement vivant. Ses bras rouges de disoit : c Aux armes! aux armes ! trahy ! » dont la ville fut en ung moment li efFroïe que chascuu et chascune monta aux murs et aux portaulx, pour regar- der que ce povoit estre. Et Guibour méesmes monta sur le portail et vist Guillaume qu[e] jamais n'éust congnéu ou point qu'il estoit. Car en son escu ne paraît paiu- ture, vernis, ne aultre colleur ; et tant estoit froissié, rompu et cassé, son heaulme fendu et desserclé, son haulbert desmaillé, et son cheval changié à ung aultre, si que elle oe le savoit raviser. Et pour ce lui demanda qui il estoit, dont il venoit,et qu'il vouioit. Sy fut Guillaume tant dollant que merveilles, car il cuidoit qu'elle le conguéust bien. Si lui dist . h De moy gaber vous péussiés bien passer pour « le présent, dame, fet-il, car il n'est nul mestier, ne il ne m'en tient mainte- « nant, à la vérité. Mais faittes moy le pont abaissier et la porte ouvrir. » Sy lui respoiidi la dame, qui à son parler méesmes ne le reconnoissoit, pour tant que il avoit la voix comme toute esroée de crier et de braire toutjcellui jour :« Aiosty n'y « entrerés-vous mye, sire vassal, fet-elle, ne je ne sçay se vous estes crestien ou « sarrasin, ne quelx gens ce soot qui cy viennent après vous. Mais jà à homme « ne sera la porte deflermée ne le pont abaissié, se bien ne le cognois, jusques « à ce que j'aie nouvelle de Guillaume, le mien seigneur, pour les dangiers qui « s'en pourroient enssuir. v = Sainte Marie ! comme fut Guillaume desplaisant quant il entendi Guibour qui recongnoistre ne le scéut. 11 véoit Sarrasins de lui aprouchier, dont il se doubtoit trop, pour tant qu'il n'avoit aulcun reffuge, et que leans n'avoit chevallier, escuier , bourgois ne soudoier qui lui éust peu aidier à ce besoing. Si lui dist : » Uellas ! dame, fet-il, que or me ouvrés la « porte et me reconnoissiés, s'il vous plaist ; car je [suy] Guillaume le dollant , a qui en Arleschant ay mes barons, mes chevalliers et mes bons amis pardus , « sy qu'il n'en est que moy seul eschappé. Et ce Sarrasins me occient, donq y « sera tout demourc. >« Mais Guillaume a sa peine pardue, car elle ne scet qui il est ne quelle inttention ont ceulx qu'elle voit ainssi vers lui venir. Or s'en estoit- il party et séparé dix, lesquyeulx se avauçoient par devant tous les aultres et crioient tout liaulteuient. « De mort ne povés-vous avoir garant, faulx crestien, « fout-ils, car nous vous occirons avant que la porte soit ouverte. » El quant Guillaume se vist de si près chacié, il retourna sou cheval lors et, Tespée haul- cée contre amout, fiert le pi-emier qu'il eucoutre siaïréemeutque tout le pourfent jusques en la poitrine. Le segont, le tiers et le quart a-il vercés par terre et navrés si durement que bien aurout afaire de mire se ils ne veullent meschan- tement mourir. Mais les aultres six lui queureut seure, et jà lui eussent ausques donné à besongner quant la dame luiescria, disant : « Parlés à moy, sire che- « vallier, fet-elle, et vous retraics ycy près ; si vous feray tant de courtoisie a comme de vous faire le poul abaissier, pour Touneur de crestieuté, pour qui « vous combattes comme j'ay cy véu. » Et lors lui respondi Guillaume, a Faire o le devés, dame, fet-il, et moy repcevoir à seigneur ; car je suy Guillaume qui u jadis vous espousa en Glorietle le palaix. Mais si mal me ont atoumé les Sar- tt rasius que recongnoistre ne me savés. — Ce ne fay... certes, sire, fet-elle; u carà voustre escu, qui tout est dcspainturé, à voustre cheval qui tant esthault, « mesgre et cornu, ne à voustre parolle méesmes, ne vous prendroye-je jamais « pour Guillaume, le ûls Aymery , qui en ce palaix m'espousa voirement, à graot V CHAP. XX. ANALYSE h'ÀLlSCANS. 449 sang frappent encore de grands coups. Il y a bien "'*^"'„"JJ'"' des chevaliers qui ne sont pas aussi ardents aux com- mencements d'une bataille que l'est ce moribond à la fin de cette épouvantable journée. Mais, hélas ! la résistance va devenir impossible. Un nouveau corps de l'armée païenne se rue dans la bataille : c'est la « maisnie du roi Gorhant » qui est cornue « derire et (lestant ». Bertrand ne recule pas et s'élance à la rencontre de ces monstres. D'un autre côté, le roi sarrasin Haucebier fond sur la petite troupe fran- çaise à la tète de vingt mille hommes. Vivien réclame l'honneur de les combattre ; mais il ne saurait suffire à cette rude besogne, et il appelle Bertrand à son aide : « Je suis près de ma fin, dit-il d'une voix encore « puissante; mais j'ai assez de force pour emfaîr ce les Sarrasins. » Il marche à cet assaut, pantelant, aveuglé, couvert de son sang, et Bertrand fond en larmes en le voyant ainsi. Quant au poète, il éprouve lui-même de l'enthousiasme à la vue de son héros : « En vérité, s'écrie-t-il, c'est un martyr! » INous ne serions pas loin de jeter le même cri *. a joie et à grant sollempoité. Mais au nez vous reconnoistroie-je, se vous aviés « voustre heaulme ofllé de voustre chief. >• — Sainte Marie ! comme Guillaume fut dollant quant il se vist ainssi contraint qu'il convint qu'il otast son heaulme de son chief! Si le fist-il ainssi néantmoings. Et quant la dame le ravisa, vous devés savoir qu'elle fist grant diligence de faire la porte ouvrir. Et lors fut le pont abaissié. Sy y entra Guillaume, plus dolloureux qu'il n'avoit oncques mais fait en sa vie. Et, sans mot dire, s'en monta en son palaix, et la dame^après lui.. . laquelle lui demanda de ses nouvelles. Sy fut tant dollant que merveilles ; car il vist Sallatrie, la femme de son nepveu Girart, et néantmoings respondi : « Le « celler n'en vault rien, dame, fet-il, car tel me véés, tel me prenés. J'ai tout n pardu en Arleschant : Girarl le grant, Girart le petit, Guieliu, Bertran, Hunault « de Saintes, Fourques de Mellans, Gaultier de Termes, et Vivien méesmes, et n toute la chevallerie, soudoierie et mesgnie que je y menay. Et méesmement les « bons marchans et bourgois et aultres mesuaigiers que je contraigni en ma com- « paignie sont mors, occis et detranchiés; ne je n'eu sçay sinon moy, qui voul- « droie mourir maintenant de deill et de desplaisir que j'en ay en mon couraige. w (Ibid.,fo374etss.) > Aliscaruy édition de MM. Guessard et de Montaiglon dans le Recueil des III. 29 CHAP. XX. t AbO ANALYSE Hi'AUSCANS. II PABT. LiTR. II. On a beaucoup parlé de ces jeunes Gaulois qui ' s'étaient liés entre eux dans la bataille pour com- battre ensemble, frapper ensemble, mourir ensemble. A Aliscans, les chrétiens donnèrent aux Sarrasins im spectacle semblable. Sept jeunes gens, sans avoir be- soin de s'attacher les uns aux autres par des liens maté- riels, se firent inséparables et surent dans cette mêlée sans nom, dans cette effroyable tempête, partager la même fortune. C'étaient Gérart et Gui de Corn- marcis, Guichart, Gautier de Termes, Hue de Melan, Gaudin et Bertrand '. Les « sept cousins », sur une même ligne, frappaient les païens de grands coups qui semblaient partir d'un seule et même main. Mais, en ce moment, le roi Aérofle venait de paraître sur le champ de bataille avec une nouvelle armée de vingt mille païens. Peu de temps après, les sept insépara- bles tombaient au pouvoir des Sarrasins et la défaite des Français était définitive *.... Or, celui qui désespérait le moins, c'était celui qui, par-dessus tous, pouvait légitimement ne plus conser- ver désormais aucun espoir, c'était Vivien. Il se partage dès lors entre deux occupations : la prière et le massacre. Quand il a bien levé les yeux au ciel et longuement prié ^, il tue. Sous les coups de ce mourant, on voit tour à tour succomber Glorion, Galafer, Murgant, Rubion , Fausebert et Garsion^, Cependant son sang coule toujours de ses quinze plaies béantes. Un seul coup suffirait pour le mettre anciens poètes de la France, vers 1-194. Le même roi païen est appelé Gor/Mi/?/. dans un couplet en atit, et Gorhier dans le couplet suivant qui est en ier. Nouvelle preuve des licences que prenaient nos poêles. — < jé/iscans, vers 196- 256. Wolfram donne des noms peu différents à ces sept jeunes gens : « Bertrand, Guibelin, Uunas, Gaudin, Samson, Gerart et Guichart (Wischarl). » > jéùs^ cans, vers 257-299. — ^ Vers 300-34 1 . Les Saints particulièrement invoqués par Vivien sont « Martin, André, Pol, Quentin, Nicolas, Pierre, Firmin, Herbert Michel et Domin ». — 4 Jiiscant, vers 342-353. CHÂP. XX. ANÂLYHË XH" A Lise ANS. 451 hors de combat : c'est le £;éant Haucebier qui le lui " **^»^t. uvb. n. porte. Ce monstre hideux, à la tête difforme, aux yeux rouges, passe devant le neveu de Guillaume, lui traverse la poitrine avec un tronçon de lance et rétend à terre. Vivien, le pauvre Vivien est perdu ! Mais c'est ici que cet enfant va prendre à nos yeux les proportions les plus héroïques. Il sent bien que la mort lui est proche, et ne songe plus qu'à bien mourir. Dans cette plaine ensan- glantée, il y a une fontaine qu'ombrage un bel arbre touffu : c'est là que le fils de Garin d'Anséune veut aller se recueillir. Il s'y traîne, et le voilà enfin, loin des païens, dans cette retraite que Dieu sans doute lui avait réservée. Dieu désormais devient sa seule pensée ; il trouve encore assez de force pour a battre sa coulpe th. Il ne saurait plus s'agenouiller, car ses yeux lui tournent et il n'a plus de sang ; mais son esprit n'a rien perdu de sa vigueur ; sa mémoire est fraîche et son cœur vivant : « Mon Dieu, dit-il, se- a courez mon oncle Guillaume! » Telle est l'âme de cet enfant au milieu des affres de la mort ^ . Guillaume a bien besoin du secours céleste. Sur vingt mille hommes, il n'en reste que quatorze au comte d'Orange : quatorze contre cent mille! ! Et Guillaume ne songe pas à se rendre; une seule chose le préoccupe dans cet incomparable désastre : il ne veut pas que les jongleurs puissent dans l'avenir lui faire quelque reproche dans leurs chants *. C'est cette pensée aussi qui avait occupé la grande âme de Roland dans le vallon sanglant de Roncevaux. Une seule chance de salut reste à Toncle de Vivien : » Aliscans^ vers 364- iOG. — » Vers 407-438 : « Ja ircn auront hoDte mi aucesor, — Ne chanteront en vain U gogléor — Que jou de terre i perde plain. 1« tor — Tant ke je soie en vie 1 » GHAP. XX. 462 ANALYSE WALISCANS, " ^*^7ô"t"'"" ^® frayer un chemin jusqu'à Orange et s'enfermer dans cette ville en attendant le secours de l'Empereur. Il se met en route avec une témérité qui ressemble à de la folie; mais, à chaque pas qu'il fait, les païens lui barrent le chemin. «Ah! dame Guibourc, dit-il en •t pleurant, je crois que vous ne me reverrez plus. » Puis, avec une véritable tendt-esse, il regarde son bon cheval Baucent^ il a grand'pitié de lui, il le caresse ; ^ Cheval, lui dit-il, vous devez être bien las. Si nous a pouvions revenir à Orange, je vous donnerais de « belle orge, du foin choisi tout exprès pour vous, « et vous ne boiriez que dans des vaisseaux d'or '. » Le bon cheval, à ces mots, dresse l'oreille, comprend son maître « coni s'il fus t honi senez », agite sa belle tète intelligente et vive, bat le sol de ses pieds, aspire l'air à pleins poumons, et se met à hennir, pauvre bête, comme s'il venait de sortir de l'étable, ferré à neuf, comme s'il n'y avait pas cent mille ennemis autour de son maître. Ces joyeux hennissements ren- dent le courage à Guillaume, et il ne songe plus à désespérer*. Rien n'est plus fréquent, rien n'est plus naturel que ces scènes de nos Romans où l'on voit le cheval et le cavalier se prendre d'une véritable et pro- fonde amitié Tuu pour l'autre. Ne vivaient-ils pas ensemble tous les jours, toutes les nuits? N'étaient-ils pas compagnons de bataille, de coups de lance, de victoires? Et TArabe, de nos jours encore, n'aime-t-il pas son cheval aussi vivement que Guillaume aimait Baucent ? Vingt fois notre héros change de direction au milieu » AUjcmMs, vers 407.024. « Cheval, dist-il, moult par estes lassez. — S'cstre pêusses à Orenge meuei, — N'i mençis&iei d'orge ne fu$t purez, — U. fois o. 111. o le bacin colez — Et U fourages fiist jentil fein de prez — Tôt eslétiz et en seson fenei; — Ne bèussiez s'en \e>*el non dorez, - etc. — » Aliscans, vers ANALYSE WAUSCANS. 4&S de la bataille, vingt fois il est arrêté par les Sarrasins " part. litb. h. ^ ^ . '' CHAP. XX. qui ne veulent pas à tout prix le laisser rentrer dans Orange. Il en prend son parti, et se lance de nouveau dans la mêlée. Son écu est percé de trente trous, les lacs de son heaume sont brisés, son haubert est en lambeaux, son corps couvert de quinze blessures chancelle sur la croupe ensanglantée de Baucent : « Non, s'écrie-t-il, Roncevaux n'a rien été en com- « paraison de cette bataille.» Et il prie. Il garde dans cette extrémité la physionomie d'un saint en même temps que celle d'un soldat, et le poète a le . soin de nous rappeler ici que le vaincu d'Aliscans est honoré par l'Église : « Les Anges, dit-il, devaient un « jour assister à sa mort, et Dieu le bénir dans le cé- u leste Paradis! » Tout à l'heure c'était le fils d'Orable et de Thibaut, c'était Esmeré d'Odierne qui s'était placé devant Guil- laume ; maintenant c'est Brodual , c'est Telamon monté sur le bon cheval Marcepierre. Cerné par des milliers de Sarrasins, le comte d'Orange erre comme un fou sur le champ de bataille. Par bonheur, un grand vent s'élève; des tourbillons de poussière environnent les combattants et cachent Guillaume à ses ennemis. Il marche au hasard, pensant à Gui- bourc, pensant à son neveu Vivien. Tout à coup, près d'une fontaine dont li rui sont corant^ sous un gros arbre ombreux, il aperçoit un homme étendu. Il regarde, il s'avance. O ciel! c'est Vivien lui-même', et son oncle le reconnaît bien. L'enfant est blanC| froid et sans mouvement ; il est mort sans doute. Dieu ! quel instant terrible, et quelle douleur pour le cœur de Guillaume ! > Aliscans, vers 536-685. 454 ANALYSE h'JUSCJNS. PAwr. uvH. n. n est là, l'enfant Vivien ; il est là, étendu roide, CHAP. XX. • ' , ' ' » """"^"^"~ dans ce petit coin de la vallée où la bataille n'a point l'cnfciinSîieii. pénétré. On entend de là tout le bruit du combat , mais il semble que les oreilles de Vivien soient désor- mais insensibles à tout bruit, comme ses yeux à tout spectacle. Ses deux mains blanches sont croisées sur sa poitrine ; sa cervelle est répandue sur ses yeux ; un parfum délicieux s'exhale du corps de ce martyr. En s'approchant de plus près, on eût vu ses lèvres re- muer, et «a main battre sa poitrine. Mais Guillaume le crut mort , et se prit à pleurer : « Neveu Vivien , a dit-il, jamais Dieu ne fit votre pareil. Non, ne m'at- « tendez plus, Guibourc : vous ne me reverrez pas dans « Orange. O terre, ouvre -toi! ô terre, engloutis- « moi! » Alors le comte se frappa les poings l'un contre l'autre, et, de douleur, tomba pâmé du haut de son cheval Baucent'. Ainsi se lamentait Charle- magne après la mort de Roland. ce Neveu , dit Guillaume , tu étais si beau et si « vaillant! Jamais tu ne parlais de tes prouesses; « ton humilité égalait ta douceur. Cependant, ô « belle jeunesse, tu es de toute la race chrétienne « celui qui a tué le plus de païens, et tu n'as ja- « mais reculé d'un seul pied devant eux. Ah ! si Vers 84 1-867. L'auteur du fVHlelmlm, comme on l^a fait observer, a mal compris le sens du mot cdoer, et a écrit ceci : « Quand II PABT. LITB. n. CS4P. XX. 4&8 ANALYSE WAUSCAHS. Les anges de Dieu attendaient cette âme, et la por- tèrent dans les fleurs du Paradis ' VÎTien moorat, il y eut un parfum pareil à celui d'une forét à'aioèi, à. tout les arbres Tenaient à s'embraser. » « LA FRnnÈBB COMmmiON DK VIVIEN (Traduction littérale), «Le comte Guil- laume donne de l'éperon du côté où il a vu Vivien , — TerrîMe de colère et plein de raf;e. — H le trouve étendu sous un arbre , — A la fontaine dont la source est bruyante. Ses blanches mains sont croisées sur sa poitrine ; — Il a tout le corps et le haubert sanglants, .. Le visage et le heaume tout flam- boyants; — Sa cervelle tombe sur ses yeux. — Près de lui, il a couché son épée. — Et d'heure en heure il dit sa eoidpe — Et invoque Dieo dans son cœur, — Et, de sa main dose, frappe sa poitrine. — Dans tout son corps, il n'y a rien d'elitier : — « Ah ! s'écrie Guillaume, comme j'ai le corar dolent! « .. J'ai reçu aujourd'hui plus grand dommage — Que je n'aurai à en subir R de toute ma vie. — Neveu Vivien, depuis que Dieu a fait Adam, ... II n'y « eut jamais homme de votre vaillance. «— Les Sarrasins vous ont donc mis à « mort! — 0 terre, ouvre-toi , terre, engloutis-moi! ^ Dame Guibourr, ma « femme, vous m'attendrez en vain; — Je ne retournerai point à Orange. » — Le comte Guillaume va durement pleurant ; — H tord ses poings l'un eootn» l'autre: — « Las ! dolent que je suis ! » crie-t-il sans cesse. Mais on ne peut parler d'une telle douleur ; — Elle pèse sur lui, trop lourde, trop horrible. -^ n souffre tant qu'il tombe à bas de son cheval .— Et roule par terre, évanoui. Le comte Guillaume fut plein de colère et de douleur : -. Il voit Vivien qui gît là, tout sanglanL — Vivien sent bon, plus que baume et encens ; •» Sur sa poitrine il tient ses bras croisés. — . H avait an corps quinze plaies énormes; — De la plus petite, un Allemand fât mort : — « Neveu Vivien, dit Guil- « laiime, le franc chevalier, — Qu'est devenu votre corps si vaillant , — Votre « prouesse, votre audace — . Et votre beauté si avenante? Non, jamais Km ne « combattit comme vous Vous n'étiez pas méchant, ni chercheur de que- « relies ; — Vous ne vous vantiez jamais de vos exploits. — Vous étiez doux , « vous étiez humble.— Contre les païens, vous étiez hardi et conquérant ; .. Ja- « mais vous ne craignîtes roi ni capitaine. ^- Vous avez plus mis de Sarrasins « à mort q\i'ancun homme de votre temps. ... Beau neveu , ce qui cause votre « mort, c'est que vous n'avez pas fiii, — C'est que vous n'avez pas reculé d'un R pied devant les païens Et maintenant, je vous vois mort. — Ah ! que ne suis- « je du moins venu plus tôt, quand il était vivant! — lleiU pu communier avec t< le pain consacré que j'ai avec moi ; — H eàt ainsi connu le véritable corps de « Dieu, ^- Et, à tout jamais, j'en aurais été plus heureux. Seigneur , dai- « gne recevoir son âme ; — Car c'est pour ton service qu'il est mort en Alis- « cans, — Le brave chevalier ! » Le comte Guillaume renouvelle son grand deuil — Et pleure tendre- ment, sa main sur son visage : — « Vivien, neveu Vivien,- où est ta belle « jeunesse? — Où ta grande prouesse, qui était si nouvelle? — Jamais, jamais « tel brave n'est monté sur un destrier. — AhM Guibourc , comtesse et da- u moiselle Guibourc, — Quand vous saurez cette triste nouvelle, — Vous (I serez percée de traits de feu brûlant; — Je ne réponds pas que le ccpur ne K vous éclate sous la mamelle Que la Vierge Marie vous protège, — Cette ANALYSE lyjUSCANS. 459 Quand Guillaume eut longuement pleuré son ne- « '^"- "▼■• " veu, il se remit devant les veux sa situation vraiment — — '' m. La ftalte do comte « Vierge qui est le recours de tant de pécheurs ! » _ Le comte Guillaume chan- Gàillaoroe. celle de douleur, — Il baise les joues sanglantes de Vivien — Et cette tendre bou- che c[ui flaire si doux ; — 11 met ses deux mains sur la poitrine de son neveu ; — Il senty il sent la vie cpii saute encore dans le cœur de Vivien ; -. Il soupire du plus profond de son cœur. « Neveu Vivien , dit le comte Guillaume , — Quand je t^adoubai cheva- a lier dans mon palais, à Termes, -. Par amour pour toi, je te donnai cent « heaumes, — Gent larges neuves, cent écus, Et de la pourpre, et des man- « teaux, et dej gonelles, _ Et des selles, et des armes tant que les tiens en vou- « lurent. — Goibourc, dame Guibourc , quelles froides et tristes nouvelles! « — . Pourrez-vous en supporter la douleur? — Vivien , neveu Vivien, parle, « parle-moi ; Vivien, mon pair. . • » ^ Et le comte Tembrasse en le tenant par- desous les aisselles; — Il le baise moult doucement. Guillaume pleure, qui le cœur eut plein d*ire; — fl tient Fenfant embrassé par les côtés; —Moult doucement Ta plaint et regretté : — Vivien, mon seigneur « Vivien, où est votre beauté? — Votre vasselage n*a pas duré longtemps. — Je « vous ai nourri doucement, suavement. — Quand, à Termes, je vous ai donné « vos armes, ^ Pour votre amour, on y adouba, on y arma cent chevaliers. •;— « Mais les Sarrasins et les Esclavons vous ont tué, .. Et je vois ici votre corps « tout en plaies et en lambeaux. — Que Dieu, dont la puissance s'étend partout, « — Ait de votre âme et merci et pitié , — Et des autres aussi, qui ont été « frappés pour lui, — Et qui gisent ici, tout ensanglantés parmi les morts...Vous « aviez juré à Dieu ^- De ne jamais reculer, en bataille rangée, — De la lon- « gueur d*une lance, devant les Païens. «- Beau neveu, vous avez bien peu M vécu. "Ah! les Sarrasins maintenant vont pouvoir se reposer ;.*lls n'auront plus •> jamais de peur,^ls ne perdront plus maintenant un seul pied de terre, — Puîs- «c qu'ils sont délivrés de moi et de vous, — Et de Bertrand, mon brave neveu , — « Et de tout le baronnage que j*avais tant aimé. — Et ces Infidèles, ils auront « de plus Orange, ma ville, — Toute ma terre et en long et en large ; — « Jamais plus ils n'éprouveront de résistance. » — Le comte se pâme, tant il a de douleur Quand il se redresse, il a regardé Vivien : — Vivien avait un peu levé la tète ; — Il avait entendu son oncle. ^ Plein de pitié ^pour lui, il jette un soupir : — « Dieu ! Dieu t dit Guillaume , mes vœux sont exaucés. » — Il embrasse Vivien, et lui demande : — « Beau neveu, par sainte charité, vis-tu ? » — « Oui, mon oncle, mais j'ai bien peu de force ; — Et ce n'est point étonnant : « car j'ai le cœur fendu! » ^ « Beau neveu, dites-moi vérité ; — Vondriez-vous « avoir du pain consacré, ... Consacré un dimanche parle prêtre? » — . Vivien dit : « Je n'en ai pas goûté. — Mais je sais bien que Dieu m'a visité, ^ Puis- m que vous êtes venu à moi ! » I f Guillaume mc^ la main à son aumônière, — Il en retire du pain bénit, «- Qui a été consacré sur l'autel de Saint-Germain. — « Prépare-toi, dit a Guillaume, — Sans plus tarder, à te confesser à moi de tons tes péchés ; — « Jç suis ton oncle ; tu n'as personne plus proche , — Si ce n'est le Seigneur « Dieu, qui est le souverain par excellence. ^ Je veux être ton chapelain m et tenir la place de Dieu* — A ce baptême, je veux être ton parrain, .^ II PABT. LIYR. II, CBAP. XX. 460 ANALYSE IfAUSCANS. désespérée. Il était enveloppé de cent mille païens dont il lui fallait percer les rangs, s'il voulait péné- trer dans sa ville d'Orange, où Guibourc l'attendait; puis, il se disait, ce grand cœur, que son devoir était d'emporter avec lui le corps de Vivien et de ne point laisser cette relique aux mains des mécréants. Alors il monte sur son bon cheval et place sur le cou de Baucent le corps défiguré de Tenfant martyr, ce trésor qu'il voudrait arracher aux Sarrasins. Mais de quel côté se dirigera-t-il ? Quel que soit lé sentier qu'il prenne, et là même où il n'y a point de sentier, il trouve devant lui une haie vivante, une barrière in- franchissable, des milliers de païens; il va ainsi se heurter à toutes les issues de la bataille. Les vallées, les collines, la terre tout entière est couverte de Sar- a Et par là être plus pour toi qu*oncle ni frère. » — Vivien lui dit : « J*ai grand besoin •— Que vous me teniez la tète contre votre poitrine. — «i Oui, je le veux, donnez-moi de ce pain,— Yx je mourrai Tinstant dVnimte ; « — Mais hàtpz-vous, mon oncle, car le cœur me manque. » — «0 douloureuse Cl demande ! dit Guillaume. ^ De ma lignée j*ai perdu tout le grain ; — Je D*en «( ai plus que la paille et le chaume. — Tout mon bamage est mort. » Guillaume pleure et ne peut se rassasier de larmes. — Il fait tenir Vivien devant lui, — Moult doucement se prend à l'embrasser.— Et l'enfant Vivien com- mence à se confesser. — 11 lui dit tout ; il ne cache rien — De ce qu'il peut savoir el se rappeler : — «Ah! dit Vivien, il y a une chose qui me rend bien triste.— (( Quand je portai les armes pour la première fois, — Je fis un vœu à Dieu, xm » vœu que mes pairs entendirent. — Je jurai de ne jamais fuir devant les ln6- X djèles, De ne jamais reculer en bataille — De la longueur d'une lance, autant «« que je le pourrais supputer, — Et de n'être jamais trouvé en reculant, ni mort, « ni vif. ~ Eh bien ! aujourd'hui, une troupe immense de Sarrasins m'a fait re- « tourner en arrière. — Je nesab pas de quelle distance, je ne le puis apprécier; « — Mais j'ai bien peur d'avoir faussé mon vœu. » — «Beau neveu, dit Guillaume, n vous n'avez nen à craindre. » — A ce mot, il lui fait consommer le pain sa- cré — Et le communie avec le corps de Dieu. — Puis, Vivien bat sa coulpe une dernière fois. 11 ne peut plus parler; — Il en trouve encore la force pour prier son oncle de saluer Guibourc. — Mais les yeux lui troublcyit ; il commence à changer, — 11 se prend à regarder le gentil comte Guillaume .. Et veut en- core une fois le saluer de la tête. — L'âme s'en va, elle n'y peut plus dejneurer, — Et Dieu la reçoit dans l'hôtellerie de son Paradis, — Où il lui donne entrée et séjour avec ses Anges » (ÀliscanSf éd. Guessard et de Montaiglon, vers 691- 867.) ANALYSE WAU5CANS. 461 rasins; leur cercle hideux se rétrécit sans cesse au- " part. livr.ii. ^ ^ CHAP. XX. tour de Guillaume, qui sera tout à l'heure étreint et étouffé. Se jeter sur ces misérables, en tuer quelques- uns, c'est facile; mais ils se renouvellent sans cesse, et ces victoires n'épuisent que le vainqueur. Il prend le parti de reculer, et revient au lieu où Vivien a ex- piré. « Je t'aimais vivement , beau neveu ; mais tu « vois bien que je ne puis t'emporter d'ici. » Les païens, cependant, s'approchent encore, s'approchent toujours, et de tous les côtés à la fois. Guillaume va mourir. Par bonheur la nuit est venue, une nuit ténébreuse qui sauvera le baron chrétien. Il reste à cheval sur Baucent, et fait auprès de Vivien la veillée des morts, baisant ce corps béni, priant Dieu pour celte âme'. Il faut se figurer cette noble scène. Tout récemment en- core, un écrivain racontait d'une voix émue ses im- pressions en visitant un champ de bataille pendant la nuit même qui avait suivi le combat. Il décrivait ces montagnes de morts, ces. cris horribles des blessés qui ont soif et qui disent : « Tuez-moi ; par pitié, tuez- « moi; » ce sol rougi par le sang; ces poitrines ou- . vertes, ces entrailles qui se répandent , ces horreurs *de la guerre. On peut se représenter ainsi le champ de bataille d'Aliscans, et se figurer, au milieu de la splendeur et de la tranquillité d'une nuit du Midi, parmi l'horreur de ce spectacle , ce bon chevalier qui est le seul survivant d'une armée de vingt mille chrétiens , et qui veille placidement sur un enfant mort... Guillaume, cependant, dut renoncer à emporter avec lui le corps de son neveu ; il le laissa près de la fontaine et se retourna pour le regarder encore I Aliscansy vers 868-930. 462 ANALYSE V^'ALISCANS. II PABT. LivR. II. une fois; puis, il se remit de nouveau en chemin. CHAP* XX, '' — '■ — ce Que Dieu le conduise, nous écrierons-nous avec le ce poète. Dieu qui a été frappé de la lance et qui est cr mortsur la croix; que Dieu le rende à Guîbourç! » Là dessus, Baucent hennit joyeusement : « Mon cheval ce n'a pas peur, dit Guillaume, et moi je reculerais! » Il se jette alors sur quinze rois païens qui avaient la témérité de lui barrer le chemin , et la bonne épée Joyeuse fait là une rude besogne. Huit de ces rois sont bientôt renversés et tués. Malgré la résistance et la rage d'Esmeré d'Odierne, de ce fils de Guibourc et de Thibaut, les autres sont également abattus ou mis en fuite '. C'est le tour de Danebier. Il refuse de subir répreuve du jugement de Dieu que lui propose l'oncle de Vivien ; il est sans entrailles , il est inexorable. Guillaume , furieux de cette lâcheté cruelle , Fabat mort à ses pieds et l'envoie rejoindre en enfer ses dieux Burgibus, Mahom et Cahu ^. Mais Danebier va trouver un terrible vengeur : Aérofle se dresse sou- dain devant Guillaume épouvanté : « Tu mourras, » lui dît-il. Toutefois, il consent à épargner le marquis au court-nez si celui-ci veut renier sa foi , s'il reod Orange à Desramé et Orable à Thibaut : « AbandoiuMf « le Dieu de majesté! s'écrie Guillaume; j 'aimerais c( mieux avoir la tète et les membres coupés^. » Ce- pendant le pauvre Baucent a reçu une terrible bles- sure, et .déjà le comte le sent fléchir sous lui. Il ne faut pas de lenteurs , cette fois. Guillaume comprend I jiliscans, Vers 931-1083. C'est ici que se trouvent ces reproches sanglants adressés par Esmeré d'Odierae a Guillaume: « Tu m'as pris ma terre, tu as « cruellement battu mes frères, etc. » Guillaume se contente de lui répondre : « Tout homme qui n'est pas chrétien n*a pas droit à la vie. » L'importance scientifique de ce passage est vraiment considérable. C'est' d'après lui que nous avons cru pouvoir regarder Vy4rabellens Entjûhrung d'Ulrich du Thurlin comnt la copie du texte original des Enfances Guillaume ( V. notre argumentation, 111, pp. 261-263). — *j4iiscanj, vers 1084-1143. — 3 Vers lUé-IllO* ANALYSE h'ALlSCjias, 463 que le moment est solennel : il concentre toutes ses " ^^^^' "^"- "• forces dans un dernier coap quil porte à son en- aemi : la tête d'Aérofle roule à terre, et le chrétien reste maître du cheval de Témir*. Il est sauTé. Guillaume revêt toutes les armes du païen vaincu^ monte sur le cheval Folatise, met Baucent en liberté, et, désormais sans crainte, traverse tout le champ de bataille. Les Turcs le prennent pour Âérofle et s'incli- nent devant lui : le comte d'Orange, qui connaît bien le sarrasinois^ les confirme aisément dans cette erreur qui le sauve, a Je viens de tuer Guillaume, leur dit-il, et et j'espère bien être demain dans Orange. » Par malheur, quelques païens s'aperçoivent de la fraude : on reconnaît Guillaume à sa manière de chevaucher, à son hermine et à ses chaussés qui furent de san^ guin. On se précipite sur lui, et le voilà de nouveau entouré de trente mille Arabes qui sont conduits et excités par le roi Baudus. il éperonne Politise, il court, il vole. Deux lieues, mortellement longues, sont ainsi parcourues par ce vaincu qui ne veut pas nourir. Tout à coup, il frémit, il jette un cH de joie, '/jCjkMidit sûr son cheval.... ^fl vient, il vient enfin d'apercevoir les murs ^Orange *. C'est bien Orange en effet. A cette vue, mille pen- iv. cominent f 1 i»A 1 ^ .11 .i« Gaillaume rentra sees se pressent dans 1 ame de Gmilaome : voilà cette dans orange. tour de Gloriette où il a vu jadis Orable pour la pre- mière fois, voilà ce splendide palais où il a donné tant de fêtes, adoubé tant de damoiseaux, écouté tant de jongleurs ; voilà ces murs redoutables qu'il a fait construire lui-même, et qui tout à l'heure seront sa meilleure défense. C'est là, derrière ces murs, qu'est la comtesse Guibourc, joyeuse sans doute, et s'apprê- I Aliscani^ vers 1211-1364.— > Vers 136^^1568. ^ • CHAP. XX. 464 ANALYSE ly^LlSCANS. Il PABT. LivB. II. tant à recevoir les Français vainqueurs. En ce moment. peut-être, eMe pense à son neveu Vivien qu'elle a nourri, qu'elle aime comme un fils et qu'elle s'attend à voir revenir dans tout l'éclat d'une .grande victoirij Elle souritj mais dans quelques instants, hélas! comme elle pleurera ! Guillaume cependant se présente à là maîtresse- port^ d'Orange : a Portier, s'çcrie-t-il, hâtez-vous de a m'puvrir et de baisser le pont. » Et il attend avec anxiété que le portier obéisse à cet ordre ; car il dis- tingue' très-nettement le piétinement des chevaux et le bruit des Sarrasins qui le poursuivent : « Ouvrez, « ouvrez vite. » Le portier le jrégarde : « Arriére! « arrière! s'écrie-t-il. Si vous faites ua pas de phis, a vous êtes morL y> Guillaume s'étonne^ il s'élcrigne'. Il avait oublié, hélas! qu'il était cooveft d'armes païennes, et .que, sous le vêtement d'Àérofle, il était impossible de le reconnaître. Le portier le prenait pour un mécréant. Dieu! quel moment pour le marquis d'Orange! Il est là, à la porte de son propre palais, et on lui en refuse l'entrée. Et vingt mille païens s'appj-ochent, et dans quelques instants il sera perdu : « Je suis Guil- « laume, dit-il, je reviens de l'Archant où tous mes « hommes sont morts. Vite, baissez le pont. » Mais le portier ne Técoute plus, et s'empresse d'aller trouver la comtesse Guibourc : « Dame, il y a à la porte un << chevalier couvert d'armes païennes. Il est grand, et ic sa fierté est étrange. Ses bras sont rouges de sang, ic et l'on voit bien qu'il sort de la bataille. Il prétend « être Guillaume au court nez. » A ces mots, Gui- bourc change de visage, descend rapidement les d^prés du palais, et vient aux créneaux : « Que demandez- « AttscanSf vers 1 509- 1681. ANALYSE WAUSCANS. ' "" ' ^«B . J CHAP. XX. «'VOUS? dit-die à Guillaume/ ^=— Baissez le pont; n pabt. utb. m. c Desramé et Baudiis sont SM mes tttiees avec vingt — « mille Turcs. » Guibôurçy, 6 douleur! Gulbdorc ne , le reconnaît pas ! « Vous n'entreree point, i*épond-eIle à isrt^inconnu . (( Je suis seule ici avec les dames de ceux qtie mon c( mari a èimnenés à AliscaM, là-bas. Je n'ouvrirai la è potte à personne, si ce n'est à Guillatime qil# j'aime «tant. D Le marquis cependant pleure à iliaudes *^ ianhes, et l*aige li cort fil à fil sor le nez : « Je sufs ce GuiHâume, » répète-t-il en sasiglotant. Mais* Gui- bourc, ô douleur ! Guibourc ne le reconnaît pas ' . En ce moment, «dr toutes les coHhies qui environ- naient Oralfge, on Tit^iHàraître à lâ feis vingt bandes attViées dont on entendait les cris ^uvages et le tu- , anulte épouranlable. C'étaient les Seurrasins qui arrf- vaient au galop de leurs chevaux. Enisof^ quelques moments, étais vont ftmdre sur ce pauvre chevalier qui est Ul, tfemblantet en larmes, à la porte de son palais : « Voyez, disait Guillaume à sa femme, voyez « tous ces tertres couverts de païens. — ^ Votre voix, « lui répondait la dame, ressemble bien un peu à .jT ceHe de Guillaume; mais tant de gens setessem- « blent au parler! Non, vous n'etitrerez point, m L'oncle de Vivien, désespéré, délaça alors sa ventaiUe et leva son heaume d'or : « Regardez-moi, '4tt-il^ et « voyez si je ne suis pas Guillaume. » Guibotilre 4e pencha sur I^créneaux, le regarda, }e reconnu^eafiq^ et se hâta d^aller ouvrir cette porte trop longtemps fermée». 7* iMs, en ce même instant, d'horribles cris retenti- fgut sous les murs d'Orange. Une troupe de cent ]p«ens en armes passait par là, chassant devant cMe > Jlitcant^ yen 1582-1644. — >Ver8 1645-1664. Hli "** 80 •.* CHAP. XX. 466 ■ ' ANALYSE WALISCANS, .ii.PABT.uvR.li. deux cents prisonniers chrétiens qui tous étaient ba- cheliers, et trente dames. Les malheureux captife étaient chargés de lourdes chaînes, et leurs maîtres les battaient. Us étaient épuisés et tout en sang. Guil- laume contemplait, muet et impuissant, ce spectacle qui l'indignait; mais comment eût-il pu se mesurer contre cent Sarrasins dans l'état d'épuisement où il était lui-même? Il restait donc près delà porte d'Orange, et attendait qu'on la lui ouvrit. Cette immobilité révolta Guibourc : « Non, non, s'écria-t-elle, vous n'êtes pas a Guillaume, vous n'êtes pas la fière brace qù!on so- a loii tant loer. Ce n'est pas lui, certes, qui sous ses Retour de Guillaume a Orange, après la défaite d^Aliscars. {Traduction littérale.) « Le comte Guillaume s'est durement hâté : — ^ Ami Cl dit-il au portier, ouvrez-moi la porte : — Je suis Guillaume; c'est à tort que « vous ne me croyez pas. » — « Attendez un moment , *> dit le portier. — Aussitôt il descend de la tournelle, — Vient à Guibourc, et s'écrie à Toix haute • — « Gentille comtesse, dit-il, hâtez-vous. — Là dehors, est un chevalier n armé. — 11 est tout couvert d'armes païennes ; — Sa fierté est étrangement a grande; — Il rassemble à un homme qui sort de la bataillé, — Car ses bras et sont tout ensanglantés; — 11 est d'une taille énorme, armé sur son cheval. K II dit enfm qu'il est Guillaume au Court-Nez. — Venez-y, dame , ptr Dieu ; ♦. ANALYSE l^'JUSCANS. 471 encore restées dans ce récit, et auront frappé nos "'^^"J"-"- ' *^* CBAP. XX. lecteurs. Loin de nous la pensée de comparer cette t ■ « vous te verrez.» — Guibourc Tentend ; tout son sang est troublé ; — Elle deseetfft du palais seigneurial — Et vient aux créneaux, au-dessus des fossés : — « ^Que * « demandez-vous, vassal ? » dit-elle à Guillaume. — Le comte répond : « Dame, « ouvrez la porte — Bien vite, et faites abattre lé pdnt-levis; — Oif ''je suis « poursuivi par Baudus et Desramé, — Et par ^ingt mille Turcs dont les n heaumes sont verts et chargés de pierreries. — S'ils m'atteignent , je suis « mort. — Pour Dieu, gentille comtesse, lia tez-vous. » — « Point n'entrerez, « vassal, dit Guibourc. — Je suis toute seule ici, il n'y a pas un homme avec « moi, — Si ce n'est oe portier et lin prêtre, — Et mes petits enfants qui n'ont « pas dix ans passés ; — Je swi VÊèt nos dames, qui ont le cœur navré — A « cause de lenrs maris, ne sadhant ce qu'ils sont devenus. — Ils sont partU « avec Guillaume au Court-Nez , — Eii Alitcans, contre païens mécréanis. '^^ ' « Non, on n'ouvrira ici ni porte ni guîchit, — - Jusqu'au retour de Guillamnii;^ . « — Le gentil comte qui de noi est aimé.'— Àhl que le Dieu le préserve, 9ieû , « qui est mort sur la croix ! «> — GuiUawne l'entend; il s'incline vers la terre; — De pitié, il pleure, le marquis au Court-Nez; -^ Les larmes lui courent £1 à fil sur |te joues; — Il se relève, il rappelle Guibourc : — « Je suis Guillaume/ « dit-il. vous avez grand tort — Et je m'émerveill^fort que vous iflf. m'ayez * « pas i^onnu. — Je suis Guillaume : ce serait inal à vous de ue pas nfi croire.» . *^- « —Païen, dit Guibourc, vous mentez; — Mais, par l'apôtre qli'4|pl%QgHl « aux prés de Néron, par saint Pierre, votre chef Ara désarmé — Avail^que je 'JÉItoas ouvre la porte. » ' ^ ^V« comte Guillaume a grande hâte d'entrer, — Et'ce n'est pas mefveill^car il doit avoir ^ur. — .Derrière lui il entend le chemin retentir ~ Sous les pas de cette gent qui le hait : — « Franche comtesse, dit Guillaume le baron, — Trop « longuement me' faites denheurer. — Voyez : de païens toutes ces terres sont « couvertes. » — « Ahl^it Guibourc, j'entends bien à vos parole» que vous « ne ressemblez 'pas à GiiiWiiiaib : — Jamais je ne l'ai vu «voir peur des « païens. — Mais, par wàt Pierre, que je dois moult aimer^ -^ Je ne ferai « ouvrir ni porte ni guichet, — Jusqu'à oe que je voie votre chef désar- «t mé,'-*- Votre nez, votre' bouche et vos yeux; • — Car plusieurs gens se res- « 0itoiblent'au pu-Ier. — Ici, je suis seule, et ne suis point blâmable dans mes « craintes. » — Le Comté iPen tend, laisse tomber sa ventàille — Et relève son .*. > heaume vert et chargé de pierreries : — « Dame, dit-il, vous pouvez regarder à ' ic présent : — Je suis Guitlaniiie; laissez-moi entrer. >» — Comme Guibourc est en train de le reconnaitret -^^EUe voit cent païens traverser la campagne. — Ils sont partis de l'ost, commandés par Gorsu d'Urastes ; — Desrainé leur avait confié la garde — De deux cents prisMiniers chrétiens, qui tous sont bacheliers, — Et de trente dames au clair visage. — Le» païens les ont fait charger de lourdes chaînes, — Et ils les battent : puissent-ils être maudits de Dieu! — Dame G«ibourc les a entendus crier — El réclamer l'aide de Dieu.— Elle dit à Guillaume : « Je vois bien maintenant — Que vous n'êtes pas don Guillaume « le baron, — Ce fier bras couvert de tant de gloire. — Vous ne laisseriez pas «t des païens emmener nos gens, — V«us ne les laisseriez pas battre ainsi et « dévcrer nos chrétiens. — Non« vous ne les laiste-iez pas emmener de la P ^ ^ K r Il FABT. Uf^ II. 473 ANALYSE h'AUSCANS. m épopée si profondément naturelle aux poèmes de Tan- tiquité : le style XAliscans^ faut-il le dire, est médio^ (àfoite, et cela quand tous êtes si près. « •— « Dku ! dit le comte, comme elle ^ Wb veut éprouver! .^.Mab, par Celui qui a tout à sauver, -* Dussé-je avoir la « télé coupée, — Dussé-je être démembré tout vivant, — Je veux aller ici Jouter « devanl«lle. — D est bien juste que, par amour pour elle, je souffre quelque « chose, — Et que, pour apvndir et exalter le royaume de Dieu, — Je tra- it vaille et je peine mon corps. «—Il relace son heaume, laisse aller son cheval, — Avec toute la vitesse et Timpétuosité possibles, — Et court à la rencontre des païens, pour se mesurer avec eux ; — H perce Técn du premier, — Lui rompt son haubert, en arrache l'orfroî ; .. Parmi ton corps enfonce le bois et le fer de sa lance, — De Tautre part en a feft* 'passer le gonfanon, — . Et enfin, jnnbes levées, fait mourir le païen renversé. — Puis, il prend Tépée de ce mé- créant, » Et, avec elle, fait voler la tête d'un autre païen; — Il en pourfend «b antre jusqu'à la cervelle, Ec^ étend un troisième mort à ses pieds. — H frippe le quatrième avant fu*î1 aSt^ parier. — Païens le virent; Tépou- vante les prend — Ils s*enfaient pour sauver leur vie, — Et laissent en liberté tous leurs prisonniers. — Le baron Guillaume les suit pour les tailler en pièces, ^— Mais {Is fuient devant lui et n'osent demeurer. — Guibourc Ta vu» jlle com- mence àfileurer, et s*écA à haute voix : — «Venez, beau sire, vous pmivez en- « trer. • -^ Guillaume Tentend, il retourne, -» Galope vers les prisonniers, — hÊàMÊnm l'vn api)^ Tautre de leurs diaines .-. Et les prie d'entrer à Orange avec Iflpta.aa LesWens ont environné Orange; — TU ont brûlé la terr«, ils l'ont tÉÉk ravaglfe. — Guillaume cependant [est dansie palais ;] il a la tête désarmée ; — DaR Guibourc lui a ôté son épée. — Dolente, éplotée, die lui retire son heaume ; — Puis, lui enlève sa grande cotte couverte d'orfroi ; .. Sous le haubert, sa chair est toute crevée; — Il a quinze blessures ; — Ses imi sont en sang; L'eau du cœur lui est montée aux yeux — Et lui a oonlé-flV la face; — Guibourc le voit, et change de couleur : .i. « Sire, dit>>dlet'}t aub votre jurée, — Lojale- « ment épousée par vous selon la loi de Dieu ; ««■Ceil grâce à vous que je suis « chrétienne, — Que j'ai été baptisée sur les saints fonts, — Et que par l'huile « du saint chrême j'ai été régénérée en Dieu. -~ II ne m'est certes point dé- • fendu de vous entendre. Jlais d'une chose suis moult épouvantée ; — Cte « de ce que je vous ai ouvert la porte. — Si vous étiez Guillaume, vous anrfez « avec vous ramené votre mesnie, — Le coint» Bertrand au noble visage, — • L'enfant Guichart qui bien frappe de l^êpé0;'U& Et Guielin, et Gsudin de • Pierrèlée,— Et Yirien dont je suis si tvlite, — Vt iMrt'fe baronnage enfin de la « terre chrétienne — Puis, il y aurait M d^ jVBfjburs,— Et on entendrait le son « des vielles; — 11 y aurait enfin une gmdi joie autour de Guillaume vainqueur. « — Non, vous n'êtes pas Guillaume; j'en suis tout effrayée. » — « Dieu ! dît le •c Sire Guillaume, dit Guibourc en pletn^nt ;— Allez en France, et, avec votre « permission, — Je resterai, moi, dans Orange la grande. — J'y resterai, moi et les « dames qui sont ici ; — GHtomie de nous revêtira le haubert jazrran — Et, sur « son chef, le heaume wrt et loimiC; — Chacune ceindra Tépée à son c6té, — « Mettra l'écn à son cou «t Pépieu tranchant à son poing. — Il y a ici des che- « valiers dont je sais le nombre. — Que vous avez délivrés des païens . -i- Nous «( monterons tous ensemble sur ces murs, là-devant, — Et bien les défendrons « rf Ici Turcs les assaillent. — Oui, je serai armée comme un soldat — Et, par « saint Dtnfs que je prends \ garant, — B n'y a pas de Sarrasin ni de Persan, « — Si je l'atteins d'une pierre, en lan^nt, — Qui ne tombe de son cheval. » — Guillaume l'entend, il va embrasier^iibourc; Par grand amour ils se tien- nent embrassés; — L'un pour Fratre pleure de douleur. — Tant va Ginbourc priant et suppliant Guillaumey»»Qli'iVHi! promet d'aller en France, chercher du secours. « Ah ! sire Guillaume, dit Guibourc la sensée, — ^ Tu vas partir en France la «'louée, — Et tu vas me laisser dolente et égarée — Au milieu d'une gent dont jene ^ suis paflfUlmée. — Cependant, toi, tu iras en une terre riche et abondante; — u Tu y verras mainte jeune 61le aux belles couleurs, Et mainte noble dame « bien parée. — Je sens bien que lu m'auras bien vite oubliée, — Et que ton «< amour ira bien vite de ce côté. — El que pourriez vous regretter, hélas! en « ce pays — Où vous avez enduré iMit 4b pemes, — Et la faim, et la soif, et U PART. UVS.II. C^p. XX. 414 ANALYSE l^JUSCANS. Il FART. LITR.11. jeg répétitioDs, des longueurs : mais à quelle hauteur "^ ne s'élève pas la pensée du poète ! Etudiez les types ;qa'il a fait vivre dans ses vers : il en est trois surtout dont on ne retrpuverait pas la beauté dans la poésie primitive des autres peuples. C'est Vivien, c'est Guil- laume^ c'est Guibôurc. Cet •enfant qui meurt couvert de plaies, cherchant en vain dans sa mémoire le sou- venir d'une faute et ne s'açcuàant que d'avoir reculé d'un pied devant cent mille Sarrasins ; ce vieux comte assistant à la mort de tous les siens et imposant le respect à touteune armée païenne ; cette femme surtout qui se fait soudain plus courageuse que le plus coura- geux des hommes, qui le relève, qui l'exhorte, qui le sauve, et puisqui, fatiguée de cet effort, redevient tout '^jffjpliedovleun? » — - Le Comte Teutend, il a regardé Guibonrc; — L*eau da ir MH^it moDteciaax yeux ; —-Les pletiM coulent le long de aon menton sur sob JAmI "émtt, -«Et momllent le foiurft|« de son épée. — U embrasée Gui- fourc, li^^oiifoi-tè ; — La couvre dèMlets, la tient dans tes bras, éjÊk, '\m\ dit : « Ne soyez' pas inquiète,'dhme ; -i^lft tous donne ici et vous engagi^K « foi -. Que je ne changerai pas de vêtements, ni de chemise, — Ni de braies, « ni de chausses, — Que je ne me laverai point la tête, — Que je ne mangerai « point de chair ni de poivrade, — Que je ne boirai pas de vin, ni d'épices, — •« En maser'm^ ni en coupe dorée; — Que je ne boirai habituellement que de « l'eau, — Que' je ne mangerai point de gâteau bluté, — Mais seulement d'ua « gros pain mêlé de paille; — Que je ne conchérid pas sur couette de plume, — « Que je ne taoe ser\-ii^ai pas de draps encourtinés , — Mais seulement du cuir « de ma selle feutrée. — Et jamais ma bouche ne touchera une autre bouche; « — Elle ne connaîtra que lé baiser et la saveur de la vôtre, — Dans ce palais « dont la cour est pavée. » — Alors le Comte l'a baisée encore une fois — Et il y eut mainte larme pleurée....= Orand fut Guillaume, il eut le bras carré. — Dame Guilbourc lui a ceint l'épée; — Le clerc Etienne lui apporte sa targc; — Le comte la prend, en passe la courroie dans «on bras. — Desceud de la salle pavée, — Et vient au perron, sbus l'olivier touffu. — Toule sa gent est avec lui armée. — Il monte sur son cheval qui eut la croupe carrée. — Dame Gui- bourc lui dit alors sage parole : — « Sire, dit-elle, vous m'aver é}>ousée.— Bénie « et consacrée à l'honneur de Dieu. C'est grâce à vous que je suis chrétienne; « — . Toute ma terre vous fut abandonnée. — Tu sais quelle joie je t*ai apportée ; « Sou\ien$-toi un peu de cette malheureuse. »• —11 l'embrasse, il la rassure,— .:— U la réconforte doucement. . . — Puis il s'est mis en sa voie. — Que Dieu le conduise, qui fit ciel et rosée, — Ainsi que la Vierge Marie! » (Aliscans, édit. Guessard et de Montaiglon, vei«4&9T*2066.) ANALYSE jyjLISCJl^S. 47 S à coup une pauvre femme au cœur aimant et aux yeux n part; uv». h. pleins de larmes ; ces trois héros de notre drame exci* — • - tant au plus haut point notre admiration enthousiaste; On a dit, on répète que le Christianisme a amolli les âmes; qu'il a diminué la somme de virilité sur la terre ; qu'il a en particulier efféminé la femme an- tique. Le récit d^Aliscans , ce récit essentiellement populaire, vient démontrer le contraire. Qu'on nous cite la femme de l'histoire ou de la fable antiques dont on pourrait légitimement comparer la grandeur et le courage au courage et à la grandeur de Guibourc... Guibourc est le type de la chrétienne, et nous ne craignons pas de saluer ce type au passage. ^* ... Ce chevalier qui suit au galop de son cheval le ^J^j!°^J^'^ chemin de la France, qui ne s'arrête ni jour «i aait, ^ qui ne veut pas de gîte ni de repos, c'est OutfÉiilDn* a* Il traverse, comme l'éclair, l'armée païeniie qyî IbptQ^^E^ C^range; il se précipitey^î^ de fait halte qu*à Oji^ans^ On le vit un jour entrer dans cette ville, pâle, dé- charné, hideux. « Ce doit être un voleur, » se disent les bourgeois épouvantés, et le châtelain l'insulte : « Je suis « chevalier, o lui dit Guillaume qui ne peut parvenir à se faire croire. « Conunent ! s'écrie alors notre héros, « j'ai résisté à cent mille Turcs, et un seul homme ici « m'outragera ^ ! » Là-dessus, il se jette sur le malheu- reux châtelain et le tue. Puis, il tombe sur lesOrléa- nais et en massacre cinquante. Hernaut de Gironde passait par là, et les bourgeois vont se plaindre à lui de ce furieux dont ils ne peuvent avoir raison; mais Hernaut, après avoir attaqué Guillaume et s'être fait p 0 renverser de son cheval, ne tarde pas à re€iéiÉ^fiBe ' son frère : a Je suis Hernaut, » lui dit-il, j5t ils» tom- . bent tous les deux dans les bras l'un de l'autre. Gûil- > Al'uçans, vers 2047-2082. — • Vtrs 2011^9180, I ,« 476 ANAIfYSE WJUaC4VS. "«'^CT.iJvii.iï. laume lui baisa les yeux, la face et le cou, mais non ■ ^^'"- point la bouche ; car il se rappelait la promesse qu'il Rivait faite à Guibourc '• Peu de temps après, par un beau dimanche, v 1» comte Guillaume, . le vaincu d'Aliscans, faisait son entrée à Laon, où se trouvait alors le roi Louis avec sa cour. i Louis était depuis longtemps en paix, et sa cour, grâce à cette paix, grâee surtout aux anciens servie ces qu'avait rendus Guillaume, était devenue somp* tueuse. On y était toujours en fête. Au moment même où l'oncle de Vivien arrivait à Laon, on s'apprêtait à y célébrer joyeusement la grande fête du couronne- j ment de l'impératrice filanchefleur, fille d'Aimeri, ^ soaur ^e Guillaume. Les jongleurs accouraient de u toiltesi|KLrts ; on ne voyait partout que riches parures, ^ pc|ailXi4e.martre, vair et gris^ paile et samil; on n'cn- •endaitj^que cris de joie et chansons d'amour. C'est durant ces préparatifs magnifiques qu'un importun, une sorte de misérable mal vêtu et de mine suspiecte se présenta à la porte du palais impérial. Il était im- mense, et son cheval était énorme. Son haubert pen- dait en débris informes; son heaume était brisé; sa grande barbe était en désordre ; de grosses taches de sang, fort laides, déshonoraient ses vêtements qui n'avaient rien de gracieux ; il était horrible ; il faisait peur. A sa vue , les garçons d'écurie , les valets de l'Empereur éclatèrent : « Est-ii grand! dit lun. — « Quel cheval! dit l'autre. — C'est un diable, reprit im , « troisième. » Pendant ce temps, l'inconnu se taisait; ^ il avait la force de comprimer sa colère , et attendait. Mais il augurait mal de sa réception par l'Empereur, et ^fureur commençait à s'embraser*. ' Aliscans, vers 2186-2219. -^^ Vers 2220-2316. V i» ANALYSE IfAUSCJNS. 477 Il descendit de cheval. Jadis, quand il était le favori " part. ut*». de Louis, cent écuyers s'empressaient autour de lui, • '- — ^ — et c'était à qui tiendrait la rêne de son destrier; mais les temps sont bien changés. Devant ce chevalier qui a Fair si pauvre et n'a plus d'or à distribuer aux garçons ni aux damoiseaux, tout le monde s'écarte, et Ton fait la solitude autour de cet homme devenu dangereux. Dès lors, l'étranger, les yeux pleins de larmes, prit le parti de se servir lui-même et d'atta- cher son cheval à un olivier. Pendant ce temps, on était allé prévenir Louis de l'arrivée de cet hôte étrange. « Demandez-lui son nom , dit Louis. — Je « m'appelle Guillaume au Court-Nez, » répondit une voix terrible. Et notre héros ajouta : « Voici que je suis devenu a pauvre, et je vais savoir aujourd'hui si l'Empereur , -^^ ce avait pour moi un véritable amour ; car c'est dans a l'adversité que l'on éprouve ses amis*. » Guillaume, * hélas ! ne pouvait s'attendre à toute l'ingratitude qui allait lui déchirer le cœur... U croyait sans doute que son seul nom prononcé changerait le visage et les dispositions de tous ceux qui l'entouraient; il s'imaginait que le Roi, tout joyeux, allait descendre allègrement les degrés de son palais et lui tendre les bras ; que sa sœur Blanchefleur vien- drait le désarmer ; qu'on donnerait en son honneur un splendide repas et qu'on lui ferait raconter la grande défaite d'Aliscans; que les chevaliers de la cour l'entoureraient avec des cris d'enthousiasme et de joie, et que, sur-le-champ , on équiperait une grande armée pour délivrer Orange et venger la mort de Vivien. Comme il se trompait, le comte Guiltaumo! V A . A peine eût-il dit ces mots : « Je suis Guillaume^ » f|kie > jâliseans, vers 2217-2388. ?• iiMRT. LivR. II. Tisolement se fit encore plus complètement autoifr de CHAP. XX. *^ *^ lui. On vit alore, ô ingratitude I on vit tous les cheva- liers, tous les damoiseaux, ceux-là même qui devaient à Guillaïune leur fortune et les arfia^dont ils étaient couverts, passer devant lui dédaigneusement, le re- garder d'un œil curieux, le laisser seul. Quelques- uns se moquèrent de lui : c'étaient sans doute ceux qu'il avait le plus comblés de ses bienfaits. Pas une main ne se tendit vers lui; pas une bonne parole ne lui fut dite. On le ^traita comme un excommunié'. . Il était là, au pied de son olivier, et devant lui pas- sait toute une procession de curieux ; on se le mon- trait au doigt : a Voilà, disait-on, à quel état est réduit a le vainqueur de Corsolt, le libérateur de Rome, le ec protecteur de l'Empire. » Et l'on riait en haussant ^% , les épaidiss. Guillaume , pour répondre à tant de railleries, âe contentait de leur apprendre la grande ' Jf nouvelle : « Nous avons été vaincus à Aliscans, et a Vivien est mort. » Mais qu'importaient à ces hommes heureux la défaite de la chrétienté et la mort d'un martyr? Ils passaient leur chemin, et allaient à leurs affaires. Guillaume suivait du regard ces insouciants et ces ingrats : a A.h! si je leur apportais de l'ar- a gent! » Alors, plein de tristesse, if sentit les lar- mes lui monter aux yeux ; il s'assit à terre, pensa à Guibourc et pleura abondamment ^. Puis, aux pleurs succéda la colère, et cette colère devait être épouvantable. Guillaume déjà parlait de rogner la tête de l'Empereur ^ ; il était surtout emporté » Aliscans, vers 2389-2417. « Ensi va d'omme ki chiet en po vertes : — Jà n'erl chéris, servis ne honorés. » — ^ Vers 2418-2463. « Anqui saura Guil- « lames an vis fier — Com povres hom puet au riche plaidier. » — 3 Vers 2464- 1^ "* 2496. Il faut ajouter ici que le Roi s'était amusé, du haut de sa fenêtre, à gaber le vieux Comte : «* En vérité, lui avait-il dit, vous êtes bien misérablement vêtu « pour vous présenter à la Cour. Mais nous voulons bien cependant vous rece- (( voir à notre table, etc., etc. » • *-> • • •* / ANALYSK h'ALlSC^NS. . 47» contre rimpératrice, sa sœur. Or, c'était le lendemain " ^^^^' ^9^^^- qu avait lieu la fête du Couronnemenf.î. ^ Tout est prêt pour cette solennité : c!est cour plé-* nière. Les dames sont en vêtements d'or, en draps de soie j les chevaliers sont couverts de vair et de gris. Le vieil Aimeri de Karbonne est là , avec Hernaut , Gui-- beit, Bemart et Beuves; on l'assied près de l'ËSn- pereur, et Hermengarde est placée près de sa fdle Blanchefleur. Celle-ci éclaire toute la cour de sa beauté et rit à tout le monde, excepté à son frère. La salle est jonchée de roses et de lis qui exhalent une suave odeur; Tencens brûle dansées encensiers ; les jongleurs ont tiré leurs vielles de J^urs fourreaux et s'essayent à chanter. On chuchote, on rit, on est à la joie. Seul, dans un coin, un hommerai manteau, qui s'est assis sur un banc , ne dit rien et demeure sombre ; il cache une épée nue sous son vêtement, et, plein de rage, attend le moment de se jeter sur l'Em^ pereur ' . La vue d'Aimeri , son père , et de sa mère Hermen- garde ^ ne détourne qu'un instant le comte Guillaume de sa colère qu'il va faire éclater ; et cependant il ne les avait point vus depuis six ans ! Il se lève enfin, et, • « d'une voix tonnante : « Que Dieu garde, dit-il, celle ohe * « qui je naquis, et mon père, et mes frères, mais qu'il Vers 2626-2634. — 3 « Ot le li roi», li sans li est fiiîs, — Et la Roïne vausist estre à Parik » i^'- ^ ^j * > • \v 480 • ANAIYSE X^ALISCANS. NlBT. UTB.n. CHAP. XX. « saints, si^njpn père Aimeri n'était pas là, je coupe- ^"""""""* « rais la tête de ce roi! i> Les FraBç^js s'attendent ^alori à quel<|te spectacle palpitant, et, en véritables Français, commencent à perdre de Téur terreur pre- # mière et à s'intéresser au drame : « Vous verréi, di- fi |ent-ils, que ce GuiUautfie va faire quelque diable* « Tie. » Et ils atten(]feht, en connaisseurs, la péripétie qui ^'approche. Blanchefleur et Louis, blêmes de peur, tremblent sàr leurs fauteuils d'or'. C'est alors qu'après avoir serré dans ses bras son vieux père, sa mère et ses frères, Guillaume se met à raconter, devant la cour, toute la défaite d'Âliscans, et l'invasion des ikrrasins, et la résistance des Français, « • et la mort de Vivien, et l'héroïsme de Guibourc, et la détresse* d'Orange. A ce récit , tous les yeux se rem- plissent déiarmes. On entend des sanglots : c'est Ber- ^art qui pleure son Çls BeVtrand; c'est Beuves qui vient d'apprendre la captivité de Gui et de Gérart, ses fils. Le vieil Aimeri lui-même garde le silence, et ce don Diègue songe sans doute au déshonneur de sa race. Seule, une femme conserve , au milieu de cet universel désespoir, un front tranquille et fier : c'est V*v ' Hermengarde. « Vous êtes des lâches, n s'écrie-t-elle. t Allons , dit-elle à son mari , ne faiblis point de la ce sorte I Je te donnerai tous mes biens; moi-même je « m'armerai ; je mettrai r#cu à mon cou et Tépée à mon « poing. Mes cheveux sont blancs, c'est vrai, mais j'ai a le cœur tout jeune et rempli d'espérance! » En en- tendant ce fier langage, Aimeri sourit à travers ses larmes' C'est ainsi que, dans cette belle épopée, les femmes sont plus héroïques et plus viriles que les hommes. Mais qu'est-il besoin, d'ailleurs, de relever toutes les beautés de cette incomparable scène ? « Jlucans, yen 2535-2667. — » Vers 2658-2735. « * * AfULYSE D'JLISCJI9S. 481 GuillaumQ) cependant, est resté debout au milieu n part. uvb. h. * * CHAP* XX» de cette cou» que tant d'événements inattendus re? '■ muent et consternent. Il est là, avec setSiabits eâ hail- ^1*^ Ions , sa tête échevelée , Técume aux lèvres , la rage au cœur, tenant ses yeux implacablement fixés sur '^ jLpuis , sur sa sœur, et les tu^nt par avance é|yec Iç. terrible éclair de ce regard : « Tu ne te souviens «c guère du jour, sire Louis, où je te mis la couhmne oc sur la téte^. » Blanchefleur commet alors l'impru- dence de vouloir disculper l'Empereur et se disculper elle-même ; et c'est ce qui porte la colère de Guillaume à sa dernière extrémité. « Tais-toi, tais-toi, lui dit-il ce avec la brutalité d'un soldat ; tu n'es qu'une misé-e «c rable, et Thibaut d'Arabe le sait bien , lui dont tu Aliicans, vers 3036-3145. 11 j a ici, dans notre poëme, des longueurs vraiment insupportables. On noiu y fait assister & une nouvelle altercation eatre le Roi et Guillaume. L'Empereur consent enfin à donner une grande armée au comte d'Orange, mais à la con- dition qu'il ne sera pas forcé de quitter Lao» «t de la commander lui-même... ; ' ■Vi 4f4 ANALYSE X^'jIUSCàNS, Il PART. UVR. II. CBAP. XII. • CHAPITRE XXI. LE HEltLEUR ALLIÉ DE GUILLAUME. — PREMIERS EXPLOITS DE HKNOUART QUI VA DEVENIR LE PRINCIPAL HÉROS DE TOUTE LA GESTE. (Aliscans.) Analyse Uans ics Épopécs artificielles , telles que la Hen- (suite). riadej lout est uniformément héroïque et sublime. 11 en est de ces poèmes assez monotones comme 8e nos tragédies classiques : le rire y est défendu. Les héros y sont perpétuellement occupés à de grandes choses qui ne les laissent pas vivre un seul instant de la vie des autres hommes, de cette vie où la joie est si souvent mêlée aux larmes. Ces héros, qui parfois sont un peu guindés, marchent toujours à pas comptés et sonores; ils ont notre apparence, mais il semble qu'il ne sont pas comme nous des êtres vivants, en chair et en os. Ce sont des héros; ce ne sont pas toujours des hommes. Il n'en est pas de même dans nos vieux poèmes na- tionaux. Leur forme, sans aucun doute, leur style et leur langue sont prodigieusement inférieurs à la forme, au style et à la langue des Épopées classiques; mais leurs personnages sont souvent plus vrais. Ils ne sont pas condamnés à l'héroïsme à perpétuité; ils vivent de notre vie, combattent, agissent, plaisantent, pleu- rent et rient comme nous autres. La gaieté et les pleurs se mêlent très - naturellement dans chaque heure de leur existence qui ressemble à la nôtre. Nous les admirons quelquefois un peu moins, mais nous les comprenons davantage. ANALYSE HrjLISCJNS, 4f| C'est ainsi que, dans la geste de Guillaume, nous " »*a"« "^■- "• voyons, entre le désastre et les représailles d'Alis- cans , apparaître soudain un personnage héroî- comique qui divertissait étrangement nos pères et les induisait en un gros rire, après que Guillaume avait fait couler toutes les larmes de leurs yeux. Ce nouveau héros, c'est le géant Renouart. Comme Ro- bastre il représente, dans notre cycle, « la force cor- ce porelle au service d'une bonne cause, » la force sans intelligence, brutale, niaise.  chaque mouve- ment un peu gauche de ce colosse, les auditeurs du moyen âge se pâmaient de joie, et, si nous ne faisons pas comme eux, c'est que nous avons le malheur d'être plus raffinés. ... Le roi Desramé vivait à Cordres, au milieu de ses '• o» 9or§^4» quinze fils : Renouart était le plus jeune ^ . C'était avant de rampemir. 1, ' 1 • . • 1 * A 1 • Premiers exploits expédition d Aliscans. et portrait A Renouart on avait donné un précepteur, qui s'appelait, d'un nom charmant, Piccolet . Ce Piccolet n'était rien moins qu'un puissant magicien. Mais, parmi les enchanteurs de nos Romans, il en est qui, comme Auberon, croient au vrai Dieu et sont fort bons chrétiens. Le maître de Renouart, au contraire, était vraiment satanique*, et le poète nous le prouve en nous faisant assister à une de ses leçons : a Ne sois a pas assez audacieux, dit le précepteur à l'élève, a pour croire en Dieu et en la Viei^e. Si tu rencontres « sur ta route un honnête homme, ne manque pas à « le battre. Fais le mal toujours, fais le mal partout, j» Par bonheur, le fils de Desramé est une honnête na- ture, et se révolte contre un tel enseignement : « Mau- > Le récit suivant, jusqu'au moment où Guillaume apparaît de nouveau, est emprunté à la dernière partie des Enfancts Fipien, dans le ma, fr. 1448 de U Bibl. impériale, P 201 v» et suivants.— » Enfances Fip'ten, ms. 1448, f 201 T* et 202 v. deBenooart. 4M ANALTSS VJUSCAHS. Il PAWP. Lirm. u. ^ dites so^t VOS leçoiis, » cfit-il à TeDchanteur qui se met alors à le frapper cruellemeDt. L'en£u)i n'avait jusque-là pas eu coniiâeDce de sa force, et s'était laissé bsfttre. Mais cette fois il se sent blessé, et sa fu- reur éclate. Il saisit son maître, le renverse, lui plume les cheveux et la baii>e, et s'apprête à le tuer, lorsque tout à coup il se souvient de son père. Crai- gnant le courroux de Desramé, il met Piccolet en lihwt*'. « Le DMiâcîeB, fou deriragei ^tlè ^Bge plus qu'à se tengeÉ^ va recours aux iMiilili î seerets d«*son art •el pr^MM dans \m mortier Ji né sais qttel philtre ^ in£ehial. Renouart a Timprâdence de le bôlrè, et le voilà enchanté, ou, conune le dit le [kiète, enfantônié. 7^ H ne sait plus où il est, il ne peut plus se conduire, il est ivre. C'est alors que [son préiéèpteur Témiiiène secrètement, et le vend à des mâKhands. Ceux-ci allaient en France : ils y conduiisent l'enfant et, peu de temps après, le vendent au roi Louis '. La cour était alors à Laon; l'Empereur arrivait d'Espagne où il venait de délivrer FenËuit Vivien que les païens assiégeaient dans Luisernè. On célébra le re- tour du fils de Charlemagne par im grand banquet. Or le fils de Desramé, dont on ignorait la haute ori- gine, avait été mis à la cuisine et placé sous les ordres du maitre-^eux. Mais cet enfant était déjà énorme, et rien ne pouvait satisfaire sa faim gigantesque. Al- léché par les odeurs du festin, il vola ce jour-là uA paon à la poivrade et le mangea en deux bouchées : ce fut sou premier exploit. Le maître-queux entra en grande rage, et frappa Renouart : . celui-ci l'abattit d'un coup de poing, et lui creva la cervelle. Puis, tranquillement, il saisit < I Enfances FWien, nu. 1448, f» 202 r«. — * F* 202 r« et t«, ANALYSE X^ALISCANS. 487 trois cuisiniers et les jeta vivants dans les chaudières. " »*^^- "^*- "• ^ •* CHAP. XXI. Après quoi, la conscience satisfaite et le visage serein, il s'enferma dans la cuisine , en tira les verroux et, comme le paon à la poivrade l'avait mis en ap|)étit, il mangea le dîner tout entier, le dîner du Roi! Oui, il n'en voulut rien laisser, et pétrit ensemble tous les restes, mêlant le sucre avec le poivre et trou- vant ce mélange succulent. Il fallut ^e l'Emipereur capitulât avec ce forcené : a Si vous voulez à raaûbger, a sire, donnez-moi à boire. J*étouffe. »« Loîlift dt](f en passer par la voloniè é«^|^' terrible enfoiit*. S'ilflleàr^ il le laissa dans ses cuiskies; et né comprit ptr^n quel ' homme de guerre on pouvait transformer ce redou- table garçon. C'est à Guillaume qu'il appartenait d'avoir un jour ce discernement et de faire du fiis>dé« Desvamé le plus puissant ennemi de son père ei de toute la race païenne. Ce Renouart, cegloutèm, n'était rien moins que le futur vengeur de Vivien, le futur soutien de Ja Chrétienté tout entière ! v - Mais son courage dormit longtemps. Pendant toute la durée de la première expédition d'Âliscans, ce fils de Desramé, ce frère de Guiboùrc, resta caché panhmi les queux du roi, s'abétissant de plus en plus, raillé par ses vils compagnons, condamné aux plus rudes, aux plus dégradantes besognes. Quelques jours avant le départ de la grande armée pour Orange, Guillaume aperçut ce géant qui sortait des cuisines impériales. Renoiiart alors avait vingt ans, et ses moustaches commençaient à pousser; il était très-beau, et cette 'beauté éclatait sur un visajge sans expres^on et que de longues persécutions avaient tout assolé. Le maitre- queux s'était amusé (quel plaisir délicat! ) à lui bar- bouiller de suie tout le visage, et lui avait fait raser ' Enfances F'men, f» 202 v<> et 203 i^^ CHAP. XII» 488 ANALYSE \yjiLlSCANS. II PABT, UTB. II, tous les cheveux. Et les écuyers et les garçons de se moquer de lui'. Qui n'a vu semblable spec- tacle? qui n'a vu, dans nos rues de Paris, quelque grand jeune garçon, tout efflanqué et abêti, être suivi par une foule d'enfants qui l'insultent et l'ac- compagnent avec des cris? Parfois la victime manque de patience et se met gauchement à poursuivre un de ses petits persécuteurs : malheur à celui qui est at- teint! Tel est Renouart. Lé jour même où Guillaume le vit pour la pre- mière fois , il lui donna ce spectacle. Poursuivi , frappé, agacé par cent écuyers, et longtemps patient, il finit par se mettre en une formidable colère; il at- teignit un de ses bourreaux, l'empoigna rudement, le fit tourner deux fois en l'air ; puis, le jeta con- tre un pilier comme on jetterait une balle, lui ar- racha ainsi les deux yeux de la tête, et le tua. Ce fut l'affaire d'un instant. Guillaume était connaisseur en coups de poing et en coups de lance : il admira viveuient ce début de Renauart: « Par saint Denis! « dit-il, voilà un rude bachelier. Sire Empereur, ne « voudriez- vous pas me le donner? — Je le veux bien, ce répondit Louis. N'oubliez pas qu'il est païen et que, ff malgré ses demandes réitérées, je n'ai pas encore « jugé bon de lui donner le baptême. Du reste, il n'a a jamais voulu nommer son père, et il m'a été vendu « par des marchands qui ne m'ont rien dit de son « origine. » Renouart à partir de ce jour devint le serf, ou plutôt le compagnon de Guillaume *. I Aiuctuu, vers 31 47-3190. * Vers 3191-3301 . Cette histoire est racontée à peu près dans les mêmes termes en deux couplets différents qui ne présentent pas la même rime. (V.,dans notre tome I, notre chapitre sur la versification des Chansons de geste, pp. 221 et ss.) ANALYSE ïyAUSCANS. 489 Il allait, à cette école, devenir le premier héros de " '^"t. uyb. h. tout le monde chrétien; et sa gloire allait éclipser ■ celle de Guillaume lui-même. iDes, à la vue de cet homme immense, de- viennent blêmes de peur. L'ami de Guillaume prend alors un pot de vin , et le vide d'un trait. Le ceifelier du monastère veut supposer à ce vol : il est tué. Puis, rencontrant des pauvres à la porte du couvent, Re- nouart leur distribue les pains du monastère, et s'éloigne comblé de bénédictions. Quelques instants après, il rentre en possession de son cher tinel que quatre écuyers lui avaient caché. Les malheureux payèrent fort cher cet amusement : ils eurent les mem- bres brisés et poussèrent des cris de douleur. Quant à Renouart, il contemplait son arme favorite, la baisant mille fois et chantant à tue-tête, de joie '.... Le long de la route, le géant jouait avec son tinel, avec cet arbre que sept sergents et quatre chevaux ont tant de peine à traîner. Sa beauté s'est accrue ; il voudrait déjà être k Orange pour délivrer sa sœur Guibourc , il voudrait déjà être à Âliscans pour ven- ger Vivien. Il aspire l'air joyeusement ; il s'attend à être le héros de quelque lutte immense, et voudrait que cette heure fût déjà venue. Comme il était descendu dans une eau courante pour laver son tinel sur lequel il ne voulait pas voir la moindre tache, il se débarrassa de sa cotte et se mon- tra demi-nu aux yeux de toute l'armée qui n'avait pas encore appris a le connaître, et le couvrit de huées. Biais la petite Âélis, qui n'était déjà plus une enfant, resta alors les yeux fixés sur Renouart : elle le trouva beau et l'aima*. Alors, les trompettes sonnèrent et l'armée se mit en m. Dêpwtde route. L'empereur Louis, sa femme Blanchefleur et pouritaeconae leur fille Âélis firent leurs adieux à Guillaume qu'ils d^S^Mmû î Mueaiu, ym 849M784, — > .Ven^STSS-aSSl. 492 ANALYSE D'JLISCANS. Il PAHT. uvR. II. i^e pouvaient accompagner plus loin. « Si je t'ai jamais ■■ « fait de la peine, pardonne-le moi, » dit Aélis en embrassant Renouart. Sa mère voulut en vain la dé- tourner de cet amour. Aélis allait bientôt se marier avec Renouart, avec ce libérateur de la chrétienté; elle allait être couronnée reine d'Espagne dans le palais de Cordres et porter au front la couronne d'or ^ ! Cependant la Grande Armée était en marche. A quelque temps de là, l'avant- garde aperçut une grande fumée dans l'air : c'était Orange que les païens venaient de brûler^. Mais la tour de Gloriette était encore débout, Gui- bourc vivait et Guillaume approchait, l^s païens pouvaient trembler , car le jour des représailles était enfin venu ! CHAPITRE XXIL LES REPRÉSAILLES d'ALISGANS. ( Aliscans.) Analyse Pendant que Guillaume faisait a la cour de 1 £m- (soiteetfio). . percur ce long voyage dont nous avons raconte les péripéties si dramatiques; pendant que, fidèle à son vœu, il couchait sur la dure, laissait sa barbe croître et détournait sa bouche de tous les baisers ; pendant qu'il réunissait une armée de cent mille hommes et amenait au secours des chrétiens du midi ce redoutable Renouart dont nous avons esquissé le • L'épisode d' Aélis est racontée deux fois sous la même forme en deux cou- pleU de rimes différentes (vers 3882 et sutv.) — > Vers 3882-3067. RenouarC ANALYSE h*j4USCj4ArS, 493 portrait et rapporté les premiers exploits, la pauvre " »*ait. uvr. h. Guibourc était restée dans Orange avec les cent dames • '*.•«.! iJT i~«ii **.! ï* Arrivée de qui en étaient la seule défense. Elles avaient le parmée française heaume en tête, le haubert au dos, Tépée au côté , et Gi^hoSc raie venaient de livrer aux païens une rude et glorieuse bataille à coups de pierre. Épouvantés, les assaillants ^'étaient enfuis dans TArchant et avaient mis le feu à la ville. Quant à la tour de Gloriette, elle était im- prenable. C'est en ce moment que Guibourc entendit un bruit sourd, et aperçut un nuage de poussière à l'ho- rizon. Elle monta au sommet de son donjon et put bientôt contempler un grand spectacle.... Une armée immense s'approchait. Les heaumes étincelaient au soleil, les gonfanons de soie flottaient au vent, les chevaux hennissaient, les trompettes sonnaient : a Ce sont les Sarrasins, » se dit Guibourc. Et, sentant cette fois ses forces épuisées, la coura- geuse femme pleura : « Guillaume, Guillaume, répé- « tait-elle, vous m'avez oubliée. Je suis perdue, je suis « morte'. » Et elle pleurait encore. Soudain elle en- tendit une voix qu'elle connaissait bien, et cette voix lui disait : « Je suis Guillaume que vous avez tant a désiré, et l'armée que vous voyez est celle de 'X France. Ouvrez la porte de la tour. » Guibourc leva les yeux et aperçut un grand chevalier qui se tenait sur le seuil :« Otez votre heaume,» lui dit-elle. Il l'ôta, et elle reconnut Guillaume. Alors, tout éperdue de joie et presque folle*, elle descendit les degrés en cou- ^Jl'ucans^ vers 3968-4039. — » Vers 4040-4074. Guibourc reconnaît son mui^àlaboce ke li ot fait ISORÈS DB MONBRANT — Très devant Rome en la bataille grant 9 (4073-1074.) L'auteur à'jéiiscams *ne connaissait pas sans doute la version du Couronnement Loojrs qui nous est restée ; il suivait d'autres traditions. Dans le texte du Couronnement, c'est Corsolt, et non pas Isoréj qui blcMe Guillaume au visage. 494 ANALYSE Hi'ALÎSCjlîiS. II PAIT. uvR. lu rant. baissa le pont, et tooiba dans les bras de son CHAP. XXII. ,1 > i_ , 1- #• . mari. Ils s embrassèrent dix fois et pleurèrent long- temps. Comme elle était encore dans la première ivresse de ce bonheur inespéré^ Gutbourc aperçut une sorte de géant armé d'une perche colossale qui venait d'entrer à la cuisine : « D'où vient cet homme? dit-elle. -^ « De France , dame, — Qui vous l'a donné ? — Le > Le mari de Guibourc fait à ce nouveau venu un accueil encore plus fraternel qu'à tous les autres, et court à sa rencontre les bras tendus. C'est Aimer le Chétif, celui qui a conquis sur les Sarrasins la terre de saint Marc, Venise; après Guillaume, c'est le plus courageux et le plus fier de tous les enfants d'Aimeri '. Enfin, toute l'armée chrétienne est rassemblée, et la grande guerre peut commencer*. L'attention de tous les Français oé tarda pas à se fixer sur Renouart, sur cet être bizarre qui ne quittait jamais les cuisines et ne voulait point se séparer de son énorme bâton. Toujours en lutte avec les cuisiniers, il n'avait qu'une seule façon d'en finir avec eux, mais elle était terrible : il les jetait dans le feu et les regardait brûler sans étonne- * jiliscan», ver» 4177-4209. — » Vers 4210-4331. — 3 Vers 4232-4264. — 4 Wolfram, dans le chant cinquième de son Willehalmj avait intercalé, avant Tarrivée des fils d*Aimeri, un long épisode qui ne sie trouve pas dans notre Al'ucans. Bendant une trêve, Gyburg et Tcrramer se livrent, dans le poëme allemand, à une kn^iie dispute théologique ; Terramer est furieux contre Gy- burg qne son fils Ehmereitz est le seul à défendre ; Tibalt veut tuer Ehmereitz, et Willehalm arrive au moment où la détresse des assiégés est à son comble. UTB. 11. CHAP. \xii. 496 ANALYSE l^'AUSCANS. II PAw. u¥B. II. ment et sans émoi. Ensuite (et c'est un trait de son ca- CHAP. XXII. ^ ractère qui! est bon de signaler) il se redressait fière- ment, et, sans vouloir encore révéler son origine à qui que ce fût, se disait tout bas à lui-même : « Tu es le a fils d'un roi, tu es le frère de quinze rois, et ne dois « pas permettre qu'on t'insulte! » Tant de force, tant de fierté, concilient déjà à Renouart l'amitié de Gui- bourc. Elle va le chercher à la cuisine, l'arrache aux méchants compagnons qui le raillent, s'assied près de lui et lui parie très-doucement: « Venez dans ma « chambre de pierre, lui dit-elle, et je vous vêtirai a d'une belle pelisse d'hermine. » Elle l'emmène, et , avec je ne sais quel vague pressentiment dans l'âme : a N'avez-vous pas une sœur? lui demande- t-elle. — « Si vraiment, répond Renouart. Il n'est pas de femme « qui soit plus sage ; il n'est pas de fée ni de sirène a qui soit plus belle. » Le géant se tait alors, il baisse la tête, et Guibourc reste silencieuse aussi. Li cuers li dist — Ke cest ses frères, mais nel vaut demander. Toute cette scène est charmante*. L'heure (jb départ approche ; car il ne convient pas que les Glitétiejp|^ s'endorment dans Orange. Les psuetl3 se sont reh*anchés dans la plaine d'Alis- t cans : c'est dope à Aliscaos qu'il faut les attaquer et les vaincre. Guibourc, qui a cherché de nouveau à savoir le secret de la naissance de Renouart , et n'a pu obtenir de lui que cette réponse ; « Vous le « saurez à mon retour, » Guibourc ne songe plus qu'à revêtir des plus riches et des plus fortes armes le champion de la Chrétienté. Elle tire d'un écrin un haubert aux doubles mailles , aux quartiers d'or et d'argent, qui appartint jadis à l'émir Tornefier; puis X AUscanSy vers 4265-4476. L'auteur du Willehalm insiste ici sur la ressem- blance merveilleuse de Rennewart et de Gjburg (chant Yi). CBAP. XXU. ANilLYSE D'JUSCJSS. 497 une épée qui fut autrefois celle de Corsuble; elle les n»AtT.u?t. u offre à Renouart qui les repousse énergiquement : « Je n'ai besoin que de mon tinel, dit-il, et vous ver- c rez conmient je saurai massacrer les païens. Cha- « cun de mes coups abattra le cheval et le cavalier. » Guibourc, que ce courage ravit, lui saute au cou et l'embrasse. Mais les femmes ne renoncent pas aisé- ment à leurs idées , et la fille de Desramé , pleurant à la seule pensée des dangers que va courir Re- nouart, le décide enfin à revêtir le haubert et le heaume : « Prenez 1 epée aussi, lui dit-elle. Si votre « tinel venait à se briser, elle ne vous serait pas inu- c tile. » Il la laisse faire ; puis se regarde, et se trouve fort beau sous cet appareil militaire qu'il porte pour la première fois. Telle est cependant la force de l'ha- bitude qu'il rentre dans la cuisine et se met à tourner la broche, le heaume en tête et l'épée au côté. A sa vue les cuisiniers s'enfuient, et Renouart, aussi gour- mand que brave, profite de leur terreur pour faire un de ses meilleurs repas. Tous les barons alors lui ten- dent leurs hanaps, et l'invitçnt à boire. Ils essayent, d'ailleurs, et essayent en vain de soulever Je formi- dable tinel; Guillaume lui-même y échoue. Le géant, au contraire, le manie avec une légèreté prodigieuse; il le fait tourner plusieurs fois autour de sa tête, le jette en l'air et le rattrape avec Tune ou l'autre de ses mains ; il jongle avec cet énorme bâton^ avec cet arbre : si le manoie com aloe esprevier. Cependant on s'attroupe autour de lui, on l'admire, on l'applaudit; maÎ6 lui , sans s'occuper davantage de ces jeux inu- tiles : a Aux armes! s'écrie-t-il, et partons à Alis- a cans ' ! » Tout Renouart est dans la scène que nous venons de > AlUeans, vers 4477-4663. m. 83 CHAP. XXII. 498 ANALYSE WALtSCANS. 11 PAIT. ufB. u. raconter : c'est une sorte d'Hercule ignorant et cros- sier, qui est né roi et s'enorgueillit, mais en secret, de sa naissance. C'est un païen qui n'a souci que de tuer les païens et qu'un instinct irrésistible pousse vers l'Eglise. Sa foi, du reste , sera toujours matérielle et brutale, et il ne comprendra jamais qu'on puisse ser- vir la Vérité autrement qu'à coups de tinel. Singu- lière idée, après tout, qu'ont eue nos épiques d'aller chercher ce héros dans les rangs des Sarrasins et d'égaler sa gloire à celle de Charlemagne ou de Guil- laume ! C'est le triomphe de la force musculaire, et de cette force toute seule. Car Renouart n'a rien de sympathique : il est glouton, cruel, dénaturé. Tout à l'heure il prendra plaisir à lutter avec son père et à massacrer ses frères l'un après l'autre. Son amour pour Guillaume, cet amour même qui peut passer pour l'une de ses vertus, n'est guère que l'attachement d'un chien pour son maître. 11 ne fau- drait lui demander ni de la délicatesse, ni de l'es- prit. D'un bout du poëme à l'autre, il est sans cesse occupé à faire des repas brutalement homériques et à avaler des pots de vin d'un seul trait; puis, à jeter les cuisiniers dans le feu ; puis , à perdre et à retrouver son tinel ; puis, à écraser des Sarrasins avec cette arme primitive. Ces péripéties se renouvellent perpétuellement, et elles sont plusieurs fois racontées* par notre poète à peu près dans les mêmes termes. Pour tout dire, rien n'égale peut-être la beauté de la première partie à^ Aliscans; rien n'est plus long, plus ennuyeux parfois que la fin de cette Chanson où Re- nouart tient trop de place... Cependant les Français, au cri poussé par l'ami de Guillaume, se mirent en route vers Aliscans, et Gui- bourc, à Tune des fenêtres de Gloriette, vit bientôt dis- ANALYSE WAUSCANS. 499 paraître à l'horizon rarrière-garde de cetle grande armée qui allait venger la mort de Vivien ^ Les Païens occupaient un espace de cinq lieues, et attendaient de pied ferme les Chrétiens. A la vue de ces innombrables ennemis , il y eut un certain fré- missement dans les rangs des Français , et ce frémis- sement ressemblait à de la peur. Guillaume le sentit : a Nous voici^ dit-il, au moment de la grande bataille, « et jamais peut-être il n*y en aura eu de plus ter- a rible. S'il en est parmi vous qui ont peur, je leur « permets de se retirer et leur donne volontiers c congé. » De telles allocutions, d'ordinaire, sont suivies d'une généreuse protestation et n'ont d'autre effet que de raffermir tous les cœurs ; mais les lâches, ce jour-là , eurent le courage de leur lâcheté : dix mille Français eurent Tincompréhensible audace de sortir des rangs et de s'en aller tranquillement loin de ce champ de bataille où ils laissaient leurs frères en danger^. Jamais désertion plus infâme n'a été ra- contée par les auteurs de nos Chansons de geste, et nos épiques ont l'habitude de ne mettre une telle couardise que sur le compte des Lombards. Par malheur pour les couards, lorsqu'ils arrivèrent à certain défilé de la montagne, au moment de passer un pont, ils rencontrèrent devant eux un homme énorme qui brandissait un arbre dans sa IIPAST. UYB. 11. CHAP. XXII. II. PréparaUfs de la seconde bataiUe d'AKacaos. ^ Les couards. Echelles paieone& et bauilloQs chrétiens. > Aliscans, vers 4664 et suiv. Toujours plus théologique, plus froid et plus long que le poète français, Wolfram d'Elschenbach place ici une harangue de Gyburgy qui, ayant été infidèle elle-même et voyant Renouart encore mécréant, se met à défendre les païens avec la subtilité d'un casuiste : « Le premier homme « que Dieu a créé n'était-il pas un païen ? Élie, Henoch, Noé, étaient des païens ; « Job également ; et Dieu cependant ne les a pas rejetés. 11 en est de même des trois N rois mages , Melchior, Balthazar et Gaspard ; c'étaient des païens , et ils ne « sont point condammés. Tous les païens ne sont pas réservés aux peines de TEn- « fer, etc., etc. » Combien notre Chanson de geste est plus naturelle et plus vive t a Aliscans, vers 4784-4802. a Mal soit de Teure ke itel gent fu née. » CHAP. lUl. » t bù9 ANALYSE X^^ALISCANS. iiPABT. uvB. II. main, et qui, d'une voix terrible, cria en leur bar- rant le chemin : « Où allez-vous? » Cette apparition leur glaça le sang dans les veines ; ils crurent que c'était le Diable, et arrêtèrent soudain le galop de leurs chevaux : « Nous retournons en ce France, dirent-ils. Oui, nous avons hâte de revenir (c dans notre pays , où nous nous ferons baigner et « ventouser, où nous boirons de bons vins et man- « gérons de bonne chère. Voulez-vous pas venir avec a nous ? Si ce tinel vous embarrasse, on vous le por- « tera '. — Taisez-vous et parlons d'autre chose, leur et répondit Renouart. Sachez que j'ai été constitué par « Guillaume garde du camp, et je ne souffrirai point « que vous vous échappiez comme des lièvres. Malheur « à vous! » Alors il se jette sur eux; du premier coup de son tinel il en tue cinq ; du second coup, il en abat six autres ; en quelques minutes il en a massacré plus de cinquante. C'est ce qui donne à réfléchir aux couards : *jiUSCj4NS. il P4BT. Ijy^ II. CHAp. xxn. m. GonmeDcements de la grande bauille. Délivrance des sept enfant» captifo. S^V elle se mit en mouvemeDtl et Ton entendit ce piétine- ment colossal de deux cent mille chevaux; puis, un silence se fit, suivi de cris épouvantables. Les deux armées venaient de se rencontrer. Choc terrible ! La bataille, aussitôt, devint une mêlée. Les deux peuples sentaient trop bien que cette lutte était déci- sive, et que, le soir de ce grand jour, ce serait Maho- met qui dominerait la terre, ou Jésus-Christ. Le premier moment d'une bataille est toujours af- freux. La rage des deux partis est encore toute fraîche ; les forces sont entières; on veut se dévorer les uns les autres. On se dit : a Je mangerai de ta chair ; » on se précipite, on tue, on meurt. Dès le commencement du poignéis^ les Français et les Sarrasins se prouvèrent leur haine mutuelle par les grands coups qu'ils se portèrent. Baudus, fils d'Âquin, traversa la bataille, monté sur son cheval Ampatin , et tua Guyon d'Au- vergne et Milon de Romorantin. Aimer accourt sur son destrier Florentin à l'aide des chrétiens qui plient, et se jette contre Baudus, mais tout-à-coup se voit en- touré de dix mille païens. Il s'était habitué à de telles solitudes au milieu des combats, et fait aux mécréants la plus magnifique résistance. Il bondit, il se retourne à droite, à gauche, de tous côtés ; il taille les bras, les têtes, les corailles; il est splendide à voir. Toutefois il s'affaiblit, et crie ce Narbonne! » pour appeler son père à son secours. Aimeri n'était pas loin, par bonheur : il arrive. Guillaume, Bernart, Guîbert, Hernaut et Beuves s'empressent à leur tour et délivrent leur frère. La bataille devient universelle, et, sur tous les points, plus horrible encore. Le sang coule à torrents et les chrétiens font des prodiges de courage ; mais, hélas ! ils sont un contre vingt-six. Qu'importe ! ils massa<» ANALYSE l^'ÀUSCANS. 503 crent, et massacrent encore, corn fait li leus familleus es brebis '• On entend çà et là les barons d'Aimeri qui jettent leur cri de guerre : « Narbonne! » Ceux de Guil- laume crient : « Orange ! » Et les autres fils d'Aimeri se distinguent dans la bataille par d'autres mots de ralliement: «Gironde! Brebant! Andrenas! Barbastre!* La mêlée devient effroyable. Cependant la première colonne française n'est pas encore entrée en ligne, et Renouart n'a pas paru ; mais il ne saurait tarder da- vantage, et, se tournant vers les couards dont il a voulu être le chef : « Le premier d'entre^ vous qui • CHAP. XXII. 0 504 ANALYSE Xi>*ÀUSCÀNS. Il PABT. LivR. II. très mécréants. Or, le malheureux» Bertrand avait les yeux bandés et les poings liés : ce Serais-je assez lâche, a se dit Renoiiart, pour frapper ainsi des prisonniers, a des hommes désarmés ?» Il recula devant une telle lâcheté, et épargna les sept enfants. Quelques instants après, il apprenait leurs noms , et qu'ils étaient les neveux de Guillaume : « Eh bien ! vous allez être déli- ce vrés por Famour de Guillaume. » Vite, il leur dé- banda les yeux, délivra leur cou des carcans qui Té- treignaient, délia leurs mains. A peine Bertrand fut-il libre, qu'il jeta un cri de joie, revêtit un haubert et un vert elme luisant^ prit une épée, et fit mine de se précipiter contre les Sarrasins : « On voit bien, dit et Renouart, que vous êtes de bonne race. — C'est vrai, ce lui répondit Bertrand, mais je n'ai point de cheval.» Et à mesure que les enfants étaient mis en liberté, le premier mot de chacun d'eux était le même : Vers 5578-5«37. « #• 506 ANALYSE V^'jiUSCANS. II PART. LivR. II. de les sauver; sept rois païens tombent sous leurs CHAP \XII '- coups. Cependant, tout en combattant^ ils cherchent des yeux quelqu'un dans la bataille : c'est leur oncle, c'est Guillaume qu'ils n'ont pas vu depuis quatre mois. O bonheur! ô joie! ils se trouvent soudain en face de celui qu'ils désiraient. Ils voudraient l'em- brasser, mais ne le peuvent. Le combat, en effet, prend pour les chrétiens je ne sais quelle mauvaise physionomie ; il semble qu'à tout instant le sauve-qui- peut va commencer, et que la seconde bataille d'Alis- cans sera aussi fatale que la première à la chrétienté et à la France. « Si Dieu n'y veille, dit Guillaume lui- a même, nous ne pourrons résister plus longtemps'.» L'espérance abandonne les cœurs les plus courageux : tout empire, tout devient lugubre. Mais on compte sans Renouart, et c'est lui qui va tout changer. IV. Les onse Nous avons jusQU^à cc jour raconté assez de com- de Renouart. bats entre les chrétiens et les Sarrasins pour que nos des Français. Iccteurs se soieut fait une idée nette de la guerre, telle que l'entendaient nos poètes. Rien , dans nos vieux Romans, ne ressemble autant à une bataille qu'une autre bataille. Les deux partis se rencontrent dans quelque vaste plaine ; ils se partagent toujours eu un certain nombre A' échelles, se rapprochent, se heur- tent, et tout aussitôt se mêlent. Pas la plus petite trace de stratégie. Dès le commencement de l'action, cha- cun des combattants choisit un adversaire, le défie, l'insulte , le frappe et entame avec lui un duel sans merci, qui se termine presque toujours par la mort de l'un des deux ennemis. Dix mille, vingt mille duels tout semblables s'engagent en même temps sur le champ de bataille. Parfois quelque chrétien qui s'est trop avancé » jUscans, vers 5638-5689. CHAP. XXII. ANALYSE h'ÂLiSCJNS. 507 au milieu des Arabes est cerné par eux, et alors ses " ^^"t. li?r. h. amis font pour le délivrer d'héroïques efforts. Cepen- dant de nouveaux bataillons païens arrivent sans cesse (on ne sait trop d'où), sur le théâtre de cette lutte sanglante : ils ne renferment jamais moins de vingt ou trente mille Sarrasins; c'est le chiffre consa- cré. La plupart du temps , ce corps de réserve se compose de nègres, pour lesquels nos poètes ont tou- jours témoigné une horreur particulière. C'est alors que la bataille devient tout-à-faît horrible et que les Français plient. Mais, en ce moment, quelque héros chrétien ne manque jamais d'attaquer un amiral ou un roi sarrasin, et c'est du succès de ce duel que dé- pend toute la journée. Si le païen est vaincu (et c'est le dénouement le plus ordinaire), les Turcs se déban- dent et fuient. La mort de leurs chefs décide toujours leur défaite, et il n'est pas rare que les auteurs de nos Chansons les fassent alors mourir jusqu'au dernier. Telle est la physionomie de tous nos combats épiques ; telle est celle de la seconde bataille d'Aliscans. Au moment où les Français vont battre en retraite, Renouart attaque successivement tous les chefs des païens. En raison.de l'importance de cette lutte, un seul combat singulier ne suffirait pas pour terminer la journée. L!ami de Guillaume va tour à tour engager onze duels contre les plus redoutables adversaires. Et les Français ne pourront triompher que s'il est onze fois vainqueur. Le premier qu'il défie, c'est Margos de Bocident, qui tenait la terre d'Arcaise, a où l'on dit que Lucifer ce descend , et au-delà de laquelle habitent les seuls « Sagittaires et les seuls Noirons '. i» Ce païen, ou plu- > Aliscans^ vers 5690-5709. Le poëte décrit ainsi le pays d*Arcaise : « Desous )*abisme où ilesoivre li vent, — lUiiec dist-on ke Lucifer descent. — Outre cesf 508 ANALYSE WALISCANS. II PABT. iiTB. II. tôt ce sauvage, est armé d'un épouvantable flaiel ^ — ^ dont il va frapper Guillaume. Renouant lui arrache cette arme redoutable et la jette au milieu des païens. , Margos meurt, et son vainqueur s'écrie : « Je n'épar- « gnerai ni mes parents, ni mes frères eux-mêmes, a Margos était mon cousin ; vous voyez comment je a l'ai tué '. » Le géant alors se repose un instant sur son tinel, et laisse tranquillement les païens s'assem- bler autour de lui. Ils sont bientôt près de dix mille qui font pleuvoir sur lui lances et javelots ; mais le haubert et le capiaus de Renouart ne craignent rien. Il ne s'émeut pas de cette attaque et continue à prendre son repos. Un roi païen s'avance alors vers le frère de Gui- bourc. Il s'appelle Enorré, et vient de tuer plus de cinquante Français : maint François a mangié et estranglé. Son arme est un mail d'acier; mais Re- nouart ne le craint pas, l'écrase d'un coup de son tinel, et s'écrie : « J'en ferai autant à tous mes frères « et à mon père lui-même, s'ils ne croient pas en Jé- UAn viril O O père. Il écrase ces quatorze têtes avec son terrible tinel y et s'amuse à soupeser leurs fléaux de cuivre : se dit-il alors. Et il se rappelle que, dans le camp fran- çais, on Ta souvent traité de garçon y de ribaut à pie troiant. a Je puis devenir chevalier tout aussi bien « qu'un autre, » ajoute-t-il, et.il se décide à enfour- cher la bête \ Mais il n'a jamais pris de leçons d'équi- tation, et est fort embarrassé. Bref, il monte à rebours et se trouve la tête tournée... du côté de la queue. On devine aisément quels éclats de rire devaient accueillir au moyen âge cette partie de la Chanson . Surtout quand le jongleur récitait ce vers : Li bers se tint à la eue der- rière. La plupart des auditeurs étaient des gens de cheval, d'habiles écuyers , et les ignorances de Re- nouart les devaient induire en une gaieté bruyante et prolongée. Puis, le cheval, d'après la Chanson, jetait enfin notre héros à terre ^, ef, à ce moment, le rire devenait tout à fait homérique. L'apparition du géant Walegrape pouvait seule mettre un terme à une telle hilarité. Renouart avait tout à fait renoncé à ses prétentions chevaleresques lorsqu'il rencontra ce nouvel enne- mi. Chose plus grave : il avait perdu son tinel qui î Aliscans, vers 6110-6144. — > Vers 6145-6180 : « Del chevaucher n'esloît pas coutum/èrtf, — De la cuisine connoit mielz la fumière. — Quant dû monter, ainz n'i quisl estr/èrc. — Saut en la sele toi ce devant derière, — Devers la queue a tomée sa chière, » etc. Et quant Tanimal a fini par jeter à terre son trop igno- rant cavalier : « Cette Jument est fière, » s'écrie Renouart, et il la tue à coups de poing. CHAP. XXII. 312 ANALYSE WAUSCANS. II PART. uvH. II. était tombé aux mains des païens. Quant à Waleffrape, - il était armé d'un énorme croc avec lequel il attirait, comme un portefaix, ses adversaires jusqu'à lui '.C'est ainsi qu'il harponna Renouart, le saisit par son hau- bert et lui enleva tout un lambeau de chair. Le blessé voulut en vain frapper son heureux adversaire. A chaque instant, le croc, le terrible croc s'abattait sur lui, lui entrait dans le corps, et le blessait de nouveau. Walegrape, d'ailleurs, était couvert d'une peau de serpent sur laquelle s'émoussaient tous les coups , et il semblait bien que cette fois l'homme au tinel allait être vaincu '. Autour de lui les Français pliaient; tout paraissait perdu. Entre Walegrape et Renouart le duel est d'autant plus horrible que tous deux sont fils de Desramé et frères de Guibourc. Us essayent de se convertir mu- tuellement, mais c'est en vain. Le champion de la France est couvert de son sang; le croc vient de le saisir encore, et il est tombé sur ses genoux. Par bonheur, l'arme du païen est brisée en deux mor- ceaux : les deux ennemis se saisissent alors à bras le corps, s'enlacent, luttent, cherchent à s'étouffer, luttent encore et tombent en même temps. Renouart parvient à porter sa main jusqu'à sa ceinture, et à y prendre le marteau d'acier qu'il a conquis sur Borel. Par malheur, le marteau se casse sur le corps invulné- rable du géant sarrasin : « Renie Mahomet, et viens a en France, dit-il à Walegrape — Renie Jésus-Christ, a répond l'autre. >> Us s'assoient et se reposent un peu, et c'est alors que l'ami de Guillaume raconte toute son histoire à son adversaire étonné : « Je suis ton « frère, s écrie Walegrape, embrasse-moi. — Non pas; » Aiucatis, vers 6181-6203. — » Vers 6204-6248. ANALYSE ïi'ALtSCÀliS. 513 « tu n'es point baptisé'. » Le combat recommence. Le païen a la générosité de rendre à Renouart son tinel : générosité dangereuse ! Ce frère qu'il vient de re- connaître et qu'il aime a bientôt déchiré la peau de ser- pent qui rendait son adversaire invulnérable : « Veux- « tu croire au Dieu qui a fait le ciel et la rosée ? » s'écrie Renouart avant de frapper mortellement cet ennemi avec lequel il ne se montre ni assez reconnaissant, ni assez fraternel ; « Non, mille fois non, » lui répond Wa- legrape qui ne veut pas cesser d'adorer Mahom, Apo- lin et Sorape.... Le tinel alors s'abattit sur le Sarrasin qui tomba en poussant un formidable cri, dont tout l'Ârchant retentit : a Je ne voulais pas le tuer, » dit le vainqueur qui éprouvait enfin quelques remords et jeta un regard attendri sur son frère. Il était trop ta^d^ Notre héros se console bientôt en tuant Grîshart, le père de Guinehart la Bossue ; puis, en se mesurant avec la sœur de Grishart dont il ne doit pas triom- pher aisément. Celle-ci s'appelle Flohart. Elle est vêtue d'un cuir de bugle et armée d'une faulx. Lors- qu'elle ouvre la bouche, il en sort une fumée épaisse qui infecte toute l'armée. Elle saisit le géant, et l'étreint entre ses vieux bras qui sont encore puis- sants. Elle lui casse les dents à coups de poing, l'étouffé, le mord, lui arrache des morceaux de son haubert et les avale : aussi Canglote que ce fut for- magie. Renouart se débat en vain sous l'étreinte de ' jéUscanSf vers 6249-6398. Le poète nomme ici les autres frères de Re- nouart. Ils s'appellent Jambu, Percegués, Agolafre, Borel, Maltriblé, Caïstrus, Carrel, Aurez, Malatars, Malars, Mirabel, Morriaus, Bamé. — * Vers 6399- 646S. Pour plus de rapidité, nous n'avons pas raconté ici un épisode de ces longs combats : Renouart contre£ut le mort et les païens viennent Ten- tourer au nombre de vingt mille. 11 se relève avec un beuglement de taureau, et les met tous en fuite.- III. 88 II PABT. UVl. 11. CHAP. XZU. ■ï*. • CBAP. XXII. 514 ANALYSE h'AUSCANS. II PABT. UYR. II. la vieille qui plus puoit que cfiaroigne porrie. il in- voque tous les Saints du Paradis et fait le vœu, s'il échappe à ce danger, de déposer son tinel sur l'autel de Saint- Julien. Il est exaucé et tue Flohart*. Desramé lui-même apparaît en ce moment aux yeux de son fils que tout d'abord il ne reconnaît point. Le vassal de Guillaume interpelle son père, et lui dit fièrement : ». Après sa victoire il se repent un peu du rœu qu'il a fait, mais il en prend son parti et ajoute : « Certes ne vous donroie» — SiRK TINEL (!), por la cité de Troie, — Mes li bon Saint vos aura toute voie. ■ On voit que Renouart va jusqu'à monseîgneuriser son tinel. — » Vers 6582- G648. * ANALYSE li'AUSCANS. 616 o meurtrier de toute ma famille. » Et, comme ud en- « pabt. ut», n. fant de mauvaise humeur, il jette son tinel loin de lui : a Maudit, maudit sois-tu! » Mais il lève les yeux, et aperçoit tout près de lui un païen de quinze pieds, Haucebier, qui se dispose à le frapper. Il reprend alors son bâton^ le baise, l'interpelle : « Mon ami, dit-il, a nous voici réconciliés*.» Enfant! Haucebier était couvert de trois hauberts, se défen- dait avec trois écus, et brandissait une lance dont le fer était empoisonné. Il regarde Renouart avec une sorte de pitié dédaigneuse, et le plaisante sur la pau- vreté de ses habits : « Le cœur, dit Tautre, n*est pas « sous rhermine, mais dans le ventre où Dieu l'a mis^. « D'ailleurs, si je suis pauvre, je porterai couronne un et jour, i) Et il leva sur Haucebier son tinel. Mais, ô douleur ! cette arme merveilleuse, à force d'écraser les chevaux sarrasins et les tètes païennes , a fini par se fendre;* elle ne servira plus à notre héros. Le coup qui renverse Haucebier fait éclater le levier en deux tronçons, et voilà Renouart qui se croit sans défense. Il se trompe : à sa ceinture pend encore la bonne épée que Guibourc lui a donnée. Il la tire du fourreau, en fait l'çssai sur le Sarrasin Goulias et est tout étonné de l'effet qu'elle produit : elle tue fort bien, en vérité; elle entre souef^ et déjà l'ancien cuisi- nier regrette de ne pas avoir apporté à Âliscans tous les couteaux de sa cuisine. Figurez-vous un sauvage de rOcéanîe se servant pour la première fois d'une arme de l'Europe : tel est Renouart. Il s'amuse à couper les Turcs en menus morceaux; puis, admire naïvement son épée : a II est bien étonnant^ se dit-il, et qu'une si petite arme ait tant de pouvoir^. » Les > Aliscans^ vers 6649-6683. — ' Le même mot se trouve dans Girtws dé Vianey iyid, supr, II, p. 87). — 3 Vers 6684-6788; .•?' 516 • ANALYSE WAUSCJNS, Il PABT. LiYR. II. Païens, cependant, s'enfuient devant ce boucher et OHÂP. XXII. ' r ' se rembarquent en toute hâte. D'ailleurs ils ne sont plus qu'une petite troupe, et Desramé a quelque peine à trouver un dromon sur lequel il puisse gagner les côtes d'Espagne : son fils a effondré ou démâté tous les autres vaisseaux sarrasins ^ Mais Renouart n'est pas encore tout à fait vainqueur, et Baudus, le géant Baudus est peut-être destiné à ven^ sur lui la défaite de tous les siens'.... De tous les adversaires de Renouart, Baudus est le plus brave, et celui qui nous intéresse le plus vivement. Digne représentant du paganisme, il cherche tout d'abord à convertir son cousin qu'il vient de défier. Il y met de l'éloquence, il y met de l'habileté: a Vois comment Guillaume te traite, dit-il à notre « héros. Il te relègue à la cuisine; il te laisse aller ce pieds nus , comme un ribaud . Si tu revenais à Mahom , a au contraire, je partagerais toute ma terre avec toi. a — Votre Mahom, répond le frère de Guibourc , 6855. Baudus fait alors entrer uu certain nombre de païens dans un champ de fèves et les dispose en embuscade; on verra plus tard comment cette ruse échoua et comment ces Sarrasins périrent. ANALYSE WâUSCâNS. 517 t ris infonnes de leurs vaisseaux. Guillaume, en- touré de ses neveux libres et triomphants, tournait ses ree:ards vers Orange où Guibourc l'attendait; enfin, et comne si Dieu voulait couronner tant de bonheur, les Chrétiens avaient découvert le corps de Vivien le ■arirr, et avaient rendu les derniers honneurs à celui doot la dé£ûte avait jadis été aussi glorieuse que leur victoire*. Le jour se leva bientôt sur l'Archant, et édairai ie camp où les Français dormaient, épuisés et joveux... Et à qui devaient «ils tout ce triomphe ? A Renouart. Us allaient^ hélas ! TouMier bien vite. Plus d*uue tbis déjà Guillaume avait éprouvé Tin- oTrîîÂ^Mrâi gratitude des hommes. On se rappelle comment, avant kM|M4iiMi/sott ie Charroi de INîmes, le fils de Charlemagne avait ou» '**^!!!!^!^}^^ Wié son libérateur dans la distribution de ses châ- 0» u» iimiiMM. ^mj j^ et de ses fiefe. On se souvient surtout de V\ que riùnpereur lui avait feût, quand, après la d*\lisc*ans et la mort de Vivien, le comte d'Orange était venu lui demander secours au nom de la France et de la Chrétienté vaincues. Il semble que Guillaume, victime d'une telle ingratitude, n'eût jamais du se montrer ingrat lui-même. Mais le cœur humain est auixi lait . il tombe aisément dans les erreurs ou dans Wa lauteti dont il a le plus souffert et qu'il a le phis vivouHHit rt^procfaées aux autres. Guillaume, à son UHU't n'eut pas lu méoatoîreducœur, et, dans Tivrcssc 1 ANALYSE WàLISCâNS. 519 de la victoire, ne se souvint plus de l'ami à qui il en " '^"t- ^-"^ "• * ^ CHAP. XIUJ. était redevable. L'armée française était de retour à Orange, et, dans le palais de Gloriette^ un grand festin réunissait les vainqueurs. Guibourc était là , souriante; les sept enfants étaient là, près de leurs pères, auxquels ils pouvaient enfin raconter leur dure captivité ; le vieil Aimeri était assis près d'Hermengarde, au milieu de tous ses fils et petits-fils. On n'avait omis que d'inviter Renouart. Pour célébrer la victoire, on n'avait oublié que le vainqueur ! - Renouart avait été laissé dans un coin, et sentait très-vivement le poids de cette ingratitude : « C'est Vers 8139-8346. Avant de raconter le mariage de Renouart et d'Aélis, le poëte nous fait assister au baptéoie de Baudus (vers 8106-8138). II annonce ensuite, une fois de plus, les péripéties de la Bataille. Loqiùfer. -i 522 ANMiYSE WAUSCJNS. II PABT. uvR. u. laume appela tout aussitôt les maçons et les charpen* CHAP. XXII, * * * * tiers. Il ne savait psis^i bien faire: le roi Desramé, en effet, préparait contre Orange une nouvelle expédition plus terrible que toutes les autres, et venait de mettre à la voile avec une immense armée où l'on parlait vingt langues différentes.... Rien, d'ailleurs, n'est plus touchant que cette tris- tesse et ces pleurs de Guillaume à la vue de son isole- ment. Aliscans^ comme la Chanson de Roland^ se termine ' • sur une note triste ' . CHAPITRE XXm ET DERNIER. SECONDE HALTE AU MILIEU DE LA LEGENDE DE GUILLAUME. DIS- TANCE PARCOURUE jusqu'ici, DISTANCE A PARCOURIR. LE GUIL- LAUME DE l'histoire est SUPÉRIEUR A CELUI DE LA LÉGENDE. Résané •dccinct des neuf Chansons champion breton qui, jusque-là, était réputé în- viocible. Mais, pendant ce temps, Hermengarde est assiégée dans Narbonne par une innombrable armée de païens ; Guillaume y court et la délivre. Les fils Dtt Département d'Aimeri, réunis un moment dans la ville de leur père, se dispersent bientôt : Bernart va à Brebant, Garin à Anséune , Beuves à Commarcis, Hernaut à Gironde , Aïmer en Espagne. Un second siège de Narbonne les ramène bientôt sous les murs de leur cité natale, dont il faut décidément éloigner les Arabes envahisseurs. Le courage de Guîbelin jette là son premier éclat, et on y admire un jeune héros du nom de Roumans, qui meurt dans la première adolescence de sa gloire. Ce- pendant les années s'écoulent; Charlemagne se sent mourir et veut consolider la couronne impériale sur la tête de son fils, pauvre enfant qui tremble, indigne héritier du grand roi. Un traître veut confisquer cette couronne à son profit, et déjà y porte la main ; mais, défenseur loyal de la faiblesse et du droit, Guillaume paraît et tue l'usurpateur. Durant plusieurs années, il va et vient de France à Rome et de Rome en France. De la ville des papes il chasse les Sarrasins d'abord et plus tard les Allemands, qui n'étaient peut-être pas moins dangereux, et fait ensuite sa tournée dans toutes les provinces de France pour y exterminer les traîtres, y étouffer la rébellion contre Louis, y affermir le trône du fils de Charlemagne. Tant de services sont mal ré- compensés : Louis, à qui nous pardonnions d'être Du Couronnement Looys; ? 525 DE LA LÉGENDE DE GUILLAUME. , faible, devient ingrat et oublie Guillaume dans la ré- partition de ses fiefs. Le fils d'Aiméri Tapprend et, en présence de toute la cour, insulte ce pauvre roi qui pâlit, bégaye, s'excuse et parait tout à fait mé- prisable. Il finit par donner à Guillaume certaines terres qui appartiennent encore aux Sarrasins, et, sa- tisfait de ce présent, notre héros prend Nîmes. tJne curiosité singulière le pousse ensuite dans les ipurs d'Orange, qui sont encore au pouvoir des Sarrasins. Il pense y perdre la vie, mais y est retenu par l'amour d'Orable. Délivré par Bertrand, il s'empare de la ville, baptise Orable et l'épouse. Pendant ce temps, le fils de Garin d'Anséune, l'enfant Vivien, est élevé par une humble famille de marchands qui ne connaissent pas sa haute origine; il grandit, méconnu, et, plein de dédain pour le métier de son père adoptif , ne songe qu'à la chevalerie et aux coups d'épée. Il se rend maître de Luiserne, où les Sarrasins viennent l'assiéger, et il faut, pour le dégager, que Louis rassemble et compro- mette les forces de tout l'Empire. On adoube bientôt ce jeune conquérant, dont la naissance n'est plus un secret pour personne. Mais , avec cet imprudent or- gueil des jeunes gens, il fait le vœu ce jour-là de ne jamais reculer d'un pas devant les Sarrasins. Provo- quée par les cruautés de Vivien, la guerre commence bientôt, et elle est épouvantable : Aliscans est pour les chrétiens une défaite plus fatale encore que Ronce- vaux. Vivien y meurt en martyr; Guillaume seul survit au désastre. Poursuivi , traqué par trente mille païens, il parvient à s'enfermer dans Orange, dont sa femme Guibourc a d'abord refusé de lui ou- vrir les portes ; puis, sans prendre le temps de se re- poser, il court en France, y obtient à grand'peine les secours de l'Empereur, et ppvient, à la tète d'une ar- 11 PART. LIVR. 11. CHAP. XXIII. Du Chaxrm dc^tmeêi Delà Priât Des Enfances Vivien; Du Covenans Fivien; D*Aliscanê. t « 526 LE GUILLAUME DE LA LÉGENDE Il FART. uvB. II. mée immense , offrir la bataille aux vainqueurs de OHAP. XXIIJ. 11 111 f Vivien. La seconde bataille d Aliscans repare et fait oublier la première. Tout l'honneur en revient à Re- nouart, et 'son grossier tinel y conquiert plus de gloire ^ que l'épée de Guillaume.... Annonce des neuf Tcls sout, dans leur ensemble, les neuf Romans que Chansons dont , i f -.i u reste à bife nous avoDs longuement analyses. 11 nous reste encore , ^* pour compléter ce cycle , à raconter neuf autres Chansons : la Bataille Loquifer^ le Montage Renouarl^ Foulques de Candie ^ le Siège de Barhastre^ la ^rise de Cordres j Guibert J! Andrenas ^ la Mort dAimeri de Narbonne , Renier et le Moniage Guillaume. Il nous semble d'ailleurs que le récit abrégé de la plupart de ces poèmes nuirait ici à Tunité de notre légende. Presque tous mériteraient , à vrai dire , le nom à! incidences que nos pères avaient donné à quelques- uns : ce sont des hors - d'œuvre ou des interpola- tions. U n'y a de profondément antique que la Ba- taille Loquifer et les deux Moniages : et encore y troiiv«-f-on certains éléments relativement modernes qui nous font placer leur rédaction près de cent ans après la Chanson de Roland. Nous le démontrerons plus tard, u Gniiiaoïne Mais, au poiut où uous sommes arrivés, nous en sa- *** hlfSteS?\**^ vous assez pour juger la légende de Guillaume et la comparer avec son histoire ; et notre conclusion ici sera la même que pour la légende de Charlemagne : a Le Guillaume de la poésie nous parait inférieur à celui de la réalité. » •Qu'est-ce que les enfances de ce héros de nos poèmes, si on les compare avec sa vie réelle? Guillaume nous apparaît, dans nos Chansons, sous les traits d'un jeune homme indiscipliné et brutal ; son amour pour Orable n'a certes rien de très*glorieux , et ses coups celoi de rbistoire. v«- • . • 1- CHAP. XXIII. EST INFÉRIEUR A CELUI DE L'HISTOIRE. 527 de lance contre les païens ressemblent à ceux de tous " p^^^- "v»- "• nos autres héros. L'histoire, au contraire, nous montre le fils de Thierry chargé tout d'abord d'une mission profondément difficile, qui réclamait le génie le plus souple et le plus ferme en même temps : Charles l'en- voya parmi les Gascons, peuple remuant^ capricieux et porté à la révolte , sur les frontières de l'Espagne où sVgitaient les Sarrasins qui n'avaient pas renoncé à la conquête de la France. Il lui fallut contenir ces deux races, et il y réussit. On peut dire, sans exagé- ration, que c'était le poste le plus périlleux de l'Em- pire. Charlemagne, ne pouvant l'occuper en personne, y envoya celui de ses Comtes auquel il avait le plus de confiance , ou , pour mieux dire , un autre lui-- même» Nos poètes n'ont rien su de tout cela. Ils n'ont pas connu davantage cette grande expédition de Bar- celone et la prise de ce boulevard des Sarrasins qui fut due surtout au courage et au talent du comte Guil- laume. Us ont diminué la réalité en croyaqjt l'em- bellir : ils n'ont pas vu que Guillaume est le CHaii^ * magne du midi de la France ! Les auteurs de nos Épopées ont amoindri les com- mencements de Guillaume, mais ils ont surtout amoin- dri ses dernières années et sa mort, et nous leur par- donnons moins aisément cette profanation regrettable. Rien n'est plus touchant, rien n'est plus grand que le récit historique de l'entrée de Guillaume à Gellone. Le glorieux vaincu de Villedaigne, le nouveau Charles- Martel qui avait arrêté les païens alors qu'ils mettaient la main sur la France , le conquérant de Barcelone , le duc d'Aquitaine qui avait apaisé la révolte des Gascons et donné l'exemple de toutes les vertus au jeune Louis, à ce futiu* empereur, Guillaume vint un jour, au fond d'un désert, prendre le froc bénédictin ^ ' ^ ~ï' . r •j» . ' ^ bU ' CONCLUSION GÉNÉRALE. u PABT. Viviu n. dans UQ monastère qu'il avait fondé. Un de ses bio- CHAP. uni; ^ grapn^ OOU8 raconte que plus d'une foisil le vît hum- blement assis sur l'âne du couvent, portant du vio aux frères qui faisaient la moisson. Il se soumettait aux J . moindres prescriptions de la règle, était de service à la Ctiisine et boulangeait comme les autres moines. Il ou- ^ bliait enfin qu'il avait été l'un des plus grands noms du siècle, et fermait obstinément les yeux à sa gloire pas- sée... Il y a lày si nous ne nous trompons, une gran- '*" deur et une simplicité qui sont bien faites pour nous émouvoir profondément ; mais nos poètes n'en ont pas voulu. Us étaient laïques et détestaient les moines; ' ' ils chantaient devant des auditoires de chevaliers, de gens de.guerre qui ne comprenaient rien aux ver- tus monastiques et se représentaient volontiers tous les moines gros, gras, fleuris, gourmands et libertins. Pour avoir du succès dans ce monde des châteaux, nos épiques se sont amusé à dessiner la caricature de Guillaïune au lieu^de peindre son portrait. Ils nous le montrent sous les plus odieuses couleurs, buvant le vin du couvent, mangeant comme six, battant les moines à coups de pied , brisant les portes du monastère, brutal , ivrogne , vorace , ridicule^ odieux. Telle est l'idée que nous donne de la conversion de Guillaume . la première partie du Moniage. C'est un pamphlet sans esprit, qui a pu faire rire les gros barons brutaux du douzième siècle, mais qui nous révolte et ne nous amuse pas. Nous tenions à dire ces choses et à faire celte protestation. coociusioo de Toutcfois Guillaumc a été plus heureux que Char- qui^pomiSl^ét^ Icmaguc. Son histoire a été moins défigurée par la *"S!îeIidL '(te* légende, il a été moins outragé par nos épiques. Certes, Guuuiwne^n j^g brutalités que lui prête le Charroi de Nîmes ont un caractère odieux ; certes, il n'y a rien d'historique 19 t)B TOirr LE TROISIÈlfE VOLUME. 520 dans ces violences que plusieurs de nos poètes attri- ^ '*^*'*- "'^"- "• buent ailleurs au plus fidèle et au plus respectueux des .serviteurs de Charlemagne, dont ils font le pltis violent de tous les protecteurs. CertiBs, toutes ces fa- bles sont inférieures à la réalité, qu'elles déshonorent. Mais enfin il est deux poèmes, tout au moins, où le Guillaume de la légende est égal à celui de l'histoire : le Couronnement Looys et Aliscans. Charlemagne n'a pas si bien inspiré nos épiques, et, dans la Chanson de Roland elle-même, il ne tient pas le premier rang. CUA». XXlll. *■>: •y. •#• ■_'* « fit. 84 * „ ■ • * TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES ^'\ SECONDE PARTIE. LEGENDE ET HiROS DES ÉPOPÉES FRANÇAISES. ■• » , LIVRE SECOND. GBSTK DB GUILLAUME. CHAPITRE PREMIER. INTRODIJtnOlf A JJL CB8TB DE OmV- LAtaMB. Objet de la geste de GolUaiune. . . t Résumé très-rapide de tonte Tbis- toire poétique de Guillaume, d'à- .près les Cbansons qui composent sa geste et qui vont être longue- ment analysées 7 Notice bUfiiographique et histori- que iur la geste de Guillaums. . 3 I. Bibliographie. $ 1. Chansons dont se compose la geste de Guil- laume ft S Z Date de leur composition, 5 S S. Origine de ces poèmes* . 8 S ft. Auteurs 18 S 5. Tiombt^e de vers et nature dé la versification 20 S 0. Manuscrits qui sont parve- nus Jusqu'à nous, 22 S 7. Versions en prose .... 27 S 8. Éditions imprimées. ... 29 S 9. Traductions françaises, . 30 S 10. Diffusion à l'étranger, — — En Italie 30 — En Allemagne 35 — En Hollande 40 S 10. Dan» Us pays seamUna' ves ta -^ En MmmoM 45 %ii, Tramtiêontlmgestede Gvmaume a éUl'oMet.. . . M. S ta. râleur littéralrBdes Chan' sons qui la composent ... ft7 II. Éléments historiques de la geste de Guillaume ....... 30 UL Formation de la légende .... 09 S 1. FaUs historiques. .... 70 S 2. Influence des événemenu antérieurs., ', 71 S 3. Influence des événementê ^stérieurs 72 S 0. Fusion de plusieurs Guil- laumes en un sml 76 S 5. Légendes universelles. . . 86 S 6. lieux communs épiques. . 88 I 7. tmitationdesautres gestes. 88 CHAPITRE U. ORIGIIIBS FABOtEDSBS DE LA GESTE W GUILLAUME. Les chefs des trois grandes gestes, Charles, Doon et Garin, naissent tous trois dans le même instant. . 89 Prodiges qui signalent la naissance *■ Une Table par ordr^ AphabBtique des maUères, trés-détaiilée, sera placée à la Ua du dernier voitoit. A 582 TABLE ANiULYTlQUE DES MATIÈRES. de eei trois grands ennemis des Sarrasiiis M CHAPITRE m. LB8 ANCÊTRES DE ODILLAUM E. Notice tdstoriqtu et bibttograpliiqiu sur le Roman de» Enfances Garin deMontglane 9i Analyse des Enfance» Garin .... 91 Naissance de Garin, bisaleol deGoil- lanme. Son père est Savari, dnc d'Aquitaine. Sa mère, Flore, inno- cente comme Berte- aux -grands - pieds, est persécntée comme elle. . 91 Éducation de Garin. Gomment le roi de PaTie, Thierry, vengea Flore sa flile des outrages de Sarari. ... 07 Premier amourde Garin; ses premiers exploits; son départ poar la Sicile. 100 Garin délivre Reggio des Sarrasins * qui Tassiégent et tae le géant NarquiUns lOS Le«rattre Driamadant nsorpe la cou- ronne d*Aqnitaine; Garin et 'ses frères s'apprêtent à la reconquérir. 106 Dénouement du drame. Monde Dria- madant, retour de Savarl, réhabili- tation de la duchesse Flore. Garin, à qui l'on doit ce triomphe de la Justice, quitte TAquitaine et va cheiéher aventures ih la cour de Gbariemagne . . .'. f 108 àBAPITRE IV. LES ANCÊTBES DE GUILLAUME (SUITE). Notice historique et bibliogrcqpMque sur la Chanson de Garin de Mont- glane Analyse de Garin de Montglane. . Prologue du drame x Garin part à la conquête du château da Monglane dont CbarieflBagiie loi a fait don. Sur le chemin de Montglane, Garin se prend d*amoor pour Mabille, quUl n*a pas vue, mais dont un Jongleur lui a vanté la beautél Rencontre d'une inconnue que Garin arrache à la mort et qui n'est autre que Mabille Mabille est sur le point d'épouser Hugues, duc d'Auvergne : Garin le tue . Le duc Gaufroi de Montglane, à son tour, veut épouser Mabille. Com- mencements de la grande guerre entre le duc et Garin. Le géant Robastre vient au secours de notre héros 133 Amours coupables de Mabille qui, une seconde fois en danger de mort, est une seconde fois délivrée par Garin. 1.^5 111 111 122 127 131 Apparition de f^ncbantenr Perdigon. Nouvelles et dernières péripéties de la guerre entre Gauflroi et Garin. Prise de Montglane et de Vontgra- Tier. Captivité et délivrance de Ga- rin. Mort de tous les partisans du Doc qui étaient aubiçci» et adoraient Mahom. Victoire des Français; mariage de Garin avec HabiDe . . Traduction de» ptu» beaux pa»»age» de no» Épopées nationates : 1** La mort de Ganmadras. . . CHAPITRE V. 1» lAS tf5 LES ANCÊTRES Dl ODILLâUHE (SUITE). Notice bibliographique et Mstorique sur la Chanson de Girars de Viaoe. iV* Analyse de Girars de Flâne. ... 155 Pauvreté du vieux Garin. Ses fils y mettent fin et partent de Montgfane s Mille va en Puille, Heraaut à Beau- lande ; les deux autres se rendent k la cour de Charlemagne. 106 Arrivée à Reims de Renier et de Gi- rart. Insolence et brutalité des deux enfantit faiblesse de l'Empereur. 108 BonMervices rendus k Charles par Renier qui obtient en récompense le duché de Gennea, et par Ginrt qui reçoit celui de ^Ufie 170 Haine de l'ImpéralrfCe pour Girart; outrage qu'elle loi (hit subir. Cest l'origine de la grande guerre entre Charlemagne et les quatre fils de Garin 173 Traduction dc^ plus beaux passa- ges de nos Épopées natknuUes : 2o La pauvreté de Garin. ... 160 aiAPITRB VL LES ANCÊTRES DE GUILLAUME (SITITE R FIN). Notice bibliographique et hisîoriqne sur le Boman de Renier deGomes. Analyse de Renier de Gennes. . . . Cbaries (ait présent à Renier du du- ché et delà ville de Gennes. . . . Arrivée de Renier à Gennes; son amour pour Olive, b fille du der- nier Duc ; sa fierté, son courage. Combat de Renier avec le géant Sor- brin : sa victoire ; son mariage avec Olive; fuite des Sarrasins. Naissance d'Olivier et d'Aude. CHAPITRE Vn. LE GRAND-PÈRE DE GUILLAUME. Notice bibliographique et historique sur le Roman (THernaut de Beau- lande 196 175 175 180 183 185 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES. ô88 AnàïyMû^BemautdeBeautande. . 180 Arriflée dllernaat dans la dté d'Aqui- taine. Le liâtard Himaut conspire contre loL 190 Amoora dUernaat et de Frégonde. Captirité da fils de Garin ches les païens delà dté de Beaulande. . . IM Le géant Robast^e et Tenclianteur Perdigon traTaillent ir la déli- vrance d*Hernaot 105 Hernaat demenre en ponession des deux dt^ d'Aquitaine et de Beau- luMle, épouse Frégonde et engendre Aimeri 198 GHAPTTRB VIU. LE PÈRE DE GVILLAUm. Analyse de Girars de Fiane (2« partie). 200 Arrivée, an palais de Viane, d'Aimeri, fils d'Hemaut de Beaaiande. ... 200 Grande guerre entre Gharlemagne et les fils de Garin: rôle important qu'y Joue Aimeri 203 Départ de l'Empereur pour la guerre d'Espagne qui doit se terminer à Ronoevaux. Fiançailles de Roltad et d'Aude. Le poète s'api^te à ra- conter la suite de l'histoire d*!!^ meri. • 212 Traduction des ptua beaux pa$- 9agei dé nos Epopées nationales : 8<* Arrivée d'Aimeri aa palais de Viane 202 4* Gharlemagne tst fait prison- nier par ses vassaux; fierté d'Aimeri 210 CHAPITRE IX. LE PÈBE DE GniLLiUME (SUITE). Notice btbtlograpMque et Mstort' que sur Us Chanson d'Aimeri de Naiixtnne 213 hnsA^scû* Aimeri de Narbonne. . . 217 Gharlemagne, à son retour de Ronce- vaux, aperçoit la ville de Narbonne qui est au pouvoir des Païens. Il en propose en vain la conquête A tous ses chevaliers : Aimeri 8eul*accepte etprend la ville 2ia Attaque «I prise de Narbonne par Farmée française. Exploits d'Aimeri qui, après le départ de Gharle- magne, reste seul dansla ville con- quise. 2S3 Mariage d'Aimeri avec Hermengarde, sœur du roi des Lombards. ... 241 Nouvelle invasion des païens qui cherchent à reprendre Narbonne; leur débite, leur fuite 2ft7 Les douxe enfents d*Aime(i et d'Her- raengardc 250 Traduction des plus beau» paS' sages de nos Épopées nationales : 5<* Gharlemagne devant Narbonne. 2S2 CHAPITRE X. PBBmÈlE HALTE AU MIUEU DB LA LiOBllDE DE GUILLAUME. Résumé SBcdnct des six Chansons de geste qui ont été analysées plus haut 251 — Des Enfances Garin .... 252 •-DeGarindeMontglane, . . 252 — 0e Girars de Fiane 252 — jyHemaut de Beaulande, . 258 — De Renier de Gennes. ... 258 — ly Aimeri de Narbonne ,^ . . 255 Objet des chapitres qui vont suivre. 255 CHAPITRE XI. L'ERFAIfCS DE GinLLAUllE. Notice biblioiprapMque et historique sur la Chanson des Enfonces Guil- laume . . 255 AiMlyse des Enfances Guillaume, 255 Départ de Guillaume A la cour de. Gharlemagne; commencement de ses enfances 270 Thibaut d'Arabie vient, pendant l'ah- sence de Guillaume et de son père Aimeri, mettre le siège devant Nar- bonne. Détresse d'Hermengarde.. 270 Commencements de l'amour de Guil- laume pour Orable. Première vic- toire du fils d'Aimeri sur les Sarra- sins. Conquête du cheval Baucent. 271 Les Païens, sur le point de surprendre les Français endormis, stnt trahis par Onble, quTse tance tfee Guil- laume , TJh Mariage de Thibaut et d*Orabie ;sor- • tiléges de celle-d émcsni la noit de ses noces; oonlinietkfn du siège de Narbonne 277 Guillaume à la eoiir de Gharlemagne; son adoubement. Sa victoire sur un champion breton ; son départ pour Narbonne 181 Délivrance de cette ville, défiiite des Païens, fin des enfimces de Gull- .-' lanroe 287 Traduction des plus beaux pas- sages de nos Épopées nationales : 6* Gomment Gnillaume révéla sa * fierté pou? la prwiière fois. 908 70 Amovr de Guillaume nour son chtfel laocent. . ..... 271 M4 TABLE ANMxTTlQUE 0SS MATlAUBS. CHAPIfRE Xn. OUILUDME ET IBS VR&KXS SE SiPABEinr. Notioe MliogrUKphiqueet historique sur le Département des Enfons Âimeri. '. 288 Analyse da Département des Enfans Aimeri « . . 288 Les enfants d*Ainieri quittent leur père : Bernard Ya à Brebant ... 292 Garin à Ansémie« 2M Hemaut à Gironde, 2M BeoYes, Aimer et GuOlaume retour- nent ^ la ooor de Giiaiies.. . • . 2M CHAPITRE XUL CE QUI SE PASSE ENTRE LES ENPANCES Dl GOILLADM E ET LA MORT DE GHARLEMAONE. Notice bibliographique et historique sur le Siège de Narbonne .... 295 koalYseàaSiige de Narbonne, . . 295- Troisième siège de Narbonne par les Sarrasins 298 Premier exploit de Guibelin, le plus Jeune des ûls d'Aimeri 299 DèliYranee de Guibeiin ptr le vieil Aimeri, son père. Prouesses de Roomus. 300 Ambusade de Ronmans et de Gui- beiin à Paris S02 Dernière bataille sous les murs de Narbonne ; Yictoire de Guillaume ; fuite des païens 304 Les fils d'Aimeri se séparent pour la seconde fois, et Guillamue retourne à la cour de Charlemagne 305 aiAPITREXIV. GCILLADME LIBÉRATEDB DE LA GHRb- TIENTÉ ET DE LA FRANGE. Notice àibliographique et historique sur le Couronnement Looys. . . 30*7 Analyse du CouroimementZiOOt/5. . 307 Guillaume place la couronne sur la tête du petit Louis, que le traître Hernaut voulait déshériter. Mort de Charlemagne qui laisse son fils sous la garde de Guillaume. . . 319 Premier voyage de GuillaumeàRome. Sa lutte contre le géant Corsolt et le roi Galafre. Rome délivrée des Sarrasins 820 De retour en France, Guillaume apaise une ré voltc de tous les grands vassaux, el en particuliei des Nor- niands soulevés contre le fils de Ckarlemagne , 334 Seconde expédition dç GaRlaoïne à RoEie; ^ lutte contre Gui d^iâUe- magnt; aon retour en F^FWDce. In« gratitude de Louis S8ft Traduction des plus beaux pas- sages de nos Épopées nationales: 8* Le ooaroDnementde LcMiis... 323 CSAPITRE XV. GtTILLAUME AU MIDI DE Là PHASCE I IL PIEHD lUMSa. 341 3ftl 847 361 339 Notice bibliographique et historique sur le Charroi de Ntmes. . . . iMisïyse ûu Charroi de Ntmes . . . Louis oul)lie Guillaume dans la dis- tribution de ses fief^ Colère du fils d'Aimeri, qui rappelle au Roi tous ses ancienftaenrioes Guillaume iDlRielit de Louis nSs- pagne. Orange et Nîmes qui soot au pouvoir des Sarrasins Guillaume s'enpei* de Rimes par la ruse i il cache ses chevaliers en des lonneaàx et les fait ainsi péné- trer dans la ville païenne, qui tombe bientôt ao pouvoir des Ftançals.. Traduction des plus beaux passa- ges de nos Épopées nationales : 9^ La colèro du comte Guil- laume. '331 CHAPITRE XVI. GDILLAUME AU MIDI DE LA FRANCE (SUITE). IL 8*EMPARE DE L\ VILLE D*0RA1IGE, DONT LE NOM DOIT LUI RESTER. Notice bibliographique et histori- que sur la Prise d*Orange. . . . 3G2 Analyse de la Prise d? Orange . . . 362 Guillaume parvient A s'introduire dans la ville d'Orange qui est au pouvoir du roi Arragon, frère de Thibaut 3*31 Amours de Guillaume et d*Orable. . 371 Guillaume est atuqué par les païens et, près de succomber, s*enferme dans la tour de Gloriette où il subit un siège » 372 Il tombe enfin aux maine des Sam- sins et va périr quand Orable le délivre 375 Il envoie chercher des teooars à Nîmes: Bertrand en arrive à la tête de treize mille chevaliers etsaove son oncle . . • ». 376 prise d'Orange par les Fran<;ais. . . 378 Baptême d'Orable qui prend le nom de Guibourcf son mariage avec Guillaume 378 TABLE ANALrnQl^ DES WATlËRKg. CHAPITRE XVII. LE NKTEC DE OUILLAIJME, ElfFAlfCSi fiYiEii; son Notice bibHoQTfxphique et kistoriqite sur les Enfances Vi?ien 579 Anaflyse des Enfances FUfien, « . . 379 Garia d*Anséane, frère de Guillaume, est fait prisonnier à RonceTaux. Les Païens exigent, pour le déli- vrer, que son fils Vivien meure à sa place. DéTOuemcnt de Vif ien. . 386 AlerTeilleusement sauvé au moment môme oli il allait mourir, Vivien est acheté par une marchande qui te prend d*affeeUun pour lui et Tél^e' comme son fils 890 Éducation de Vivien, qui a tous les instincts d*un chevalier et dont on ne peut faire un marchand. . . . 591 Vivien à Luiscme. GoniMilt, à latOte de quelques marchands» il conquit œtte ville sur les Sarrasina. ... 390 Siège de Luiseme par les Païens. Vi- vien, sur le point de succomber, est délivré par une armée fran- çaise 398 Entrée victorieuse des Français à Luisernc; Garin revolt enfin son fils quUl çrofait mort; fin des en- fances de Vivien. 403 Traduction des plus beaux pas- sages d6 nos Épopées nationales : U« Adieux d'Heutace à Vivien. 916 11* Vivien chex le bon marchand Godefroi 391 CHAFITRB XVIII. L£ NEVEU DB OUILLADIIB (SUITE) : EX- PLOITS, VOEU WàJàL ET DÊTBESSE DE VIVIEN. 535* «26 Notice bibliographique et historique sur U Govenans Vivien 405 Analyse du Covenans Vivien, . . . 405 Vœu de Vivien : il Jure de ne Jamais reculer d'un pas devant les Sarra- sins Orange 403 ▼. Guillaume ft la cour de Louis. . 475 Traduction des plus beaux pm- i sages 4e nos Épopées nationales : 16<*Lb première communion de Vhkn 458 17* Retour de Guillaume ik Orange après la défaite d'Alis- cans 470 CHAPITRE XXI. 1M MEILLEUR ALLIÉ DE GtnLLAOME : PRE- MIERS EXPLOITS DE RENOUART QUI VA DEVENIR LE PRINCIPAL H£R0S DE TOUTE LA GESTE. 432 Analyse d'Aliscans ( suite ) . . . . 484 I. Un garçon des cuisines de TEmpe- reur. Premiers exploits et portrait dellenouart -, jm^ U. Le HêêU de Renouaru M m.Départ de l'armée firançaisc pour • It seconde expédititD d'Aliscans., 491 « 1 ■V • *• •■• • • « ■> .*• S3S TABlifc ilXU^TiQCE DKS MATIÈRES. chAtre USk AfUlfK 4'iflianDU (suite et Un). ■ I.. Art1t€e de riniiée ' française .4 Orange : Gniboarc aive Rcaooan. tu Prtparad^ de h témmét bataille • d'Aliscaos. Les oMards. BeiteUes païennes et batailloos chrétiens. . •UL Oommencement de la latte. DOi- Trance des sept enfamii captifs. . TV. Les orne dnels de Renonart. Vldoire des Français. ...... ^ Y. Ingratitude de Gnîllaïune, fnrenr de Renouart. Son bapléme, son adomb^^mau^ son niariage.Fin de la jrSQC*ia, 1M5TA!ICI A PABOOCIIB. L£ 6C1LLACMZ DC L*BIST01SK CST SCPÉ- KIILI A CEIfl ne LA IXCCXDK. 5t6 M8 CBAPITRB XXm ET KRMER. SfpDRDK HALTB Ai: WOJWC DC LA LtCEIlDE DE GIILLACMS. MSTA5CC PABOMrBUE qoi tiennent d'elle analysées. . . — Des EmfÊmÊes GKiUamme. . . ^ Du BtifOitimumi des emfamt ÉSfMri — Dn SU9t d§ .flv-tomtf. . . . — Du CommmmMemt Lnw^s^ . . — Dar*nrr0idc.\enes.. . . . — De li Prise ^Oramç€, .... — Des At/Sanres Tirant ^ Du Covauua FincM. .... — lyAlÛCOMS Annonce des neof Omwnns dont il rate à ttre ranaljse. ...... Le GoiOanme de la légende est iolé- rîear k odni de riûstoire. .... Gondusion de tont ce volome qni pourrait tee imitnlé z •Im Li^ ^ •^